Je veux avant tout, mesdames, messieurs les sénateurs, remercier chacun d'entre vous pour vos interventions.
Je relève en premier lieu que nous faisons souvent un constat partagé sur les enjeux et les défis que représente notre relation avec le continent africain, les pays africains dans leur évolution. Le constat est également partagé, me semble-t-il, quant à la nécessité de continuer nous-mêmes à évoluer, à transformer notre approche.
Monsieur Cambon, je ne saurai vous répondre que par quelques remarques partielles, tant les points que vous avez abordés ont été nombreux. Je voudrais d'abord revenir brièvement après vous sur les relations commerciales. J'avais tenu à rappeler, par précaution, que l'Afrique avait diversifié ses partenariats commerciaux, comme nous-mêmes d'ailleurs, mais il n'en reste pas moins que notre présence économique y est plus forte qu'auparavant, que nos exportations vers l'Afrique ont progressé. Volumes et parts de marché sont deux choses différentes, chacun peut retenir ce qui lui semble le plus pertinent ; je ne vous fais donc aucun reproche en la matière.
Je veux revenir plus longuement sur l'expression souvent entendue, et que je crois largement trompeuse, de « sentiment anti-français ». Je souhaiterais que l'on soit plus précautionneux dans l'emploi de cette expression, parce qu'elle implique des choses qui n'existent pas, comme vous l'avez d'ailleurs souligné, monsieur Cadic. Il faut distinguer, me semble-t-il, le discours anti-français du sentiment anti-français. Ce que nous voyons souvent, c'est un discours anti-français, qui ne se répand pas tout seul, comme je l'ai déjà dit. Ce discours a certes joué un rôle majeur dans le basculement du Mali et dans celui, peut-être, du Burkina Faso, mais il ne faut pas confondre discours et sentiment.
C'est bien le recours à Wagner par les autorités de fait de la République centrafricaine et du Mali, autorités issues de coups d'État, qui entraîne la diffusion d'un discours anti-français. En d'autres termes, ce n'est pas le sentiment anti-français qui fait partir la France, c'est plutôt l'arrivée de Wagner, convié par des putschistes, comme disait le ministre des armées, qui fait venir la prédation, les exactions et le discours anti-français. Nous avons donc décidé de réagir, de nous réarmer – les moyens sont en augmentation –, mais aussi de dénoncer ces manipulations de l'information.
Monsieur Cambon, vous avez aussi déclaré que nous devions assumer nos intérêts, de façon honnête, respectueuse et décomplexée, d'égal à égal, comme on le fait partout dans le monde ; je crois pouvoir vous soutenir parfaitement.
Je partage aussi le constat que vous faites en matière d'influence. Nous augmentons les crédits employés à faire face à ces nouveaux enjeux, en particulier les crédits de communication et d'influence, notamment au travers des services de coopération et d'action culturelle (Scac).
Par ailleurs, vous avez pris connaissance des annonces faites par le Président de la République après la réunion du Conseil présidentiel du développement : nous avons décidé d'augmenter nos capacités d'expertise technique, à hauteur de plusieurs centaines d'équivalents temps plein (ETP) d'ici à 2027.
Je veux à présent revenir sur certains des points évoqués par Mme Carlotti, et d'abord sur la trajectoire de l'aide publique au développement. Oui, madame la sénatrice, la loi du 4 août 2021 fixe des niveaux à cette aide, vous le savez mieux que moi, mais elle ne le fait que jusqu'à cette année ; pour la suite, elle fixe des objectifs : ce n'est pas la même chose, car un objectif n'est pas impératif.
Par ailleurs, je dois à nouveau faire remarquer que notre APD a augmenté en volume – je ne connais pas d'autre pays qui ait augmenté en volume son aide à l'Afrique – et que, d'une façon plus générale, la France a augmenté de 50 % son aide publique au développement entre 2017 et 2022. Le volume de l'APD continue d'augmenter.
Je vous remercie, madame Carlotti, pour les éloges que vous rendez à nos diplomates – j'y suis sensible, vous le savez bien –, mais je ne crois nullement que notre action diplomatique soit affaiblie alors que le Président de la République décide d'augmenter les moyens du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi que le nombre de ses emplois. Cette année, pour la première fois après trente ans de déclin, il est décidé d'en augmenter les moyens budgétaires, et ce sur une trajectoire pluriannuelle, nous menant jusqu'à 2027.
Pour le reste, madame la sénatrice, non seulement nous n'avons pas la nostalgie du passé, ou de relations exclusives, mais notre relation a changé dans les faits : nous sommes des partenaires, nous sommes respectueux de ceux que nous avons sur le continent africain, nous assumons nos intérêts et nous nous tournons vers les défis communs, les grands défis globaux tels que le climat, la sécurité alimentaire, et tant d'autres encore.
Monsieur Cadic, vous avez évoqué l'influence de la désinformation ; je n'y reviens pas, mais c'est un point important.
Quant à la politique des visas, elle est menée, selon le décret d'attributions du ministre de l'intérieur, par le ministère de l'intérieur conjointement avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Gérald Darmanin et moi-même avons encore tenu un comité de pilotage tout récemment, ce qui nous a permis de constater que, si la politique des visas permet de protéger nos intérêts à de nombreux égards, elle permet aussi de renforcer l'attractivité de notre pays, point que nous avons développé l'un et l'autre en confiant à M. Ermelin la rédaction d'un rapport dont j'espère que vous pourrez bientôt prendre connaissance, rédigé avec l'appui des deux inspections générales du ministère de l'intérieur et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous suivrons ses recommandations et nous augmenterons les moyens humains dans nos consulats.
Merci, monsieur le sénateur, d'avoir mentionné l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Le ministre des armées en parlerait mieux que moi, mais je dirai simplement que cela traduit, en Côte-d'Ivoire, notre volonté de renforcer les capacités de nos partenaires.
Madame Duranton, je vous suis reconnaissante d'avoir souligné – tout le monde ne l'a pas fait – la rénovation de nos relations avec le continent africain, en employant le terme de « virage ».
Il faut aussi rappeler, comme vous l'avez fait, l'intensité du travail diplomatique que nous menons avec les pays africains pour relever les défis communs. Nous l'avons fait, par exemple, avec le One Forest Summit qui s'est tenu au Gabon tout récemment ; nous le ferons encore les 22 et 23 juin avec le sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial. Merci de reconnaître ces efforts : c'est un processus constant, qui doit se poursuivre. Nous allons aussi continuer de nous réarmer, selon l'expression consacrée, pour accroître nos capacités d'influence. Il y a encore beaucoup à faire, nous le savons, mais nous y sommes déterminés.
Monsieur Laurent, je regrette sincèrement d'être en désaccord avec vous sur un certain nombre de points. Ainsi du franc CFA, à propos duquel vos affirmations me paraissent inexactes : si nous garantissons toujours la parité avec l'euro, à la demande des pays concernés, l'obligation de centralisation des réserves de change a en revanche disparu. Il faut le savoir et en prendre note pour mettre son logiciel au goût du jour, si vous me permettez l'expression.
Je suis aussi en désaccord avec vos propos sur nos entreprises : le nombre de filiales d'entreprises françaises a augmenté et non pas diminué. Il n'y a pas que le grand capital – vous n'avez certes pas prononcé l'expression – qui soit présent en Afrique.
Nous avons au moins un point d'accord, monsieur Laurent : oui, les pays africains sont nombreux à avoir besoin d'un financement accru. C'est d'ailleurs l'un des objets du sommet des 22 et 23 juin que de permettre un nouveau pacte financier mondial. Vous verrez notamment la France y plaider pour une augmentation des droits de tirages spéciaux, augmentation qu'elle a elle-même pratiquée, puisque nous avons tenu nos engagements en 2021 et mobilisé plus de 4 milliards de dollars de DTS pour les pays vulnérables.
M. Guiol a évoqué la Russie et la Chine. À ce propos, je ferai simplement remarquer que la Chine sera présente au sommet des 22 et 23 juin, représentée par son Premier ministre, soit un niveau élevé de représentation, ce qui nous permettra de débattre aussi de la question de la dette.
Enfin, je veux apporter une réponse très partielle à M. Gontard sur deux sujets qu'il a évoqués. Au Tchad, monsieur le sénateur, nous ne soutenons aucun régime : comme tous les pays de la région, nous soutenons une transition dont nous souhaitons qu'elle mène à des élections. Quant à l'Ouganda, je dois vous rappeler que, si Total est en activité ou a des projets dans un certain nombre de pays africains, il ne reçoit pas pour autant de financements de l'État. La France n'apporte pas non plus de garanties aux actions de sociétés privées commerciales.