Selon vous, madame la ministre, l’article 20 vise à « mieux adapter l’offre et la demande de logements sociaux ». Si cette ambition est noble, les moyens que vous déployez pour y parvenir nous paraissent inquiétants et nous les désapprouvons.
Convenons-en d’emblée : déloger pour reloger ne crée pas de logements supplémentaires. Déloger pour reloger ne constitue pas une réponse digne de l’attente de nos concitoyens, en particulier des 1, 2 million d’entre eux qui figurent sur les listes d’attente du parc social !
Le problème que pose cet article peut se résumer en trois points.
Tout d’abord, par cet article, madame la ministre, vous tentez encore une fois de faire passer une certaine catégorie de locataires du parc locatif social pour des « profiteurs » responsables de la crise du logement. Il est inutile de le rappeler, ce ne sont pas les éventuels 9 000 ménages visés qui résoudront le problème du logement en France. Cet article s’inscrit en plein dans la philosophie globale de ce texte : dénoncer les prétendus responsables pour mieux dissimuler l’absence de solution que le Gouvernement est censé apporter à la crise du logement.
Ensuite, nous ne comprenons pas les termes employés : vous évoquez un projet de loi qui contribuerait fortement à lutter contre l’exclusion et vous ne trouvez pas meilleur dispositif qu’une atteinte grave au droit au maintien dans les lieux, notamment pour les cas de sous-occupation.
Je ne saurais ici vous faire part de toutes les situations absurdes auxquelles votre texte donnerait lieu s’il était voté en l’état. Nombre d’associations, de ménages, de parents isolés et de futurs retraités nous ont alertés sur les risques que représente une telle disposition. Ils sont inquiets, madame, et à juste titre. Car une chose est sûre : voilà une disposition préparée en dehors de toute considération pour le mode de vie réel de nos concitoyens.
Que faites-vous, par exemple, du cas de M. B., 30 ans, conjoint divorcé, qui n’a pas obtenu la garde de ses enfants, mais qui doit cependant être en mesure de les accueillir dans de bonnes conditions, même si c’est seulement pendant les vacances ou les week-ends ?
Que faites-vous du cas de Mme F., 55 ans, proche de la retraite, habitant un trois-pièces depuis son divorce et dont les enfants vont voler de leurs propres ailes ? Allez-vous réellement permettre aux maires d’avoir recours à la force publique pour déloger une femme seule ?
À ce rythme-là, madame la ministre, tout ce à quoi vous parviendrez, c’est à effrayer les ménages de quinquagénaires dont les enfants arrivent à l’âge de l’indépendance, qui seront menacés d’expulsion. Ils sont nombreux dans ce cas, alors que, comme nous tous, ils ont projeté leur avenir dans leur logement.
Madame la ministre, au cours de la nuit dernière, vous nous avez invités à sourire, en soulignant que, si beaucoup d’entre nous jugeaient inutile ce nouveau projet de loi sur le logement, qui par ailleurs n’est pas financé, ils ne se privaient pas d’y introduire telle ou telle amélioration !C’est vrai, mais, puisque nous sommes ici, autant nous rendre utiles !
Enfin, madame la ministre, faut-il légiférer sur tout ? La réponse au problème de la mobilité ne serait-elle pas dans la proximité de la gestion ? N’est-il pas plus efficace et plus pertinent de laisser aux territoires la possibilité de faire du cas par cas, pour éviter que ne surviennent des situations absurdes ? En laissant le pouvoir local intervenir dans le cadre des politiques publiques de l’habitat pour mieux gérer l’occupation du parc HLM, vous permettriez une réelle adaptation des besoins de chaque territoire à l’offre proposée. De même, si vous laissiez à ceux qui le désirent la possibilité de changer de logement pour des appartements plus adaptés à leurs attentes, si vous laissiez aux offices ou aux équipes la possibilité d’assister, voire d’encourager ces personnes, sans qu’aucune menace de sanction pèse, vous favoriseriez une pratique du « gré à gré ».
Pour ma part, je plaide pour la mise en place dans les territoires de maisons du logement. Elles pourraient non seulement garantir la sécurité de la relation entre le petit propriétaire bailleur et le locataire, que ce dernier préfère sortir du parc social ou qu’il souhaite ne pas y entrer, mais aussi organiser cette mobilité.
Nous avons décrit cette situation à maintes reprises : les personnes sans domicile fixe ne peuvent avoir accès à une place en résidence sociale ou en hébergement d’urgence, parce que ceux qui y séjournent ne trouvent pas de place dans le parc social. Pour quelle raison ? Parce que ceux qui sont dans le parc social ne trouvent pas eux-mêmes de logements adaptés à leurs ressources, à leur pouvoir d'achat et à leurs besoins. Il s’agit évidemment là d’un problème tout à fait prégnant !
Convenons que les mesures que vous nous proposez, qui mettront à l’index certaines catégories de familles, et qui plongeront dans l’insécurité des milliers d’autres, ne sont pas de nature à résoudre structurellement le problème posé.