Intervention de Béatrice Gosselin

Réunion du 23 mai 2023 à 14h30
Biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Béatrice GosselinBéatrice Gosselin :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certains moments législatifs sont empreints d’une solennité et d’une émotion particulières. Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en est un. Le législateur n’a pas à écrire l’histoire, mais sa responsabilité peut être de panser certaines plaies du passé.

Les spoliations de biens culturels font partie des crimes de la Shoah pour lesquels nous conservons une dette imprescriptible, selon les mots prononcés par le Président de la République Jacques Chirac en 1995. Elles ne peuvent être dissociées de la politique d’extermination des Juifs d’Europe mise en œuvre par le régime nazi et ses complices, et à laquelle le régime de Vichy a pris toute sa part. En privant ces personnes de leurs œuvres et objets d’art, de leurs livres ou de leurs instruments de musique, c’est bien leur dignité, leur culture, leur histoire et leur identité qui leur ont été retirées.

Même si ces crimes sont irréparables, nous pouvons, et même nous devons faire œuvre de justice et d’humanité en corrigeant ce qui peut l’être. En facilitant la restitution des biens culturels spoliés conservés dans nos collections, votre projet de loi, madame la ministre, y contribue de manière indiscutable.

Ce texte s’inscrit dans la continuité de la première loi de restitution des biens spoliés, que nous avons votée l’an dernier. Nous avions alors unanimement souscrit à la nécessité de lever l’inaliénabilité par devoir vis-à-vis des victimes, mais aussi par nécessité pour nos collections. Nous sommes tous d’accord : ces biens n’y ont pas leur place.

C’est pourquoi notre commission de la culture accueille très favorablement le principe d’une loi-cadre. Nous sommes en effet convaincus que le devoir de mémoire et de réparation nous commande d’accélérer le rythme des restitutions avant que la mémoire des familles des victimes ne s’estompe ou que les recherches ne se révèlent impossibles.

La France doit prendre des mesures fortes pour que des solutions justes et équitables aux spoliations de biens culturels confisquées par les nazis soient trouvées, conformément aux principes de Washington de 1998.

De ce point de vue, l’adoption d’une loi-cadre nous parait préférable au vote d’une multitude de lois d’espèce. D’abord, parce que c’est le symbole de notre engagement à aller plus loin sur le chemin de la réparation des spoliations antisémites. Mais aussi, parce que c’est une réponse de long terme, globale, fiable et transparente, au problème soulevé par ces spoliations, sans nécessiter l’autorisation au cas par cas du Parlement.

Nous espérons aussi que les perspectives plus tangibles de restitution offertes par une loi-cadre contribueront à mieux sensibiliser les acteurs culturels à l’enjeu des spoliations et à intensifier les recherches proactives, encore trop modestes.

Nous sommes conscients que la complexité et la lourdeur de la procédure parlementaire peuvent décourager certains établissements de s’investir dans ces recherches, car ils n’ont pas la certitude qu’elles aboutiront à une restitution, au moins à brève échéance.

Ce projet de loi crée une procédure administrative permettant à l’État ou aux collectivités territoriales, par dérogation au principe d’inaliénabilité, de restituer les biens culturels appartenant à leurs collections qui auraient été spoliés dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, après avis de la CIVS sur l’existence de la spoliation et ses circonstances.

Cette procédure nous apparaît satisfaisante à plusieurs titres. Tout d’abord, la rédaction garantit que la restitution s’impose aux personnes publiques lorsqu’il est établi que le bien a fait l’objet d’une spoliation. Ensuite, le périmètre de la procédure est suffisamment large pour qu’elle soit applicable à tous les types de biens culturels relevant du domaine public, y compris le mobilier, les livres et les instruments de musique, mais aussi aux différentes formes de spoliations liées à des persécutions antisémites, quels que soient la personne responsable et le lieu de leur perpétration.

Enfin, le recours à la CIVS garantit un examen scientifique et impartial. Son expertise en matière de caractérisation des spoliations est reconnue et sa compétence en matière de biens culturels est assurée depuis la réforme intervenue en 2018. Son avis ne doit cependant revêtir qu’un caractère simple, afin de responsabiliser les collectivités publiques et conserver une dimension symbolique à la décision de restitution. Le risque que son avis ne soit pas suivi semble assez faible.

L’une des innovations de ce projet de loi est la possibilité offerte aux parties de conclure un accord amiable sur des modalités de réparation autres que la restitution, une fois le principe de celle-ci obtenu par les victimes, par exemple le maintien du bien dans la collection publique en contrepartie d’une compensation financière.

Cette disposition est évidemment avantageuse pour la préservation des collections publiques. Comme l’a montré la transaction conclue entre le musée Labenche de Brive-la-Gaillarde et les héritiers d’un propriétaire allemand spolié, elle pourrait aussi intéresser des familles, en leur garantissant que demeure, dans un lieu accessible au public, une trace mémorielle de la spoliation dont elles ont été victimes. Quoi qu’il en soit, il n’est pas contestable qu’elle constitue une solution juste et équitable au même titre que la restitution, puisqu’elle ne pourra en aucune manière être imposée et qu’elle préserve la reconnaissance de la spoliation et sa juste indemnisation.

Il reste que sa mise en œuvre pourrait néanmoins se heurter à une problématique financière, compte tenu de la faiblesse des crédits d’acquisition dont disposent les établissements. Cela soulève la question des moyens qui seront déployés pour garantir la bonne application de cette loi. J’y reviendrai.

L’article 2 autorise les propriétaires des musées privés ayant reçu l’appellation « musée de France » à restituer, après avis de la CIVS, les biens spoliés de leurs collections acquis par dons ou legs ou avec le concours financier d’une collectivité publique, dans la mesure où ils sont en principe incessibles, sauf à un autre musée de France. La commission est favorable à cette disposition. Elle permet non seulement de lever les obstacles juridiques qui pourraient bloquer la restitution de certains biens spoliés par des musées privés, mais aussi d’inciter les propriétaires de ces établissements à engager des recherches sur la provenance de leurs collections. La commission a d’ailleurs adopté deux amendements visant à faciliter sa bonne application.

Si le projet de loi crée l’impulsion qui nous faisait défaut en facilitant les restitutions, il reste encore un immense travail qui ne pourra se faire à moyens constants, sauf à décevoir les espoirs suscités par ce projet de loi.

Malgré les progrès réalisés ces dernières années, l’engagement de la France en termes humains et financiers reste modeste en comparaison avec celui de plusieurs de nos voisins européens : l’État fédéral allemand et les Länder ont consacré, depuis quinze ans, plus de 40 millions d’euros à la recherche de provenance des biens spoliés.

Pour mettre en œuvre ce projet de loi, les effectifs de la CIVS et de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés de votre ministère devront être renforcés. Le travail de recherche de provenance, clé de voûte des restitutions à venir, devra aussi être intensifié.

Il s’agit d’un travail titanesque, complexe et chronophage, qui requiert un personnel qualifié et disponible. Nous n’y parviendrons pas sans enrichir l’offre de formation en matière de recherche de provenance ni sans donner aux établissements de nouveaux moyens pour recruter des chercheurs de provenance quitte à envisager des recrutements mutualisés.

Maintenant que l’obstacle législatif aux restitutions est en passe d’être levé, ne restons pas au milieu du gué. Même si le travail de recherche de provenance ne débouchera pas toujours sur une restitution, tant l’identification des biens et des ayants droit se révèle parfois complexe, elle constitue une exigence pour mieux rendre compte de l’histoire des spoliations et retracer le parcours des œuvres conservées dans nos collections.

La médiation des biens spoliés fait partie intégrante de la politique de réparation. Elle est une autre manière de rendre aux victimes une part de leur histoire et de leur identité dans les cas où la restitution se révèle impossible.

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