Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je mesure la gravité du sujet qui m’amène aujourd’hui à prendre la parole devant vous à l’occasion de l’examen de cette proposition de résolution visant à interdire l’importation des produits issus du travail forcé de la population ouïghoure en République populaire de Chine.
Depuis plusieurs années, la situation des droits de l’homme au Xinjiang fait l’objet des plus vives préoccupations. Des témoignages et des rapports étayés ont notamment fait état d’internements de masse et de détentions arbitraires, de disparitions forcées, de violences sexuelles, de surveillance généralisée ainsi que de travail forcé, sujet au cœur de la proposition de résolution examinée aujourd’hui.
Ces informations ont été confirmées par les conclusions du rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Xinjiang, publié en août 2022. Celui-ci souligne également que l’ampleur de la détention arbitraire et discriminatoire subie par les personnes ouïghoures et d’autres groupes à prédominance musulmane pourrait être constitutive de crimes internationaux, en particulier de crimes contre l’humanité.
S’agissant des allégations de travail forcé, il est fait état dans le rapport du HCDH d’éléments de coercition dans les programmes de travail et d’emploi au Xinjiang, ce qui rejoint les conclusions de M. Tomoya Obokata, rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences.
M. Obokata estimait en juillet 2022 pouvoir raisonnablement conclure que des Ouïghours, des Kazakhs et des membres d’autres minorités ethniques avaient été soumis au travail forcé dans des secteurs tels que l’agriculture et l’industrie manufacturière dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, en Chine.
Face à la gravité de la situation au Xinjiang, la France est pleinement mobilisée à tous les niveaux.
Tout d’abord, dans le cadre du dialogue étroit et exigeant qu’elle mène avec la Chine, la France évoque les droits de l’homme en Chine, en particulier au Xinjiang, lors des entretiens bilatéraux jusqu’au plus haut niveau. Nous relayons auprès des autorités chinoises nos préoccupations, partagées par l’opinion publique française, quant à l’ampleur et à la gravité des violations au Xinjiang, et appelons à y mettre fin. Le Président de la République s’est lui-même à plusieurs reprises exprimé publiquement avec force à ce sujet. L’ambassade de France en Chine poursuit, en dépit d’un contexte difficile, son action de soutien à la société civile et aux militants des droits de l’homme.
S’agissant de notre territoire national, les autorités françaises sont très attentives au respect des droits fondamentaux des Ouïghours établis en France, ainsi qu’à leur sécurité, comme elles le sont pour toutes les personnes présentes sur notre territoire, qu’elles soient de nationalité française ou étrangère.
Au niveau européen, notre action a pris une dimension nouvelle avec l’adoption de sanctions, le 22 mars 2021, au titre du régime transversal de sanctions de l’Union européenne en matière de droits de l’homme. Parmi les personnes et entités sanctionnées, quatre individus et une entité ont été désignés pour leur responsabilité dans les violations des droits de l’homme perpétrées au Xinjiang. Ces mesures constituaient une première depuis les sanctions adoptées en 1989.
Le Xinjiang a également été l’objet d’échanges approfondis à l’occasion de la 38e session du dialogue Chine-Union européenne sur les droits de l’homme du 17 février 2023. Quant à la réunion trilatérale du 6 avril dernier entre la présidente de la Commission européenne, le président de la République française et le président Xi Jinping, elle a porté sur la situation des droits de l’homme en Chine et au Xinjiang.
Il convient également de mentionner l’accord global sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine. L’Union s’était attachée à y introduire des engagements formels de respect des conventions fondamentales de l’OIT, notamment celles relatives au travail forcé. Cette vigilance européenne a eu des résultats, avec la ratification par la Chine des conventions fondamentales n° 29 et 105 de l’OIT sur le travail forcé.
Bien entendu, au-delà de la ratification, la question de la mise en œuvre de ces conventions est toujours présente dans nos échanges avec Pékin. Par ailleurs, comme vous le savez, le processus de ratification de l’accord sur les investissements est interrompu depuis que la Chine a sanctionné des élus et des parlementaires, en particulier des parlementaires européens.
Pour ce qui concerne les enceintes internationales, la France y soutient systématiquement les déclarations et les résolutions dénonçant la situation au Xinjiang, prononcées au sein de la Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies et du Conseil des droits de l’homme (CDH).
Ainsi, le 6 octobre dernier, lors de la 51e session du CDH, la France a appelé à tenir un débat à la suite de la publication du rapport du HCDH sur la situation des droits de l’homme dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang.
Après vous avoir exposé les différents piliers de notre politique en matière de droits de l’homme au Xinjiang, je voudrais en revenir au sujet de la lutte contre le travail forcé et au devoir de vigilance des entreprises. L’engagement de la France dans ce domaine est, vous le savez, pionnier. Notre pays est en effet le premier au monde à s’être doté, dès 2017, d’une loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Cette loi vise à identifier les risques liés aux activités des entreprises et à leurs chaînes de valeur afin de prévenir et d’atténuer les atteintes graves aux droits fondamentaux, y compris le travail forcé et les atteintes à l’environnement, et d’y remédier. Elle impose aux entreprises d’établir un plan de vigilance, inclus dans le rapport de gestion de l’entreprise. Nous conduisons à cette fin des actions de sensibilisation, afin de veiller à ce que le secteur privé prenne sa part de responsabilité pour lutter contre le travail forcé.
Notre objectif aujourd’hui est que l’Union européenne prenne des mesures à la hauteur des enjeux. C’est pourquoi la France a fait du capitalisme responsable une des priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022. Dans ce cadre, elle a pris une part active à l’élaboration du projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, présenté par la Commission en février 2022.
La France continue de mettre son expérience, accumulée grâce à sa loi nationale, au service de la négociation en cours. Elle participe également activement aux travaux menés en vue d’adopter un règlement pour interdire à tous les opérateurs économiques la mise sur le marché européen de produits issus du travail forcé, qu’ils soient fabriqués sur le territoire de l’Union européenne ou importés, ainsi que l’exportation de tels produits depuis l’Union européenne.
La France sera donc attentive à ce que le projet de règlement soit davantage clarifié pour garantir son opérationnalité et sa prévisibilité, tant pour les entreprises que pour les autorités chargées de son application. Nous appelons à ce que les discussions européennes s’accélèrent aujourd’hui sur le sujet.
En outre, notre pays déploie son action à l’échelle mondiale et multilatérale pour lutter contre le travail forcé. Il promeut le développement, la ratification et l’application effective des normes internationales pour interdire le travail forcé. L’entrée en vigueur pour la Chine des conventions fondamentales n° 29 et 105 de l’OIT sur le travail forcé, cet été, déclenchera les mécanismes de suivi et de contrôle qui sont prévus pour ces conventions.
La vigilance du Gouvernement s’exerce aussi en matière de financement du développement. Nous contestons tout financement, y compris par l’intermédiaire des banques de développement, de projets susceptibles de contribuer au travail forcé ou à la répression, notamment dans la région du Xinjiang.
La France tient aussi un rôle moteur au sein de l’Alliance 8.7, partenariat mondial pour l’éradication du travail forcé, de l’esclavage moderne, de la traite des êtres humains et du travail des enfants dans le monde.
Dans le cadre du G7, la France a signé plusieurs déclarations politiques visant à réaffirmer son engagement à lutter contre le travail forcé à l’échelle mondiale, la plus récente étant celle signée à Hiroshima le 20 mai 2023.
La France est aussi très active dans la négociation et les discussions relatives à la conduite responsable des entreprises au sein de l’OCDE, qui est l’enceinte de référence en la matière, ayant permis d’élaborer des bonnes pratiques et des outils concrets à l’intention des entreprises.
Ces différents exemples témoignent de l’engagement de la France sur la thématique du travail forcé au niveau tant national, européen qu’international. Vous aurez constaté une grande convergence entre l’action du Gouvernement et les recommandations contenues dans cette proposition de résolution parlementaire.
Le travail forcé constitue toutefois un problème d’ampleur mondiale que l’on ne saurait circonscrire à une seule région. C’est pourquoi nous défendons le principe d’une réponse mondiale. C’est aussi la raison pour laquelle la France privilégie, comme l’Union européenne, une approche transversale qui soit garante à la fois d’efficacité et de conditions de concurrence équitables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la France continuera de mener avec ses partenaires européens un dialogue exigeant et – disons-le – difficile avec la Chine sur le respect des droits de l’homme, notamment au Xinjiang, en appelant en particulier la Chine à ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies.
Nous poursuivrons par ailleurs, sans relâche, notre engagement afin que soient bien pris en compte les objectifs fixés au niveau européen en matière de respect des droits de l’homme en Chine, en particulier au Xinjiang et dans le cadre de la politique commerciale et d’investissement.
Dans les instances internationales, nous demeurerons pleinement mobilisés afin de défendre le caractère universel et inaliénable des droits de l’homme et d’exhorter la Chine à respecter ces libertés fondamentales, conformément à ses obligations découlant du droit national et international.