Intervention de Monique de Marco

Réunion du 23 mai 2023 à 14h30
Biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Monique de MarcoMonique de Marco :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2013, la sénatrice écologiste Corinne Bouchoux écrivait : « Le passé non assumé ne se digère pas. Tout ce refoulement, cet oubli, il faut en sortir. »

Certains actes continuent de nous glacer le sang des décennies après avoir été perpétrés. On voudrait ne plus les voir mentionnés dans des documents législatifs. Hélas ! Les démocraties mettent des décennies à reconstruire ce que les régimes autoritaires détruisent en quelques mois…

Pour toutes les victimes de la Shoah, leurs enfants, leurs petits-enfants, un devoir de réparation nous incombe, de manière imprescriptible, comme le sont les crimes contre l’humanité perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Tant que cela sera nécessaire, le Parlement devra réparer, comme ici, restituer les biens culturels spoliés par des actes antisémites entre 1933 et 1945. Au-delà de l’aspect patrimonial, priver une personne de son héritage familial et culturel, c’est aussi la priver d’émotions artistiques, le priver d’humanité.

Ne sous-estimons pas les circonstances internationales de ces actes : en France, les spoliations ont été le fait non pas des seuls nazis, mais aussi de Français, politiques, administratifs, anonymes, qui ont acquis des œuvres dans le cadre de procédures dites de vol légal.

Je voudrais saluer le travail de ceux qui se sont opposés dans les premières heures, guidés par leur intuition de justice, notamment des femmes. Je pense à Rose Valland, qui élabore un premier registre en 1940, au péril de sa vie. À partir de 1945, promue capitaine, elle est envoyée en Allemagne, sur le front de l’art. Sur plus de 100 000 œuvres identifiées, 60 000 ont été rapportées en France et 45 000 restituées à leurs propriétaires ou leurs ayants droit dans l’immédiat après-guerre.

Puis, rien, ou presque rien : seulement 184 tableaux sur les 2 000 dits MNR ont été restitués à leurs propriétaires, en grande pompe médiatique.

Après la conférence de Washington, les travaux de Corinne Bouchoux ont permis de relancer la question au Sénat.

Nous, écologistes, savons que le droit international est un puissant outil de communication gouvernementale, mais aussi un bien faible instrument juridique en droit interne…

L’étude d’impact de ce projet de loi confirme le constat de négligence des pouvoirs publics établi par Corinne Bouchoux. Après les années 1950, le statu quo s’est imposé, tant et si bien qu’il est impossible de dire aujourd’hui combien de biens culturels de nos collections publiques auraient été acquis dans des circonstances douteuses. Dans les collections publiques, un énorme travail de recherche s’impose, au-delà des œuvres MNR, pour comprendre les parcours juridiques d’appropriation des œuvres d’individus frappés par les lois scélérates.

Il faut aussi lever des entraves, comme l’accès aux archives nationales, et doter chaque fonds des moyens suffisants pour conduire ces recherches, mais aussi pour identifier les ayants droit, y compris pour les collections des collectivités territoriales, où l’initiative repose sur la bonne volonté d’élus. Enfin, notre intransigeance doit être la même avec les collectionneurs privés, a fortiori lorsqu’ils bénéficient de largesses fiscales : l’article 2 pourrait être renforcé en ce sens.

Au-delà des limites que je viens d’évoquer, je souhaite saluer cette initiative gouvernementale. La procédure de sortie de biens spoliés des collections publiques, instaurée par ce texte, lève le frein législatif aux restitutions, tout en élargissant la période historique de recherches.

Mais quelle leçon pouvons-nous en tirer pour l’avenir ? Dans sa célèbre Lettre au capitaine Butler, Victor Hugo écrivait : « Les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais. L’Empire français […] étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’été. J’espère qu’un jour viendra où la France délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée. »

Nous savons que les résultats d’autres massacres et d’autres pillages sont exposés dans nos musées ; il nous revient de nous doter des moyens juridiques pour prévenir l’acquisition publique de ces biens d’origine douteuse. À défaut, nous condamnons les générations futures à de nombreuses lois de réparation.

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