La commission des affaires étrangères du Sénat a, quant à elle, procédé à des auditions, par le biais de son rapporteur, pendant plusieurs semaines : elle a entendu les associations de victimes, bien sûr, les services de l’État, évidemment, des juristes, des scientifiques, des médecins et des vétérans. Elle a reçu de nombreuses contributions de Polynésie, de Bretagne et d’ailleurs. J’ai tiré de ces auditions le sentiment qu’il restait encore des ambiguïtés et des équivoques qu’il convenait de lever.
La commission a tout d’abord jugé nécessaire d’introduire clairement dans le dispositif un système de présomption de causalité. Le texte qui nous était transmis comportait en effet certaines ambiguïtés à cet égard.
D’un côté, le dispositif semblait organiser un système de présomption de causalité : on ne demandait plus aux victimes de prouver que la maladie dont elles souffraient était la conséquence des essais nucléaires.
De l’autre, une fois les conditions remplies, on ne présumait rien. Le terme ne figurait pas dans le projet de loi. On était, selon une expression utilisée lors des débats à l’Assemblée nationale, dans une quasi-présomption : catégorie juridique nouvelle, sans précédent et à vrai dire inconnue des livres de droit. Il y a la présomption simple, la présomption irréfragable, mais la quasi-présomption n’existe pas.
En outre, le texte prévoyait que le comité examinerait si, « compte tenu de la nature de la maladie et des conditions d’exposition de l’intéressé, le lien de causalité entre la maladie et les essais pouvait être regardé comme possible ». Autrement dit, remplir les conditions ouvrait droit à l’étude du dossier par un comité appelé à décider souverainement du caractère possible ou non de la causalité.
À l’article 3, on était encore dans la logique d’une présomption de causalité, à l’article 4, on n’y était plus. La commission a adopté une rédaction qui réconcilie ces deux articles, qui associe un principe de présomption à une étude au cas par cas et qui concilie, d’une certaine façon, la générosité et la rigueur.
Aux termes de notre texte, si vous remplissez les conditions, vous bénéficiez d’une présomption de causalité, sauf si le comité, compte tenu des caractéristiques de la maladie et des conditions d’exposition, estime que le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable. C’est une clarification importante : si elles remplissent les conditions –souffrir d’un cancer, avoir été présentes dans des zones de retombées radioactives aux dates précisées par le texte –, les victimes doivent bénéficier du doute. Il n’y a que cela qui crée une vraie rupture avec le système actuel.
Dans le même temps, il me semblait juste de définir les modalités de la preuve contraire, de façon que celle-ci soit possible. L’introduction de la notion de risque attribuable correspond à la volonté de coller au plus près à la réalité de l’examen des dossiers et de fonder l’élaboration de la preuve contraire sur une analyse scientifique afin d’éviter tout arbitraire.
La démarche à laquelle invite le texte de la commission consiste à évaluer, au regard des connaissances épidémiologiques, dans quelle mesure l’exposition de la victime a accru son risque de déclencher un cancer. C’est seulement lorsque le risque attribuable à l’exposition aux rayonnements ionisants est tellement faible que le lien entre la maladie et l’exposition n’est plus vraisemblable que la présomption pourra être écartée. À l’inverse, si ce risque n’est pas négligeable ou s’il y a un doute, alors la victime bénéficiera d’une présomption et sera par conséquent indemnisée.
En ce qui concerne le comité d’indemnisation, la commission, refusant de bouleverser l’architecture du texte, n’a pas souhaité le transformer en un établissement public autonome.
Une telle voie n’est en effet pas la bonne. La création du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante se justifiait parce que, les responsabilités étant partagées, les ressources financières provenaient du privé comme du public. Ici, comme l’a rappelé M. le ministre, il n’y a qu’un responsable, le ministère de la défense, et un seul budget, celui de la défense.
Non seulement il n’y a pas de raison de créer un fonds, mais cela risquerait en outre de retarder la mise en œuvre du dispositif. Comme l’ont souligné la Cour des comptes, nos collègues de la commission des affaires sociales et, à l’instant, M. le ministre, il a fallu deux ans pour mettre en place le FIVA ! Notre dispositif est, quant à lui, prêt pour fonctionner dès le mois de janvier prochain.
Également saisie de la demande des associations désireuses d’entrer dans la composition du comité d’indemnisation, la commission a pesé le pour et le contre.
La présence des associations en son sein permettrait au comité de fonctionner en quelque sorte sous la surveillance des demandeurs. Elle contribuerait sans doute à lui donner une meilleure connaissance des réalités des essais nucléaires.
Il nous est apparu cependant que l’équilibre atteint par le texte donnait véritablement un dispositif cohérent. Le rôle des associations est de soutenir les victimes dans leur démarche et d’assurer le suivi du dispositif au sein de la commission consultative de suivi ; il n’est pas de se substituer à des experts pour instruire les dossiers au sein du comité. Les associations ne peuvent pas représenter à la fois le demandeur et le comité d’indemnisation.
La commission a été, en revanche, sensible à la nécessité d’accroître l’indépendance du comité à l’égard du ministère.
Il ne faut pas que la composition dudit comité puisse nourrir des soupçons quant à son impartialité. Nous ne cherchons pas à faire un procès d’intention à qui que ce soit, encore moins à vous, monsieur le ministre, car c’est grâce à vous que nous débattons du texte aujourd'hui, mais il y a un passif…
C’est pourquoi la commission a indiqué que les experts médicaux, appelés à jouer un rôle central dans l’examen des dossiers, seront nommés conjointement par les ministres de la défense et de la santé, sur proposition du Haut Conseil de la santé publique, et non plus par le seul ministère de la défense.
Pour conforter le rôle de soutien aux victimes des associations, la commission a prévu que, d’une part, les demandeurs puissent être assistés par la personne de leur choix – représentant d’association, avocat, médecin – et que, d’autre part, la commission consultative de suivi, au sein duquel siègent les associations, puisse s’autosaisir à la demande de la majorité de ses membres.
Nous avons ainsi préservé l’équilibre du dispositif : chacun est dans son rôle : le comité instruit, les associations aident les victimes et surveillent le bon fonctionnement du système.
La seconde préoccupation de la commission a été d’asseoir le dispositif sur des bases juridiques indiscutables.
Ce texte doit mettre fin aux soupçons, aux polémiques et aux contentieux. Pour cela, il doit s’inscrire dans le droit commun de la responsabilité. Plus on s’écarte du droit commun, plus on prend de risques.
Dans cette perspective, la commission aurait souhaité une modification de l’article 1er du projet de loi, afin de prévoir l’indemnisation du préjudice propre des ayants droit, comme c’est le cas dans le droit commun.
Le préjudice propre des ayants droit, c’est le préjudice de la femme dont le mari est handicapé par la maladie et dont elle doit s’occuper ; c’est la douleur d’un enfant qui a perdu son père à l’adolescence. Il y a là de vrais préjudices qui, sans être ceux de la victime, sont réels, des situations de détresse morale et matérielle qui trouvent leur origine dans le même fait générateur : l’exposition à des rayonnements ionisants.
Notre amendement n’a pu être adopté en raison de son irrecevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution, article qui nous interdit toute création ou aggravation d’une charge publique.
Une telle proposition me semblait de nature à régler à la fois un problème moral – celui de la réparation du préjudice propre des ayants droit – et un problème d’équité : comment, en effet, justifier devant les vétérans que l’on indemnise les victimes « par ricochet » dans le cas de l’amiante et pas dans le cas des essais nucléaires ?