Intervention de Olivier Paccaud

Réunion du 17 mai 2023 à 15h00
Génocide ukrainien de 1932-1933 — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Olivier PaccaudOlivier Paccaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est un abîme infernal, une question diabolique que l’humanité aurait préféré ne jamais se poser : jusqu’où l’homme peut-il perdre l’âme ?

Certes, l’histoire de l’humanité a été sanglante et guerrière. Mais si la chronique des millénaires relate avant tout une danse macabre d’escapades militaires, le XXe siècle fut le théâtre d’une sorte d’apothéose du mal, avec ses massacres de masse, ses crimes contre l’humanité, ses génocides – le martyr arménien, la Shoah, la folie des Khmers rouges, le Rwanda, sans oublier l’Holodomor.

Évidemment, avant 1900, la cruauté et l’inhumanité ont pu aussi régner. Aucune terre n’a été épargnée. Et certainement pas notre sol de France, où la Saint-Barthélemy vit la Seine se transformer en un fleuve de sang, où la terreur révolutionnaire et les colonnes infernales de Turreau plongèrent la Vendée dans un bain de feu. Mais la spécificité maléfique des génocides du XXe siècle, c’est leur organisation, leur planification, l’horlogerie du crime jusque dans la mise en scène de sa négation.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour lever un voile, et même un marbre obscène, qui recouvre cette page terrifiante du passé de l’Ukraine.

Alors que certains hier, et d’autres aujourd’hui, refusent de reconnaître la réalité et l’intentionnalité de ces atrocités, il est de notre devoir de rétablir cette vérité glaçante : en 1932 et 1933, des millions d’Ukrainiens, avant tout paysans, ont été condamnés à la mort par la faim.

Si l’oubli est une seconde mort, le déni est un second crime. Oui, Staline et ses sicaires savaient que la famine avait passé son nœud coulant sur les campagnes d’Ukraine.

Oui, Staline et ses diables voulaient éradiquer, faire disparaître, ces paysans : ils ont pris des décisions à cette fin.

Le « petit père des peuples » a eu beau nier, parler de « fables » pour rejeter les accusations, ciseler une contre-propagande grossière avec des tournées-mascarades de personnalités occidentales, comme Édouard Herriot, découvrant une Ukraine où tout allait bien, la guillotine sèche s’est abattue sur des millions d’Ukrainiens. On ne connaîtra jamais leur nombre exact.

La guillotine sèche, c’est l’arme du bourreau qui ne veut pas voir ses mains souillées du sang de ses victimes, du bourreau ignoble et tartuffe qui ose croire que son péché sera invisible : pas de sang, pas de crime.

Si, à la différence de la Shoah, l’Holodomor n’a pas sa conférence de Wannsee, il repose sur quelques décisions politiques du gouvernement de l’URSS dénuées de toute ambiguïté.

Tout d’abord, la tristement célèbre « loi des épis » du 7 août 1932, qui punit de déportation ou de mort « tout vol ou dilapidation de la propriété socialiste », ne serait-ce que la simple appropriation de quelques épis dans un champ. C’est ainsi que 125 000 malheureux affamés ont été condamnés, dont 5 400 à la peine capitale.

Ensuite, les circulaires des 27 décembre 1932 et 22 janvier 1933, assignant de fait les paysans ukrainiens à résidence et les empêchant de fuir la famine.

Pendant ce temps, cyniquement, l’URSS de Staline exportait des millions de tonnes de céréales, notamment ukrainiennes, pour financer son industrialisation à marche forcée.

Les négationnistes, parmi lesquels de prétendus historiens très souvent idéologiquement marqués, arguent d’une famine bien réelle qui frappait alors nombre de territoires soviétiques, n’épargnant presque que les dignitaires du Kremlin et les responsables communistes ayant échappé aux premières purges. Mais une famine, même largement répandue, ne saurait ni excuser ni masquer la volonté délibérée d’extermination, de « dékoulakisation » ukrainienne.

Désormais, plus personne ne doit ignorer le témoignage du journaliste gallois Gareth Jones, porté à l’écran en 2019 dans le bouleversant film d’Agnieszka Holland, L ’ Ombre de Staline, ni les photographies de l’ingénieur Alexander Wienerberger.

Mes chers collègues, l’Holodomor, comme la Shoah et tous les autres génocides, apparaît comme le mal absolu et le refus même de la civilisation. Souvenons-nous du cinquième commandement du Décalogue : « Tu ne tueras point », mais aussi du huitième : « Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain. »

« Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les flambeaux », a écrit Victor Hugo. À nous, aujourd’hui, dans cet hémicycle, comme d’autres parlementaires européens l’ont fait, de servir non pas le devoir, mais l’impératif de mémoire et de vérité.

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