Intervention de Jean-Pierre Decool

Réunion du 23 mai 2023 à 14h30
Biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Pierre DecoolJean-Pierre Decool :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question de la provenance des œuvres d'art exposées dans les collections publiques est un sujet majeur pour les musées français. Elle appelle une profonde réflexion sur notre rapport à l'histoire, à la politique mémorielle et à la formation de notre patrimoine culturel. C'est un vaste débat de société qui nous engage collectivement !

Au cours des décennies précédentes, l'humain était au cœur de la politique française de réparation des spoliations. L'heure était au recueil des témoignages et des récits transmis par les ultimes témoins du passé : commissaires-priseurs, fonctionnaires, conservateurs de musée, marchands d'art.

Aujourd'hui, les biens culturels incarnent l'histoire et sont porteurs de mémoire pour les générations à venir. Nous, parlementaires, avons le devoir de participer à la formalisation de la politique française de restitution, grâce à ce projet de loi.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la déportation des Juifs de France s'est accompagnée du pillage méthodique de l'ensemble de leurs biens, notamment culturels.

Dès l'été 1940, de nombreux domiciles de familles juives ont été vidés – du sol au plafond –, de leur mobilier, de leurs œuvres d'art, de leurs instruments de musique. À Paris, première place mondiale du marché de l'art, pas moins de 40 000 appartements ont été pillés.

Les œuvres spoliées ont d'abord été stockées à l'ambassade d'Allemagne à Paris, puis au Louvre et, enfin, au musée du Jeu de Paume, à partir du mois de novembre 1940.

En France, on estime à 100 000 les œuvres volées ou vendues sous la contrainte, un nombre sans doute sous-évalué. Il est en effet calculé en s'appuyant sur les signalements réalisés après-guerre par les familles. Or toutes ne se sont pas manifestées.

Après la guerre, 60 000 de ces œuvres sont revenues en France, dont une grande partie a été rapidement restituée à ses propriétaires. Certains biens ont été vendus, tandis que d'autres ont été confiés aux musées français.

Oublié quelques années, le sujet de la restitution des œuvres spoliées est revenu sur le devant de la scène au milieu des années 1990.

Depuis une vingtaine d'années, le nombre de restitutions augmente peu à peu, à l'image de la Vierge à l'Enfant, de la Vierge de pitié et de la Scène de bataille : Siège de Carthage par Scipion Émilien, œuvres rendues au mois d'avril dernier à leurs ayants droit.

Malheureusement, certaines œuvres n'ont pas encore retrouvé leurs propriétaires et patientent dans les salles d'exposition de nos musées. C'est alors qu'interviennent les historiens spécialisés : leurs longues enquêtes sont le travail de toute une vie. Ils s'appuient sur un faisceau d'indices hétéroclites : archives nazies, services administratifs de l'État collaborateur, généalogistes, marques sur les œuvres elles-mêmes, descriptions par les familles lésées.

Je tiens à saluer la mémoire de Rose Valland, attachée de conservation à Paris pendant l'Occupation. Figure active de la Résistance, elle a pris de grands risques pour archiver l'ensemble des œuvres spoliées et conservées au musée du Jeu de Paume. Nous lui devons une grande partie des restitutions d'après-guerre. (Mme la ministre le confirme.)

Nous devons affronter ce passé. Pour les œuvres qui appartiennent aux collections publiques, seule une loi spécifique peut autoriser leur sortie du domaine public en raison de leur caractère inaliénable.

Pour faciliter les restitutions et éviter de légiférer au cas par cas, il était essentiel de prévoir une loi-cadre permettant d'aller plus vite. Nous pouvons nous féliciter que ce sujet soit l'une des priorités de votre ministère.

Ce texte pose également la question de l'après-restitution. Aucune compensation n'est prévue après la restitution de l'œuvre. Les musées vont devoir se réinventer pour continuer à faire vivre en leurs murs les œuvres rendues aux familles : l'art numérique peut être une piste de réflexion intéressante. Je suis également favorable au fait d'encourager les familles volontaires à permettre au public d'accéder périodiquement aux biens culturels restitués. Ces différents sujets nourriront, je l'espère, de prochains débats.

L'historien Philippe Verheyde écrit : « L'histoire des restitutions des biens juifs […] est une histoire qui reste à faire. » La France ouvre aujourd'hui un nouveau chapitre.

L'unanimité de notre assemblée sur ce sujet qui nous tient tant à cœur est un très bon signal. Ce débat est essentiel au regard de l'immensité et de la complexité du défi de la restitution d'œuvres. Il doit se poursuivre dans les mois à venir.

Le groupe Les Indépendants se félicite de ce texte et le votera. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion