Intervention de Pierre Ouzoulias

Réunion du 23 mai 2023 à 14h30
Biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Pierre OuzouliasPierre Ouzoulias :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce jour est le premier d’une série de trois lois visant à établir un cadre pour des restitutions qui n’exigeront plus le vote par le Parlement de dispositifs législatifs ad hoc.

Un débat préalable aurait sans doute été utile pour préciser les principes de ce dessaisissement du Parlement par lui-même : rappelons que le domaine public mobilier est doublement protégé par le code général de la propriété des personnes publiques et par le code du patrimoine.

Lors du dépôt du projet de loi relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, en juillet 2020, le Gouvernement n’avait ainsi pas souhaité mettre en œuvre une loi de principe. Selon lui, un tel texte aurait pu être censuré pour incompétence négative du législateur, au risque de faire obstacle aux restitutions pourtant souhaitables.

Finalement, le Gouvernement a considéré que ce risque juridique dirimant pouvait être contourné par le dépôt de trois projets de loi. Il serait de bonne politique que ceux-ci obéissent à des objectifs similaires. Le premier serait celui de la collégialité et de la publicité de l’instruction des restitutions. En effet, celles-ci sont assurées par la collaboration d’une mission de recherche chargée du récolement des œuvres et de la constitution des dossiers scientifiques, ainsi que d’une commission administrative indépendante.

Ensuite, il resterait à définir les modalités d’information du Parlement, qui ne peut être totalement exclu de procédures touchant à la domanialité publique. Le décret d’organisation de la commission placée auprès du Premier ministre répondra sans doute à cette attente.

Sur ces deux points, je vous le dis sans détour, madame la ministre, le rapport rendu par M. Martinez et intitulé Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulation des œuvres d’art est décevant. La constitution au cas par cas de groupes de travail formés d’experts bilatéraux nommés par leur gouvernement ne saurait apporter les mêmes garanties d’impartialité qu’une commission indépendante et pérenne.

En outre, je doute que le Parlement se satisfasse d’une information annuelle délivrée par le Gouvernement à la seule commission de la culture. Lors des débats futurs, il conviendra donc de nous demander si les attributions de la commission instaurée par le présent projet de loi ne pourraient pas être étendues à d’autres domaines.

Les conditions de restitution doivent être d’autant plus irréprochables qu’elles concernent des biens collectés durant les périodes les plus sombres de notre histoire nationale ; ceux-ci, au-delà de leur qualité artistique, constituent des témoignages bouleversants du destin dramatique de ceux à qui ils ont été arrachés par la violence, la spoliation institutionnelle et le dol.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui n’est pas seulement technique : il marque, pour la première fois depuis 1945, une reconnaissance législative des spoliations antisémites perpétrées par l’Allemagne nazie et l’État français. La voie a été ouverte par les mots du président Jacques Chirac le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv : « La France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. »

Près de trente ans après cette déclaration, nous allons, mes chers collègues, poursuivre cet effort en identifiant clairement dans la loi la responsabilité spécifique de l’État français.

Sauf à s’engager dans une coupable opération de négationnisme, il est acquis que l’État français a, de son propre chef et avec l’aide de l’occupant nazi, mené une entreprise de persécution et de spoliation des Juifs de France, citoyens français ou immigrés, dont les objectifs ultimes étaient leur déportation et leur extermination.

Cette politique antisémite est au cœur de la Révolution nationale voulue par Pétain. Elle fonde le programme de l’extrême droite française depuis Maurras et l’Action française, dont 2 000 nostalgiques ont défilé le week-end dernier, poussant les mêmes cris de haine que les ligues factieuses de 1934.

Ces crimes antisémites sont des crimes contre l’humanité et sont imprescriptibles. En votant cette loi, nous affirmons solennellement la volonté de la Nation d’œuvrer perpétuellement pour les identifier, les dénoncer et aussi tenter de les compenser matériellement par la restitution.

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