Intervention de Marcel-Pierre Cléach

Réunion du 14 octobre 2009 à 14h30
Victimes des essais nucléaires français — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Marcel-Pierre CléachMarcel-Pierre Cléach, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous sommes ici cet après-midi, c’est qu’il y a cinquante ans, des hommes se sont engagés dans l’aventure nucléaire française. Ces hommes ont construit notre force de dissuasion nucléaire. C’est grâce à eux que nous avons la garantie qu’en toutes circonstances la France, son territoire, son peuple, ses institutions républicaines sont à l’abri d’une agression ou d’un chantage les mettant directement en péril, comme ce fut le cas en 1940. C’est grâce à eux que notre pays peut jouer le rôle qui est le sien dans le cercle très restreint des puissances nucléaires.

Ce texte, mes chers collègues, est, de la part de notre République, une marque de reconnaissance : reconnaissance des souffrances que supportent aujourd’hui ceux qui l’ont servie hier, reconnaissance du travail accompli par ces hommes et ces femmes qui ont contribué à assurer sa sécurité et sa grandeur. À ce titre, monsieur le ministre, je vous demanderai de bien vouloir réfléchir à une ouverture des règles d’attribution de la médaille « de reconnaissance de la nation », afin de pouvoir en faire bénéficier les vétérans des essais. Je crois que nous leur devons non seulement une juste réparation, mais également une légitime gratitude.

Mais si nous sommes ici cet après-midi, c’est aussi parce que, dans cette aventure, l’État a sa part de responsabilité dans les préjudices subis, non seulement par ses serviteurs, mais également par les populations civiles de Polynésie et du Sahara qui vivaient à proximité des expérimentations. Nous avons une dette à leur égard. Je crois que c’est l’honneur de la République que de reconnaître sa responsabilité et de l’assumer, même si cette reconnaissance a indéniablement trop tardé.

Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est aussi parce que la loi ne permet pas à l’heure actuelle aux victimes des essais nucléaires d’être indemnisées dans des conditions décentes. Les dispositions en vigueur sont, en effet, inégales selon le statut des victimes, inadaptées aux maladies en cause et, en définitive, injustes.

Si nous sommes ici, c’est aussi grâce au travail de persuasion qu’ont mené les associations de victimes, dont je tiens à souligner la pugnacité et la compétence avec lesquelles elles ont défendu la cause de leurs adhérents : je pense à l’Association des vétérans des essais nucléaires français, l’AVEN, bien sûr, à Moruroa e tatou, à l’Association nationale des vétérans victimes des essais nucléaires, l’ANVEN, à d’autres encore. Je ne veux en oublier aucune, mais je ne peux les citer toutes.

Nous ne serions pas ici non plus sans les dix-huit propositions de loi et de résolution, ainsi que les nombreux rapports parlementaires – je pense particulièrement au rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de notre ancien collègue Henri Revol –, qui ont préparé le chemin pour ce texte.

Si nous sommes ici cet après-midi, c’est enfin grâce à vous, monsieur le ministre, grâce à la détermination et au courage avec lesquels vous avez imposé ce texte. Je tenais à le souligner, car cela n’avait rien d’évident.

Je ne vais pas revenir sur les essais nucléaires eux-mêmes. Je voudrais plutôt appeler l’attention sur les maladies provoquées par les rayonnements ionisants dus à ces essais. Il s’agit essentiellement de cancers. Ce sont, comme le disent les médecins, des maladies sans signature et sans étiquette. Il faut comprendre par là que, en l’état actuel des connaissances scientifiques, aucune analyse biologique ne permet de déterminer de façon certaine l’origine de ces cancers. De plus, rien ne les distingue de cancers qui proviendraient d’autres causes.

Nous touchons là du doigt les difficultés qu’ont pu rencontrer les victimes lorsque les tribunaux des pensions militaires leur demandaient d’apporter la preuve impossible que leur maladie avait pour cause les essais nucléaires. C’est cette difficulté qui explique que, pour les militaires, sur 355 demandes d’indemnisation au titre des essais nucléaires, 21 seulement aient été acceptées. C’est à cette situation que le présent texte vise à mettre fin.

Nous touchons également du doigt la difficulté, pour le Gouvernement et le législateur, de définir un dispositif qui, d’un côté, n’exclue aucune victime des essais nucléaires, et, de l’autre, n’engage la responsabilité de l’État que pour ces seules victimes des essais. Si tous les cancers survenus dans les zones concernées ont vocation à être pris en charge par les régimes de sécurité sociale, seuls ceux qui sont attribuables aux essais nucléaires engagent la responsabilité du ministère de la défense. Avec le mécanisme de présomption de causalité, nous avons surmonté cette difficulté pour aboutir à un texte d’équilibre, qui constitue une réponse concrète aux difficultés rencontrées par les victimes pour faire valoir leurs droits.

Avant d’aborder le dispositif lui-même, j’ajouterai quelques mots sur les critères selon lesquels la commission des affaires étrangères a souhaité juger ce projet de loi.

Un système d’indemnisation efficace et juste est fondé sur des critères clairs et objectifs ; c’est un système qui instaure une procédure rigoureuse et transparente ; c’est un système qui permet, le cas échéant, de définir une indemnisation juste et proportionnée aux préjudices subis.

J’ajouterai à ces critères de clarté, d’objectivité, de transparence et de proportionnalité, traditionnels en matière de droit de la responsabilité, deux autres critères propres à la situation des victimes des essais nucléaires : le système doit être efficace et inattaquable.

Un dispositif est efficace s’il peut rapidement être mis en œuvre. Le premier essai nucléaire français a eu lieu il y a près de cinquante ans. C’est pour certains la dernière chance d’obtenir réparation de leur vivant des préjudices subis. Faisons bien, mais faisons vite. Les États-Unis ont adopté un dispositif comparable voilà près de vingt ans…

Le dispositif doit être inattaquable pour permettre à la France de tourner la page des essais nucléaires. Elle doit le faire de façon incontestable. Ce texte doit mettre fin aux contentieux, aussi bien pour les victimes que pour l’État. Il doit donc reposer sur des bases juridiques indiscutables.

Venons-en au dispositif lui-même.

Le projet de loi prévoit, premièrement, un régime d’indemnisation unifié. Ce texte instaurera un régime unique, un guichet unique, un comité d’indemnisation pour l’ensemble des victimes. Ce comité instruira les demandes, émettra une recommandation au ministre et ce dernier notifiera son offre aux demandeurs.

Le projet de loi institue, deuxièmement, une procédure simplifiée. Contrairement à la situation actuelle, où les militaires doivent apporter des éléments de preuve de l’existence d’un lien entre les maladies et les essais, il leur suffira désormais d’attester de deux conditions : d’une part, avoir résidé ou séjourné dans des zones potentiellement contaminées pendant les périodes d’expérimentation ; d’autre part, avoir contracté une maladie radio-induite inscrite sur une liste établie par le Conseil d’État.

Outre l’unification du régime et la simplification de la procédure, le projet de loi prévoit, troisièmement, une spécialisation du comité d’indemnisation.

Le Gouvernement a fait le choix de ne pas intégrer ce dispositif dans un mécanisme existant, comme ceux de l’ONIAM, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, ou du FIVA, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, mais de créer un comité spécialisé. Ce comité sera composé principalement de médecins, spécialisés en radiothérapie et habilités à connaître des informations classifiées.

Le projet de loi prévoit enfin, quatrièmement, une réparation intégrale des préjudices : préjudices patrimoniaux ou économiques, extrapatrimoniaux ou personnels, moraux ou physiques.

Voilà, à grands traits, l’architecture d’ensemble du projet de loi. Il constitue, par rapport au droit existant, un progrès indéniable.

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