Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 17 mai 2023 à 15h00
Génocide ukrainien de 1932-1933 — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la famine qui a été organisée par le régime stalinien entre les hivers 1932 et 1933 est une abomination qui a fait plusieurs millions de morts. Leur nombre n’est pas arrêté, Staline ayant pris soin d’interdire la divulgation des chiffres du recensement de 1937, trop alarmistes, mais nous savons qu’entre 5 et 7 millions de paysans, ukrainiens de souche pour la plupart, ont péri dans ce terrible épisode.

Le grenier à blé de l’URSS était devenu sa fosse commune. Le pouvoir soviétique avait réquisitionné toutes les récoltes de la région et jusqu’aux moyens de production de la nourriture, afin de créer une famine artificielle, d’où le nom d’Holodomor. Des déportations et des tortures physiques ont également été commises lors de cette période – ma collègue Hélène Conway-Mouret y reviendra.

Je m’intéresserai pour ma part aux intentions de Staline. En visant plus particulièrement les paysans ukrainiens était affirmée la volonté d’éradiquer l’identité et le patriotisme ukrainiens, afin de contenir toute velléité de contestation du joug soviétique.

La guerre des mémoires qui fait rage sur la scène internationale depuis plusieurs décennies entre l’Ukraine et la Russie montre les enjeux identitaires qui se cachent derrière ce génocide. Si l’histoire ne se répète pas, elle éclaire le présent.

Sans revenir sur l’ensemble de ces enjeux, il est aisé de comprendre que l’Ukraine s’est émancipée de la sphère culturelle des Slaves de l’Est dans laquelle Moscou souhaitait la circonscrire et que, en étant victime de l’oppresseur soviétique, le peuple ukrainien s’affirmait nécessairement comme intrinsèquement autre.

La Russie, quant à elle, reste assise sur une identité empreinte des prouesses passées, notamment l’industrialisation à marche forcée des années 1930, qui permit – nul ne peut le contester – la victoire contre l’Allemagne nazie. Le terme de génocide établissant un parallèle entre Staline et Hitler, on comprend que Moscou ne pouvait l’accepter sans remettre en cause les fondements de sa propre identité.

L’Holodomor doit être dénoncé comme l’un des crimes les plus horribles de l’histoire stalinienne, ainsi que nous nous apprêtons à le faire. Ne pas le reconnaître reviendrait à réécrire ou à déformer l’histoire.

Les parallèles qui peuvent être tracés avec la situation actuelle sur notre continent et dans notre pays sont nombreux. La résonance avec la guerre qui sévit actuellement en Ukraine est nécessairement saisissante, d’autant que l’Holodomor ne s’est produit qu’à quelques centaines de kilomètres de nos frontières, une proximité qui doit nous interpeller.

Ma première source d’inquiétude – je tenais à l’exprimer devant vous aujourd’hui, mes chers collègues – tient à la montée du nationalisme en France. Celui-ci conduit systématiquement à des violences, à une vision hégémonique, voire suprémaciste, de l’identité.

Les dangers du nationalisme en France n’ont jamais été aussi prégnants. Le déferlement de la violence, en particulier de l’extrême droite, que nous avons évoqué à plusieurs reprises lors des questions d’actualité au Gouvernement, est la preuve de la totale désinhibition ressentie aujourd’hui par celle-ci dans notre pays, où elle exprime sans contrainte ses plus sombres positions.

Nous devons donc être vigilants à ce que les nationalismes ne gagnent pas, ou plutôt ne gagnent plus notre continent.

L’Holodomor doit être reconnu comme l’un des crimes contre l’humanité les plus marquants du XXe siècle, avec le génocide arménien, l’Holocauste et, plus loin de nous, le Rwanda, le Cambodge et d’autres qui ont été cités par nos collègues.

La proposition de résolution qui est soumise à notre examen – j’en remercie son auteur –, nous renvoie à notre devoir de mémoire. Au regard des enseignements du passé, j’estime que celui-ci emporte aujourd’hui un devoir de vigilance.

Dans le contexte actuel, cette vigilance doit être renforcée, car lorsque le nationalisme exacerbé et le populisme s’entremêlent, les heures sombres ne sont jamais très loin.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera cette proposition de résolution de nos collègues. Ce rappel à un douloureux passé doit nous inciter, monsieur le ministre, à ouvrir dès que possible les portes de l’Europe au peuple ukrainien.

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