Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le dispositif introduit par ce texte ne vise pas seulement à faciliter la restitution de biens à leurs propriétaires ; il ne serait qu'un de plus, dans un long débat relatif à l'origine de certaines collections des musées européens.
Au-delà de la restitution patrimoniale, ce texte s'inscrit dans la démarche de condamnation, constante depuis le général de Gaulle, dès 1940, des persécutions antisémites perpétrées durant la Deuxième Guerre mondiale, de cette injustice profonde qui a déshonoré la France et la République au plus profond d'elles-mêmes et de cette barbarie sans nom qui a commis des crimes sur des individus dont le seul tort était celui d'être nés, comme le disait si justement André Frossard quand il parlait du crime contre l'humanité.
Ce projet de loi vise à restituer les biens culturels ayant fait l'objet de spoliation dans un contexte de persécutions antisémites entre 1933 et 1945 sur le sol français. Ces biens appartiennent à des collections publiques dans lesquelles ils n'auraient jamais dû se trouver.
On peut même s'étonner qu'au regard de cette injustice si profonde, cette restitution n'ait pas été facilitée dès l'origine et que la demande de restitution ait été laissée à l'initiative des propriétaires spoliés ou de leurs ayants droit.
Comme toute démarche, une telle demande peut s'enliser dans les méandres de procédures longues que les familles n'ont pas la force de supporter. Pourtant, la spoliation est une négation honteuse du droit de propriété, qui est profondément ancré dans notre droit et qui ne peut être mis en cause que pour des raisons d'intérêt général. La haine n'en est pas une !
Cette spoliation est pour les familles la négation de leur humanité, de leur mémoire et de leurs souvenirs.
Ce texte doit être donc salué pour ses apports.
Ce texte est attendu par ces familles.
Ce projet de loi institue tout d'abord une procédure de restitution simplifiée des biens culturels spoliés sur l'initiative des personnes publiques. Cela facilitera les restitutions en rappelant que l'État et les administrations ont aussi des devoirs.
C'est donc du côté de la puissance publique que la démarche de restitution doit d'abord être engagée, alors même que les autorités françaises ont reconnu leur responsabilité dans les persécutions, comme l'avait fait Jacques Chirac en 1995 dans son discours du Vél d'Hiv, précédemment cité par notre collègue Pierre Ouzoulias.
La période est définie plus largement, ce qui permettra de viser toutes les spoliations de caractère antisémite et évitera de buter sur des problèmes de chronologie.
Les persécutions antisémites n'ont pas commencé avec Vichy, mais Vichy y a bien participé, et bien au-delà du territoire français.
Cela permettra de restituer les biens confisqués par l'autorité de fait « se disant “gouvernement de l'État français” », comme le prévoit le nouvel article L. 115-2 du code du patrimoine.
Ces biens sont considérables – tous les orateurs l'ont indiqué – au point que les estimations, bien que vraisemblablement trop basses, donnent le tournis : plus de 5 millions de livres et 100 000 œuvres auraient été spoliées en France pendant l'Occupation, dont seulement 45 000 ont été restituées après-guerre et dont 2 200 feraient aujourd'hui partie des collections des musées nationaux.
Le temps peut certes faire son œuvre.
Les propriétaires spoliés ou leurs ayants droit peuvent également demander autre chose qu'une restitution. Le texte prévoit que « d'un commun accord la personne publique et le propriétaire ou ses ayants droit peuvent convenir de modalités de réparation de la spoliation autres que la restitution du bien ».
S'il convient de saluer la possibilité de telles transactions, la souplesse ne doit pas être entendue comme un abandon des restitutions. Il faudra aider au maximum les propriétaires ou leurs ayants droit. Ce sujet sera suivi.
Cette restitution peut aussi être engagée par les personnes morales de droit privé qui détiennent des biens spoliés, notamment les musées de France appartenant à des personnes morales de droit privé.
C'est une autre avancée de ce texte, car la problématique des musées privés est ainsi posée.
Le mouvement de réparation de ces dernières années est en route. Il marque une avancée et un encouragement à poursuivre, notamment pour clarifier le cas des œuvres répertoriées MNR, toujours en attente de restitution.
Enfin, un texte si important ne saurait éluder la question de son application et des démarches qui vont être entreprises.
Madame la ministre, quelles initiatives seront prises dans les mois à venir ? Certaines personnes publiques sont sous la tutelle de votre ministère. Quels établissements ou musées pourraient être concernés ? Comment seront-ils aidés financièrement, car si des indemnisations étaient envisagées, cela soulèverait des problèmes de financement ?
Il faudra être vigilant sur le décret qui fixera les modalités d'application de la nouvelle section introduite dans le code du patrimoine pour cette procédure de restitution simplifiée.
Ce texte doit déterminer la composition, l'organisation et le fonctionnement de la commission administrative qui donnera un avis à la personne publique qui effectuera la restitution.
Le décret concernera également des modalités d'application relatives aux restitutions qui seront effectuées par des musées privés.
Je salue cette précision apportée en commission par l'adoption d'un amendement de ma collègue rapporteure Béatrice Gosselin.
Sans préjuger de la rédaction du décret, il convient d'avoir des garanties et un suivi de son élaboration. Pourrons-nous en être informés ? La commission de la culture y sera vigilante.
Enfin, il faudra préciser l'ampleur des restitutions pour avoir une vue globale de ce qui nous attend.
Madame la ministre, mes chers collègues, avec le groupe Les Républicains, je voterai ce texte, parce qu'il s'inscrit dans une démarche pour une France que nous voulons plus juste, qui ne s'abrite pas derrière la complexité du passé pour mieux fouler les droits les plus fondamentaux de l'homme.
Ce texte traduit une volonté politique au travers de l'émotion suscitée. Je forme le vœu qu'il puisse inspirer d'autres pays, d'autres États confrontés au problème des spoliations.
Un pays qui reconnaît ses fautes peut toujours rester un modèle dans le monde. §