Intervention de Thomas Dossus

Réunion du 23 mai 2023 à 14h30
Majorité numérique et lutte contre la haine en ligne — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Thomas DossusThomas Dossus :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons traite d'une question essentielle : la place des mineurs dans le monde numérique. Ce n'est pas la première fois que le Sénat se penche sur cette thématique. Proposition de loi visant à lutter contre le cyberharcèlement, commission d'enquête sur l'usage de TikTok, proposition de loi protégeant le droit à l'image des mineurs en ligne : notre agenda législatif est bien occupé par la question.

Qu'est-ce qui différencie ce texte, proposé par le président du groupe Horizons à l'Assemblée nationale, de tous ceux que j'ai précédemment cités ? Il s'agit ici de réguler la présence des mineurs au sein d'espaces numériques dans lesquels ils peuvent être particulièrement vulnérables : les plateformes des réseaux sociaux.

Pour ce faire, et comme son intitulé l'indique, cette proposition de loi fixe une majorité numérique à 15 ans, âge en dessous duquel l'accord parental est indispensable pour l'inscription à un réseau social. C'est le cœur du dispositif.

Le texte prévoit d'inscrire pour la première fois dans la loi une définition juridique des réseaux sociaux reprenant celle du Digital Markets Act (DMA) européen. Corrigé – bientôt, je l'espère – par l'amendement qui en exclut Wikipédia, il constitue est un pas en avant pour le législateur.

Il tend également à obliger les opérateurs de réseaux sociaux à diffuser des messages de prévention contre le harcèlement – cela ne mange pas de pain ! – ou à fixer un cadre plus contraignant dans lequel les opérateurs de plateforme en ligne doivent répondre aux réquisitions judiciaires dans le cadre d'une enquête préliminaire ou de flagrance.

Toutes ces propositions ont été affinées et enrichies par la navette parlementaire et aboutissent au final à un texte qui va évidemment dans le bon sens.

J'aurais pu arrêter ici mon intervention, remercier notre rapporteure pour son travail et annoncer le vote positif des écologistes sur cette proposition de loi… Je vous rassure, c'est ce que je compte faire dans quelques minutes, mais ce texte pose tout de même un problème : en effet, il reste très flou sur les modalités de sa mise en œuvre, ce qui est d'autant plus ennuyeux lorsque cela concerne sa mesure phare.

En effet, comment contrôler effectivement l'âge des personnes qui s'inscrivent sur les réseaux sociaux ? La proposition de loi prévoit une solution qui n'en est pas une : ce sera à l'Arcom, après consultation de la Cnil, de définir un « référentiel » auquel devront se plier les plateformes. En un mot, on laisse l'Arcom se débrouiller pour mettre en œuvre une solution dite « technique » qui, à l'heure actuelle, n'existe pas.

Cela fait plusieurs années, bien avant cette proposition de loi, que la Cnil se penche sur la question de la vérification de l'âge : « S'agissant de la vérification de l'âge, […] les dispositifs existants ou envisagés sont généralement insatisfaisants à deux titres. Certains reposent sur une collecte massive de données personnelles et apparaissent dès lors difficilement conformes aux principes de protection des données […]. D'autres, moins intrusifs, sont cependant inefficaces parce que trop aisément contournés par les mineurs (par exemple systèmes déclaratifs […]). »

Ainsi, les experts – ceux-là mêmes qui devront élaborer le fameux référentiel de l'article 2 – reconnaissent leur incapacité à le faire.

Dès lors, j'estime que le texte que nous examinons aujourd'hui relève en quelque sorte d'un vœu pieux, de la pensée magique. Une croyance selon laquelle demain, peut-être, nous serons à même de résoudre un problème presque aussi vieux qu'internet.

Alors, pourquoi légiférer maintenant ? Pourquoi décharger le législateur de sa responsabilité à trouver une solution ? Car cette solution n'est pas uniquement technique, comme l'expose la Cnil entre les lignes : elle est éminemment politique.

La solution, qui sera peut-être un jour trouvée, mobilise des sujets aussi importants que l'anonymat sur internet, la protection des données, le rôle des algorithmes dans la vie de la cité, la place des géants du Net dans la mise en œuvre de la majorité numérique, la protection des enfants face aux contenus violents, haineux ou pornographiques. Toutes ces questions sont trop importantes pour que le législateur s'en dessaisisse, avec – il faut le dire – un peu d'hypocrisie.

Je pense que nous sommes tous, sur l'ensemble des travées, bien conscients de ce problème. C'est à mon avis une des raisons pour laquelle l'article 6 de la proposition de loi repousse la mise en œuvre des dispositions du texte.

Toutefois, au vu des autres avancées du texte, parce que celui-ci ne comporte pas de mesures que nous jugeons néfastes, parce qu'il peut aider les familles – cela a été dit – à accompagner leurs enfants dans leur découverte du numérique et pour reconnaître le travail de notre rapporteure, les écologistes voteront, comme je l'ai annoncé, la proposition de loi.

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