La séance est ouverte à neuf heures trente.
Procès-verbal
Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 1er juin 2023 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 543, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Madame la ministre, ma question porte sur l’impact financier des mesures de prévention de la prédation, qui ne sont pas sans conséquence sur l’équilibre économique des exploitations d’élevage.
Face à l’inquiétante prolifération du loup, les éleveurs sont contraints de renforcer les moyens de protection dont ils assurent le cofinancement au minimum à hauteur de 20 %.
Ils sont souvent amenés à faire une avance de trésorerie qui, dans le meilleur des cas, leur sera remboursée un an plus tard.
Toutes ces mesures de protection ont un coût pour des éleveurs de plus en plus découragés au point d’envisager l’arrêt de leur activité.
À quelques mois de l’entrée en vigueur du prochain plan national loup, sur lequel les arbitrages seront rendus en juillet prochain, êtes-vous favorable à une prise en charge intégrale des équipements de protection, au vu du nombre de victimes ?
Accepteriez-vous d’autoriser le remplacement des animaux tués plutôt que d’indemniser les éleveurs qui en feraient la demande, et ce afin d’éviter d’alourdir la fiscalité des exploitations ?
Enfin, seriez-vous prête à examiner la demande des éleveurs de pouvoir déduire le montant des salaires des bergers et le coût de l’entretien des chiens de protection du chiffre d’affaires des exploitations, et ce, là encore, pour soulager les trésoreries ?
Madame la sénatrice, le ministre Marc Fesneau regrette de ne pas pouvoir être parmi nous ce matin et m’a priée de vous fournir les éléments suivants en réponse à votre question.
L’État accompagne financièrement les éleveurs pour qu’ils mettent en œuvre des mesures de protection des troupeaux : aide au gardiennage par les bergers, achat de clôtures, achat et entretien de chiens de protection, accompagnement technique.
Un dispositif d’accompagnement technique des éleveurs a été lancé en 2018 pour optimiser l’efficacité des moyens de protection.
Depuis 2020, les éleveurs situés dans les foyers de prédation et en front de colonisation bénéficient par ailleurs d’un soutien plus important grâce au déplafonnement des dépenses de gardiennage par des bergers salariés ou prestataires.
Les éleveurs sont nouvellement éligibles à l’aide relative à l’acquisition, à l’entretien et aux formations pour l’éducation et la bonne utilisation des chiens de protection.
Le coût de cette mesure est en augmentation constante depuis plusieurs années : il s’élevait à 32 millions d’euros en 2022 et, pour la période de programmation qui débute, nous avons prévu d’y consacrer 35 millions d’euros en moyenne par an.
Il faut reconnaître, comme vous l’avez rappelé, que le traitement de certains dossiers a été excessivement long, ce qui a entraîné des difficultés de trésorerie pour les éleveurs. Cette situation n’est pas acceptable et c’est la raison pour laquelle Marc Fesneau s’est engagé à accélérer le paiement des aides de l’État.
Madame la ministre, je m’attendais à ce que vous répondiez plus précisément aux trois questions que je vous ai posées.
Il est vraiment essentiel désormais de changer de doctrine, tant pour ce qui est des mesures de protection des troupeaux qu’en ce qui concerne les mesures de prévention, qui ne sont plus du tout adaptées à la manière dont les loups passent à l’attaque aujourd’hui sur l’ensemble du territoire national.
La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 620, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Madame la ministre, comme vous le savez, il est primordial de réhabiliter les hôpitaux en zone rurale pour continuer à garantir une offre de soins de qualité. Se pose donc la question du financement et, par conséquent, celle de la nécessité d’octroyer des aides supplémentaires aux établissements.
Je souhaite vous saisir plus particulièrement de la situation du centre hospitalier des Pays de Morlaix (CHPM), dont le pôle médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) fera bientôt l’objet d’une réhabilitation complète.
En novembre 2021, le secrétaire d’État chargé de la ruralité, M. Joël Giraud, a annoncé le déblocage d’une somme de 24 millions d’euros sur les 16 milliards d’euros du Ségur de la santé, afin d’aider à la réhabilitation complète du service, affirmant ainsi sa volonté que les petits hôpitaux du territoire ne soient pas oubliés.
Ce projet de rénovation avait obtenu le feu vert de l’agence régionale de santé (ARS) en septembre 2018. En effet, l’établissement morlaisien n’est pas un simple hôpital de proximité : il s’agit aussi d’un hôpital de recours territorial offrant de nombreuses spécialités, comme la médecine interne ou la neurologie, et un volet de recherche et développement très intéressant pour les jeunes médecins.
L’aide indispensable que représente cette enveloppe de 24 millions d’euros de l’État reste cependant insuffisante au vu du coût du chantier.
En effet, la réhabilitation du pôle MCO, devenu vétuste, implique un investissement de 94 millions d’euros, qui doit permettre de s’adapter à la nouvelle offre de soins. Ce budget, initialement fixé à 80 millions d’euros, a dû être réévalué en raison de la hausse du coût des matières premières.
Il est à craindre que l’on puise dans le budget de fonctionnement de l’hôpital pour financer cet investissement, ce qui pourrait avoir des effets négatifs sur la qualité des soins et la masse salariale, tout cela au détriment des usagers et des agents.
Le secteur, déjà sous haute tension, est donc exposé à un risque élevé d’une dégradation croissante de la situation.
Madame la ministre, outre l’enveloppe allouée dans le cadre du Ségur de la santé pour financer les investissements, quelles mesures entendez-vous prendre pour subventionner les travaux de l’hôpital de Morlaix et, plus généralement, pour aider à la réhabilitation des hôpitaux situés en zone rurale, sans dégrader leur budget de fonctionnement ?
Monsieur le sénateur, le centre hospitalier des Pays de Morlaix (CHPM) est un acteur clé de son territoire, qui bénéficie de toute notre attention et de tout le soutien de l’agence régionale de santé.
En 2018, le coût initial du projet immobilier que vous mentionnez a été évalué à 94, 2 millions d’euros. Révisé à 90, 8 millions d’euros au début de 2019, le montant de ce chantier est désormais évalué à 95, 2 millions d’euros.
L’assiette financière globale du projet a peu varié depuis son origine, dans la mesure où la direction de l’établissement est parvenue à limiter les conséquences de la hausse du coût des matières premières grâce à des révisions itératives du projet, notamment en mettant l’accent sur la restructuration du bâtiment existant et en minorant les surfaces à construire.
Ce projet, notamment dans ses dimensions territoriale, médico-soignante et financière, a obtenu une validation de l’ARS en mars 2022. Il s’inscrit dans une logique territoriale et a fait l’objet d’un travail de structuration, qui se concilie avec l’offre de premier recours, ainsi qu’avec celle du centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest.
L’analyse du dossier présenté par l’établissement démontre la soutenabilité de la trajectoire financière proposée. Il faut souligner l’existence d’une aide de 24 millions d’euros, dont 2 millions d’euros d’ores et déjà alloués au centre hospitalier en 2021. Le plan de financement prévoit par ailleurs un recours à l’emprunt et une part d’autofinancement.
Il convient de rappeler que, en plus des 24 millions d’euros d’aides fléchés au titre du Ségur de la santé, le CHPM bénéficie du soutien de l’ARS, qui lui octroie des aides au fonctionnement ou à l’investissement.
Depuis 2019, le centre hospitalier des Pays de Morlaix s’est ainsi vu allouer 4, 29 millions d’euros. En 2021 et 2022, l’ARS lui a également versé des aides destinées aux investissements du quotidien à hauteur de 1, 7 million d’euros. Enfin, le centre hospitalier a reçu depuis trois ans plus de 3, 2 millions d’euros pour la sécurisation des organisations.
L’ARS et le ministère demeurent attentifs au projet d’investissement du CHPM. Celui-ci s’inscrit pleinement dans les orientations du Ségur de la santé qui, je le rappelle, dans son volet investissement tout à fait inédit de 19 milliards d’euros, a permis d’engager et de soutenir la réhabilitation et la reconstruction de très nombreux établissements de proximité à travers le territoire.
Madame la ministre, il faut faire très attention au budget de fonctionnement des hôpitaux, car leurs moyens sont si rares que les établissements sont d’ores et déjà en difficulté.
La parole est à Mme Nadège Havet, en remplacement de Mme Patricia Schillinger, auteur de la question n° 637, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Madame la ministre, la question de ma collègue Patricia Schillinger porte sur le maintien d’une offre de soins hospitaliers sur le territoire de Saint-Louis dans le Haut-Rhin.
Dimanche dernier, plusieurs centaines de personnes se sont réunies sur ce territoire en soutien à leur hôpital.
En effet, à la suite de la fermeture de la clinique des Trois-Frontières et de la reprise de son activité par le groupe hospitalier de la région de Mulhouse et Sud-Alsace (GHRMSA), beaucoup craignent que le maintien dans l’agglomération d’une offre de soins de qualité, adaptée aux besoins de leur territoire et de ses plus de 80 000 habitants, ne soit pas assuré.
Le GHRMSA peine à mettre en place le projet prévu pour le site de Saint-Louis. Situé en territoire frontalier, cet hôpital souffre d’un très grave problème de démographie médicale, du fait notamment de l’attrait exercé par la Suisse et de la fuite de ses soignants vers les établissements helvètes.
Aussi regrette-t-on sur le terrain que la rédaction du cahier des charges ayant conduit au choix de l’actuel repreneur n’ait pas été envisagée de manière à susciter davantage l’intérêt du secteur privé. En effet, une structure privée aurait vraisemblablement été moins exposée à cette problématique de démographie médicale, en offrant notamment des conditions de travail et de rémunération plus attrayantes.
Au contexte anxiogène s’ajoute le manque de transparence quant à l’évolution et au calendrier de mise en œuvre du projet.
Depuis la reprise de l’activité de la clinique par le GHRMSA et jusque très récemment, les habitants et leurs élus n’ont reçu aucune information, ni de la part de l’ARS ni de celle du groupe hospitalier.
Madame la ministre, quelles sont vos intentions à ce sujet et quels moyens entendez-vous mettre en place pour faire face à cette situation préoccupante ?
Afin de rétablir le lien de confiance entre les parties prenantes, êtes-vous prête à envisager un comité de pilotage ?
Quelles mesures urgentes comptez-vous prendre, afin d’assurer dès maintenant une prise en charge minimale des patients, y compris en lien avec les médecins libéraux du secteur ?
Madame la sénatrice, François Braun et moi-même tenons à réaffirmer notre attachement à ce qu’une offre de soins hospitaliers de proximité demeure sur le bassin de Saint-Louis. C’est d’ailleurs ce que j’ai répété aux élus que j’ai rencontrés lors de l’un de mes déplacements dans la région.
Ces dix dernières années, l’ARS a mené – et elle continue de le faire aujourd’hui – de multiples actions pour sauvegarder une offre sanitaire à Saint-Louis dans le contexte que vous connaissez, celui des difficultés structurelles de la clinique, tant dans le domaine financier qu’en matière de ressources humaines.
La reprise à 100 % de l’hôpital de Saint-Louis – ancienne clinique des Trois-Frontières – par le groupe hospitalier de la région de Mulhouse et Sud-Alsace (GHRMSA) est le résultat d’une procédure de redressement judiciaire qui a permis de garantir la continuité de l’activité. Elle est le gage de la durabilité du site.
L’hôpital de Saint-Louis vient d’être labellisé « hôpital de proximité » par l’ARS, ce qui contribue à sécuriser ses financements à moyen terme.
De nombreux efforts ont été consentis pour assurer la pérennité du site et l’offre de consultations : l’habilitation d’un service mobile d’urgence et de réanimation (Smur), par exemple, a contribué à renforcer la présence d’urgentistes et à rendre le site plus attrayant. En outre, l’activité libérale complémentaire à l’activité publique reste possible sur place.
Les consultations sont bien effectives dans les spécialités suivantes : cardiologie, chirurgie générale, chirurgie vasculaire, gynécologie, néphrologie, expertise des équipes mobiles de soins palliatifs et de gériatrie et, à partir de juin, pneumologie.
Les services suivants sont également parfaitement opérationnels : service d’accueil des urgences, unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD), soins de suite et de réadaptation (SSR), médecine polyvalente, hôpital de jour en médecine et chimiothérapie, psychiatrie.
Malgré une démographie médicale difficile, le GHRMSA a pour objectif d’augmenter le nombre de lits et de places du service de médecine et des SSR, de développer de nouvelles consultations avancées spécialisées en chirurgie, en rééducation, en diabétologie et en neurologie, de déménager les activités de psychiatrie sur le site de l’hôpital et de créer un hôpital psychiatrique de jour.
Un comité de suivi incluant les élus du territoire sera mis en place par l’ARS, avec un premier rendez-vous prévu avant l’été. Il permettra d’assurer le suivi des activités sur le site, leur développement et d’étudier les perspectives à ce sujet.
Parallèlement, l’ARS met en place un programme de travail avec les professionnels de santé libéraux. Une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) est également en cours de création.
Le GHRMSA, qui est associé à ces travaux, contribue ainsi à l’élaboration d’une offre de soins locale cohérente et adaptée aux besoins.
La parole est à Mme Sabine Drexler, auteur de la question n° 682, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur la pénurie d’offre de soins dans les régions frontalières.
Permettez-moi d’illustrer mon propos en prenant l’exemple de ce qu’il se passe chez moi, dans le sud du Haut-Rhin, un territoire bordé par la frontière suisse.
De manière générale, si 87 % des territoires métropolitains sont considérés comme des déserts médicaux, la situation est plus prégnante encore dans les territoires transfrontaliers où toujours plus de médecins, d’infirmiers, d’aides-soignants franchissent chaque jour la frontière pour travailler en Suisse, où leur salaire est parfois multiplié par trois.
Actuellement, notre territoire dispose d’un nombre de médecins généralistes inférieur de 19 % à la moyenne observée dans la région Grand Est. Ce phénomène concerne l’ensemble de l’offre de soins.
Dans ce contexte marqué par une pénurie de soignants, et notamment de spécialistes, la clinique de Saint-Louis, récemment reprise par le groupe hospitalier de la région de Mulhouse et Sud-Alsace (GHRMSA), a perdu les médecins libéraux qui y exerçaient.
Nous manquions déjà de praticiens. À présent, ce sont les 80 000 habitants de l’agglomération qui sont dans l’impossibilité de se faire soigner.
Je suis par ailleurs régulièrement alertée par certaines familles et par les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) eux-mêmes sur le fait que ces derniers ne sont plus en mesure, pour les mêmes raisons, d’accueillir dignement nos aînés.
Dans certains de ces établissements, qui fonctionnent en flux tendu et sont régulièrement en mode dégradé, j’ai vu des cadres et des membres de la direction assurer eux-mêmes la toilette des personnes âgées et servir les repas, faute de personnel suffisant.
En tentant comme ils le peuvent de fournir les services indispensables aux patients, les personnels s’épuisent si bien qu’ils n’hésitent plus à franchir la frontière, afin de profiter de salaires plus élevés et de conditions de travail plus satisfaisantes.
Madame la ministre, quelle place ont les territoires frontaliers dans votre politique de santé ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour y retenir le personnel médical ? Quelles solutions envisagez-vous pour assurer une prise en charge digne, notamment de nos anciens, dans nos hôpitaux et nos Ehpad ?
Madame la sénatrice, en complément de la réponse que je viens d’apporter à la question de votre collègue Patricia Schillinger, je tiens à réaffirmer qu’il y a et qu’il demeurera une offre de soins hospitaliers de proximité sur le bassin de Saint-Louis.
En ce qui concerne les questions transfrontalières, les gouvernements français et suisse ont ratifié en 2019 un accord-cadre sanitaire qui ouvre la voie à des négociations par secteur géographique et par spécialité. Des négociations concrètes et à visée opérationnelle sont en cours.
La conclusion de cet accord constituera un progrès pour le territoire, mais il conviendra auparavant de faire converger des intérêts réciproques.
Les coopérations transfrontalières avec les Länder allemands frontaliers se poursuivent activement – je pense à la Sarre, à la Rhénanie-Palatinat et au Bade-Wurtemberg –, dans la lignée de la coopération active qui s’est mise en place pendant la crise de la covid-19.
Après la finalisation des conventions sur l’aide médicale d’urgence, les travaux se concentrent désormais sur la mise en place d’un observatoire transfrontalier réunissant le Luxembourg, la Suisse et la Belgique autour de la question de la simplification des modalités de prise en charge et des projets de contrats locaux de santé transfrontaliers.
L’ARS travaille en lien étroit avec les autorités préfectorales, les collectivités locales, l’assurance maladie, Santé publique France et les établissements de santé sur ces différents sujets.
Dans le cadre du schéma régional de santé 2023–2028, qui est en cours de finalisation, nous tracerons de nouvelles perspectives concernant ce volet transfrontalier : il faudra notamment faire une analyse de la démographie des professionnels de santé de part et d’autre de la frontière, afin d’envisager un plan d’actions précis du territoire, particulièrement avec l’Allemagne, État avec lequel la collaboration se déroule favorablement dans le cadre de l’Union européenne.
La parole est à Mme Élisabeth Doineau, auteure de la question n° 685, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Madame la ministre, permettez-moi de me faire aujourd’hui la porte-parole d’un corps en voie d’extinction, les soignants classés dans la catégorie active.
Historiquement, tous les professionnels de santé de la fonction publique hospitalière relevaient de cette catégorie. Or il se trouve que, à partir de 2010 et du protocole Bachelot, les soignants ont dû choisir entre la catégorie active et la catégorie sédentaire.
Évidemment, de moins en moins de professionnels sont régis par ce statut, dans la mesure où les personnels recrutés aujourd’hui ne le sont plus du tout sous cette forme.
Lors du Ségur de la santé qui s’est déroulé en 2020, Olivier Véran a promis – je tiens à le rappeler aux uns et aux autres – que tous les soignants à l’hôpital, des ambulanciers aux secrétaires médicales, bénéficieraient d’une revalorisation salariale.
Tout cela est très bien et, sur le moment, tout le monde a été très satisfait. On peut même dire aujourd’hui que cette mesure a marqué une vraie avancée en matière de rémunérations.
Pour autant, on n’a pas cessé de parler des oubliés du Ségur et, finalement, c’est cette injustice qui restera. Encore aujourd’hui, en effet, les soignants en catégorie active sont victimes d’une injustice puisque, alors qu’ils ont les mêmes diplômes, qu’ils exercent la même profession et qu’ils font preuve du même engagement et de la même responsabilité que les autres, ils ne bénéficient toujours pas de la même revalorisation salariale.
Madame la ministre, il est grand temps de régler le problème des oubliés du Ségur. J’attends beaucoup de la réponse que vous allez apporter à ce sujet.
Madame la sénatrice, le volet relatif aux ressources humaines du Ségur de la santé a conduit à la revalorisation des grilles indiciaires de l’ensemble des personnels paramédicaux de la fonction publique hospitalière. C’est inédit et historique.
Comme l’ensemble des agents de la fonction publique hospitalière exerçant au sein des établissements sanitaires, des services sociaux et médico-sociaux rattachés à un établissement sanitaire ou à un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les personnels en catégorie active relevant des corps placés en voie d’extinction bénéficient du complément de traitement indiciaire (CTI) de 183 euros net par mois. Cette prime s’élève même à près de 189 euros net depuis la revalorisation du point d’indice intervenue le 1er juillet 2022.
Les écarts constatés au sommet des grilles entre les populations en catégorie active et celles en catégorie sédentaire s’expliquent essentiellement par des perspectives de carrière différentes, qui sont inhérentes à la composition de ces cohortes.
Les agents relevant des corps de la catégorie active sont très majoritairement en fin de carrière et se trouvent sur les échelons les plus élevés de leur grille indiciaire.
Par contraste, les personnels relevant des corps de la catégorie sédentaire sont majoritairement en début de carrière : ils sont donc peu nombreux à bénéficier des échelons élevés de leur grille indiciaire. Les sommets de grilles, qui atteignent désormais des niveaux élevés en catégorie A « sédentaire », leur seront accessibles après plusieurs années.
Enfin, les établissements ouvrent aussi des concours réservés aux personnels de la catégorie B « active » qui le souhaitent, afin qu’ils intègrent leur corps analogue de catégorie A, lequel propose ces perspectives de carrière renforcées.
J’entends bien la distinction que vous faites entre le début et la fin de carrière de ces agents. Cependant, quelle que soit leur évolution professionnelle, ils ressentent cette différence comme une vraie injustice. Rappelez-vous que nous les avons tous applaudis durant la crise sanitaire…
Madame la ministre, réunissez-les autour d’une table pour discuter ensemble de la question si vous y tenez, mais faites quelque chose !
Cessons de leur donner le sentiment qu’ils sont discriminés et qu’ils doivent se regarder comme une catégorie à part. Il faut aller à leur rencontre, leur expliquer les choses et réfléchir à la meilleure manière d’atteindre une véritable équité. C’est une nécessité si l’on veut que le Ségur de la santé soit considéré comme réellement positif.
La parole est à M. Max Brisson, auteur de la question n° 705, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Madame la ministre, le 17 juillet 2021, de neuf heures à dix-neuf heures, le service mobile d’urgence et de réanimation (Smur) de l’hôpital d’Orthez fermait ses portes.
Plus récemment, dans la nuit du 26 au 27 avril, une nouvelle fermeture a eu lieu, cette fois pendant plus de quatorze heures. Cela s’explique par le non-remplacement d’un des deux médecins nécessaires au bon fonctionnement du service des urgences.
Certes, un seul médecin ne peut pas à la fois prendre en charge les urgences vitales dans les services, les hospitalisations non programmées et assurer les opérations du Smur.
Cette prise en charge, lorsque l’un des médecins est en intervention dans le cadre du Smur, est en effet possible temporairement, mais elle ne peut devenir la règle – nous en convenons.
Pour autant, la seule fermeture du Smur est-elle une réponse acceptable à l’absence de l’un des deux médecins ? Ne pose-t-elle pas à terme la question de la pérennité du service des urgences indispensable aux habitants de ce territoire ?
D’autant plus que ce dysfonctionnement n’est pas le seul que l’on recense : depuis plusieurs années déjà, l’hôpital d’Orthez ne cesse de dénoncer le manque de personnel, notamment l’absence d’un poste d’infirmier d’accueil, qui empêche une prise en charge adaptée des patients.
Aujourd’hui, les personnels soignants du centre hospitalier et les élus locaux tirent la sonnette d’alarme.
Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour répondre à leurs inquiétudes, éviter une nouvelle fermeture du Smur d’Orthez et assurer, sur ce bassin de vie, la pérennité d’un véritable service d’urgence ?
Monsieur le sénateur, comme vous venez de l’indiquer, le centre hospitalier d’Orthez a déjà été confronté par le passé à des absences inopinées de ressources médicales ayant pu conduire, à titre exceptionnel, à la fermeture de son Smur.
La doctrine nationale prévoit, en présence d’un seul médecin urgentiste, et ce afin de garantir la continuité de l’accès aux soins, la mise en place d’un mode de fonctionnement gradué privilégiant le maintien du Smur, et la mise en œuvre d’un accès régulé aux urgences, via le centre 15.
L’ARS de Nouvelle-Aquitaine, dans le respect de cette doctrine, s’attache à coconstruire une organisation territoriale des urgences visant à répondre à la problématique des ressources médicales, et à définir un mode de fonctionnement commun solidaire en cas d’absence inopinée de praticiens.
Face aux problèmes de planning des 14, 15 et 26 avril dernier, la direction du centre hospitalier d’Orthez, le président de la commission médicale d’établissement (CME) et le chef de service des urgences ont travaillé, à la demande de l’ARS, à la construction d’une organisation graduée dans le cas où un seul urgentiste serait présent aux urgences.
Durant la journée ont ainsi été prévus le maintien du Smur et la mise en place d’un accès régulé aux urgences. Dans ce cadre, c’est le médecin régulateur du centre 15 qui décide de l’admission des patients aux urgences de l’établissement.
La nuit, il a été décidé que le Smur serait fermé et qu’un accès régulé aux urgences serait mis en œuvre.
Le territoire habituellement couvert par le Smur du centre hospitalier d’Orthez est resté desservi par le Smur de l’hôpital de Pau, et ce pour garantir la continuité de la prise en charge.
Afin d’améliorer encore ce dispositif et d’anticiper de nouvelles situations de tension, l’ARS a demandé aux équipes de l’hôpital d’Orthez d’établir une procédure interne de gestion des urgences vitales, complémentaire de la régulation du service d’aide médicale urgente (Samu), de travailler à la construction d’une équipe paramédicale de médecine d’urgence (EPMU), de mettre en place un protocole d’accès gradué pour le service des urgences, et de répondre aux besoins des équipes médicales et soignantes en matière de formation aux gestes d’urgence.
Enfin, un référent médical a récemment été missionné par l’ARS pour réfléchir à cette meilleure organisation territoriale des urgences.
L’ensemble de ces travaux permettront d’atteindre l’objectif de maintien d’une prise en charge des urgences sur le bassin orthézien de la meilleure qualité possible, ce qui demeure la priorité.
Madame la ministre, votre réponse me laisse quelque peu perplexe. Vous ne m’avez pas répondu au sujet du manque de personnel et des sous-effectifs. Vous ne m’avez pas rassuré non plus à propos de la fermeture du Smur comme seule réponse au non-remplacement de l’un des deux médecins.
Certes, l’organisation territoriale doit être repensée et mise à plat, mais il ne s’agit pas d’une réponse appropriée dans ce contexte de crise.
Madame la ministre, j’en suis désolé, mais votre réponse n’est pas à la hauteur de l’inquiétude des populations des bassins de vie d’Orthez, de Lacq, de Mourenx, de Salies-de-Béarn, qui observent une dégradation de la prise en charge des patients. Elle ne tient pas non plus compte de la sonnette d’alarme tirée par les personnels.
Il est plus que temps de garantir la pérennité du Smur pour les populations du centre du département des Pyrénées-Atlantiques.
La parole est à M. Guillaume Chevrollier, auteur de la question n° 712, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur la nécessité de soutenir les élus locaux dans les communes rurales confrontées à des problématiques de démographie médicale.
À titre d’illustration, le département de la Mayenne, dont je suis élu, ne compte plus aujourd’hui que 6, 2 généralistes pour 10 000 habitants. Certains services d’urgence et de maternité sont contraints de fermer par intermittence. Beaucoup trop de patients ne parviennent pas à trouver de médecin traitant.
Les médecins spécialistes, dentistes et gynécologues particulièrement, se font rares, sans parler des médecins du travail dont le rôle est pourtant si essentiel pour nos travailleurs. Les infirmières libérales voient quant à elles leurs conditions de travail se dégrader.
Dans ce contexte, la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite Rist, a permis quelques avancées.
Ce n’est toutefois pas suffisant. Il faut accompagner les élus locaux qui agissent avec les moyens qui sont les leurs pour améliorer l’accès aux soins dans leur territoire, notamment pour les familles et les personnes âgées.
Les élus s’impliquent à travers les contrats locaux de santé. Ils contribuent aussi au financement des maisons médicales. Alors que la population vieillit et que les pathologies chroniques sont de plus en plus récurrentes, ces maisons sont essentielles pour assurer la bonne coordination des soins et la prise en charge pluridisciplinaire du patient. Elles essaiment partout sur le territoire, mais, malgré leur fort engagement en la matière, nos élus peinent à trouver des médecins.
Quels dispositifs d’accompagnement le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre pour que nos communes rurales puissent retrouver leur attractivité en matière d’offre de soins ?
Monsieur le sénateur, notre priorité est de lutter contre toutes les inégalités de santé, et de proposer pour tous, et partout en France, un accès à des soins adaptés et de qualité.
Créer les conditions d’une attractivité rénovée de nos territoires, pour que les professionnels viennent s’y installer, et surtout, y restent pour mener des projets personnels et professionnels de long terme, nécessite une mobilisation de l’État, comme de tous les acteurs locaux, au premier rang desquels les élus des territoires ruraux, dont nous ne sous-estimons pas l’engagement quotidien et auxquels le Gouvernement s’attache à donner les outils nécessaires.
Les efforts que nous menons avec les ARS dans tous les territoires reposent sur de multiples leviers.
Tout d’abord, nous favorisons le déploiement de structures d’exercice collectif comme les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), avec un objectif de 4 000 MSP d’ici à la fin du quinquennat.
Nous assurons aussi la coordination des acteurs locaux de santé au sein des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui devront couvrir l’ensemble du territoire d’ici à la fin de l’année, et que nous entendons renforcer prochainement dans la loi.
Je pense également à l’incitation, dès les années de formation des étudiants en médecine, à l’exercice dans les zones le plus en tension, à travers la quatrième année de médecine générale, au contrat d’exercice et au guichet unique, ou encore à la libération de temps médical et à la facilitation de l’exercice au quotidien : 3 500 nouveaux assistants médicaux ont été recrutés – leur nombre sera porté à 10 000 d’ici à la fin de l’année – de sorte à dégager du temps médical.
En outre, la mobilisation et le renforcement des outils du numérique en santé, comme la téléconsultation, doivent permettre de raccourcir les délais ou les distances.
Enfin, il faut « aller vers » les populations les plus isolées et les plus fragiles, ce que nous faisons avec le plan d’actions élaboré avec la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), qui vise l’objectif « zéro patient » en affection de longue durée sans médecin traitant d’ici à fin 2023. Dans le même ordre d’idée, j’annoncerai, avec Dominique Faure, un plan de déplacement et la généralisation du dispositif Médicobus.
Bien sûr, nous prendrons, comme vous le demandez, toutes les dispositions favorisant un meilleur partage des tâches et des compétences entre professionnels dans le parcours de soins grâce à l’adoption de la loi Rist.
L’ensemble de ces mesures impliquent l’action conjointe de l’État, de l’assurance maladie et des acteurs locaux. Les collectivités locales et les maires ont toute leur place dans l’élaboration des solutions de proximité ; ils peuvent se saisir de ces différents outils pour contribuer à l’élaboration des réponses au plus près des territoires.
Les formations territoriales du Conseil national de la refondation en santé (CNR santé) ont, en ce sens, permis de faire émerger nombre d’initiatives innovantes et probantes que nous soutenons.
Merci de votre réponse, madame la ministre.
Comme vous le savez, l’accès aux soins est un sujet de préoccupation majeur pour nos concitoyens, donc pour nos élus locaux. Chaque fois que je rencontre un maire, cette problématique est abordée.
Il nous faut lutter contre les pertes de chances de trop nombreux de nos concitoyens face à la maladie.
Cette situation est totalement inacceptable. L’État doit être au rendez-vous et apporter des réponses extrêmement concrètes : nous comptons sur son engagement.
La parole est à M. Alain Richard, auteur de la question n° 727, adressée à M. le ministre de la santé et de la prévention.
Madame la ministre, je vous adresse un signal d’alarme en ce qui concerne la mise au point de la tarification des soins médicaux et de rééducation (SMR), en particulier dans le contexte de l’Île-de-France.
La réforme du financement, qui était souhaitée et qui a été longuement concertée, n’est pas encore au point alors qu’elle doit entrer en vigueur le 1er juillet prochain. Elle soulève deux inquiétudes pour les cliniques d’Île-de-France.
Le premier sujet d’inquiétude est celui de certains surcoûts que nous voyons bien en matière de main-d’œuvre : la compétition, assez forte, entraîne une obligation de suivre les niveaux de rémunération pour garder le personnel. Naturellement, un autre surcoût est celui de l’immobilier, si bien qu’une évaluation faite entre les organisations professionnelles et le ministère constate des charges 10 % plus élevées pour le fonctionnement des cliniques en Île-de-France.
Le second sujet d’inquiétude est que ces établissements sont des supports indispensables des services hospitaliers de pointe pour accueillir les malades dès la fin des soins intensifs. Si l’on ne tient pas compte des charges spécifiques aux actes médicaux les plus intenses que sont la cancérologie, la cardiologie et la neurologie, ces établissements, qui ont déjà du mal à équilibrer leurs comptes, fonctionneront à perte : le risque est sérieux que certains de ces services ne soient fermés et que l’offre de soins ne disparaisse.
Quelles dispositions le Gouvernement a-t-il prévues de manière qu’on ne se trouve pas dans cette impasse ?
Monsieur le sénateur, comme vous le soulignez, les premières études d’impact concernant cette réforme ont pu faire apparaître des pertes de ressources pour certains établissements SMR de la région Île-de-France.
Toutefois, il convient de souligner qu’il s’agit de projections qui ne sont en rien figées. Elles ont justement pour finalité de servir de base de travail et doivent permettre l’ajustement des paramètres associés dans le cadre de la mise en œuvre des nouvelles modalités de financement. Une nouvelle version amendée est ainsi en préparation, laquelle devrait permettre de corriger les distorsions les plus manifestes tout en donnant davantage de visibilité pluriannuelle aux acteurs.
Par ailleurs, si l’application de la réforme est bien prévue pour le 1er juillet 2023, il est important de rappeler que le nouveau modèle n’est pas d’application immédiate.
Ainsi, afin de simplifier et de stabiliser la campagne budgétaire pour l’ensemble des acteurs, les vecteurs actuels de financement seront maintenus jusqu’à la fin de l’année, notamment les prix de journée pour le ex-OQN (ex-objectif quantifié national).
L’application des impacts de la réforme sera faite a posteriori, selon une méthodologie partagée avec les fédérations d’établissements SMR et les agences régionales de santé (ARS). La méthode retenue évitera la reprise des crédits déjà alloués aux établissements durant la campagne au titre de l’exercice 2023.
Un mécanisme de transition visant par ailleurs à amortir les impacts de la réforme et à sécuriser les trajectoires financières des établissements est prévu sur trois ans. Cette période doit justement permettre d’affiner les nouvelles modalités de financement afin de prendre en compte dans leur complexité l’ensemble des enjeux de filières et de territoires pour les SMR.
Concernant les surcoûts induits par les conditions propres à l’Île-de-France, le coefficient géographique sera bien pris en compte dès l’application de la réforme.
Concernant les activités spécifiques dont vous soulignez, à juste titre, la valeur ajoutée dans la prise en charge des patients, mais également les surcoûts spécifiques au regard de la charge en soins associée, des groupes de travail nationaux sont prévus afin de s’assurer de leur juste prise en compte dans le modèle.
Des travaux sont encore en cours sur les grilles tarifaires des séjours, qui seront applicables dans le futur modèle. Ils ont vocation à identifier les situations qui apparaissent de manière systématique insuffisamment valorisées et qui doivent faire l’objet d’ajustements en amont de la publication des prochains tarifs.
Je remercie Mme la ministre des éclaircissements qu’elle a donnés : ils montrent une réelle prise en compte par le Gouvernement des enjeux spécifiques à ces catégories d’établissement. Heureusement qu’une période de glissement avant l’application de la nouvelle réforme aura lieu. Je ne peux que former le vœu que la discussion se conclue positivement pour tout le monde.
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteure de la question n° 625, transmise à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées.
Madame la ministre, la problématique du manque de places dans les établissements médico-sociaux est majeure et a été soulevée ici même à de nombreuses reprises. À ce titre, ma collègue Martine Filleul vous alertait déjà il y a un an et demi ; vous répondiez alors mettre en place des politiques ambitieuses en la matière.
Dans le département dont je suis élue, la Charente, le taux d’équipement en instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep) est largement inférieur à la moyenne nationale, alors même que le taux d’élèves en situation de handicap psychique est de dix points supérieur à la moyenne de l’académie. Ce décalage entre les besoins de la population et la réponse publique laisse place à des situations dramatiques pour les jeunes concernés. Votre objectif d’une école inclusive est louable, mais se heurte à la réalité de l’accompagnement en France.
Malheureusement, vous avez fait le choix de fermer un nombre important de places dans les différentes structures spécialisées avant même de vous assurer que la prise en charge de ces élèves était réalisable dans de bonnes conditions dans le système classique. Ainsi, de nombreuses familles ne disposent d’aucune bonne solution : l’accueil dans des structures classiques est souvent très inadapté. Face à cela, une centaine de jeunes Charentais sans solution sont déscolarisés.
Ces jeunes sont pour la plupart sur des listes d’attente longues de deux ans pour un accès en Itep et de deux à trois ans pour les instituts médico-éducatifs (IME). Pour les jeunes atteints de troubles autistiques, l’attente peut aller jusqu’à six ans. Par ailleurs, cet embouteillage est aggravé par le manque de places d’accueil pour les personnes majeures en handicap qui sont accueillies dans les IME.
Les enfants de la République ont tous le droit à l’école. L’idéal républicain n’en est plus un si des élèves sont exclus du système scolaire sur le fondement de leur handicap. Madame la ministre, quelle réponse entendez-vous apporter à ces familles maltraitées et à ces enfants ? Comment comptez-vous créer de nouvelles places dans les établissements médico-sociaux Itep et IME en Charente ?
Madame la sénatrice Nicole Bonnefoy, vous rappelez à juste titre que, dans votre département, le taux d’équipement en Itep est légèrement en deçà de la moyenne nationale. En revanche, pour les IME, le taux est supérieur, avec un taux d’équipement de 7 % contre une moyenne nationale de 4, 5 %. Le taux d’équipement charentais en services à domicile est de 4, 1 % pour les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) contre une moyenne française de 3, 3 %.
Ces chiffres recouvrent des réalités très diverses. Il est vrai que certaines familles doivent attendre plusieurs mois, voire plusieurs années avant de trouver une situation adaptée. Ce n’est pas acceptable.
Pour autant, en 2022 et en 2023, quatorze places en réorientation professionnelle, quatre places pour adultes cérébrolésés et vingt-six pour personnes autistes en service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah) ont été financées. L’offre de répit ainsi qu’un accompagnement spécifique pour les enfants en situation de handicap relevant de l’aide sociale à l’enfance sont également développés. Cela a été possible grâce à l’engagement du conseil départemental aux côtés de l’ARS.
Nous voulons aller plus loin, notamment pour les jeunes adultes relevant de l’amendement Creton, pour les territoires en zone blanche et pour les enfants et adultes autistes. Lors de la Conférence nationale du handicap du 26 avril dernier, le Président de la République a présenté soixante-dix mesures dont la création de 50 000 nouvelles solutions pour les personnes en situation de handicap et pour leurs proches, adaptées au parcours de chacun et dans le respect de ses choix.
Concernant la question des plus jeunes et de leur scolarisation, mon collègue Pap Ndiaye et moi-même travaillons à ce que l’école s’adapte à tous les élèves en situation de handicap et non l’inverse. Dans les mois à venir, la transformation des établissements pour enfants en dispositifs et plateformes ouverts, plus fluides, permettra de répondre aux différentes situations évoquées.
Madame la sénatrice, notre ambition est l’exercice de tous les droits pour tous les citoyens.
Je vous remercie, madame la ministre, de cette réponse. Vous l’avez dit vous-même : des efforts ont été consentis, en particulier par le conseil départemental et l’ARS pour disposer de places supplémentaires. Or il en manque encore beaucoup. Il est donc important et urgent de trouver des réponses satisfaisantes pour les nombreuses personnes en souffrance et pour leurs familles.
La parole est à M. Olivier Cigolotti, auteur de la question n° 496, transmise à Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées.
Ma question a trait aux conséquences du décret du 19 avril 2022 relatif à la prestation de compensation du handicap (PCH). Ce dernier élargit l’accès à cette prestation aux personnes atteintes d’un handicap psychique, cognitif, mental ou de troubles du neuro-développement et inclut la prise en compte des besoins spécifiques des personnes souffrant de déficience auditive et visuelle.
Bien sûr, ce texte constitue une avancée en matière de reconnaissance et de compensation pour les personnes en situation de handicap atteintes de ces pathologies, et c’est pourquoi le département de la Haute-Loire s’inscrit pleinement dans cette prise en compte.
Pourtant, pour ce département, selon les premières estimations, cette nouvelle extension de la PCH entraînera un surcoût annuel compris entre 700 000 et 2, 5 millions d’euros, compte tenu du nombre de dossiers de nouveaux bénéficiaires. Pour l’année 2022, la compensation versée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) était portée à 3, 9 millions d’euros pour un budget de la PCH à domicile et en établissement s’élevant à 7, 7 millions d’euros. Les dépenses liées à la mise en œuvre de la PCH et à ses ajustements successifs sont venues grever chaque année les dépenses à un rythme et à une échelle que les concours attribués par la CNSA ne couvrent plus.
Par conséquent, au vu de l’accroissement du nombre de dossiers, je souhaiterais savoir, madame la ministre, si le concours de la CNSA versé au département au titre de la PCH sera notablement revu afin de compenser ces prévisions de dépenses et ce dans l’optique de trouver un juste équilibre entre les enjeux de compensation du handicap auxquels notre territoire souscrit pleinement et la préservation budgétaire des collectivités territoriales.
Monsieur le sénateur, comme pour la réponse précédente, Mme Darrieussecq m’a demandé de vous fournir les éléments suivants, en réponse à votre interrogation.
Vous avez bien voulu nous interroger sur la révision du concours de la CNSA au titre de la PCH versée aux départements. La CNSA finance par concours plusieurs dépenses des conseils départementaux en lien avec leur mission dans le cadre de leurs compétences sociales pour les personnes en situation de handicap et âgées. Pour les prestations légales, sont couvertes une partie de la PCH et de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), mais aussi une part du fonctionnement des groupements d’intérêt public (GIP) que sont les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), et d’autres dépenses encore.
S’agissant de la PCH, les concours de la CNSA ont augmenté, passant de 510 millions d’euros en 2009 à 637 millions d’euros en 2021, soit une augmentation d’un quart.
Concernant la PCH pour les personnes avec des troubles psychiques, intellectuels, cognitifs ou des troubles du neuro-développement, cela est effectif depuis le 1er janvier dernier.
Le dispositif est donc en train de se déployer et de monter en puissance. Notre responsabilité conjointe entre État et départements est désormais de s’assurer que cette avancée majeure bénéficie concrètement aux personnes qui sont concernées sur le terrain. Je vous y sais attentif et vous en remercie. Lors des travaux préparatoires, nous nous sommes engagés à suivre de près l’évolution de ces dépenses induites par cette PCH « psy » ainsi que celle des modalités et des montants de la couverture par la branche autonomie.
Enfin, depuis l’année dernière, la mise en place d’un comité des financeurs avec Départements de France a créé une instance de dialogue régulière entre le Gouvernement et les conseils départementaux sur les sujets de compensation des politiques d’autonomie. Cela assure un suivi partagé et objectivé des évolutions de dépenses.
Monsieur le sénateur, soyez assuré que le Gouvernement est particulièrement attentif aux enjeux de ces dépenses de solidarité et de compensation du handicap dans les territoires.
Madame la ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse, mais les départements ne peuvent plus assumer financièrement le transfert des compétences qui leur est imposé. D’ores et déjà, la plupart d’entre eux consacrent plus de 50 % de leurs ressources budgétaires à des dépenses liées à l’aide sociale.
La parole est à M. Daniel Chasseing, auteur de la question n° 681, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mon intervention portera sur deux sujets.
Le premier sujet concerne la crise de la noix, qui dure maintenant depuis l’automne dernier. Les cours, quand ils existent, sont compris entre 0, 40 et 0, 80 euro le kilogramme ; ils sont très loin de couvrir les 2, 5 euros de coût de production et de rémunérer les producteurs.
Le retrait de la production en stock, s’il se met en place avec les programmes opérationnels, ne concernera que les agriculteurs en organisation de producteurs ou en coopérative. Les autres seront exclus. Il y a urgence à additionner ce dispositif de retrait avec des mesures de fond d’allègement de charges. Ce type de demande est régulièrement mis en place pour les productions en crise. Le verger de noix est tout de même le deuxième verger de France.
Une fois ces mesures prises, il faut faire appliquer la préférence communautaire et imposer les clauses miroirs pour l’importation de produits qui ne respectent pas nos normes sociales, sanitaires et environnementales. De plus, une campagne de communication sur les bienfaits diététiques de la noix doit s’opérer. Si la consommation passait de 200 à 400 grammes par an et par Français, la crise serait en partie résolue.
Le second sujet concerne l’élevage bovin. Les recommandations de la Cour des comptes ont pour objet de diminuer le cheptel de bovins viande de 30 % en 2050 et celui de bovins laitier de 25 % pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui nous obligera à importer davantage de viande, de qualité moindre et produite selon des normes moins scrupuleuses – nous importons déjà 50 % de notre consommation de volailles.
En suivant cette voie, nous ne serions plus souverains au sujet de notre alimentation en viande ; l’élevage et la ruralité seraient pénalisés alors que nos éleveurs et nos agriculteurs sont exemplaires et doivent être défendus. Les recommandations de la Cour des comptes sont irresponsables dans la situation que vit notre agriculture. Cela est vécu comme une véritable blessure par nos éleveurs. Ne réservons pas à l’agriculture le traitement infligé à l’industrie…
Madame la ministre, soutiendrez-vous nos nuciculteurs et nos éleveurs ?
Mon cher collègue, je ne peux pas accepter de tels dépassements de temps de parole.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les difficultés de la filière nucicole. Le travail engagé par Marc Fesneau sur ce sujet se décline selon plusieurs axes.
Premièrement, il faut répondre à l’urgence avec l’aide au retrait, possible dans le cadre de programmes opérationnels. Ce dispositif a été activé par FranceAgriMer et les organisations professionnelles peuvent se saisir de cet outil de gestion de crise pour faire du retrait et réguler le marché domestique.
Deuxièmement, il faut mettre en valeur le produit. Cela doit se faire par une communication à l’intérieur de nos frontières, y compris avec la restauration collective ou la grande distribution, pour faire en sorte de déstocker. Cela passe aussi par un travail sur l’export, comme vous l’avez mentionné.
Troisièmement, il faut aussi faire évoluer la production et lui offrir de nouveaux marchés : c’est toute l’ambition du plan de souveraineté Fruits et Légumes que nous avons lancé pour répondre aux enjeux de compétitivité et de planification écologique.
Quatrièmement, il faut soutenir la structuration de la filière et définir les conditions nécessaires à son redressement. C’est le travail qui sera mené par le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) en lien avec la filière et à la demande de Marc Fesneau, avec des propositions d’actions avant le commencement de la récolte 2023.
Sur la question de l’élevage et du rapport de la Cour des comptes, Marc Fesneau a, devant le Sénat, réaffirmé avec force son soutien à nos éleveurs. La Première ministre a également eu l’occasion de le faire au nom du Gouvernement devant l’Assemblée nationale la semaine dernière. Oui, nous sommes fiers de nos éleveurs ; oui, nous avons besoin d’élevage pour notre souveraineté alimentaire, mais aussi pour toutes ses externalités positives. C’est non pas contre, mais bien avec nos éleveurs que nous mènerons les transitions.
La parole est à M. Cédric Perrin, auteur de la question n° 626, transmise à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques.
La sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot affecte 5 000 à 7 000 patients en France. Aujourd’hui même, trois nouveaux cas ont été déclarés, ce qui fait que la maladie est de moins en moins rare.
Si la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a représenté un véritable tournant, l’égalité n’est pas encore au rendez-vous, comme en témoigne l’exemple qui suit.
Les différents dispositifs de congé spécial de la fonction publique territoriale, en particulier ceux dont peut bénéficier la personne fonctionnaire atteinte de la maladie de Charcot, peuvent en effet susciter des interrogations. En vertu de l’article L. 822-12 du code général de la fonction publique, un fonctionnaire peut être placé en congé de longue durée s’il est atteint par l’une des maladies suivantes : cancer, déficit immunitaire, maladie mentale, tuberculose et poliomyélite. Cela exclut de facto la personne touchée par la maladie de Charcot.
Le congé de longue durée permet au fonctionnaire de conserver pendant trois ans l’intégralité de son salaire et la moitié de celui-ci les deux années suivantes. En revanche, la personne fonctionnaire atteinte par la maladie de Charcot ne peut prétendre qu’au congé de longue maladie. Elle perçoit alors l’intégralité de son traitement pendant un an seulement et la moitié les deux années suivantes.
Ce congé est moins avantageux d’u point de vue financier alors même que les perspectives d’évolution de cette maladie sont similaires à celles des pathologies listées précédemment. Cette maladie dégénérative ne permettra nullement une reprise, même ponctuelle, de l’activité professionnelle.
Madame la ministre, quelles sont selon vous les raisons qui pourraient justifier une telle différence de traitement ? J’imagine facilement que vous n’en trouverez aucune, d’où ma seconde question : envisagez-vous d’aménager le droit en vigueur ou de réviser par voie réglementaire la liste des maladies de l’article du code général de la fonction publique que j’ai cité ?
Le fonctionnaire atteint d’une sclérose latérale amyotrophique, communément appelée maladie de Charcot, ne peut bénéficier du congé de longue durée prévu aux articles L. 822-12 et suivants du code général de la fonction publique. Il peut néanmoins prétendre à l’octroi d’un congé de longue maladie de trois ans maximum, dont un an à plein traitement et deux ans à demi-traitement, en cas d’affection grave nécessitant un traitement et des soins prolongés.
Contrairement au congé de longue durée, qui ne peut être octroyé qu’une seule fois par affection, le congé de longue maladie est par ailleurs renouvelable si le fonctionnaire a repris l’exercice de ses fonctions pendant un an.
En outre, si, pendant la période de référence de quatre ans précédant la date à laquelle ses droits à rémunération sont appréciés, le fonctionnaire territorial n’a pas bénéficié de plus d’un an de congé de longue maladie, il continue à percevoir un plein traitement.
En cas de congé de longue maladie fractionné, ce droit est rouvert intégralement quatre ans après l’octroi de la première période de congé de longue maladie.
Dans le cadre du plan d’accompagnement des maladies chroniques qu’il a lancé le 1er juin dernier, le ministre Stanislas Guerini a fait de l’amélioration de la protection des agents publics malades sa priorité. Des évolutions relatives aux arrêts maladie longs seront présentées dans le cadre des négociations sur la prévoyance dans la fonction publique, qui doivent aboutir d’ici à mi-juillet.
La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la question n° 631, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, précise que « tout élu local peut consulter un référent déontologue chargé de lui apporter tout conseil utile au respect des principes déontologiques » consacrés dans la charte de l’élu local.
Si, en apparence, l’idée peut paraître adaptée aux besoins d’accompagnement des élus locaux, notamment ruraux, les conditions d’application le sont beaucoup moins. En effet, le décret d’application du 6 décembre 2022 ne fixe pas les conditions de diplôme, de qualification ou de certification que doit remplir ce référent déontologue.
En outre, l’absence de profil type identifié ne permet pas de garantir que ce dernier dispose de compétences juridiques certaines. Or la nomination d’un tel référent est prévue dans chaque collectivité territoriale, quelle que soit la taille de cette dernière. Pourtant, il devra bien accompagner et prémunir les élus contre les risques juridiques, en particulier les risques de poursuites pénales, liés, par exemple, aux situations de conflits d’intérêts dans lesquelles ils peuvent se trouver.
Si je résume, le premier venu peut donc candidater pour donner des conseils juridiques à des élus locaux contre une indemnité quant à elle plafonnée à 80 euros, quels que soient la mission effectuée et le temps de travail s’y rapportant.
Madame la secrétaire d’État, les rédacteurs de ce décret manquent de bon sens. Dans les territoires ruraux, dans lesquels les profils attendus peuvent manquer et où les consultations risquent d’être peu nombreuses, les conditions actuelles de désignation d’un référent déontologue semblent irréalistes, voire inopérantes.
Que compte donc faire le Gouvernement pour clarifier et simplifier ce dispositif – il pourrait permettre, par exemple, madame la secrétaire d’État, la nomination d’un seul référent à l’échelle départementale –, d’autant que le délai limite pour la désignation de ces référents déontologues a expiré le 1er juin ?
La mise en place d’un référent déontologue de l’élu local, issue de l’adoption d’un amendement parlementaire lors de la discussion de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale a fait l’objet d’une large concertation avec les associations d’élus.
Le décret en Conseil d’État du 6 décembre 2022 en est la traduction avec la double préoccupation, d’une part, de garantir l’impartialité de ce référent qui doit conseiller utilement l’élu local sur le respect des principes déontologiques consacrés dans la charte de l’élu local, d’autre part, de laisser une grande souplesse aux collectivités territoriales pour la mise en place du référent. En outre, le décret précité n’est entré en vigueur que le 1er juin 2023, soit près d’un an et demi après la loi du 21 février 2022.
Le Gouvernement n’a pas prévu de revenir sur cette mesure importante pour accompagner les élus dans leur mandat. Il s’agit toutefois d’un dispositif souple : le décret tend à ce que l’organe délibérant de chaque collectivité territoriale, groupement de collectivités territoriales ou syndicat mixte désigne le référent déontologue de l’élu local tout en permettant la désignation d’un même référent par plusieurs collectivités, groupements de collectivités ou syndicats mixtes, par délibérations concordantes.
Un guide, qui fait l’objet d’échanges avec les associations d’élus, sera prochainement diffusé par la ministre chargée des collectivités territoriales et de la ruralité pour appuyer les collectivités dans la mise en œuvre de ce dispositif.
En tant que président de l’association des maires du département des Hautes-Alpes, je peux attester de la difficulté que nous avons à organiser la mise en place de ce déontologue. Il n’y a pas de solution : les 80 euros de rémunération ne sont pas attractifs pour l’éventuel impétrant. Je pense donc qu’il faudrait un délégué par département. J’attends avec beaucoup d’impatience la circulaire dont vous venez de me parler.
La parole est à Mme Nadia Sollogoub, auteur de la question n° 376, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Madame la secrétaire d’État, j’appelle votre attention sur l’insuffisance des crédits consacrés aux travaux sur les ouvrages d’art dans les communes et les autres collectivités territoriales.
En 2019, une mission d’information sénatoriale à laquelle j’ai participé a alerté sur l’urgence qu’il y avait à décréter un véritable plan Marshall pour les ponts. En juin 2022, un nouveau rapport sénatorial d’information concluait à l’insuffisance des dispositifs en cours. Le plan de relance a permis de lancer un programme national Ponts mis en œuvre par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) afin, dans un premier temps, de les recenser et de financer les prédiagnostics.
Il faut désormais passer à la phase suivante. Conscients de l’urgence et de l’enjeu, les sénateurs ne cessent d’essayer, lors des projets de loi de finances, de prévoir des crédits affectés aux travaux dans des proportions qui ne soient pas ridicules… En général, ces tentatives sont peu suivies d’effet.
Concrètement, à l’heure actuelle, il y a en France, presque dans chaque commune, y compris les plus petites, des ponts qui ont besoin urgemment de travaux, parfois lourds. Face à cette urgence, les maires bénéficient dans le meilleur des cas de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) à hauteur de 30 % du coût. Ils n’ont pas la possibilité de trouver des cofinancements et sont rarement en situation de financer les 70 % restant à leur charge.
Madame la secrétaire d’État, face à cette situation, que compte faire le Gouvernement ?
Madame la sénatrice Sollogoub, vous avez interrogé M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Ne pouvant être présent, il m’a chargée de vous répondre ce matin.
Je vous confirme que le Gouvernement est attentif au besoin d’accompagnement des petites communes qui avait en effet été exprimé dans le rapport d’information Sécurité des ponts : éviter un drame issu de la mission d’information présidée par le sénateur Maurey en 2019, puis dans un nouveau rapport d’information au titre du « droit de suite » du sénateur Belin en 2022.
Pour répondre à ce besoin d’accompagnement, le Gouvernement a proposé aux petites communes de bénéficier gratuitement d’un recensement de leurs ouvrages et d’un premier diagnostic de ceux présentant des désordres : il s’agit du programme national Ponts. Ce dispositif, mis en place dans le cadre du plan de relance et doté de 40 millions d’euros, est piloté par le Cerema. Plus de 11 000 communes ont demandé à en bénéficier. Le programme est désormais proche de son terme et plus de 45 000 ouvrages ont été ainsi recensés.
Fort de ce succès, le Gouvernement a décidé en avril dernier l’extension du programme à 4 000 nouvelles communes en mobilisant une enveloppe supplémentaire de 10 millions d’euros. Cette enveloppe permettra également d’offrir une nouvelle occasion aux communes éligibles au premier programme qui n’ont pas candidaté et qui souhaiteraient finalement le faire. Par ailleurs, une aide au financement des travaux sera également proposée aux communes éligibles au programme national Ponts. Le dispositif sera présenté à l’été 2023.
Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement a été particulièrement attentif aux alertes du Sénat et se tient résolument aux côtés des collectivités.
Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, et j’attendrai avec impatience l’été 2023 parce que, à ce jour, nous n’avons vraiment aucune visibilité ; pourtant, celle-ci est essentielle. Les arbitrages sur l’enveloppe des travaux de ce second plan ne sont pas rendus, à notre connaissance, ou en tout cas ne sont pas clairs : nous n’avons pas de réponses. Je voudrais être certaine que le Cerema aura vraiment une feuille de route qui permettra de travailler efficacement.
Pour élargir un peu le débat, outre les moyens financiers, de quels moyens humains disposerons-nous ? En effet, je signale au passage que la France forme à l’heure actuelle 30 000 ingénieurs alors qu’il en faudrait 40 000 et que le pic de dégradation des ouvrages d’art est devant nous. Il faut impérativement des choix stratégiques forts face à ce qui est, en fait, une catastrophe annoncée.
La parole est à Mme Patricia Demas, auteure de la question n° 689, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Ma question intéresse la préservation de la forêt méditerranéenne. Dans sa stratégie nationale de 2019 consacrée au label Bas-carbone, le Gouvernement a misé sur le rôle de puits de carbone, vital, de la forêt française pour atteindre l’objectif très ambitieux de la neutralité carbone en 2050.
Si l’on ne peut que louer l’intention nourrie au travers de ce dispositif national, on comprend néanmoins difficilement que la forêt méditerranéenne en soit écartée. La région Sud est la deuxième région de France en matière de surface boisée ; plus de 60 % du territoire des Alpes-Maritimes sont recouverts de forêt.
Or ses spécificités ne sont pas reconnues. La croissance plus lente de ses arbres n’est malheureusement pas prise en compte dans le dispositif national et les pénalités infligées en matière de risque incendie l’excluent de projets d’entretien ou de reconstitution.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) indique par ailleurs un accroissement des températures et des périodes de sécheresse plus fort pour la région méditerranéenne que dans le reste du territoire national, provoquant un dépérissement des peuplements forestiers qui a des conséquences sur la quasi-totalité des espèces. Les enjeux sont forts.
Madame la secrétaire d’État, il faudrait assouplir les critères d’éligibilité pour que la forêt méditerranéenne soit pleinement admissible au label Bas-carbone, d’autant que, localement, la demande des acteurs économiques y est forte. Les Alpes-Maritimes sont prêtes à innover dans la méthode et à devenir un territoire pilote, entre autres avec la sylviculture du pin d’Alep.
Dans ce contexte, je me permets d’insister sur la nécessité d’autoriser l’inclusion de la forêt méditerranéenne dans le dispositif label Bas-carbone au titre de la reconnaissance de sa spécificité naturelle et aussi parce qu’il y va de son avenir.
Madame la sénatrice, vous avez interrogé M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Ne pouvant être présent ce matin, il m’a chargée de vous répondre.
Le fonds vert, annoncé en août 2022 par la Première ministre, a pour ambition d’accompagner les collectivités dans leurs projets en lien avec la transition écologique des territoires. Il est doté de 2 milliards d’euros et répond à un triple objectif : renforcer la performance environnementale, adapter les territoires au changement climatique et améliorer le cadre de vie.
Le déploiement du fonds vert repose sur une répartition des crédits entre régions afin de répondre aux enjeux spécifiques des territoires. La Guyane a en effet reçu une enveloppe de 9 millions d’euros qui permettra de mettre en œuvre divers projets au service de la transition écologique.
Comme dans la plupart des autres régions, l’aide demandée au titre du fonds vert excède l’enveloppe déléguée. Ce constat reflète la forte demande des collectivités et leur volonté de participer à l’effort collectif qu’exige la transition écologique : 12 200 dossiers ont été déposés, et 4, 1 milliards d’euros ont été demandés pour un total de 17, 5 milliards d’euros d’investissement local. Le fonds vert joue donc bien son rôle d’accélérateur de la transition écologique dans les territoires, et je salue votre intérêt pour le dispositif.
Si la demande globale de financement, au niveau national, se situe à hauteur de 24 % du montant total des projets, les territoires ultramarins observent les taux de financement les plus élevés.
Sur l’ensemble des 270 dossiers déposés dans les départements ou régions français d’outre-mer (Drom) et les collectivités d’outre-mer (COM), 40 concernent la Guyane. À ce stade du déploiement, 7 dossiers ont été acceptés en Guyane sur la plateforme démarches-simplifiées, pour un total de 2 millions d’euros de subventions attribuées.
L’exercice 2023 a constitué la première année du déploiement du fonds vert, et l’intégralité des crédits devrait être engagée d’ici à la fin de l’année, pour soutenir un grand nombre de projets, en métropole et dans les territoires ultramarins.
Madame la secrétaire d’État, ma question concernait la forêt méditerranéenne, qui ne peut être éligible au label Bas-carbone, la croissance de ses arbres étant plus lente que celle qui est exigée pour tenir l’échéance de 2050.
Dans la mesure où l’échéance réelle est 2070, la forêt méditerranéenne n’est pas admissible à ce dispositif, qui pourrait permettre la mise en place d’expérimentations.
La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, auteur de la question n° 708, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Madame la secrétaire d’État, je souhaite vous alerter sur les difficultés induites par la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE), instaurées par la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, qui a ensuite été étendue à l’ensemble des agglomérations de plus de 150 000 habitants par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Sa mise en œuvre à l’horizon de 2025 pose des difficultés, notamment pour les entreprises du bâtiment et des travaux publics, les artisans et les entrepreneurs du secteur. Ces derniers sont tout à fait prêts à s’engager dans une démarche plus vertueuse, mais des freins restent à lever.
En effet, à ce jour, le secteur des travaux publics se heurte en particulier à trois freins principaux : l’offre, le temps et le coût. L’offre de véhicules est en cours de structuration, tandis que les différentes infrastructures de recharge sont naissantes et ne permettent pas, à ce jour, à ces entreprises de répondre au calendrier de la ZFE.
Il convient également de prendre en compte l’aspect financier, car ces entreprises sont touchées de plein fouet par l’inflation, et ce après trois années post-covid difficiles.
Cette nouvelle obligation imposée par la loi fait peser sur cette profession des contraintes budgétaires élevées. Je vous l’assure, madame la secrétaire d’État, toute la filière est pleinement mobilisée autour des enjeux de la mobilité, mais il est aujourd’hui nécessaire d’adapter les contraintes et le calendrier aux réalités économiques de ces entreprises et à leur capacité d’investissement.
Aussi, je souhaite connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre pour aider ces entreprises des travaux publics, soucieuses de s’inscrire dans cette démarche écologique visant à protéger les populations de la pollution.
MM. Philippe Tabarot et Cédric Perrin applaudissent.
MM. Cédric Perrin et Philippe Tabarot applaudissent.
Avant toute chose, madame la sénatrice Patricia Demas, je tiens à m’excuser de ne pas avoir apporté la bonne réponse à la question que vous avez posée. Je tenais à l’indiquer publiquement et m’engage à vous faire parvenir la bonne réponse dès que possible.
Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, vous avez interrogé M. Christophe Béchu, qui, ne pouvant malheureusement être présent aujourd’hui, m’a chargée de vous répondre.
Les zones à faibles émissions mobilité sont un outil aux mains des collectivités pour améliorer la qualité de l’air. La mise en place des ZFE répond à une nécessité de santé publique, car plus de 40 000 décès sont imputables chaque année à la pollution atmosphérique d’après Santé publique France. Le coût annuel pour la société française de la pollution de l’air est estimé à 100 milliards d’euros.
Je tiens à préciser que, parmi les territoires devant mettre en place une ZFE, seules les agglomérations qui dépassent de façon régulière les valeurs limites en matière de qualité de l’air sont tenues de respecter un calendrier de restrictions à la circulation de certains véhicules, en fonction de leur vignette Crit’Air. Ces restrictions concernent les voitures de particuliers, et ne s’appliquent pas aux poids lourds ou aux véhicules utilitaires légers.
Les autres agglomérations décident, en fonction du contexte local, de la temporalité des restrictions imposées, des catégories de véhicules visées et des éventuelles dérogations.
Christophe Béchu a souhaité renforcer les échanges avec les collectivités pour réunir des conditions favorables au déploiement des ZFE, notamment par le biais de la mise en place d’un comité ministériel de suivi des ZFE en octobre 2022 et la mise en œuvre d’un comité de concertation sur les ZFE. Ce dernier, piloté depuis janvier 2023 par Jean-Luc Moudenc et Anne-Marie Jean, doit établir des propositions très opérationnelles pour harmoniser les caractéristiques des ZFE, assurer leur acceptabilité sociale et accompagner les usagers.
Le dispositif des ZFE doit par ailleurs s’accompagner d’un verdissement du parc, et des aides de l’État existent pour accompagner les professionnels dans cette transition.
L’État a ainsi ouvert en mars 2022 un appel à projet…
La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ, auteur de la question n° 721, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Madame la secrétaire d’État, il me semble nécessaire de recueillir aujourd’hui votre position sur la problématique des reprises de friches industrielles dans les territoires, notamment dans les communes rurales, confrontées aux objectifs croisés du zéro artificialisation nette (ZAN), de revitalisation urbaine et de territorialisation et de la nécessaire approche pragmatique avec laquelle ce sujet doit être abordé.
Je me permettrai de rappeler que l’incitation à la reprise d’une friche existante, introduite par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan, et tendant naturellement vers le ZAN, doit pouvoir concourir à la revitalisation du tissu économique et commercial existant, de même qu’aux nouvelles potentialités d’habitat.
La mise en place d’un fonds par le Gouvernement dans le cadre du plan de relance, pour financer des opérations de recyclage des friches et la transformation de foncier déjà artificialisé, témoigne d’ailleurs de l’importance accordée au sujet par le Gouvernement.
Or la complexité du réinvestissement des friches contraint régulièrement les territoires à abandonner certains projets de réhabilitation pourtant validés par un architecte urbaniste et le conseil municipal, comme c’est le cas dans la Sarthe, les moyens d’organisation de ce projet – desserte, flux de circulation généré – nécessitant un ajustement de son périmètre.
Il serait donc judicieux d’acter, au-delà des caractéristiques de la friche en elle-même, la prise en compte des spécificités des territoires et de la nature même du projet pour poser les enjeux de développement du territoire et ainsi définir la vocation du site dans cette trajectoire.
À cette fin, je souhaiterais connaître votre position concernant une éventuelle approche en souplesse des caractéristiques propres à la friche, et particulièrement de son périmètre, ainsi que les mesures pouvant être mises en place, notamment au niveau des documents de planification, permettant d’allier intelligemment l’objectif du ZAN, du développement et de la revitalisation des territoires.
Monsieur le sénateur, la reconquête des friches constitue un enjeu majeur d’aménagement durable des territoires pour répondre aux objectifs croisés de maîtrise de l’étalement urbain, de revitalisation urbaine et de limitation de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers.
Le préfet Rollon Mouchel-Blaisot a été chargé par le Gouvernement d’une mission interministérielle de mobilisation pour le foncier industriel.
Une définition de la friche a été introduite par la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience. Les modalités d’application de cette définition seront définies par décret.
Conscients de la complexité opérationnelle d’un projet de reconversion d’une friche, l’État et ses opérateurs ont développé des outils pour accompagner les porteurs de projets et les collectivités territoriales, tels que l’outil UrbanVitaliz, qui vise à mieux connaître le site de friche urbaine identifié, les acteurs et les outils pour lancer les premières études et aider dans la recherche de financements.
Le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement) développe également une base de données des friches nommée Cartofriches. L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a développé l’outil Bénéfriches, pour mesurer les retombées économiques, sociales et environnementales de la réhabilitation de friches.
La loi Climat et résilience a introduit un bonus de constructibilité de 30 %, pour faciliter l’équilibre économique de l’opération, avec une plus grande densité des projets réalisés dans les friches.
Enfin, l’État alloue des subventions en faveur du recyclage des friches : 750 millions d’euros pour la période 2021-2022 dans le cadre du fonds Friches, au bénéfice de 1 382 projets lauréats. Ce fonds a été pérennisé en 2023 grâce au fonds vert, doté de 2 milliards d’euros, qui suscite un fort intérêt, avec plus d’un millier de projets de recyclage des friches en cours d’instruction.
La parole est à M. Frédéric Marchand, auteur de la question n° 714, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Madame la secrétaire d’État, avec 4 345 habitants recensés en 2018, Avesnes-sur-Helpe est la sous-préfecture la moins peuplée du Nord. L’évolution démographique depuis 1968 montre une baisse constante atteignant une perte d’habitants de 30 %.
La commune connaît une réelle problématique de baisse de sa population, en partie liée à sa problématique de logement. En effet, depuis 2014, elle est sortie du dispositif de la politique de la ville et des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS).
Un programme d’action à destination des publics spécifiques dans les quartiers prioritaires permettait de niveler les différences sociales sur des champs thématiques divers, tels que l’éducation, la culture, la prévention de la délinquance, la santé, et bien d’autres domaines.
Cependant, aucun programme de rénovation de l’habitat du type opération programmée d’amélioration de l’habitat (Opah) n’a été activé par la municipalité en charge du dossier à l’époque, ce qui est aujourd’hui fort préjudiciable à la qualité et à la diversité des logements sur cette commune. Il est d’ailleurs à relever une très forte prédominance du parc privé, issu majoritairement de maisons individuelles divisées en appartements, ce qui explique une vacance préoccupante.
Par ailleurs, la commune doit également faire face à un taux très élevé de bénéficiaires de l’aide personnalisée au logement (APL) supérieur de 16 points au ratio départemental.
Le parc social, majoritairement antérieur à 1970, est vieillissant. Il est de surcroît mal adapté aux typologies familiales actuelles, avec la prédominance de familles monoparentales et de familles moins nombreuses.
Depuis 2020, le nouveau maire et son équipe ont engagé des politiques volontaristes, en s’appuyant notamment sur le pacte pour la réussite de la Sambre-Avesnois-Thiérache.
Les résultats de ce dynamisme sont au rendez-vous, puisque la ville d’Avesnes-sur-Helpe est lauréate du programme Petites villes de demain et signataire, en novembre 2022, d’une opération de requalification territoriale.
Le projet de la commune repose sur la mise en valeur et la restauration du patrimoine architectural, le développement du tourisme, le soutien au commerce local de proximité et l’instauration d’un programme d’intervention sur l’habitat, pour placer la ville au centre de la dynamique territoriale.
Autour d’axes forts, la ville œuvre à un projet global environnemental, patrimonial, éducatif, culturel et social.
Cet outil puissant doit être un levier, avec le concours d’une opération de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, pour redimensionner les quartiers de la commune en situation de fragilité sociale.
Permettre le renouvellement urbain d’Avesnes-sur-Helpe, c’est participer à la poursuite de son développement, en réinscrivant la commune…
… dans la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Madame la secrétaire d’État, une suite favorable est-elle envisageable ?
Mon cher collègue, nous disposons d’un temps contraint. Une telle attitude est inadmissible !
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Monsieur le sénateur Frédéric Marchand, le zonage des quartiers prioritaires de la politique de la ville a été défini par la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.
L’article 5 de cette loi prévoit que les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont situés en territoire urbain et sont caractérisés par un nombre minimal d’habitants et un écart de développement économique et social apprécié par le critère de revenu par habitant.
Le décret n° 2014-767 du 3 juillet 2014 a précisé la méthodologie de définition des quartiers pour la France métropolitaine. Conformément au 1° de l’article 2-1 du décret, « les territoires urbains sont les unités urbaines définies par l’Insee ayant une population d’au moins 10 000 habitants ». Selon la base des unités urbaines 2020 de l’Insee, la commune d’Avesnes-sur-Helpe appartient à une unité urbaine de moins de 10 000 habitants.
Des concertations locales se tiennent actuellement sous l’égide des préfets pour déterminer les contours des nouveaux quartiers prioritaires, en respectant les critères actualisés de pauvreté et de population.
Le Gouvernement souhaite toutefois redonner la capacité aux acteurs locaux d’intervenir dans certains quartiers qui ne répondraient pas aux conditions fixées par la loi, par exemple des poches de pauvreté ou des quartiers qui décrochent brutalement, pour adapter la réponse publique à la réalité locale.
La réforme en cours de la politique de la ville sera ainsi l’occasion de donner une nouvelle ambition à cette politique, nourrie de la participation des habitants des quartiers et des dynamiques positives enclenchées.
Je sais que vous devez, demain, rencontrer M. le ministre avec la maire d’Avesnes-sur-Helpe. Il sera sensible à ce que vous pourrez lui dire sur la dynamique environnementale et sociale de ces territoires.
La parole est à M. Patrice Joly, auteur de la question n° 731, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Madame la secrétaire d’État, aujourd’hui, les élus issus des territoires ruraux sont inquiets d’une mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN), qui s’affranchirait des enjeux essentiels à l’équilibre et à la vie de nos territoires, que sont la rénovation et la revitalisation de nos villages et de nos bourgs.
Les élus sont tous conscients qu’il est essentiel de concilier l’atteinte des objectifs de sobriété foncière avec celui du développement des territoires ruraux, afin de répondre aux défis environnementaux et sociétaux d’aujourd’hui et de demain.
Mais ce qu’ils ne veulent pas, c’est être de simples exécutants de l’application rigoureuse des textes. Ils veulent être en mesure de coconstruire leur développement, d’œuvrer à l’aménagement de leur territoire et d’être en mesure d’opérer des choix stratégiques, en concertation avec les autres territoires, qui impacteront le quotidien de leurs concitoyens.
C’est pourquoi, en résonance avec les associations représentatives des territoires, et en particulier avec l’Association des maires ruraux de France (AMRF), il me paraît indispensable de permettre la mise en œuvre d’une politique forte en faveur de la réhabilitation du bâti vacant dans les communes rurales, intégrant des moyens financiers, un accompagnement en ingénierie, des outils juridiques facilitant le changement de destination du bâti, notamment agricole, l’inscription dans la loi d’un « droit au projet » autorisant le portage de projets d’intérêt communal ou multicommunal.
Il s’agit de permettre plus à ceux qui ont artificialisé moins, c’est-à-dire d’assurer une garantie rurale. Il convient enfin d’intégrer une juste prise en compte des projets d’envergure nationale n’impactant pas les territoires qui n’en auront aucune retombée.
Aussi, j’espère que le Gouvernement tiendra sa promesse de poursuivre la discussion sur la base du texte adopté par le Sénat et qu’il sera à l’écoute de tous nos élus locaux, acteurs des territoires, lors de l’examen à l’Assemblée nationale les 21 et 22 juin prochain de la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs du « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires.
Monsieur le sénateur Joly, chaque année, 21 000 hectares d’espaces agricoles, naturels et forestiers sont consommés en moyenne en France. Les conséquences sont écologiques, avec un impact direct sur l’érosion de la biodiversité et le stockage de carbone, mais aussi socioéconomiques.
La France s’est donc fixé l’objectif d’atteindre le « zéro artificialisation nette des sols » en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pour la période 2021-2031.
La question du zéro artificialisation nette et de sa mise en œuvre a été au cœur des préoccupations de Christophe Béchu depuis son arrivée au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. La Première ministre s’est également engagée sur le sujet dès novembre 2022, en annonçant, lors du congrès de l’Association des maires de France, la mise en œuvre d’une garantie rurale et la prise en compte spécifique des grands projets d’intérêt national.
La proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, déposée par les sénateurs Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc, a été adoptée le 16 mars 2023 par la Haute Assemblée. Nous tenons ici à saluer l’engagement du Sénat pour faire évoluer les dispositions relatives au ZAN, afin de permettre davantage de souplesse dans sa mise en œuvre au niveau des territoires.
La proposition de loi sénatoriale demeure, pour le Gouvernement, le véhicule privilégié pour faire évoluer le dispositif du ZAN. Nous avons ainsi engagé, le 7 mars 2023, la procédure accélérée pour l’examen du texte, et ce dernier est inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale les 21 et 22 juin prochain.
L’objectif du Gouvernement est de parvenir, par la concertation avec les associations d’élus locaux et le dialogue avec les deux chambres du Parlement, à l’adoption d’un texte consensuel, conforme aux grandes orientations résumées dans le discours de la Première ministre. Les questions que vous soulevez sont au cœur des débats qui animeront le Parlement ces prochaines semaines.
La parole est à Mme Angèle Préville, auteure de la question n° 703, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
Madame la secrétaire d’État, face à l’urgence écologique et à l’impératif de baisse des émissions de gaz à effet de serre dans les transports, le ferroviaire est la solution incontournable.
Les deux lignes Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt) et Paris-Clermont-Ferrand desservent près du quart du territoire national, cinq régions et dix millions d’habitants. Ce sont des axes reconnus comme structurants par l’État. L’objectif est bien d’augmenter le nombre de voyageurs, même de le doubler, selon la SNCF, et de garantir un service plus équitable aux usagers des territoires desservis.
Pour rappel, un Paris-Marseille dure trois heures, un Paris-Bordeaux, deux heures, alors qu’un Paris-Cahors dure jusqu’à six heures, ce qui situe Cahors, en quelque sorte, bien au-delà de la frontière espagnole.
Le schéma directeur de régénération et de modernisation en cours, pourtant très attendu au vu de l’état du service actuel, ne sera pas à la hauteur de ce qu’était le Capitole, fleuron du rail français au début des années 1960, qui effectuait un Paris-Toulouse en six heures. Une mesure juste serait de prévoir un investissement complémentaire important, permettant notamment d’accroître l’ambition du schéma directeur, soit quatorze allers-retours au lieu de onze et un gain de temps de 35 minutes sur le Paris-Toulouse.
Pour autant, nous tenons absolument au programme minimum du schéma directeur pour 2025, à réaliser sans faute.
La Première ministre a déclaré non seulement que « moderniser se traduira par davantage de trains, une meilleure ponctualité et des temps de parcours moins longs », mais aussi que « notre stratégie doit bénéficier à tous les Français, où qu’ils vivent, des petites communes jusqu’aux grandes métropoles ». Autrement dit, nous correspondons exactement au cœur de cible du plan d’avenir. Nous avons en effet besoin d’un avenir ferroviaire, en tant que véritables oubliés du rail.
Les habitants des territoires desservis par la ligne Polt doivent être une des priorités du plan annoncé par la Première ministre. Cette ligne doit être soutenue de manière significative dès 2023. C’est pourquoi, madame la secrétaire d’État, je vous demande de préciser quelle sera, sur les 100 milliards d’euros du plan, la part attribuée à la ligne Polt…
Mes chers collègues, nous avons quarante et une questions à aborder avant treize heures. Je ne peux donc pas octroyer des temps de parole supplémentaires !
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Madame la sénatrice Préville, je vous confirme l’attention particulière que le Gouvernement porte à la ligne ferroviaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, qui constitue un axe nord-sud stratégique pour notre pays.
Cette ligne bénéficiera d’investissements significatifs de la part de l’État : arrivée d’un nouveau matériel roulant, dont le financement s’élève à 450 millions d’euros, et programme de modernisation visant à améliorer les performances de la ligne d’ici à 2026, avec un investissement de l’État à hauteur de 257 millions d’euros.
Par ailleurs, des travaux de régénération entièrement financés par SNCF Réseau sont réalisés jusqu’en 2025, afin de remettre à niveau l’infrastructure, pour un montant total de 1, 6 milliard d’euros. Ces travaux avancent conformément à la trajectoire prévue.
Lors de la remise du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, la Première ministre a indiqué s’appuyer sur le scénario « planification écologique », dans le cadre des arbitrages à venir relatifs au plan d’investissement dans les infrastructures de transports.
Naturellement, l’ensemble de ces investissements, actés dans le schéma directeur de la ligne Polt, sont intégrés dans la trajectoire ambitieuse d’investissements annoncée par la Première ministre.
Afin d’assurer un suivi plus régulier associant les parties prenantes, le ministre délégué chargé des transports a demandé à la SNCF la mise en place d’un groupe de travail technique se réunissant à fréquence trimestrielle et se concentrant sur les améliorations de la qualité de service.
Je vous confirme ainsi l’engagement du Gouvernement pour l’amélioration de la robustesse et de la qualité de service de la ligne Polt dans son ensemble, au bénéfice des habitants et des entreprises des territoires traversés par la ligne.
La parole est à M. Fabien Gay, auteur de la question n° 728, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports.
Madame la secrétaire d’État, des collectifs, des associations, des élus, des riverains se mobilisent pour alerter sur un problème de santé publique.
Il s’agit de la pollution sonore aux abords de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, dont les nuisances se répercutent sur le quotidien des habitantes et habitants des alentours.
Le bruit est la seconde menace pour la santé environnementale, après la pollution atmosphérique.
Pour les riverains de l’aéroport de Roissy, c’est la double peine. Les 500 000 vols qui ont lieu chaque année, dont une partie se fait de nuit, perturbent leur sommeil.
Derrière ce chiffre, il y a une réalité sanitaire. C’est l’accroissement considérable du risque de développer des maladies cardio-vasculaires, synonyme d’une réduction de l’espérance de vie pour les populations qui résident à proximité des aéroports.
Et il ne s’agit pas ici d’un problème dont le règlement pourrait se limiter à quelques aménagements superficiels, car c’est aussi un enjeu climatique.
À l’heure où les plus grands aéroports européens ont décidé de mettre en place des couvre-feux et des plafonnements assortis d’une baisse de trafic, dans le PPBE (plan de prévention du bruit dans l’environnement) de Roissy pour 2022-2027, ces propositions sont balayées d’un revers de main.
Pis encore, il est prévu que le trafic aérien sur site augmente de 38 %, ce qui reviendrait à ajouter l’activité d’Orly à celle de Roissy, et représenterait l’équivalent du terminal 4, un projet d’extension pourtant officiellement abandonné en 2021.
La santé des riverains n’est pas une variable d’ajustement pour l’activité économique, pas plus que l’environnement. L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) elle-même appelle à une réduction de 13 % du trafic aérien, pour que la France atteigne ses objectifs climatiques.
L’instauration d’un couvre-feu nocturne de vingt-deux heures à six heures et le plafonnement à 440 000 du nombre de vols annuels à Roissy vous ont été demandés dans un courrier signé par 300 élus franciliens, dont l’initiatrice, Eugénie Ponthier, adjointe au maire d’Épinay-sur-Seine, est présente dans les tribunes.
Allez-vous enfin accéder à leur demande et protéger les populations face à la pollution sonore et atmosphérique ?
Monsieur le sénateur Fabien Gay, assurer un développement vertueux de l’activité aérienne suppose de pouvoir discuter sans entrave aussi bien de l’apport d’un aéroport que des nuisances qu’il engendre pour les populations locales.
Ce constat est précisément à l’origine du concept d’approche équilibrée, défini par l’Organisation de l’aviation civile internationale et traduit dans le droit européen directement applicable en France. Cette approche privilégie l’appel à trois « piliers » ou leviers d’action pour limiter les nuisances sonores aériennes. En cas de problème de bruit résiduel, le recours à des restrictions d’exploitation peut ensuite être envisagé.
Les prévisions de trafic que vous évoquez sont celles qui ont servi à l’établissement des cartes stratégiques de bruit, les CSB. Elles ne revêtent pas de caractère contraignant et ne doivent pas être lues comme des objectifs de développement de trafic. Elles ont été retenues dans un contexte particulier, celui de la crise sanitaire, peu favorable à la conduite d’une réflexion sur les perspectives de développement de l’aéroport, et pour un exercice spécifique, à savoir l’établissement des CSB et du plan d’action qui en découle, le plan de prévention du bruit dans l’environnement, le PPBE. Ce plan porte notamment sur des mesures de réduction du bruit relevant des trois premiers piliers de l’approche équilibrée, qui permet, le cas échéant, d’identifier si un problème de bruit subsiste.
De fait, le PPBE de l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle identifie un problème de bruit résiduel et prévoit le lancement d’une étude d’impact selon l’approche équilibrée. C’est dans le cadre de cet exercice que se fera l’analyse des mesures de restrictions envisagées et de leurs effets sur les nuisances sonores et l’activité économique.
La désignation, par le décret n° 2023-375 du 16 mai 2023 relatif à la lutte contre les nuisances sonores aéroportuaires, d’une nouvelle autorité compétente permet enfin de s’engager dans cette voie. Le dialogue autour du développement de l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle et des prévisions de trafic de long terme aura lieu dans ce contexte.
Madame la secrétaire d’État, je serai bref : les élus souhaitent être reçus et entendus.
La parole est à M. Didier Marie, auteur de la question n° 729, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement.
Madame la secrétaire d’État, j’aimerais appeler votre attention sur les projets de rénovation urbaine de la ville de Petit-Quevilly, qui, malgré une candidature particulièrement solide, ne fait pas partie de la liste des communes retenues dans le dispositif des « quartiers résilients ».
Cette commune est engagée dans un projet pour le quartier de la Piscine, qui fait l’objet d’une inscription au titre des quartiers d’intérêt national. La municipalité, avec l’appui de ses différents partenaires, développe un programme d’investissement de plus de 85 millions d’euros.
Pour l’heure, malgré des coûts élevés et des difficultés de financement, la commune tient le calendrier initial du projet. Elle a réaffirmé la priorité de ces investissements dans le cadre de son budget pour 2023 et de son programme pluriannuel d’investissement.
Parmi les indicateurs quantitatifs de vulnérabilité dévoilés, la ville de Petit-Quevilly, en particulier le quartier de la Piscine, est fortement concernée par plusieurs items des difficultés économiques, sociales et culturelles. Plus largement, la ville fait face à des problèmes de pollution – elle a connu l’incendie de Lubrizol – et de santé. Elle connaît un taux de pauvreté supérieur de 10 points à la moyenne nationale.
Face à ces enjeux, la municipalité est pleinement investie au travers de projets concrets. Elle s’est engagée dans une politique de transition écologique ambitieuse, avec la création à proximité du quartier de la Piscine d’une forêt urbaine ou encore le projet d’autoconsommation collective et de raccordement à la chaufferie urbaine.
Aussi, toujours dans le cadre du projet NPNRU (nouveau programme national de renouvellement urbain), la ville de Petit-Quevilly a eu à cœur d’être exemplaire et de travailler au-delà de la simple question du bâti et de l’aménagement urbain. Elle a choisi de mettre l’éducation et le sport au centre de son programme, en rénovant par exemple l’ensemble des écoles et le théâtre du quartier.
Cependant, la commune a besoin de moyens supplémentaires. Le soutien de l’État au travers du programme « quartiers résilients » lui est donc indispensable, afin qu’elle réussisse la transition du quartier.
Ainsi, madame la secrétaire d’État, je vous demande de bien vouloir m’indiquer dans quelles mesures la commune du Petit-Quevilly pourra obtenir les bénéfices de ce classement et de ces crédits.
Monsieur le sénateur Didier Marie, nous tenons tout d’abord à souligner l’engagement des élus locaux et de l’ensemble des acteurs du territoire dans la conduite de ce projet de renouvellement urbain aux enjeux importants.
La démarche « quartiers résilients » vise à s’assurer que la mise en œuvre du nouveau programme national de renouvellement urbain, intègre pleinement les enjeux de la résilience, notamment au regard du changement climatique.
Un accompagnement et des formations sont ainsi proposés à chaque porteur de projet et les partenaires des « quartiers résilients » apportent leur expertise dans ce cadre. M. le ministre souligne que l’objectif de la résilience sera mis à l’agenda de toutes les revues de projet, dont le format sera adapté, afin d’identifier les marges d’amélioration et de s’assurer que chaque opération contractualisée prenne bien en compte les enjeux de la résilience.
Par ailleurs, une cinquantaine de quartiers qui présentent les signes de vulnérabilité les plus marqués pourront bénéficier d’un accompagnement renforcé et de crédits du fonds résilience porté par l’ANRU, complétés éventuellement par des soutiens financiers d’autres acteurs, selon la nature des opérations projetées.
Dans ce cadre, une première liste de vingt-cinq quartiers a été récemment retenue, et une seconde le sera à l’automne.
Le projet de renouvellement urbain de la commune de Petit-Quevilly présente un bon niveau d’avancement. Il s’agit prioritairement de poursuivre sa mise en œuvre, afin de respecter les délais d’engagement pour les opérations du NPNRU, soit au plus tard un dépôt des demandes mi-2026, afin que les dotations octroyées soient pleinement mobilisées et produisent leur effet.
Dans cette optique, les services de l’État accompagnent actuellement la commune de Petit-Quevilly sur la dépollution des sols du quartier en vue d’une mobilisation de l’Ademe dans le cadre du fonds vert.
Madame la secrétaire d’État, je souhaite simplement que la ville de Petit-Quevilly puisse faire l’objet d’un accompagnement dans le cadre des vingt-cinq quartiers qui restent à déterminer.
La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 623, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous comprenons et partageons l’objectif tendant à mettre fin aux passoires thermiques, de toute évidence, le diagnostic de performance énergétique (DPE), dans sa nouvelle version, pose problème.
Par manque de temps, je n’insisterai pas sur le fait que les résultats des diagnostics peuvent différer d’un professionnel à l’autre, pas plus que je ne mentionnerai le coût des travaux ou les difficultés pour obtenir, dans certains cas, l’accord des copropriétés. Je me contenterai ce matin d’évoquer la question des petites surfaces.
Il n’est pas admissible, madame la secrétaire d’État, qu’à isolation égale, la classification d’un bien diffère sensiblement selon sa taille.
C’est pourtant le cas puisque les petits logements ont des surfaces dites déperditives – essentiellement les murs – importantes par rapport à la surface habitable.
Ainsi, selon l’Observatoire national de la rénovation énergétique, 63 % des petites surfaces seraient classées E, F ou G, contre 39 % pour l’ensemble du parc.
Dans certains cas, les travaux préconisés sont non seulement onéreux, mais aussi et surtout techniquement irréalisables.
Que faire quand la seule proposition d’un diagnostiqueur est la pose d’une pompe à chaleur au troisième étage d’un studio en centre-ville ? C’est tout simplement impossible pour des questions d’urbanisme, d’esthétique et de nuisances notamment sonores…
Ma question est très simple : que comptez-vous faire pour remédier à cette situation qui aggrave une crise du logement déjà problématique ? Ne faudrait-il pas donner suite à la proposition de la fédération des diagnostiqueurs, qui préconise la mise en place de coefficients de pondération ?
Monsieur le sénateur Maurey, le DPE est un outil majeur de la politique de rénovation énergétique des bâtiments, et plusieurs mesures importantes lui sont adossées visant, notamment, les passoires énergétiques : gel des loyers, interdiction de mise en location selon un calendrier progressif, obligation d’audit énergétique lors de la vente.
À partir de 2024, certaines aides à la rénovation énergétique seront de manière plus systématique associées à une mesure initiale de la performance du logement par un DPE.
La réforme du DPE de 2021 a permis de le fiabiliser. Désormais, le DPE s’appuie uniquement sur les caractéristiques physiques du logement. Il ne recourt qu’à des données d’entrée disposant de justificatifs. Cette refonte apportant plus de fiabilité méthodologique a été accompagnée dès l’été 2022 par une feuille de route ministérielle visant, notamment, à améliorer la qualité de réalisation des DPE.
Un arrêté sera publié l’été prochain pour renforcer les obligations de formation des diagnostiqueurs à partir de 2024, ainsi que les contrôles qui s’exercent sur eux.
Les recommandations de travaux incluses dans le DPE peuvent être complétées par la réalisation d’un audit énergétique, obligatoire depuis le 1er avril dernier pour la vente de logements classés F ou G en monopropriété, dont les scénarios de travaux sont détaillés et tiennent compte des spécificités du bâti afin d’atteindre la classe B.
S’agissant des logements soumis à des contraintes architecturales et patrimoniales, leur spécificité est reconnue. Bien évidemment, certains travaux ne pourront être réalisés. Leur performance énergétique peut néanmoins, dans la plupart des cas, être fortement améliorée.
Madame la secrétaire d’État, je vous demandais s’il était normal que, à isolation égale, les diagnostics soient différents selon la taille du bien. Ma deuxième interrogation, qui découlait de la première, était : que comptez-vous faire pour remédier à cette situation ? La petite fiche que vous nous avez lue ne contenait aucune réponse. J’espère donc une réponse écrite par courrier.
La parole est à M. Laurent Burgoa, auteur de la question n° 595, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Madame la secrétaire d’État, depuis 2018, la disposition législative attribuant la compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (Gemapi) aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) est entrée en vigueur.
Accompagnant cette mesure et compte tenu de l’ampleur des investissements que nécessite pour certains territoires une gestion assumée de cette compétence, le législateur, à l’article 1530 bis du code général des impôts, a ouvert aux EPCI la possibilité de disposer d’une ressource financière fléchée, appelée taxe Gemapi ou aquataxe.
La taxe Gemapi fait partie de la liste des taxes spéciales d’équipement (TSE). Ces dernières sont prélevées sur les entreprises et les propriétaires.
Si la collectivité choisit de l’instaurer, la taxe vient ainsi s’ajouter aux taxes locales. Son assiette se répartit alors entre la taxe d’habitation, les taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties, mais aussi la cotisation foncière des entreprises. Le taux d’imposition de la taxe Gemapi, appliqué sur chacune de ces taxes, est défini à partir des recettes fiscales de ces dernières en année n–1.
La taxe d’habitation étant totalement supprimée à compter de 2023, le poids de la taxe Gemapi, dont l’EPCI – il convient de le préciser – ne vote que le volume du produit et non les taux, ne reposera à partir de l’année 2024 que sur les seuls propriétaires.
Cette situation est particulièrement inique, puisque l’objet même de cette taxe est de financer les investissements visant à protéger les personnes et leurs biens, c’est-à-dire toutes les personnes, qu’elles soient propriétaires ou locataires, et tous leurs biens, qu’ils soient immobiliers ou mobiliers.
Madame secrétaire d’État, le Gouvernement a-t-il prévu, à l’instar de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (Teom), la possibilité d’une récupération de cette taxe par le propriétaire auprès du locataire ?
Monsieur le sénateur Burgoa, comme vous le savez, la taxe Gemapi est une taxe additionnelle aux quatre taxes directes locales, perçue exclusivement au profit des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre qui exercent la compétence Gemapi.
Le produit de la taxe est réparti entre toutes les personnes physiques ou morales assujetties aux taxes foncières, à la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et à la cotisation foncière des entreprises (CFE), proportionnellement aux recettes que chacune de ces taxes a procurées l’année précédente sur le territoire de l’EPCI.
Ainsi, la taxe n’est pas uniquement supportée par les propriétaires, mais elle est également supportée par les contribuables redevables de la CFE et de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l’habitation principale. Les entreprises contribuent donc au paiement de cet impôt.
Par ailleurs, l’État a déjà compensé les différentes réformes fiscales pour éviter que la répartition issue de ces réformes ne soit supportée par les contribuables.
Enfin, l’article 23 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, qui prévoit la récupération des charges locatives, serait difficilement applicable à la Gemapi.
En effet, cet article permet au bailleur d’exiger le remboursement des dépenses exposées en contrepartie des services rendus liés à l’usage du logement, des dépenses d’entretien courant, des menues réparations et des impositions correspondant à des services dont le locataire profite directement.
La Gemapi ne se rattacherait à aucune de ces catégories de dépenses et une disposition spécifique devrait prévoir sa récupération, ce qui risquerait d’ouvrir le champ à des demandes reconventionnelles.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement n’envisage pas la possibilité d’une récupération, par le propriétaire, de cette taxe auprès du locataire.
Il est bien dommage de ne pas réfléchir à cette possibilité. Dans les départements du Sud, les inondations sont fréquentes. Il est regrettable de faire peser cette taxe uniquement sur les propriétaires, car les locataires sont également concernés. La lutte contre les inondations est une priorité pour tous.
La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, auteure de la question n° 687, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre l’engagement de la Première ministre relatif au fonds vert, dispositif inédit visant à accélérer la transition écologique dans les territoires.
Je ne peux que saluer cet effort qui s’élève à 2 milliards d’euros.
Pour autant, je me permets d’émettre des réserves quant aux modalités de répartition de ce fonds. Je rappelle que les clés de répartition retenues sont la démographie et les besoins de chaque territoire. Arrêtons-nous un instant sur ces deux critères.
Envisageons d’abord les besoins. Personne ne peut ignorer les enjeux guyanais en matière de transition écologique. L’urgence est omniprésente. J’en veux pour preuve le nombre important de dossiers déposés auprès de la préfecture. Les demandes ont largement dépassé l’enveloppe de 9 millions d’euros allouée à la Guyane.
Parlons maintenant de l’autre critère : la démographie. Dans son ensemble, la classe politique guyanaise est convaincue que les chiffres du recensement sont insincères. Pourtant, ces mêmes chiffres sont employés pour calculer la dotation globale de fonctionnement pour les collectivités et, dans le cas particulier qui nous concerne aujourd’hui, le fonds vert.
Il y a ce sentiment d’injustice qui perdure. La Guyane, on sait très bien la citer et la situer quand il s’agit d’évoquer la richesse de sa biodiversité. Pourtant, la Guyane figure, une fois de plus, parmi les territoires les moins bien dotés. Bien que ce fonds vert soit globalement fongible avec d’autres aides, mon territoire ne sera jamais suffisamment avantagé pour faire face aux enjeux liés à l’accélération de la transition écologique.
Je peux vous assurer que ma volonté n’est nullement d’exiger que Pierre soit déshabillé au profit de Paul. Mais il serait opportun que d’autres critères, comme l’étendue du territoire, figurent parmi les clés de répartition.
Madame la secrétaire d’État, comment l’État entend-il introduire plus d’équité dans les répartitions du fonds vert à l’avenir ?
Madame la sénatrice Phinera-Horth, vous avez interrogé M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Ne pouvant être présent, il m’a chargée de vous répondre.
Le fonds vert, annoncé en août 2022 par la Première ministre, a pour ambition d’accompagner les collectivités dans leurs projets en lien avec la transition écologique des territoires. Il est doté de 2 milliards d’euros et répond à un triple objectif : renforcer la performance environnementale, adapter les territoires au changement climatique, améliorer le cadre de vie.
Le déploiement du fonds vert repose sur une répartition des crédits entre régions afin de répondre aux enjeux spécifiques des territoires. La Guyane a en effet reçu une enveloppe de 9 millions d’euros, qui permettra de mettre en œuvre divers projets au service de la transition écologique.
Comme dans la plupart des autres régions, l’aide demandée au titre du fonds vert excède l’enveloppe déléguée. Ce constat reflète la forte demande des collectivités et leur volonté de participer à l’effort collectif qu’exige la transition écologique.
Si la demande de financement globale à l’échelon national se situe à hauteur de 24 % du montant total des projets, les territoires ultramarins observent les taux de financement les plus élevés. En Guyane, l’aide atteint ainsi 56 % pour les dossiers acceptés.
Sur l’ensemble des 270 dossiers déposés dans les départements et régions français d’outre-mer (Drom) et dans les collectivités d’outre-mer (COM), 40 concernent la Guyane. À ce stade du déploiement, 7 dossiers ont été acceptés en Guyane sur la plateforme « Démarches simplifiées » pour un total de 2 millions d’euros de subventions attribuées. Ces projets concernent la prévention des risques d’inondation, l’adaptation au recul du trait de côte ou le tri et la valorisation des biodéchets.
L’exercice 2023 a constitué la première année du déploiement du fonds vert, et l’intégralité des crédits devrait être engagée d’ici à la fin de l’année pour soutenir un grand nombre de projets, en métropole et dans les territoires ultramarins.
La Première ministre a annoncé que les 2 milliards d’euros consacrés à ce fonds seront reconduits l’année prochaine. Il s’agit d’ores et déjà d’une bonne nouvelle pour les territoires.
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, auteure de la question n° 720, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Monsieur le ministre, le 3 mai dernier, en vue de la Coupe du monde de rugby, la préfète du Rhône publiait un arrêté visant à expulser les camionnettes dans lesquelles des femmes exercent une activité prostitutionnelle dans le VIIe arrondissement de Lyon.
Initialement circonscrit aux abords du stade lors des pourparlers, le périmètre a été élargi à tout l’arrondissement et concerne désormais des centaines de personnes qui se retrouvent dans une extrême précarité, malgré les tentatives de négociation et les propositions de solutions de remplacement.
Pour la majorité de ces femmes, il s’agit non pas de simples camionnettes, mais de leur logement. Dans la journée, elles y dorment, car elles travaillent de nuit. Une mise en fourrière de ces véhicules, outre son coût important, signifie une mise à la rue sans aucune solution d’hébergement alternative.
Du fait des multiples expulsions, les associations se trouvent entravées dans leur action pour l’accès aux soins de ces personnes et elles comptent déjà de nombreuses sorties de parcours de soins. Ces expulsions éloignent les personnes des associations, accroissent leurs vulnérabilités et leur insécurité, et les exposent à plus de violences et de risques.
La santé des femmes et leur sécurité étant ainsi en jeu, ma question est double. Quelles solutions existe-t-il pour la sécurité de ces personnes si elles se retrouvent soudainement sans camions et donc sans domicile ? Pouvez-vous, monsieur le ministre, suspendre cet arrêté préfectoral afin que de nouvelles négociations avec les parties prenantes s’engagent pour garantir, « en même temps », la tranquillité des riverains et le bon déroulement de la Coupe du monde, tout en protégeant la sécurité et les conditions de vie des personnes concernées, sans rupture du lien avec les associations qui les accompagnent ?
Madame la sénatrice, je vous répondrai à la place du ministre de l’intérieur.
Les abords du stade sont touchés, depuis plusieurs mois, par l’augmentation des faits de violences, notamment à l’encontre des personnes se livrant à la prostitution.
Face à ces troubles, un arrêté municipal réglementant le stationnement sur certaines portions et voies du quartier de Gerland a été pris, sans succès.
Dans ce contexte, et en vue du public attendu dans les semaines et mois à venir, l’autorité préfectorale était fondée à prévenir ces troubles graves à l’ordre public dans un périmètre restreint, soit dans une vingtaine de rues seulement autour du stade de Gerland, et non sur l’ensemble de l’arrondissement.
La mise en œuvre de cet arrêté, qui se borne à interdire le stationnement des véhicules dans lesquels s’exerce une activité de prostitution, n’a pas pour vocation d’expulser ces femmes ni de saisir leurs véhicules ; il leur appartient seulement de respecter l’arrêté et de ne pas stationner dans le périmètre interdit.
Le travail de prévention et d’accompagnement social, sanitaire, juridique et d’insertion professionnelle de ces femmes demeure une priorité, et est entrepris au quotidien par l’État, avec l’appui des associations locales.
La commission départementale de lutte contre la prostitution et le proxénétisme, instituée en 2016 et exerçant auprès du préfet de département, met en œuvre la prévention et l’accompagnement de ce public. C’est sa mission prioritaire.
Des résultats ont d’ores et déjà été obtenus dans le département du Rhône : sur un total de 52 dossiers suivis entre décembre 2018 et septembre 2022, avec l’appui de deux associations agréées par l’État – l’Amicale du Nid 69 et le Mouvement du Nid 69 –, 42 personnes ont pu être accompagnées vers un parcours de sortie de la prostitution, ce qui reste notre objectif.
Nous sommes, paraît-il, dans les cent jours d’apaisement de la société. Notre demande est simple. Il ne s’agit pas de supprimer cet arrêté, mais de le suspendre. Les associations que vous avez citées, mais aussi bien d’autres encore, demandent la reprise des négociations, d’autant qu’un certain nombre de propositions ont déjà été faites.
La parole est à M. Philippe Tabarot, auteur de la question n° 730, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Monsieur le ministre, l’immigration clandestine est incontrôlée. L’État n’arrive pas à juguler cette pression illégale.
Mon département des Alpes-Maritimes, que représente aussi la sénatrice Patricia Demas, en est tout un symbole : 40 000 migrants clandestins ont été interpellés sur toute l’année 2022 à la frontière italienne, selon le préfet.
Cette défaillance ne se limite pas seulement à une absence de contrôle, elle porte également sur l’explosion du nombre de jeunes clandestins, dits mineurs non accompagnés (MNA).
Le président du département, les parlementaires, les maires ne cessent de lancer un cri d’alarme face à cette accélération inquiétante.
Plus de 5 000 de ces mineurs sont entrés dans notre pays, dont 2 000 dans les seules Alpes-Maritimes. Les structures sont débordées par cette saturation qui dépasse largement la mission de protection de l’enfance, malgré des efforts importants du département de l’ordre de 20 millions d’euros. Je peux en témoigner, puisque j’ai été président du foyer de l’enfance.
Symbole supplémentaire de cette embolie, le préfet des Alpes-Maritimes ne cesse de prendre des arrêtés de réquisition à répétition d’équipements tantôt privés, comme un hôtel à Antibes, à Châteauneuf-de-Grasse ou encore à Biot, tantôt publics, comme un gymnase à Menton.
Ces réquisitions sont réalisées à marche forcée, sans aucune concertation ni aucun échange avec les maires, qui sont clairement mis devant le fait accompli.
L’État ne peut multiplier ces réquisitions et faire peser sur les maires le poids de ses propres carences sur les territoires.
Au-delà du fait qu’il devrait revenir à l’État d’assumer pleinement cet accueil, comme nous le suggérons au Sénat, quand allez-vous cesser ces réquisitions ? Les maires, spectateurs malgré eux, sont clairement débordés par ces décisions qu’on leur impose !
Monsieur le sénateur Tabarot, la pression migratoire à la frontière franco-italienne des Alpes-Maritimes est très forte depuis plusieurs mois. Elle a été multipliée par quatre depuis le 1er janvier 2023 par rapport à la même période de 2022. Or il se trouve que Nice est à la frontière italienne.
Le dispositif de mise à l’abri géré par le conseil départemental est soumis à de très fortes tensions.
Des capacités nouvelles ont été mobilisées par le conseil départemental – plus de 700 mineurs non accompagnés sont pris en charge actuellement – grâce à des conventions passées avec les gestionnaires de structures d’accueil : hôtels, centres de vacances notamment. Je remercie le conseil départemental des Alpes-Maritimes de l’effort indéniable qu’ils consentent.
Le parquet de Nice a également mobilisé des ressources nouvelles afin d’accélérer la prise des ordonnances de placement de façon à réorienter des mineurs vers d’autres départements. En dépit de cela, le dispositif d’accueil peut être occasionnellement saturé, comme c’est aujourd’hui le cas.
C’est dans ce cadre, mais à deux reprises seulement depuis le début de l’année 2023, que le préfet des Alpes-Maritimes, à la demande du président du conseil départemental, a réquisitionné deux structures afin de permettre la prise en charge des mineurs.
Une résidence hôtelière d’Antibes a ainsi été mise à disposition pendant un mois en mars et un gymnase a été mobilisé à Menton pendant huit jours en avril.
Dans les deux cas, les maires des communes concernées ont été préalablement informés par le préfet des raisons pour lesquelles ces réquisitions avaient dû être prises, à la demande du conseil départemental. La coopération entre le conseil départemental, le préfet et les maires me semble de bon aloi. Elle fonctionne correctement.
Nous recherchons activement aujourd’hui toutes les solutions utiles à l’exercice par la collectivité départementale de la mission d’aide sociale à l’enfance que lui confère la loi, dans l’esprit d’échange et de dialogue qui prévaut déjà dans les Alpes-Maritimes.
Monsieur le ministre, la situation est bien plus préoccupante que vous ne l’admettez. Les maires sont beaucoup plus sollicités que vous ne voulez bien le reconnaître. Vous devez cesser cette politique migratoire, faite surtout par procuration sur le dos des maires.
La parole est à Mme Annie Le Houerou, auteure de la question n° 604, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le ministre, par courriers du 27 juillet 2021 et du 5 août 2022, restés sans réponse, j’ai alerté le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation préoccupante de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc.
J’ai rédigé ces courriers à la suite de visites de l’établissement. Sa capacité d’accueil est de 85 places alors qu’il compte aujourd’hui 147 détenus, parfois plus, soit un taux d’occupation de plus de 170 % !
Dans un rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, rendu public le 18 juillet 2022, le constat est clair : la maison d’arrêt de Saint-Brieuc est l’une des plus surpeuplées de France.
Ce même rapport fait état également de l’« indignité » des conditions de détention : infiltrations d’eau, moisissures, trous dans les murs, mobilier détérioré ou manquant, absence d’intimité dans les WC ouverts sur les cellules à trois lits superposés, état d’hygiène déplorable des sols et des lits, manque d’espace pour les gestes du quotidien. En d’autres termes, la maison d’arrêt de Saint-Brieuc est vétuste.
J’ai pu de nouveau le constater en visitant l’établissement le 19 avril dernier. La maison d’arrêt nécessite des travaux de rénovation importants. Ils ont été rendus encore plus urgents à la suite de l’incendie survenu dans la nuit du 24 au 25 mai dernier.
Il est impératif de garantir une hygiène correcte et de bonnes conditions de restauration pour les détenus, mais aussi pour le personnel.
Une rénovation d’ampleur paraît nécessaire, voire une reconstruction sur un autre site, comme l’a souligné le maire de Saint-Brieuc, Hervé Guihard : « Le territoire briochin est disposé à faire émerger un lieu qui puisse accueillir un nouvel équipement pénitentiaire. »
Dans l’attente, une régulation des entrées en lien avec l’autorité judiciaire serait nécessaire pour éviter une surpopulation : quatre détenus dans onze mètres carrés, cela relève de l’indignité !
Les conditions de travail sont donc particulièrement difficiles pour le personnel de surveillance.
Monsieur le ministre, quel est votre projet pour la maison d’arrêt de Saint-Brieuc en termes immobilier et, dans l’attente, pour réguler les entrées et assurer un accueil digne ?
Madame la sénatrice Le Houerou, cette question permet de réaffirmer le projet que porte mon collègue garde des sceaux pour une meilleure efficacité de la réponse pénale, de meilleures conditions de travail pour les agents pénitentiaires et des conditions de détention plus dignes.
C’est l’objectif premier du plan immobilier pénitentiaire de construction de 15 000 places de prison, annoncé dès 2018 par le Président de la République. Le programme se développe, comme j’ai pu moi-même le constater la semaine dernière en Nouvelle-Calédonie.
La construction d’un centre pénitentiaire à Vannes dans le cadre de ce programme permettra une meilleure prise en charge de la population pénale au sein de ces territoires.
En outre, les services de l’administration pénitentiaire ont bien conscience des conditions de détention à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc.
La direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes met tout en œuvre, croyez-le, pour désencombrer l’établissement, notamment en orientant les personnes détenues vers d’autres établissements pénitentiaires moins surpeuplés.
Par ailleurs, les services de l’administration pénitentiaire travaillent étroitement avec le parquet près le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc afin de remédier à la situation de cette structure. Les chiffres sont un peu plus impressionnants que ceux que vous citez, puisque, au 1er juin 2023, le taux d’occupation de la structure était de 193 %, soit 164 personnes détenues pour 85 places.
De plus, la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a créé la libération sous contrainte. Il s’agit d’une des voies de solution à court terme.
Cette modalité d’exécution des peines, qui permet aux personnes détenues en toute fin de peine de bénéficier d’un contrôle accru ainsi que d’une prise en charge par le service pénitentiaire d’insertion et de probation en milieu ouvert, est pleinement mise en œuvre par l’autorité judiciaire dans cet établissement afin de réduire le risque de récidive et de réguler les effectifs de la structure.
Telles sont les dispositions mises en œuvre dans l’attente de la construction d’une nouvelle prison.
Monsieur le ministre, vous n’apportez aucune réponse concrète à la situation de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. La surpopulation y est indigne. Rien n’est prévu non plus dans le plan d’investissement pour les Côtes-d’Armor. Je m’inquiète également, car le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice ne prévoit aucune proposition en matière de régulation carcérale, de préparation à la sortie de prison ou de sortie en milieu ouvert en fin de peine.
La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, auteur de la question n° 711, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le ministre, je souhaite vous interpeller sur le choix du ministère de la justice quant au futur site d’implantation de la cité judiciaire de Marseille.
Nous avons été alertés par le barreau de Marseille et les représentants du monde économique sur les conséquences désastreuses que pourrait avoir ce projet s’il voyait le jour. Une étude d’impact a été menée par la chambre de commerce et d’industrie de Marseille. La conclusion est sans appel : les acteurs du monde du droit font vivre tout un secteur qui se videra de sa substance si les juridictions sont délocalisées en périphérie du cœur de la cité phocéenne.
Cela aura une incidence sur les 1 780 commerces. L’impact financier sera de 7, 4 millions d’euros par an pour le secteur de la restauration et de 10, 9 millions par an pour les autres activités commerciales.
De surcroît, sept avocats sur dix sont localisés à moins de dix minutes à pied du palais de justice. Si la cité judiciaire sort de l’hypercentre, la plupart des professionnels du droit vont devoir transférer leur activité et leur cabinet.
Ma question est simple : pourquoi délocaliser l’ensemble des juridictions, ce qui entraînera de facto une catastrophe économique pour le centre-ville ?
Monsieur le sénateur Le Rudulier, comme l’a annoncé le garde des sceaux le 24 avril dernier, une large consultation sous l’égide du préfet et rassemblant avocats, magistrats, greffiers, personnels administratifs, président de la chambre de commerce et d’industrie, mairie, élus, députés, métropole, région, est en cours.
Trois options sont envisagées pour la construction d’une cité judiciaire : sur un site en centre-ville pour 450 millions d’euros et six ans de construction, sous réserve de la faisabilité technique ; sur un terrain à la Capelette, sous réserve de difficultés dues à la proximité d’un centre de traitement des déchets ; sur un terrain à Euroméditerranée à quinze minutes de tramway de l’actuel palais Monthyon.
Dans ce cas-là, deux possibilités sont envisagées : bâtir une cité judiciaire de 350 millions d’euros où tout serait regroupé avec une durée de construction de trois ans ou construire un simple palais de justice sur ce terrain, le conseil des prud’hommes et le tribunal de commerce restant à Monthyon pour un budget total de 370 millions d’euros et quatre ans de construction. Il ne s’agira alors plus d’une cité judiciaire.
Je connais bien Marseille pour y avoir vécu de nombreuses années. Nous entendons, bien évidemment, les craintes légitimes d’une dévitalisation du centre-ville si la troisième option était choisie. La Chancellerie propose dans ce dernier cas d’utiliser le site du palais Monthyon pour l’école du barreau et une annexe de l’École nationale de la magistrature. Il ne s’agit pas d’abandonner le bâtiment.
Les textes défendus par le garde des sceaux actuellement devant le Parlement comprennent un plan d’embauche historique de magistrats, de greffiers et d’attachés de justice. Ils pourraient être formés à Marseille.
Nous ne méconnaissons pas l’enjeu symbolique et, surtout, économique que constitue une implantation judiciaire. C’est pourquoi le garde des sceaux a souhaité que cette réflexion se poursuive et puisse s’articuler autour d’autres enjeux locaux.
La concertation engagée par le préfet est la seule qui permettra d’identifier la solution la plus adaptée et, ainsi, d’éclairer la décision du Gouvernement.
Bien évidemment, il faut de nouveaux locaux, il faut plus d’espace, tout le monde en convient, mais ce sont principalement les juridictions pénales qui nécessitent un changement de site, pour les raisons de sécurité que vous avez indiquées, mais la délocalisation de toutes les autres juridictions est à proscrire.
En tout état de cause, si vous voulez délocaliser la cité judiciaire dans son ensemble, il faut définir un projet de reconversion des bâtiments occupés par les juridictions actuelles. Vous citiez le conseil départemental et la métropole d’Aix-Marseille-Provence, mais ces collectivités ont justement investi massivement depuis de nombreuses années pour préserver la vitalité et l’attractivité du cœur de ville !
Je reste pour ma part convaincu que la place de la justice est au cœur de la cité, où elle doit se redresser fièrement pour incarner l’État et l’autorité.
La parole est à M. Ronan Le Gleut, auteur de la question n° 480, adressée à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le ministre, par arrêté du 30 novembre 2020, un dispositif de recueil et de traitement des signalements de faits de harcèlement, de discrimination ou d’agissements sexistes ou violents a été mis en place au sein du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec la création d’une cellule encadrée par un « référent écoute ».
Des présomptions de faits de cette nature existent dans divers consulats, notamment au Canada, et entraînent de lourdes conséquences, tant pour les agents du ministère que pour la France et les Français de l’étranger : les dysfonctionnements dans ces consulats ont pour corollaires des difficultés dans le service rendu aux Français de l’étranger et l’image de la France est ternie dans les médias étrangers.
En mars dernier, l’Assemblée des Français de l’étranger a souhaité, comme elle l’avait fait l’année précédente, entendre en audition le référent écoute, mais le ministère l’a refusé, alors que ce sujet concerne pourtant les Français de l’étranger.
Je souhaite donc connaître des statistiques précises sur le sujet : nombre de signalements, nombre d’enquêtes diligentées ainsi que nombre et nature des décisions prises à la suite de ces signalements, notamment pour les agents ayant dénoncé ces faits. Je souhaite également savoir si une modification de l’arrêté du 30 novembre 2020 est envisagée afin d’améliorer le fonctionnement de la cellule « référent écoute ».
Monsieur le sénateur Le Gleut, je vous prie d’excuser l’absence de Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui est à l’étranger, conformément aux exigences de sa mission ; elle m’a demandé de vous répondre ce matin.
Vous me demandez des chiffres : il y a eu, en 2022, 189 signalements, qui concernaient 109 situations différentes et 15 enquêtes administratives ou missions d’inspection.
Dans 98 % des affaires pour lesquelles la direction des ressources humaines a été saisie, une action a été menée, les 2 % restants étant classés, car ils ne relevaient pas d’un harcèlement, d’un agissement sexiste ou d’une discrimination. Pour les cas les plus graves, des enquêtes sont diligentées, qui sont menées avec beaucoup de rigueur et de façon indépendante.
Le principe est simple : tolérance zéro. Lorsque l’enquête met en lumière des comportements inappropriés ou des faits de harcèlement, des mesures correctives sont prises, pouvant aller jusqu’à la fin de mission, à la sanction disciplinaire, voire à une saisine du procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.
Il n’y a aucune impunité, je puis vous l’assurer, et ce quelle que soit la catégorie d’agent concernée. Nous le devons aux victimes et nous le devons aussi à nos compatriotes, car une situation dégradée au sein d’une ambassade ou d’un consulat peut, au bout du compte, altérer la qualité du service rendu, ce qui n’est pas acceptable.
Je vous invite toutefois, monsieur le sénateur, à une certaine prudence avant de vous prononcer sur une affaire sur la simple foi d’articles de presse, qui ne donnent à lire qu’une version des faits. Ces situations sont rarement simples et les responsabilités sont parfois partagées. Il faut du temps pour aller au bout d’un dossier, c’est un gage de rigueur, d’objectivité et de justice. Croyez-le bien, aucune affaire n’est abandonnée.
Malheureusement, votre réponse, monsieur le ministre, ne fournissant que quelques éléments partiels, révèle, une fois de plus, l’omerta qui règne au ministère des affaires étrangères.
À Toronto, quatre des cinq agents ayant dénoncé une situation de harcèlement ne sont plus en poste et la cinquième est en arrêt maladie, mais « circulez, il n’y a rien à voir »…
Cela me rappelle un autre cas emblématique, celui de la circulaire relative aux relations entre nos postes diplomatiques et les conseillers des Français de l’étranger, que le ministère refuse de nous communiquer, alors que celle qui avait été écrite sur le même sujet, lorsque Philippe Douste-Blazy était ministre, était publique. Il est temps de lever le grand secret qui règne depuis quelques années au sein de ce ministère pour mettre fin à des situations disparates et parfois inacceptables.
Le Parlement joue un rôle essentiel dans la bonne marche démocratique de notre pays en assurant le contrôle de l’action gouvernementale…
… et nous allons réfléchir aux moyens que nous offre le règlement du Sénat pour accéder aux informations que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères nous refuse.
La parole est à M. Bruno Rojouan, auteur de la question n° 719, adressée à Mme la ministre de la culture.
Monsieur le ministre, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur les obligations de fouilles archéologiques préventives qui s’appliquent aux opérations d’aménagement.
La loi impose aux collectivités la réalisation de fouilles lorsque leurs projets d’aménagement ou de construction sont susceptibles d’affecter le patrimoine archéologique. Force est de constater que la mise en œuvre de cette obligation pose des difficultés dans bon nombre de territoires ruraux.
Dans le département dont je suis élu, l’Allier, la situation de la communauté de communes de Lapalisse illustre bien ce phénomène : un projet d’extension d’une zone d’activités économiques est à l’étude, pour un montant de 1, 3 million d’euros, mais à ces dépenses d’aménagement s’ajoute le coût des fouilles archéologiques préventives obligatoires, pour un montant initialement estimé à 1, 3 million d’euros par la direction régionale des affaires culturelles (Drac) et qui s’élève, après consultation des entreprises, à 1, 9 million d’euros, soit 150 % du montant des travaux !
Les collectivités sont dans l’incapacité de supporter de telles dépenses ou sont contraintes de le faire au moyen de montages financiers doublant le prix de vente du mètre carré aménagé, bien loin des prix moyens pratiqués sur le territoire…
Ce cas n’est pas isolé ! Des situations similaires ont été vécues à Dompierre-sur-Besbre et à Varennes-sur-Allier, qui ont dû renoncer à leur projet devant le coût exorbitant des fouilles, et des difficultés ont été rencontrées à Gannat et à Creuzier-le-Neuf.
Dans ces conditions, le développement économique de ces territoires est bloqué, d’autant que l’aide du Fonds national pour l’archéologie préventive (Fnap) est plafonnée à 50 % du coût prévisionnel des travaux.
Il convient que l’État prenne conscience de cette difficulté et apporte des solutions pour mieux accompagner le développement en ruralité, qui risque par ailleurs d’être encore plus contraint avec l’application du « zéro artificialisation nette » (ZAN).
Monsieur le ministre, le Gouvernement peut-il s’engager à faire évoluer le plafonnement des subventions du Fnap et à envisager qu’une partie de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DTER) puisse être fléchée vers ce type de projet ?
Monsieur le sénateur Rojouan, il faut en effet concilier les exigences de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social, nul ne peut le nier.
Afin d’anticiper les enjeux archéologiques de leurs projets et de réduire le coût des fouilles, les communes peuvent interroger en amont les Drac pour connaître la sensibilité archéologique des terrains considérés.
Le financement des fouilles repose essentiellement sur les maîtres d’ouvrage, sur le fondement de prix établis par les opérateurs présents sur le marché. Toutefois, vous l’avez signalé, les aménageurs peuvent bénéficier d’aides financières, certes plafonnées, attribuées par le Fonds national pour l’archéologie préventive. Pour les prises en charge, les communes situées en zone de revitalisation rurale qui réalisent une zone d’aménagement concerté ou un lotissement peuvent donner mandat à l’opérateur de fouilles pour encaisser directement l’aide accordée, ce qui permet d’éviter une sortie de trésorerie.
Par ailleurs, l’impact du coût de la fouille sur l’équilibre financier du projet fait partie des critères d’éligibilité de la subvention.
En moyenne annuelle, entre 2016 et 2022, 44 % des fouilles ont reçu annuellement un soutien financier de l’État et 53 millions d’euros d’aides ont été accordés en 2022 ; c’est loin d’être négligeable.
Pour ce qui concerne plus particulièrement la situation de la communauté de communes de Lapalisse, à laquelle vous faites référence, le diagnostic a révélé une forte densité de vestiges archéologiques, dont la chronologie s’étire du second âge du fer au Moyen Âge central. Après échange avec les collectivités – voici la mesure qui va vous intéresser –, il a été convenu que l’emprise globale de la fouille serait scindée en trois phases, ce qui permettra d’échelonner l’aménagement sur cinq ans et d’accompagner d’éventuelles évolutions du projet.
Il n’y a pas de dépenses de trésorerie immédiates, mais le Gouvernement considère qu’il faut préserver les fouilles archéologiques.
La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi, auteur de la question n° 725, adressée à Mme la ministre de la culture.
Dans une région à forte identité comme la Corse, la culture, l’histoire, le patrimoine, sont des marqueurs importants, qui unissent le passé au présent pour mieux se projeter dans l’avenir.
Depuis plusieurs années, sous l’impulsion des anciens départements et de la collectivité de Corse, avec le concours des services de l’État, mais aussi de l’Union européenne, notre île a développé une politique culturelle proactive, qui s’est notamment traduite par la création de musées témoignant de l’histoire insulaire, une mise en valeur qui constitue aussi un vecteur d’attractivité touristique qu’il convient de consolider.
Il se trouve que la Corse, en raison de sa position centrale en Méditerranée occidentale, a longtemps été un carrefour ; les fouilles archéologiques attestent de cette richesse historique. Avant qu’elle ne dispose des infrastructures d’accueil adéquates, des objets découverts sur le territoire insulaire ont été transportés ailleurs et ne sont pas exposés dans les musées de l’île. Certains datent du néolithique, d’autres de l’âge du bronze, beaucoup du Moyen Âge.
Il est quelques exemples notables, comme la statuette datant du néolithique dite Vénus de Campu Fiureddu, découverte au début du XXe siècle à Grossa, près de Sartène, et qui est exposée au British Museum à Londres, alors qu’elle pourrait l’être à Sartène…
Il en va de même d’objets et artefacts de l’âge du bronze découverts à Vizzavona ou à Carbuccia, mais que l’on retrouve en Suisse ou en Italie, alors que les musées de Corte, de Levie, d’Ajaccio ou de Sartène pourraient très bien les accueillir ou, à tout le moins, les partager dans le temps, dans le cadre de conventions.
L’intercession fructueuse de la ministre de la culture en faveur du retour en Corse de la Madone de Brando le mois dernier a pu se faire parce qu’il y avait une vente aux enchères en cours. Néanmoins, bon nombre des œuvres qui pourraient être conservées en Corse appartiennent à des musées situés à l’étranger.
Aussi, ma demande consiste à vous solliciter pour savoir comment nous pourrions procéder pour les rapatrier dans des musées insulaires, qui restent les meilleures vitrines de l’histoire de la Corse. Si vous souscrivez à ce projet, sachez que ce travail risque d’être long et sinueux, dans un environnement juridique impliquant des législations nationales différentes.
Monsieur le sénateur Panunzi, le Gouvernement salue le développement d’une politique culturelle dynamique en Corse et la soutient.
Nous comprenons que les Corses déplorent que la Vénus de Campu Fiureddu ou des objets archéologiques trouvés à Vizzavona soient, bien que découverts en Corse, conservés à l’étranger.
Toutefois, ces objets ont semble-t-il quitté la Corse à une époque où il n’existait pas de règles internationales ou nationales de protection susceptibles d’empêcher ces mouvements. De ce fait, leur situation actuelle semble peu contestable en droit et seule la négociation de prêts pourrait être entreprise pour permettre leur présentation en Corse.
Bien que le ministère de la culture soit évidemment sensible à la protection du patrimoine en général, y compris celui des régions françaises, et engagé à prévenir et à réparer les atteintes que celui-ci peut subir, il est vrai que beaucoup d’œuvres ne restent pas dans le lieu où elles ont été créées ou découvertes, qu’elles soient originaires de Corse ou d’ailleurs.
Quoi qu’il en soit, ma collègue ministre de la culture reste très attentive au sort de la Madone de Brando et à la possibilité qu’elle retourne en Corse, qui reste évidemment sa destination privilégiée. Elle s’est entretenue à ce sujet avec le président du conseil exécutif de la Corse. Les services du ministère, en administration centrale et en Drac, sont pleinement mobilisés auprès de la collectivité de Corse et de la commune de Brando pour trouver une solution en ce sens, mais celle-ci ne pourra être que respectueuse des droits et des intérêts des différentes parties.
La parole est à Mme Annick Billon, auteure de la question n° 683, adressée à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
L’article 73 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 prévoit un élargissement du zonage de la taxe sur les logements vacants aux communes touristiques tendues, ainsi qu’une actualisation de la liste des territoires urbains préalablement concernés. Si ce dispositif est très attendu, certaines communes nouvellement entrantes perdront le bénéfice de la taxe d’habitation sur les logements vacants, lorsqu’elles l’avaient instituée.
Quand une commune perçoit cette taxe, cela sous-entend que la fiscalité ne produit pas les effets attendus, à savoir augmenter l’offre de logements à l’année ; toutefois, le dispositif apporte tout de même une recette complémentaire à la commune pour lutter contre la carence de logements.
Avec l’application de l’article 73 de la loi précitée, les communes concernées subiront la double peine : carence de logements et baisse des recettes. Le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, s’est engagé auprès du président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) à corriger cet effet défavorable. Concrètement, qu’entendez-vous proposer ?
Au-delà de cette mesure, il conviendrait d’écouter les élus et d’envisager avec eux des solutions durables pour leur permettre de loger convenablement et raisonnablement les travailleurs à l’année. Demain, l’objectif « zéro artificialisation nette » freinera le développement des villes et les contraintes énergétiques pour la location accentueront les problèmes que des dispositifs fiscaux ne sauront seuls résoudre.
« Redonner du pouvoir d’habiter aux Français » ; pour mettre en œuvre ce slogan du ministre délégué chargé de la ville et du logement, les annonces faites hier par la Première ministre ne suffiront pas. Qu’entendez-vous donc mettre en place pour remédier aux carences de logement dans les villes considérées comme zones tendues, sans pour autant grever leurs capacités financières ?
Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui revient sur une réforme importante de la loi de finances pour 2023.
Comme vous le relevez, une solution était vivement attendue pour répondre aux difficultés liées à l’attrition du nombre de logements disponibles dans certaines communes, notamment touristiques. C’est à cette fin que le Parlement a prévu, dans la loi de finances pour 2023, l’extension du zonage de la taxe annuelle sur les logements vacants (TLV) et de la majoration facultative de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires (THRS) au-delà des seules communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants.
Cette extension vise notamment des communes touristiques qui, sans atteindre ce seuil de population, sont confrontées à une forte tension immobilière, par exemple en raison d’une proportion élevée de résidences secondaires.
Après une phase de consultation, le décret procédant à la modification de la liste des communes concernées devrait être très prochainement publié. L’entrée dans le nouveau zonage se traduira par l’assujettissement à la TLV des logements vacants, y compris pour les logements situés sur le territoire de communes qui avaient préalablement institué la taxe d’habitation sur les logements vacants (THLV). L’incitation à faire cesser la situation de vacance de ces logements sera ainsi accrue, en les imposant dès la première année de vacance à un taux national, relevé dans la loi de finances pour 2023 et qui est, en moyenne, plus élevé que celui de la THLV.
Pour les communes concernées, le renforcement de la fiscalité sur les logements vacants s’accompagnera d’une perte de recettes, mais leur entrée dans le zonage leur permettra d’instituer la majoration de THRS et de bénéficier ainsi d’un surcroît de recettes.
Nous sommes conscients que les changements de périmètre pourraient avoir des conséquences budgétaires pour certaines collectivités. Comme le Gouvernement s’y est engagé devant l’AMF, nous aurons l’occasion de discuter, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, des moyens qui seront mobilisés pour y répondre.
Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre ; le décret tant attendu arrive en effet.
Aux Sables-d’Olonne, c’est vrai, les pertes de recettes seront en partie compensées, mais elles ne le seront pas totalement. Cela demeure un problème majeur pour toutes les communes qui n’arrivent pas à loger leurs salariés.
La parole est à M. Thierry Cozic, auteur de la question n° 686, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, le Gouvernement a décidé unilatéralement et contre l’avis de toutes les associations de collectivités territoriales de supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Une fois de plus, comme après chaque suppression de recette fiscale locale, monsieur le ministre, vous nous avez affirmé, dans cet hémicycle et la main sur le cœur, que la perte de cet impôt serait compensée « à l’euro près ».
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient et l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité s’est insurgée contre le fait que, dans certaines collectivités, le montant de la compensation théorique était nettement inférieur au montant de CVAE qui aurait été perçue en 2023. Force est de constater que l’engagement de compenser la CVAE à l’euro près n’est pas tenu : je le rappelle, cette année, près de 650 millions d’euros manquent à l’appel…
Face à cette situation, il faut trouver des marges de manœuvre budgétaires et vous semblez en avoir trouvé une très surprenante, à l’heure du réchauffement climatique. Vous le savez, il a été institué par la loi de finances pour 2023 un fonds vert ayant pour objectif d’accompagner les collectivités territoriales dans la lutte contre la crise climatique et contre l’effondrement de la biodiversité. Pourtant, sur les 2 milliards d’euros alloués au dispositif en 2023, 530 millions d’euros seront fléchés pour compenser la suppression de la CVAE. La circulaire du 14 décembre 2022 relative au déploiement du fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires demande ainsi aux préfets de s’assurer que les collectivités concernées par la suppression de la CVAE « bénéficient […] du fonds […] a minima à hauteur de la compensation prévue ».
Or, s’il était bien convenu que les collectivités bénéficieraient d’un accès favorisé au fonds vert pour retrouver une compensation intégrale de la CVAE, intégrer de cette manière la compensation au sein du fonds vert est de nature à rendre plus difficile l’accès au fonds lui-même pour les collectivités bénéficiant de la compensation.
Par conséquent, monsieur le ministre, pouvez-vous confirmer que la part du fonds vert destinée aux collectivités concernées par la suppression de la CVAE…
Monsieur le sénateur, le Gouvernement est évidemment conscient des effets, pour les communes, de l’inflation sur les dépenses de fonctionnement de certains de leurs équipements publics, de la revalorisation du point d’indice de la fonction publique et de la suppression de la CVAE.
C’est pourquoi nous avons instauré, dès l’été 2022, un filet de sécurité, doté de 430 millions d’euros, et un mécanisme de compensation de la suppression de la CVAE.
Vous avez rappelé l’opposition d’un certain nombre d’élus à cette suppression, mais je tiens à rappeler qu’il s’agit d’un enjeu de compétitivité extrêmement important, notamment pour l’industrie française, que j’ai l’honneur de représenter. Nous nous sommes engagés à poursuivre la baisse des impôts de production entamée par le Gouvernement en 2021, car ces impôts demeurent plus élevés que ceux de la plupart de nos voisins européens.
La suppression de cette taxe est compensée via l’affectation aux collectivités, à compter de 2023, d’une fraction de TVA pérenne et dynamique. In fine, la compensation aboutit à une ressource en hausse de plus de 20 % en 2023 par rapport à la CVAE perçue en 2022.
En matière énergétique, le Gouvernement a protégé les collectivités locales, notamment avec le bouclier tarifaire, qui a limité pour les petites collectivités la hausse des tarifs réglementés de vente de l’électricité, et avec l’amortisseur électricité pour celles qui ne sont pas éligibles au bouclier.
Au-delà de ce soutien spécifique, le bloc communal bénéficie en 2023 d’une revalorisation forfaitaire des bases d’imposition de 7 %.
Les recettes fiscales des collectivités devraient ainsi rester dynamiques en 2023, notamment avec la hausse du produit de la TVA, évaluée à 5, 1 %.
Enfin, le Gouvernement a décidé d’augmenter la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 320 millions d’euros, ce qui permettra à plus de 90 % des communes d’avoir une DGF stable ou en augmentation. Une telle hausse est inédite depuis treize ans…
Pour ce qui concerne plus spécifiquement votre question sur le fonds vert, je m’engage à étudier ce sujet de près et à vous répondre par écrit, parce que je ne dispose pas ici d’assez d’éléments de réponse.
La parole est à M. Jean-François Longeot, auteur de la question n° 645, adressée à Mme la ministre de la transition énergétique.
Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur l’instabilité que créerait une éventuelle interdiction des chaudières au gaz sur notre système énergétique.
Rappelons-le, lors des périodes les plus froides, le gaz fournit jusqu’à 50 % des besoins en énergie du pays. Se priver du gaz reviendrait donc à se priver de capacités pilotables capables de fournir toute l’énergie consommée pendant les jours les plus froids. Les scénarios de Réseau de transport d’électricité (RTE) et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) prévoient le maintien de 6, 5 millions à 10 millions de logements chauffés au gaz à l’horizon de 2050, dont plusieurs millions avec des pompes à chaleur hybrides.
La pompe à chaleur hybride, association d’une pompe à chaleur électrique de puissance optimisée à une chaudière gaz à très haute performance énergétique, permet de diminuer la consommation de gaz chez les particuliers et de préserver l’équilibre du système électrique en hiver. Face aux risques pesant sur la sécurité d’approvisionnement, pourquoi se priver d’un tel outil de flexibilité ?
L’interdiction des chaudières au gaz aurait également des effets dévastateurs sur la pointe électrique et la sécurité d’approvisionnement. Les écarts entre offre et demande pourraient, s’ils se cumulaient, atteindre lors des pointes hivernales en 2050 entre 30 et 50 gigawatts, voire davantage si les interconnexions avec les pays voisins n’étaient pas mobilisables ou si des solutions de flexibilité plurijournalières et saisonnières ne permettaient pas de compenser l’intermittence de la production des énergies renouvelables. Aucun scénario de RTE n’anticipe une telle situation.
De plus, l’interdiction des chaudières au gaz exigerait des investissements supplémentaires sur le réseau électrique, alors que les investissements nécessaires sur le système électrique à l’horizon de 2050 sont déjà estimés entre 750 milliards et 1 000 milliards d’euros. En revanche, le développement des gaz verts ne nécessite pas d’investissements lourds : l’investissement nécessaire sur les moyens de production et les infrastructures est évalué à 150 milliards d’euros.
Monsieur le ministre, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement sur l’interdiction d’installer des chaudières au gaz dans les logements et savoir comment vous comptez tenir compte, dans votre politique nationale de décarbonation des logements, des enjeux de résilience du système énergétique que j’ai soulevés.
Monsieur le sénateur Longeot, je vous remercie de votre question.
Vous le savez, l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050, fixé par le Président de la République, représente un défi immense et passera avant tout par la décarbonation des grands secteurs, comme celui du bâtiment.
L’enjeu est d’utiliser toutes les solutions décarbonées – il n’y a pas de formule magique – dans les bâtiments qui ne dépendent pas d’énergies massivement importées, comme le gaz. C’est un enjeu de souveraineté pour notre pays et cela permettra dans le même temps de garantir plus de confort et des baisses de facture pour les Français.
Le Gouvernement travaille depuis plusieurs années en ce sens. Ainsi, le dispositif MaPrimeRénov’ ne subventionne plus l’installation de nouvelles chaudières au fioul ou au gaz et la réglementation environnementale 2020 (RE2020) empêche l’installation de chaudières au gaz ou au fioul dans les bâtiments neufs.
La ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, qui m’a chargé de répondre à votre question, a insisté sur la nécessité d’une sortie progressive et respectant plusieurs principes.
D’abord, il faudra disposer de solutions de substitution décarbonées. Ces solutions existent, elles sont compétitives et elles sont de plus en plus produites en France ; je pense aux pompes à chaleur, aux réseaux de chaleur, au solaire ou encore à la géothermie.
Ensuite, il faut prendre en compte les contraintes techniques locales, notamment l’impact sur le réseau électrique et sur notre système énergétique, comme vous l’avez souligné.
Enfin, il faut associer les acteurs de la filière. Ma collègue a annoncé récemment le lancement d’une concertation publique sur la décarbonation du secteur du bâtiment et des moyens de chauffage. J’engage toutes les parties prenantes à y contribuer.
Par ailleurs, vous avez raison, nous devons également accélérer nos capacités de production de biogaz, qui sont près de cinquante fois inférieures à notre consommation actuelle de gaz. La ministre de la transition énergétique présentera très prochainement un texte revalorisant le tarif d’achat.
Toutefois, le gisement de biomasse sera durablement limité et doit être orienté vers les secteurs et les situations pouvant le moins se tourner vers d’autres sources d’énergie. Décarboner nos bâtiments restera une des priorités du Gouvernement, mais cela ne se fera jamais au détriment de la résilience de notre système énergétique.
La parole est à M. Stéphane Sautarel, auteur de la question n° 665, transmise à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, Parcoursup devait remédier aux problèmes d’admission post-bac, mais cette question est aujourd’hui loin d’être réglée. Au contraire, Parcoursup a imposé la généralisation de la sélection aléatoire et il crée un stress pour les élèves, qui doivent arrêter des choix de spécialité engageant leur avenir dès la seconde ; les élèves des filières technologiques et professionnelles en sont les premières victimes.
En réalité, beaucoup de bacheliers arrivent en septembre dans une filière où ils ne sont pas à leur place, ce qui les conduit à l’échec scolaire. Dans un rapport publié en 2020, la Cour des comptes soulignait l’opacité de certains critères de sélection à l’entrée dans le supérieur. L’édition 2023 de Parcoursup n’échappe pas à ces critiques, alors que ce dispositif engage non seulement la vie de nos enfants, mais encore les besoins collectifs de notre société.
Cinq ans après sa première utilisation, on peut considérer que Parcoursup est la concrétisation d’un examen algorithmique des dossiers, qui déshumanise les candidatures et constitue pour les élèves une source non négligeable de stress et d’inégalités.
Les conséquences de Parcoursup sur la filière de la santé en général et sur les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) en particulier sont plus lourdes encore. Alors que les professions médicales font défaut dans notre pays, il convient de préserver notre système éducatif de santé. À l’Ifsi d’Aurillac, plus de 83 % des étudiants entre 2014 et 2019 passaient en deuxième année, alors qu’ils ne sont plus que 57 % en 2021-2022 et que le nombre d’arrêts en cours de formation augmente.
Ma question est donc simple, madame la ministre : envisagez-vous une solution de substitution pour remédier aux lacunes de Parcoursup pour l’ensemble des lycéens et pour identifier une autre voie pour les études de santé en général et d’infirmiers en particulier ?
Monsieur le sénateur Stéphane Sautarel, vous avez fait le choix de ne pointer que les défauts de Parcoursup. Je fais pour ma part celui de tenter de vous convaincre que, au contraire, avec Parcoursup, nous avons fait des progrès.
Je vous propose d’abord d’écouter les lycéens, au travers des données issues d’une étude d’Ipsos rendue publique en septembre 2022.
Plus de la moitié – 58 % – des lycéens interrogés déclarent avoir une expérience conforme, voire positive, par rapport aux attentes qu’ils avaient de la procédure. Les indicateurs liés à la phase d’admission progressent également : 72 % des lycéens sont satisfaits des réponses à leurs vœux, soit une augmentation de 2 points par rapport à 2021, et 68 % d’entre eux sont satisfaits des délais de réponses, soit une hausse de 4 points.
Cela étant dit, oui, il faut encore faire progresser Parcoursup, notamment pour réduire le stress ressenti lors de cette phase de choix. C’est également ce que nous disent les lycéens.
Nous avons donc amélioré la transparence de Parcoursup, apporté des informations plus claires sur les critères d’examen des vœux par les commissions d’enseignants – non, Parcoursup n’est pas un « algorithme », ce sont bien des enseignants qui examinent les dossiers – et nous renforçons dès cette année l’efficacité de la phase principale pour apporter des réponses plus vite et réduire le sentiment d’attente. Ce processus d’amélioration se poursuivra.
C’est également le cas pour les Ifsi. Le ministre de la santé a lancé une grande concertation avec les professionnels pour engager une réforme de la formation dès la rentrée de 2024.
Je ne partage pas votre analyse consistant à imputer à Parcoursup toute la responsabilité de difficultés dont les causes sont multiples, comme l’indique un rapport public des inspections générales sur ces instituts de formation. À la suite de cette étude, nous avons fait évoluer cette année la plateforme pour améliorer l’orientation des jeunes, leur connaissance de cette formation et pour permettre une meilleure évaluation de la motivation des candidats.
Voilà ce que nous faisons et ce que nous continuerons de faire.
Madame la ministre, je pense que vous êtes largement dans le déni. Les témoignages qui remontent aujourd’hui du terrain, en provenance tant des familles que des jeunes, sont assez inquiétants !
Vous avez parlé de stress ressenti et de sentiment d’attente. Or il s’agit non pas de ressenti ou de sentiments, mais de réalités ! Et c’est encore plus grave pour les professions de santé. Là comme ailleurs, il faut remettre de l’humain dans le système.
La parole est à M. Stéphane Piednoir, auteur de la question n° 715, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Madame la ministre, j’ai été sollicité par plusieurs chefs d’établissement d’écoles privées sous contrat d’association, qui dénoncent une dégradation des conditions dans lesquelles ils doivent effectuer leurs missions et dressent un constat alarmant de la situation de leur corporation. Le climat général est particulièrement tendu, comme le montrent la hausse des demandes de disponibilités et de congés de formation ainsi que l’augmentation du nombre de démissions et de ruptures conventionnelles.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le malaise ressenti par les enseignants et chefs d’établissement des écoles privées sous contrat : absence de médecine du travail, manque de ressources humaines et matérielles pour bien accompagner les élèves, notamment ceux en situation de handicap, surcharge générale de travail.
Les chefs d’établissement déplorent en effet une décharge de direction insuffisante pour mener à bien les nombreuses tâches administratives qui leur incombent, même s’ils travaillent dans l’enseignement privé : entretiens professionnels des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), protocoles sanitaires, évaluations nationales, etc.
À cela s’ajoutent des difficultés liées au statut des enseignants suppléants, avec notamment des différences de salaires incompréhensibles pour des temps de travail pourtant identiques, voire supérieurs. Les candidats sont logiquement de moins en moins nombreux, et les remplacements plus difficiles à pourvoir.
Ces enseignants et chefs d’établissement ont la volonté de bien faire leur métier au service des élèves, mais ils estiment que les moyens alloués sont insuffisants et que leurs missions, pourtant essentielles, en pâtissent.
Madame la ministre, quelles sont les mesures envisagées par le Gouvernement pour remédier à cette situation et pallier les difficultés que rencontrent les écoles privées sous contrat d’association, leurs enseignants et leurs chefs d’établissement ?
Monsieur le sénateur Stéphane Piednoir, les chefs d’établissement de l’enseignement privé sous contrat ne sont pas recrutés par le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse. Leur recrutement, leur formation, leur gestion et leur rémunération relèvent de la structure porteuse de l’établissement privé. Ils ne sont donc pas liés, pour leurs fonctions propres, par un contrat avec l’État.
La situation est différente selon qu’il s’agit du premier degré ou du second degré.
Dans le premier degré, les chefs d’établissement bénéficient strictement des mêmes décharges de direction que leurs homologues directeurs des écoles publiques et sont donc à ce titre pris en charge par l’État.
Dans le second degré, il est permis aux maîtres qui souhaitent assurer les fonctions de chef d’établissement de réduire leur service d’enseignement dans des conditions plus favorables que celles de l’ensemble des maîtres, ce qui leur permet de garder un lien avec l’État et de poursuivre leur carrière d’enseignant.
Par ailleurs, le versement des forfaits par la puissance publique permet cette prise en charge des personnels d’accompagnement éducatifs ou administratifs. Ces forfaits sont calculés en référence au coût d’un élève de l’enseignement public. Ainsi, la rémunération des chefs d’établissement est intégrée dans le forfait d’externat.
S’agissant des AESH, l’État assure la mise à disposition de ces personnels pour le temps scolaire dans les établissements privés dans les mêmes conditions que dans l’enseignement public. Pour ce qui concerne la seule responsabilité de l’État à l’égard de ces personnels, il n’y a pas de divergence entre l’enseignement public et l’enseignement privé.
Enfin, s’agissant des maîtres délégués ou auxiliaires, une rénovation des conditions d’emploi, accompagnée d’une revalorisation significative, sera mise en œuvre dans les prochains mois. Cette revalorisation vise à harmoniser les grilles de rémunération des agents non titulaires du public et du privé.
De plus, ces maîtres bénéficieront d’une partie des mesures de revalorisation transversales qui s’appliqueront à tous les enseignants : revalorisation de l’indemnité de suivi des élèves, bénéfice du pacte enseignant, etc.
La parole est à Mme Catherine Belrhiti, auteure de la question n° 476, adressée à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
Madame la ministre, le bénévolat est une activité que n’encadre aucun statut. Il ne fait donc l’objet d’aucune définition juridique, contrairement au salariat.
Néanmoins, une définition commune est possible : « Est bénévole toute personne qui s’engage librement pour mener une action non salariée en direction d’autrui, en dehors de son temps professionnel et familial. » Cette définition est issue de l’avis du Conseil économique et social du 24 février 1993.
Il existe deux types de bénévolat : informel, lorsque l’on aide son voisin par exemple ; formel, lorsque le bénévole s’engage à accomplir un service précis de manière désintéressée, notamment au travers d’activités associatives.
Certes, la Cour de cassation a pu admettre que le travail effectué par un individu en vue de sa propre insertion sociale était susceptible de générer un pécule et des avantages, à condition que ceux-ci ne relèvent pas d’une relation salariée. Cependant, ce dispositif demeure très largement isolé et conduit à une sous-valorisation du bénévolat en France, dans toutes les catégories d’âge, d’activité et de population qui s’y investissent pleinement.
Pour récompenser et remercier les milliers de bénévoles de leur aide précieuse et de leur engagement auprès de la population, il serait pourtant possible de leur offrir une gratification, sous quelque forme que ce soit : chèque-vacances, cotisations sociales, valorisation de droits à la retraite, chèque emploi service universel (Cesu) préfinancé. Le désintéressement de nos bénévoles ne justifie aucune ingratitude de notre part.
Madame la ministre, quel dispositif le Gouvernement entend-il mettre en place afin de remercier les bénévoles pour tous les services qu’ils rendent au quotidien ?
Madame la sénatrice Catherine Belrhiti, vous appelez notre attention sur la possibilité d’améliorer la gratification du bénévolat.
Comme vous le savez, il n’existe pas de définition légale du bénévolat, lequel est, selon le sens commun, une activité sans contrepartie. La Cour de cassation a ainsi estimé que cette notion recouvrait l’exercice d’un travail, d’une activité, ou la fourniture d’un service à titre permanent ou occasionnel, à temps plein ou partiel, par une personne décidant de s’y livrer de son plein gré, en l’absence de lien de subordination juridique et de contrepartie financière.
On retiendra donc deux critères principaux : l’absence de rémunération et l’absence de lien de subordination.
La notion de contrepartie financière correspond à une rémunération directe – en espèces –, ou indirecte – en nature –, dont la valeur peut être susceptible de caractériser une activité intéressée. Le remboursement de frais réels engagés par le bénévole au profit de l’activité est donc d’ores et déjà admis, dès lors que ceux-ci sont dûment justifiés.
L’attribution d’aides destinées à compenser des sujétions, ou l’octroi de différents biens ou matériels de valeur symbolique en lien avec l’activité exercée – destinés notamment à faciliter sa bonne organisation ou à promouvoir sa visibilité –, demeure limitée. Aucune autre forme de gratification ne saurait être mise en place ; à défaut, l’activité, qui serait alors caractérisée comme intéressée, relèverait non plus du bénévolat, mais du salariat.
Si une entreprise a recours à de faux bénévoles, elle encourt le risque de voir requalifier l’activité en relation de travail ; quant à l’employeur, il peut être condamné pour dissimulation d’emploi salarié, une infraction constitutive de travail illégal.
La gratification du bénévolat ne peut se concevoir que dans ce cadre précis.
J’entends bien votre réponse, madame la ministre, mais celle-ci est insatisfaisante.
Vous le savez, les bénévoles sont une espèce en voie de disparition ; or nous en avons besoin, notamment dans le cadre associatif. Nous devons donc trouver des solutions pour encourager et pérenniser le bénévolat à tous les niveaux.
La parole est à M. Serge Mérillou, auteur de la question n° 669, adressée à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
Madame la ministre, alors que France Travail doit remplacer Pôle emploi le 1er janvier 2024, l’impact de l’intégration des missions locales à ce nouvel écosystème reste très incertain. Elles sont pourtant un atout indispensable dans la lutte contre l’exclusion et l’isolement des jeunes, en particulier en zone rurale, et cela depuis plus de quarante ans.
En Dordogne, département dont je suis élu, les cinq missions locales permettent un maillage efficace du territoire. Cette connaissance du terrain leur permet de saisir les problématiques spécifiques auxquelles chaque jeune est confronté.
Leur connaissance du terrain est nourrie, aussi, par la participation des élus locaux à la gouvernance des missions ; or, pour l’heure, le rôle qu’ils joueront dans votre projet est flou.
En 2022, en Dordogne, plus de 60 % des publics suivis n’étaient pas inscrits à Pôle emploi. Inclure les missions locales dans le futur dispositif, intitulé France Travail jeunes, risque de porter atteinte à leur autonomie et à leurs nombreuses fonctions – gestion de problématiques de santé, de logement, de mobilité, de budget, de prévention, etc.
Les missions locales sont un acteur de proximité privilégié pour la jeunesse. À l’heure où les services publics désertent de plus en plus nos territoires, elles jouent un rôle majeur en matière de lutte pour l’égalité des chances. Vouloir les coupler à un algorithme d’orientation désincarné est un non-sens.
Dématérialiser à l’excès, c’est déshumaniser, créer une barrière, un obstacle supplémentaire, pour des jeunes déjà déconnectés, exclus. Rien ne remplacera l’humain ! Nous devons faire confiance aux agents des missions locales, car leur expertise en matière d’accompagnement de notre jeunesse n’est plus à démontrer.
Madame la ministre, les usagers, les personnels et les partenaires des missions locales sont inquiets. Quelles garanties comptez-vous leur donner ? Comment comptez-vous préserver l’autonomie, si essentielle, de ces structures de proximité ?
Monsieur le sénateur Serge Mérillou, je me joins à vous pour rappeler l’implication et l’utilité des missions locales, qui proposent un accompagnement de grande qualité aux jeunes en difficulté. Ainsi sont-elles naturellement appelées à jouer un rôle dans le cadre de France Travail, en devenant France Travail jeunes, opérateur associé de l’opérateur principal France Travail.
France Travail jeunes aura pour mission d’accompagner, de manière globale, les jeunes qui en auront le plus besoin pour qu’ils puissent gagner en autonomie et retourner vers l’emploi, avec l’aide de professionnels, et d’assurer un suivi social via un travail sur les freins périphériques à l’emploi.
Les jeunes concernés seront dirigés vers France Travail jeunes selon les règles d’orientation définies dans le cadre du contrat d’engagement jeune (CEJ). La gestion des outils et des dispositifs d’accompagnement continuera donc d’associer étroitement les missions locales et Pôle emploi.
Pour ce qui concerne la gouvernance, France Travail jeunes contribuera pleinement à élaborer les feuilles de route annuelles pour le public jeune de chaque territoire, lesquelles comprendront un retour sur les résultats, année par année, ainsi qu’un diagnostic de la situation actuelle, et détailleront les objectifs communs en matière de repérage, d’accompagnement et de retour à l’emploi des jeunes. Les comités locaux France Travail, coprésidés par l’État et les collectivités locales, examineront ensuite ces feuilles de route.
Ce nouveau schéma de gouvernance ne modifiera donc pas la contractualisation entre les missions locales et leurs financeurs. Le conventionnement direct avec l’État et les collectivités est maintenu. De même, les missions France Travail jeunes pourront, à l’instar des missions locales actuellement, prendre l’initiative du pilotage et être garantes de projets directement portés auprès de l’État et des collectivités dans le cadre de la contractualisation.
J’y insiste, les missions locales seront étroitement intégrées dans France Travail et continueront d’assumer leurs missions d’accompagnement des jeunes, mais en s’insérant dans un écosystème imbriqué, rationalisé, et en partageant des objectifs communs.
La parole est à M. Hervé Gillé, auteur de la question n° 722, adressée à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
Madame la ministre, 607, 75 euros, voilà le montant perçu par une personne seule au RSA, ce revenu de solidarité active qui couvre en France 3, 85 millions de personnes.
Dans le cadre de son plan de refonte de la relation au travail, le Gouvernement envisage de renforcer les mesures contraignantes pour les allocataires du RSA, en conditionnant le versement de ce dernier au suivi de parcours intensifs d’« heures d’activités » – au nombre de quinze à vingt heures par semaine. Qu’en est-il exactement de cette intention ?
Il est essentiel d’évaluer attentivement les risques induits par de telles mesures et de s’assurer que les politiques mises en œuvre favorisent une réinsertion durable plutôt que des résultats à court terme.
Cette nouvelle conditionnalité du versement du RSA est actuellement testée dans plusieurs départements. Les conclusions de ces expérimentations sont attendues afin d’orienter nos futures réflexions sur cette question. Nous espérons que le Gouvernement sera capable de les entendre et d’adapter sa politique.
Le RSA est déjà conditionné aux engagements des allocataires par un contrat avec des professionnels accompagnants sur le plan social et professionnel. Pouvez-vous préciser vos orientations ? Voulez-vous renationaliser le RSA ?
Le changement d’organigramme de l’organisation du versement du RSA, donc la remise en question de la place des départements dans le cadre de cette réforme, alertent les collectivités. Voulez-vous placer les départements sous tutelle ?
Les discussions doivent se poursuivre pour trouver des approches sociales qui soutiennent réellement l’autonomie des allocataires du RSA et répondent aux enjeux socioéconomiques tout en laissant les départements en première ligne, pour garantir une véritable politique de proximité.
Madame la ministre, pouvez-vous préciser vos intentions ? Quelle inscription des départements dans le projet France Travail prévoyez-vous ? Allez-vous leur imposer cette réforme et poursuivre cette politique coercitive d’approche néolibérale ?
Monsieur le sénateur Hervé Gillé, l’objectif du chantier France Travail est l’amélioration significative de l’offre de service aux demandeurs d’emploi ainsi qu’aux entreprises, et tout particulièrement aux allocataires du RSA. En effet, seuls 40 % d’entre eux sont aujourd’hui inscrits à Pôle emploi ; parmi les allocataires du RSA, 42 % y sont toujours inscrits sept ans après leur première inscription. Il est donc urgent de les accompagner.
À cet égard, les quinze à vingt heures par semaine que vous avez évoquées ne relèvent ni du travail gratuit ni du bénévolat obligatoire : il s’agit de consacrer du temps à la construction d’un parcours, dans une logique de meilleure insertion professionnelle.
Nous tiendrons compte des différentes situations afin de répondre aux besoins spécifiques d’accompagnement des personnes ; ces besoins ne sont en effet pas les mêmes, au niveau des freins périphériques, selon que l’on est une femme chef de famille monoparentale ou que l’on vit en milieu rural, par exemple.
Il s’agit de s’appuyer sur des démarches déjà existantes ; nous ne partons pas de zéro. Nous utiliserons ainsi le contrat d’engagement jeune, dont les résultats sont encourageants et qui nous permet d’avoir un certain recul sur les moyens mobilisables pour mettre en place ces quinze à vingt heures d’activité consacrées au parcours professionnel en termes d’accompagnement, de formation et d’immersion professionnelle. Il s’agit d’alimenter la réflexion afin d’améliorer l’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi.
Nous avons donc lancé un grand dispositif de parangonnage : cet exercice mené au niveau européen, grâce au travail de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’inspection générale des finances (IGF), a renforcé notre conviction qu’un accompagnement intensif faisait partie des facteurs clés de réussite de l’insertion professionnelle.
Une expérimentation relative aux allocataires de RSA est ainsi en cours dans dix-huit départements volontaires, et devrait progressivement être étendue. Elle permettra de proposer des offres adaptées aux besoins de chacun et de retenir les solutions qui fonctionnent dans chacun de ces départements.
Il y a certes des expérimentations, madame la ministre, mais il n’y a pas de retours d’expérience dont les départements pourraient discuter ! Il serait donc utile de replacer ceux-ci dans le jeu et de négocier avec eux les nouvelles orientations prévues dans votre projet de loi.
Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
La séance est suspendue.
Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à douze heures vingt,
La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Pierre Laurent.
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer, en votre nom à tous, la présence dans notre tribune d'honneur d'une délégation du Sénat de Roumanie, conduite par M. Titus Corlatean, président de la commission des affaires étrangères du Sénat roumain.
Mmes et MM. les sénateurs, a insi que M le garde des sceaux, se lèvent.
La délégation est accompagnée de M. Bernard Fournier, président du groupe d'amitié France-Roumanie.
Cette visite, qui s'inscrit dans le cadre des échanges interparlementaires réguliers qu'entretiennent les Sénats français et roumain, portera en particulier sur l'actualité européenne, dans le contexte de la guerre en Ukraine, ainsi que sur la francophonie.
Permettez-moi de souhaiter à nos amis roumains un séjour et des échanges fructueux, en formant le vœu que cette rencontre interparlementaire contribue à renforcer encore les liens d'amitié qui unissent nos deux assemblées.
Nous leur souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat français.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (projet de loi n° 569, texte de la commission n° 661, rapport n° 660) et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (projet de loi organique n° 570, texte de la commission n° 662, rapport n° 660).
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
La conférence des présidents a décidé que ces textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le garde des sceaux.
Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, nous y voici !
Après plus de huit mois d'intenses travaux, pour sonder les difficultés de l'institution judiciaire, et près d'un million de contributions citoyennes ; après la remise du rapport du comité des États généraux de la justice ; après deux grandes vagues de concertations, à l'été et à l'automne derniers, avec l'ensemble des parties prenantes du monde judiciaire ; après la présentation d'un plan d'action global pour la justice en janvier dernier ; après donc toutes ces étapes, nous voici réunis aujourd'hui pour discuter de la première traduction législative et organique de ce plan d'action.
Conformément à l'engagement du Président de la République et de la Première ministre, je viens vous présenter les projets de loi de programmation et de réforme du statut de la magistrature les plus ambitieux de l'histoire du ministère de la justice.
Pour vous parler très simplement, comme je l'avais fait sur le perron du ministère en juillet 2020, lors de mon entrée en fonctions, je viens surtout tourner, avec vous, la page des mauvaises habitudes qui gangrènent notre justice depuis plus de trente ans.
La première de ces mauvaises habitudes est celle qui consiste à demander toujours plus à la justice, tout en lui donnant toujours moins. Oui, je suis venu tourner avec vous la page du délabrement, de la « clochardisation » de la justice française ! La route est encore longue, bien sûr, mais nous allons désormais dans la bonne direction, d'un pas résolument assuré.
Une autre mauvaise habitude est celle qui consiste à adopter, en matière de justice, une approche parcellaire. Le plan d'action pour la justice est un plan global, qui touche toutes les matières – justice pénale, civile, commerciale, organisation des juridictions, etc. – en utilisant tous les leviers, qu'il s'agisse du levier législatif, organique, budgétaire ou réglementaire.
La dernière de ces habitudes est sans doute la pire : ne pas placer au cœur des réformes le justiciable, qu'il soit victime, accusé, demandeur ou requérant.
Je le dis clairement, avec ce plan d'action et ces projets de loi, nous avons pour ambition de répondre concrètement aux attentes de nos concitoyens, qui veulent d'abord une justice plus rapide. L'objectif est simple : je veux diviser par deux l'ensemble des délais de justice d'ici à 2027.
Vous l'aurez compris, notre priorité absolue est de donner à la justice les moyens nécessaires pour lui permettre d'être à la hauteur de sa mission.
C'est pourquoi, à l'article 1er du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, je vous propose d'entériner une hausse inédite des crédits de la justice, qui atteindront près de 11 milliards d'euros en 2027.
Au cours des cinq prochaines années cumulées, les crédits du ministère de la justice augmenteront de près 7, 5 milliards d'euros, alors qu'ils ont augmenté de 2 milliards d'euros seulement au cours du quinquennat du président Sarkozy et de 2, 1 milliards lors de celui du président Hollande.
Concrètement, mesdames, messieurs les sénateurs, ces crédits supplémentaires massifs vont nous permettre d'atteindre quatre objectifs qui correspondent, de manière globale, aux enjeux d'efficacité du service public de la justice.
Le premier objectif, la mère de toutes les batailles, c'est le recrutement massif et rapide de magistrats, de greffiers, d'attachés de justice, d'agents pénitentiaires et d'agents administratifs ; bref, de tous ceux qui font vivre le ministère de la justice.
Pour graver cela dans le marbre, j'ai souhaité inscrire dans le projet de loi le recrutement de 10 000 personnels supplémentaires, en créations nettes de postes d'ici à 2027, parmi lesquels on comptera 1 500 magistrats – autant qu'au cours des vingt dernières années cumulées – et au moins 1 500 greffiers.
Le deuxième objectif est la revalorisation de ceux qui servent notre justice au quotidien. Pour recruter massivement, il faut attirer les talents vers le monde de la justice.
C'est pourquoi ce projet de loi de programmation entérine d'importantes revalorisations des métiers judiciaires. On peut notamment relever une augmentation de 1 000 euros mensuels pour les magistrats, qui sera effective dès l'automne prochain, pour récompenser et encourager leur engagement quotidien ; une revalorisation des greffiers, sans qui la justice ne pourrait pas fonctionner, qui se fera selon un calendrier de négociations spécifique, là aussi d'ici à l'automne ; enfin, le passage historique – il était réclamé par les syndicats depuis vingt ans – des agents pénitentiaires de la catégorie C de la fonction publique à la catégorie B et des officiers de la catégorie B à la catégorie A. Il était grand temps de reconnaître le rôle indispensable de la troisième force de sécurité intérieure de notre pays ; je suis fier non seulement d'être leur ministre, mais surtout d'avoir amélioré leur place dans la fonction publique.
Le troisième objectif est de mener à bien la transformation numérique du ministère de la justice, qui a longtemps péché en la matière. Les magistrats et greffiers de terrains nous le disent : souvent, ils sont freinés par une informatique et un réseau qui ne sont pas à la hauteur.
Le but est clair : comme dans la juridiction administrative, il faut instaurer le zéro papier à l'horizon 2027. Pour cela, nous avons une méthode.
Nous dotons d'abord toutes les juridictions d'experts en informatique qui leur soient dédiés, pour agir au plus près du terrain en ayant le savoir-faire requis lorsque la bécane plante, si vous me passez l'expression.
Ensuite, nous augmentons massivement la capacité des réseaux du ministère pour fluidifier les connexions.
Par ailleurs, nous souhaitons que, à terme, un seul compte donne accès à toutes les applications informatiques, afin d'éviter les doublons de saisines, notamment des greffiers, qui font perdre à ceux-ci un temps précieux.
Nous accélérons la mise à jour, concertée avec le terrain, des logiciels en matière civile ; je pense par exemple à Portalis.
En matière pénale, ce projet de loi de programmation prévoit le déploiement, déjà engagé, de la procédure pénale numérique, en lien avec le ministère de l'intérieur. À cet effet, un chef de file unique sera issu de la Chancellerie.
La transformation numérique de la justice doit également se faire en direction de ceux qu'elle sert, c'est-à-dire bien sûr des justiciables.
En janvier dernier, j'annonçais le lancement d'une application sur smartphone regroupant des fonctionnalités importantes. C'est chose faite : elle a été lancée le 27 avril dernier dans une version qui permet déjà, par exemple, de savoir si, oui ou non, on est éligible à l'aide juridictionnelle, ou encore de simuler le montant d'une pension alimentaire.
Cette application, nommée « justice.fr », a déjà été téléchargée plusieurs dizaines de milliers de fois – je vous encourage d'ailleurs chaleureusement à le faire, mesdames, messieurs les sénateurs ! Elle montera en puissance et de nouvelles fonctionnalités seront disponibles au gré de mises à jour régulières.
Le dernier de nos quatre objectifs, dans la cohérence de notre plan, concerne bien sûr le programme immobilier du ministère de la justice.
Il s'agit d'abord, bien sûr, de l'immobilier judiciaire, c'est-à-dire de la construction de tribunaux. Les recrutements massifs vont nécessiter une augmentation et une rénovation massives du parc judiciaire.
C'est pourquoi nous avons une vision et une stratégie globales : nous prévoyons d'investir de manière massive dans les tribunaux de demain afin d'agir sur tous les leviers d'amélioration des conditions de travail de ceux qui servent la justice. En bout de chaîne, c'est bien le justiciable qui en bénéficiera pleinement.
Concrètement, d'ici à 2027, nous engagerons plus de quarante opérations de restructuration et de rénovation de tribunaux et de cours.
Ensuite, il y a le programme immobilier pénitentiaire, qui avance sûrement, malgré les nombreux freins, comme la crise sanitaire – si elle est derrière nous, elle a durablement affecté les chantiers –, la guerre en Ukraine, qui a réduit l'accès aux matières premières, et, bien sûr, les réticences des riverains et, souvent, de leurs élus.
Notre engagement est clair et notre cap est fixé : nous construirons 15 000 places de prison supplémentaires d'ici à 2027. L'année prochaine, la moitié des établissements prévus dans ce plan seront sortis de terre.
Il y va d'abord de la bonne application de ma politique pénale, qui est sans aucune ambiguïté : fermeté sans démagogie, humanisme sans angélisme.
Il y va ensuite des conditions de détention, qui sont parfois indignes. Je fais le tour des prisons depuis plus de quarante ans, je connais la dégradation d'un certain nombre d'établissements, mais je n'ai pas de baguette magique : je n'ai qu'une volonté politique forte, des leviers d'actions réalistes et des moyens inédits. En matière pénitentiaire comme en matière pénale, il faut se méfier des solutions miracles, clefs en main.
La construction de prisons est la solution la plus lente, mais la plus sûre, d'autant que, en parallèle des constructions, nous investissons massivement dans les rénovations, pour un montant de près de 130 millions d'euros par an, soit près de deux fois plus que sous le quinquennat de François Hollande.
M. Jean-Marc Sauvé, président du comité des États généraux de la justice, l'a indiqué en quelques mots : tout ne se résume pas à la question des moyens. C'est pourquoi je vous propose une série de mesures qui viennent réformer en profondeur l'institution sans pour autant la déstabiliser.
Oui, l'une des innovations de ce projet de loi de réforme de la justice, c'est de mettre en face des réformes les moyens nécessaires pour les appliquer correctement.
Le premier axe de la réforme est l'amélioration de l'organisation de la justice, selon une approche innovante et pragmatique.
Je souhaite accélérer la déconcentration du ministère de la justice en laissant plus d'autonomie aux juridictions dans leur administration, afin de ne faire intervenir l'administration centrale que lorsqu'elle est utile en matière de support ou nécessaire en termes d'arbitrages. Il faut faire confiance aux acteurs de terrain !
Cette nouvelle étape, chère à Mme la rapporteure Agnès Canayer, relève en grande partie du domaine réglementaire et se fera d'ici à l'automne prochain. J'ai souhaité inscrire cette orientation claire dans le rapport annexé à ce projet de loi, car une organisation plus efficace de la justice, ce sont aussi des moyens mieux employés, au plus près des professionnels et des justiciables.
L'amélioration de l'organisation des juridictions passe aussi par des expérimentations innovantes visant à améliorer concrètement le service rendu au justiciable.
C'est ce que nous proposons, à travers l'expérimentation d'un véritable tribunal des activités économiques. En effet, l'organisation actuelle des juridictions commerciales manque de lisibilité pour les justiciables et les différents acteurs.
Je vous propose également d'expérimenter une contribution économique, comme cela se pratique dans divers pays européens, afin notamment de lutter contre les recours abusifs et d'inciter aux règlements à l'amiable. Cette contribution permettra aussi de bénéficier de l'effet marque, car souvent, dans le monde économique, ce qui est gratuit est perçu comme étant de moindre qualité. Elle tiendra compte de la capacité contributive du demandeur et du montant de la demande.
Une amélioration de l'organisation de nos juridictions passe également par celle des politiques pénales prioritaires.
Je pense bien sûr à la question de la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) et à la création de pôles spécialisés VIF, comme le préconisent dans leur récent rapport de grande qualité Mme la sénatrice Dominique Vérien et Mme la députée Émilie Chandler. Cette nouvelle organisation, désormais inscrite dans le rapport annexé, sera traduite dans le code de l'organisation judiciaire par un décret qui vous sera transmis et sera publié cet été.
Le deuxième axe est la modernisation des ressources humaines de la Chancellerie, qu'il s'agisse des magistrats ou des fonctionnaires.
Je souhaite évidemment que tous les leviers à notre disposition soient employés pour nous assurer non seulement que le plan de recrutement sera réalisé, mais surtout qu'il correspondra aux besoins du terrain.
Cette modernisation implique d'abord une adaptation des ressources de la Chancellerie à la réalité d'aujourd'hui, notamment celle de la diversification des fonctions. Je pense par exemple au travail formidable réalisé par les contractuels dans toutes nos juridictions. Leur recrutement, ainsi que l'engagement des magistrats et des greffiers, a déjà permis de réduire les stocks d'affaires civiles de près de 30 % dans presque toutes les juridictions, pour la première fois depuis des décennies : cette baisse de 30 %, c'est la moyenne nationale. Moins de stocks, c'est moins d'attente pour nos concitoyens !
C'est pourquoi, en plus des recrutements massifs de magistrats et de greffiers, je vous propose dans ce projet de loi de programmation non seulement de pérenniser ces emplois, en les transformant en contrats à durée indéterminée (CDI), mais également de les institutionnaliser en créant la fonction d'attaché de justice.
Ces attachés de justice seront formés à l'École nationale de la magistrature (ENM) et prêteront serment. Ils viendront constituer une véritable équipe autour du magistrat ; cela constitue une réelle révolution à venir au sein de la justice.
C'est cette même impulsion que nous souhaitons donner à l'administration pénitentiaire, en lui donnant la possibilité de recruter des surveillants adjoints par la voie contractuelle. Cette approche a fait ses preuves au ministère de l'intérieur. J'ajoute que, en termes d'attractivité, le recrutement de contractuels permet d'embaucher des personnels au plus près des établissements pénitentiaires.
Le chantier majeur de la modernisation des ressources humaines est bien sûr celui qui est porté dans le projet de loi organique : je veux parler de la réforme du statut de la magistrature, qui tourne autour de trois axes.
Le premier de ces axes est l'ouverture du corps judiciaire.
Recruter 1 500 magistrats va nécessiter de faciliter l'accès à la magistrature. Pour cela, nous proposons la création de magistrats en service extraordinaire, mais également une ouverture des recrutements, en simplifiant les différentes voies d'accès, notamment pour les avocats, et en professionnalisant le recrutement par l'instauration d'un jury professionnel. Le maintien du principe du concours républicain nous garantira évidemment l'excellence du niveau de recrutement.
L'objectif est aussi d'assouplir certaines règles pour les magistrats exerçant à titre temporaire : ceux-ci font un travail remarquable et on a besoin d'eux, notamment pour la politique de l'amiable et les cours criminelles départementales.
Enfin, il convient également de simplifier certaines règles de gestion des ressources humaines.
Je pense ainsi à la pérennisation des brigades de soutien de magistrats et de greffiers, qui ont récemment fait leurs preuves à Mayotte et en Guyane ; à la mise en place des priorités d'affectation des magistrats qui ont accepté de partir dans des territoires peu attractifs ; ou encore, à la création d'un troisième grade, pour garder des magistrats d'expérience de première instance afin notamment d'améliorer la qualité de celle-ci, conformément aux vœux de Jean-Marc Sauvé.
Le deuxième axe de la réforme statutaire est la modernisation du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), notamment pour ce qui est du dialogue social ou du mode de scrutin.
Enfin, son dernier axe porte sur la responsabilité du corps judiciaire. Il s'agit notamment d'élargir à la fois les conditions de recevabilité des plaintes des justiciables contre des magistrats devant le CSM, qui aujourd'hui ne donnent jamais lieu à sanction in fine, et les pouvoirs d'enquête du CSM pour instruire ces plaintes, via la possibilité de saisir l'inspection générale de la justice.
Le troisième chantier de la réforme est la simplification d'un certain nombre de procédures : qu'elles soient civiles ou pénales, elles sont aujourd'hui un facteur de complexité pour nos professionnels et d'éloignement entre le citoyen et la justice.
Vous le savez, en matière civile, je veux simplifier la procédure d'appel en réformant le décret Magendie et surtout faire enfin advenir la révolution de l'amiable, qui se fait tant attendre dans notre pays.
Ces réformes relèvent du domaine réglementaire, mais j'ai transmis à la commission des lois le projet de décret concernant la mise en place de la césure et de l'audience de règlement amiable, afin que nous puissions échanger sur ces questions dans les semaines à venir, dans un temps plus long que celui du présent débat, puisque ce décret sera publié pendant l'été pour une entrée en vigueur au 1er octobre.
Vous le savez, ma porte est grande ouverte pour échanger sur ces questions !
En matière pénale, je souhaite que nous puissions lancer ensemble le chantier titanesque de la simplification de la procédure pénale.
Il s'agit, dans un premier temps, de restructurer et de clarifier le code de procédure pénale à droit constant – j'insiste sur ce point –, comme cela est précisé à l'article 2 du projet de loi d'orientation et de programmation.
Notre objectif est de rendre le code plus lisible pour les professionnels, en réécrivant des articles où figurent des renvois successifs à d'autres articles, en réorganisant l'ensemble des chapitres et en regroupant certains textes épars, tout cela notamment pour éviter les erreurs procédurales.
Pour garantir que cette réécriture se fera bien à droit constant, j'ai mis en place un comité scientifique et je vous proposerai, mesdames, messieurs les sénateurs, de créer également un comité de suivi composé d'un représentant par groupe parlementaire et des présidents des commissions des lois de chaque assemblée.
En conclusion de ce point, je rappelle qu'une codification à droit constant est soumise à des contrôles nombreux et importants, notamment par la commission supérieure de codification et le Conseil d'État. Ces institutions imposent au Gouvernement de respecter la lettre, mais aussi l'esprit de l'habilitation octroyée par le législateur.
Par ailleurs, je vous confirme que le nouveau code de procédure pénale n'entrera pas en vigueur avant la ratification de cette ordonnance, comme ce fut le cas pour le code de la justice pénale des mineurs et conformément à la volonté de votre commission et de ses rapporteures.
Enfin, il vous est proposé une série de mesures concrètes immédiatement applicables.
Je pense par exemple à des mesures améliorant l'efficacité de l'enquête pénale. Je pense également à l'extension des travaux d'intérêt général aux entreprises du secteur de l'économie sociale et solidaire. Je pense enfin à l'extension du champ des infractions recevables pour une indemnisation des victimes.
Pour conclure mon propos déjà trop long, je tiens à saluer le travail de la commission, de ses rapporteures et de son président. Si nous avons certaines divergences, sur lesquelles nous reviendrons lors de l'examen des amendements, je sais que nous partageons une ambition commune, en réponse à l'impérieuse nécessité de restaurer la place de la justice. Il s'agit de faire en sorte qu'elle soit à la hauteur de la mission fondamentale qui est la sienne, à la hauteur de l'engagement de ceux qui la servent et, surtout, à la hauteur des attentes des Français, au nom de qui, ne l'oublions jamais, la justice est rendue.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Daniel Chasseing et Pierre Louault applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien, rapporteure, applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice n'est pas épargnée par la défiance des Français à l'égard des institutions. Ni ce désamour pour le juge ni le malaise persistant des acteurs de la justice n'ont été endigués par les six réformes législatives votées depuis 2017, dont la dernière, baptisée « loi pour la confiance dans l'institution judiciaire », date de moins d'un an et demi.
L'enchevêtrement des réformes successives n'a pas résolu la crise que la justice traverse depuis plusieurs années. Comme le résume Jean-Marc Sauvé dans le rapport qu'il a remis à l'issue des États généraux de la justice, cette situation découle d'un « malaise profond » aux origines lointaines, que l'ordonnancement juridique actuel, « plus kaléidoscopique que pyramidal », n'apaise pas.
Pourtant, ces États généraux de la justice ont fait naître un nouvel espoir. Ce projet de loi d'orientation et de programmation, qui vise à donner un nouveau souffle à la justice, et ce projet de loi organique, plus statutaire, en sont la traduction législative.
Toutefois, certaines dispositions restent très en deçà de l'ambition exprimée lors des États généraux de la justice. C'est le cas de la réforme du témoin assisté, ainsi que de la constitution de l'équipe autour du magistrat, équipe dont sont exclus les greffiers.
Le chantier de la réforme de la justice n'est pas qu'une affaire comptable, même si les moyens ont leur importance. L'effort budgétaire, de 6, 80 % à euros constants, inscrit dans la durée pour les années 2023 à 2027, est assurément bienvenu. Cela permettra notamment de financer les postes promis : 1 500 magistrats et 1 500 greffiers. Ces recrutements contribueront à combler notre retard par rapport à nos voisins européens. Nous avons souhaité augmenter l'ampleur des recrutements de greffiers, dont le rôle est central, et flécher 600 postes de conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP) afin de mieux accompagner l'exécution des peines.
Mais ces moyens supplémentaires ne suffiront pas à atteindre l'objectif fixé sans une réforme en profondeur de l'organisation du travail des magistrats ni une véritable simplification des procédures applicables.
Mes chers collègues, la réorganisation passe par une révision importante du corps judiciaire, corollaire des recrutements attendus.
La commission des lois a souhaité d'abord ouvrir davantage le corps judiciaire, en prévoyant que les magistrats constitueraient moins de la moitié du nouveau jury professionnel, tout en renforçant le niveau d'exigence pour le recrutement et la formation de ces nouveaux magistrats.
La modernisation de la gestion du corps judiciaire est aussi assurée par la réforme des trois grades et par l'ajout par la commission des lois des durées minimale et maximale d'affectation, conformément à la position constante qui est la sienne depuis 2017.
Enfin, nous avons souhaité renforcer le pouvoir des chefs de cour d'appel, futures clés de voûte de la déconcentration des services judiciaires dans la gestion des ressources humaines, et ce dans le respect du principe d'inamovibilité des magistrats, corollaire de leur indépendance.
En contrepartie, l'évaluation à 360 degrés des chefs de cour et de juridiction est alignée sur d'autres évaluations similaires pour la haute fonction publique. Il en est de même pour la responsabilité des magistrats judiciaires, consolidée grâce à une clarification de la faute disciplinaire et à un renforcement de l'échelle des sanctions.
La modernisation de l'organisation du travail des magistrats impose avant tout une évaluation réelle de leur charge de travail, afin d'affecter les moyens en fonction des besoins. Véritable serpent de mer, cette évaluation était attendue pour la fin de 2022… Espérons qu'elle remontera bientôt à la surface !
Très attendue, l'équipe autour du magistrat est réduite à sa portion congrue, c'est-à-dire aux attachés de justice et aux assistants spécialisés, les greffiers en étant de fait écartés. Cette conception est loin du modèle exposé dans le rapport de Dominique Lottin, repris par les États généraux.
La sédimentation des réformes pèse aussi sur la qualité du travail judiciaire et sur la sécurisation des décisions de justice.
La simplification du code de procédure pénale, qui compte 2 400 articles aujourd'hui, est unanimement souhaitée. Mais il doit s'agir d'une véritable simplification, qui soit l'occasion de poser les questions de fond sur l'instruction, sur l'unification des enquêtes, sur la place du parquet.
La méthode de l'habilitation pour réécrire à droit constant le code de procédure pénale n'emporte pas l'adhésion naturelle du Sénat. D'une manière générale, la Haute Assemblée n'est jamais encline à se déposséder de son pouvoir normatif au profit du Gouvernement, sans être assurée d'en contrôler les effets lors de la ratification.
L'habilitation sollicitée pose plusieurs questions : comment réécrire à droit constant un nouveau plan du code de procédure pénale sans en modifier le fond ? Comment le mettre en conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel ? Comment le clarifier sans véritablement le simplifier ?
À ces questions, votre réponse ne peut être qu'une étape du travail de la simplification de ce code. C'est pourquoi la commission des lois a souhaité repousser l'entrée en vigueur de l'ordonnance d'une année afin de laisser le temps de la ratification. Elle proposera par ailleurs d'introduire dans le rapport annexé la procédure pour aboutir à ce que la communauté des juristes appelle de ses vœux, à savoir une véritable simplification dudit code, sous contrôle des parlementaires.
Soyez assuré, monsieur le garde des sceaux, que la commission des lois prendra sa part de responsabilité dans ce travail titanesque, mais essentiel.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner deux textes portant réforme de notre justice.
Ces textes font suite aux États généraux de la justice, mais Agnès Canayer en ayant parlé, je n'y reviendrai pas. Je me concentrerai plutôt sur les articles sur lesquels j'aurai à vous répondre au nom de la commission.
J'évoquerai tout d'abord le projet de loi organique. S'il est utile d'ouvrir la magistrature et d'augmenter le nombre de magistrats, nous devons aussi entendre la défiance régulièrement exprimée à l'égard de la justice, certains pensant les juges intouchables. Il est vrai qu'au vu des résultats des saisines du Conseil supérieur de la magistrature – 3 324 saisines au cours des dix dernières années ; 88 jugées recevables ; 7 plaintes renvoyées, aucune sanction –, on pourrait le croire.
L'indépendance de nos magistrats ne doit pas se confondre avec l'irresponsabilité. C'est pourquoi l'article 8 élargit les conditions de recevabilité des plaintes des justiciables en supprimant la nécessité d'articuler les griefs. « Articuler les griefs » : un juriste sait ce que c'est, mais pas un justiciable lambda. Or, sous le prétexte que l'on ne savait pas dire en droit quelle faute le juge avait commise, la demande était rejetée.
Notre commission a également fait un choix de compromis en supprimant l'obligation d'audition systématique du magistrat, tout en clarifiant la définition de la faute disciplinaire et en renforçant l'échelle des sanctions.
J'en viens à un sujet qui pourrait paraître anecdotique, mais qui ne l'est pas : le niveau de diplôme requis pour exercer la profession d'avocat devient le master 2. Soit ! Mais le décret actuel qui définit les niveaux d'études requis ne distingue pas le niveau exigé pour exercer le métier de celui qui est requis pour intégrer le centre de formation. Or 8 % des élèves avocats n'ont qu'un master 1 et passent leur master 2 en cours de formation. Pourquoi se priver de ces élèves ? Il n'y a qu'un décret à changer pour distinguer les deux niveaux, monsieur le garde des sceaux.
J'en viens à présent au projet de loi ordinaire. Je tiens à saluer personnellement l'inscription des pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) dans le rapport annexé : il s'agit d'un premier pas vers une réponse globale, telle que nous l'avions suggérée dans le rapport Plan rouge VIF qu'Émilie Chandler et moi-même vous avons remis le 22 mai dernier, monsieur le garde des sceaux. Sur ce sujet, nous avons fait le choix, avec ma collègue Agnès Canayer, de ne pas déposer d'amendements, en particulier sur le rapport annexé.
Après tout, nous aurions pu faire de votre rapport un inventaire à la Prévert en y intégrant notre rapport, mais nous avons souhaité que le vôtre conserve son statut de document d'orientation, monsieur le garde des sceaux.
C'est pourquoi, contre toute attente, mes chers collègues, vous me verrez dans l'obligation de repousser certains amendements visant à prendre en compte certains éléments issus du rapport Plan rouge VIF, soit parce qu'ils relèvent du domaine réglementaire et que le ministère est en train de rédiger les décrets, soit parce qu'ils sont d'ordre financier et relèvent d'un projet de loi de finances, soit parce que ces amendements sont irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution.
Pour le reste, ce texte porte une réforme de notre justice commerciale largement inspirée de l'excellent travail de nos collègues François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi.
Nous expérimenterons donc des tribunaux des activités économiques. Pour autant, nous avons souhaité rendre cette réforme plus ambitieuse en l'étendant à tous les corps de métiers et en permettant à l'expérimentation de se faire dans les conditions réelles, avec des juges consulaires issus des différentes professions ajoutées.
Autre point notable, l'instauration d'une contribution pour la justice économique : le Sénat y est favorable de longue date. Cette mesure figurait dans le rapport de Philippe Bas de 2017, qui instaurait un droit de timbre pour responsabiliser les justiciables tout en finançant mieux la justice en général.
Toutefois, monsieur le garde des sceaux, nous devons faire attention au montant de cette contribution, en particulier pour les acteurs économiques en difficulté. Si celle-ci est pertinente, elle ne doit pas devenir un frein à l'accès à notre justice.
En outre, même si votre engagement de ne pas toucher les petites entreprises se traduira par un barème affiné, il apparaît particulièrement nécessaire d'engager une réforme de l'accès à l'aide juridictionnelle pour en étendre le bénéfice aux personnes morales. Nous n'avons pas pu entreprendre une telle réforme, l'article 40 de la Constitution nous en empêchant, mais cette nouvelle contribution pour la justice économique pourrait être une mesure de compensation.
Certains ont d'ailleurs demandé que cette contribution soit fléchée vers les tribunaux des activités économiques. Une telle mesure n'est possible qu'en projet de loi de finances, mais il est certain que cette contribution devrait servir à la justice, notamment à la justice économique. On ne peut plus dire des juges consulaires qu'ils sont des bénévoles, il convient plutôt de les considérer, dans bien des cas, comme des mécènes. Or il n'est pas très juste de devoir payer pour travailler dans un tribunal !
En conclusion, monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de vous dire qu'il vous reste encore du travail ! §
Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « dégradation de l'institution judiciaire », « souffrance du personnel de la justice », « incompréhension des justiciables» : ces mots sont issus du rapport du comité des États généraux de la justice de juillet 2022.
Ce rapport appelait à une réforme systémique dans un contexte de défiance généralisée face aux institutions. Or les deux textes que nous examinons aujourd'hui ne répondent pas réellement à une telle ambition. S'ils sont présentés comme la traduction des États généraux, c'est essentiellement d'un point de vue chronologique.
Nous regrettons que deux questions aient été oubliées dans la réforme.
La première grande oubliée, c'est la question carcérale, qui était pourtant mentionnée dans le rapport des États généraux. Un seul article y est consacré, et encore prévoit-il seulement une augmentation du nombre de places de prison. Or tous les travaux de recherche démontrent que plus ce nombre augmente, plus le nombre de personnes placées sous écrou croît, ce qui favorise la récidive. Notre collègue Jean-Pierre Sueur y reviendra.
La seconde oubliée de la réforme, c'est la question des violences intrafamiliales, laquelle est pourtant régulièrement présentée comme une priorité de l'action gouvernementale. Or on reste très en deçà des besoins. C'est très regrettable, madame la rapporteure, comme le soulignera Laurence Rossignol.
Par ailleurs, nous déplorons que ces projets de loi soient discutés en procédure accélérée. Pourtant, ces textes, d'apparence technique, sous-tendent parfois un véritable changement de paradigme.
De même, nous restons dubitatifs sur la pratique du rapport annexé, qui permet de tout dire, mais qui n'a aucune valeur législative et qui peut être une manière de se défausser.
En termes de méthode, la réécriture par voie d'ordonnance du code de procédure pénale pose aussi question. Nous n'y sommes pas favorables par principe, même si nous convenons que, sur un tel sujet, il est difficile d'éviter une ordonnance. Cependant, nous souhaitons qu'elle soit mieux encadrée.
La proposition des rapporteures de reporter d'un an l'entrée en vigueur de l'ordonnance après sa publication est un premier pas, mais nous voudrions aller plus loin.
Toutefois, si ces deux textes restent en deçà de l'ambition affichée par le Gouvernement, nous reconnaissons qu'il y a urgence et qu'il nous faut avancer. En conséquence, nous abordons leur examen dans un esprit constructif, comme cela a été le cas en commission, où quelques-uns de nos amendements ont été adoptés, en particulier sur le projet de loi organique.
Disons-le clairement, nous sommes favorables à l'augmentation du budget, qui est considérable et significative, mais nous serons vigilants sur l'effectivité de ces moyens supplémentaires et sur les conséquences d'un certain nombre des mesures proposées, l'objectif étant que la justice soit plus rapide, comme vous l'appelez de vos vœux, monsieur le garde des sceaux.
À cet égard, nous nous interrogeons sur quelques points, qui ont motivé le dépôt de nos amendements.
Ainsi, l'article 3 du projet de loi d'orientation et de programmation pose singulièrement problème, plusieurs de ses mesures étant attentatoires aux libertés. Le renvoi de certaines procédures au juge des libertés et de la détention au motif d'alléger l'organisation des audiences et la charge des tribunaux correctionnels nous semble plutôt être une manière détournée de gérer les flux liés au nombre insuffisant de magistrats.
De même, d'autres points justifient des amendements : les perquisitions de nuit ; les délais en matière de détention provisoire et de garde à vue ; l'assignation à résidence avec surveillance électronique (Arse) ; les écoutes ; la captation d'image ; la géolocalisation.
Par ailleurs, la réforme de la justice économique, envisagée à titre expérimental, est également source d'interrogations. Compte tenu des réserves qu'elle suscite, nous doutons de son intérêt. À tout le moins, nous estimons qu'elle n'est pas mûre en l'état.
Enfin, le cadre d'action des nouveaux attachés de justice nous semble devoir être précisé, pour que ceux-ci puissent être réellement des appuis pour les juges et ainsi donner sens à l'équipe autour du juge, organisation à laquelle nous souscrivons totalement.
L'ouverture du corps judiciaire prévue dans le projet de loi organique nous paraît légitime pour mieux garantir l'ancrage sociétal et la diversité des profils, mais aussi pour faire face à l'exigence d'un recrutement important sans remettre en cause sa qualité. Nous y sommes donc favorables, à condition de ne pas complètement déséquilibrer la composition du corps des magistrats. Il convient aussi de veiller à ce que la durée de formation, comme la question du stage probatoire, réponde bien à ces objectifs. Prenons garde à ce que cette ouverture ne soit pas contre-productive.
Nous serons également vigilants sur le sort de la commission d'avancement et sur la constitution du jury, divergeant sur ce point avec la position des rapporteures.
Enfin, concernant l'introduction du principe d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, nous regrettons que le texte traduise in fine le renoncement à appliquer l'article 56 de la loi Sauvadet de 2012, désormais codifié à l'article L.132-5 du code général de la fonction publique, pour les nominations aux plus hauts postes de la hiérarchie judiciaire.
Telle est, en quelques mots, notre position sur ces deux textes. Si nous reconnaissons de réelles avancées en termes de moyens, nous jugeons que ces projets de loi sont loin de mettre en œuvre une véritable réforme systémique, telle que celle qui a été proposée par les États généraux de la justice. Nous nous efforcerons donc, au cours de leur examen en séance publique, de les améliorer. Nous serons ensuite vigilants s'agissant de leur mise en œuvre. §
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui l'examen de deux projets de loi fondamentaux pour la justice française.
En préambule, je tiens à souligner que la façon dont ces deux projets de loi ont été élaborés ne nous a pas paru constructive. Le recours à la procédure accélérée afin que ces textes puissent être adoptés avant l'été nous préoccupe, le Gouvernement étant récidiviste en la matière, si vous me permettez ce jeu de mots. Cette procédure tend même à devenir la règle.
Nous regrettons également que le dialogue social n'ait pas été poussé jusqu'au bout et qu'il ait même été parfois négligé. Le groupe CRCE déplore la tendance actuelle consistant à élaborer des normes législatives et réglementaires à la hâte.
En procédant ainsi, nous aboutissons in fine à la multiplication de textes mal ficelés, vecteurs d'une grande insécurité juridique et de difficultés d'application.
Nous partageons le constat des rapporteures : ces textes ne constituent qu'une traduction approximative des conclusions du comité des États généraux de la justice. Notre groupe est donc réservé sur ces projets de loi.
Sur le fond, le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 affiche l'objectif d'une justice plus rapide, plus claire, en somme d'une justice moderne. Nous partageons bien évidemment cet objectif, mais nous regrettons l'absence de dispositions ayant vocation à endiguer la surpopulation carcérale. En effet, le projet de loi ne prévoit que la construction de 15 000 places de prison d'ici à 2027, ce qui est clairement insatisfaisant à nos yeux.
Malgré les demandes, les tribunes, les alertes, rien n'a été envisagé en matière de régulation carcérale ; rien non plus sur la qualité du suivi en milieu ouvert. L'assignation à résidence avec surveillance électronique est devenue l'alternative à l'incarcération, alors qu'elle reste contraignante, désocialisante et qu'elle ne constitue pas une solution pour la réinsertion.
N'oublions pas que le nombre de détenus a atteint aujourd'hui un record et que les conditions de détention sont toujours indignes. La France ne peut faire avec !
Oui, ce débat est exigeant. Il nous oblige à ne pas nous en tenir aux postures et aux réponses populistes tant attendues par une certaine presse en soif non pas de justice, mais de vengeance, alors même que c'est de temps et de courage que nous avons besoin pour mobiliser la part de raison et d'humanité présente en chacun de nous, plutôt que la part d'animalité.
Avec humilité, mais volontarisme politique, monsieur le garde des sceaux, notre groupe a décidé de relayer ces exigences en introduisant dans le projet de loi par voie d'amendement le contenu de la proposition de loi de notre présidente Éliane Assassi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale. Le sens de la peine doit être questionné.
Nous devons garder en tête que sanction pénale ne doit pas rimer avec perte de la dignité. La violence que porte notre société doit nous conduire à nous interroger sur notre politique carcérale. Quant à la préservation des droits fondamentaux de chacun, elle ne doit jamais être une option.
Si le recrutement prévu de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers d'ici à 2027 est une réponse aux importants manques d'effectifs, il demeure insuffisant.
Par ailleurs, nous sommes réservés sur le recrutement massif d'attachés de justice, dont les responsabilités seraient étendues. Ces « urgentistes » de la justice ne permettront pas de pallier le manque de magistrats au sein de l'institution judiciaire et ne peuvent constituer une solution à long terme. La justice est un service public exigeant, qui ne saurait se passer de véritables magistrats, formés aux fonctions difficiles qui sont les leurs.
Nous sommes opposés à certaines dispositions visant à réformer la procédure pénale, dispositions sur lesquelles nous avons déposé des amendements. Nous y reviendrons au cours de la discussion des articles.
Enfin, le groupe CRCE ne peut que s'opposer à la réforme asynchrone de la justice commerciale proposée par le Gouvernement.
Le projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, présenté dans son exposé des motifs comme l'une des plus importantes réformes statutaires des magistrats depuis 1958, se veut ambitieux dans ses dispositions.
Le texte vise ainsi trois objectifs principaux : l'ouverture du corps judiciaire sur l'extérieur ; la modernisation de l'institution judiciaire, tant dans sa structuration que dans son fonctionnement ; la protection et la responsabilisation accrue des magistrats dans le cadre de leur exercice professionnel.
Si nous partageons certains de ces objectifs, nous restons bien souvent sur notre faim à la lecture de ce texte, comme bon nombre de représentants du corps judiciaire.
D'une part, le projet de loi valorise les parcours professionnels des magistrats qui choisissent d'exercer des fonctions d'encadrement, et ce au détriment de la grande majorité des magistrats, qui préfèrent les fonctions juridictionnelles et n'ont pas d'appétence pour les fonctions d'encadrement ou de coordination de service, encore moins pour l'exercice professionnel au sein de la haute hiérarchie judiciaire.
D'autre part, le projet de loi organique apporte des changements majeurs en matière de recrutement en visant l'objectif d'une plus grande ouverture du corps judiciaire sur l'extérieur. Pourtant, c'est moins à l'ouverture vers l'extérieur qu'à la simplification des voies de recrutement, à l'amélioration de la formation, puis à l'intégration des magistrats nouvellement recrutés qu'il faut selon nous s'atteler.
À cet égard, le texte comporte de maigres avancées. Nous souhaitons donc rappeler que la magistrature ne doit pas devenir demain une voie de repli. La philosophie et la pratique de la magistrature ne sont pas les mêmes que celles de l'avocature. Il s'agit de philosophies différentes, qui guident des choix de carrière et qu'il convient de respecter, d'accompagner, d'encourager, voire – j'ose le dire – de promouvoir.
Après ces nombreux constats, nous avons confiance et nous espérons que nos débats en séance publique nous permettront d'avancer. Nous sommes satisfaits que l'examen des textes en commission ait permis de les améliorer sur certains points, principalement grâce à nos rapporteures.
Nous déciderons de notre vote à l'issue de nos travaux, mais nous ne doutons pas de parvenir en séance à effectuer un travail constructif. §
Monsieur le président, mes chers collègues, nous vous savons gré, monsieur le garde des sceaux, d'avoir obtenu des moyens financiers importants pour la justice. Pour en arriver là et obtenir des arbitrages favorables, il fallait une véritable volonté politique. Nous prenons volontiers acte de ces résultats encourageants, pour qu'enfin notre justice redevienne une priorité budgétaire.
Comme vous l'a indiqué notre collègue Agnès Canayer, tout n'est pas qu'une affaire comptable. Notre justice doit à l'évidence connaître aussi des évolutions en profondeur.
Notre groupe est a priori favorable aux orientations des textes que vous nous présentez, et ce d'autant plus que nous avons été associés à leur préparation grâce à notre rapporteure Dominique Vérien, qui a beaucoup travaillé, de manière efficace et sereine, avec Agnès Canayer.
Je l'ai dit, tout n'est pas qu'une affaire comptable : dans le monde judiciaire, il faut, peut-être plus qu'ailleurs, être attentif aux détails. Certaines formules sont tout à fait remarquables, et nous sommes habitués à la qualité des discours lors des audiences de rentrée des tribunaux, mais, au-delà des discours, il faut aussi se préoccuper de la mise en œuvre. Or c'est souvent là que le bât blesse.
J'en viens au détail des textes.
Dans le projet de loi organique, les dispositions relatives à l'ouverture des accès à la magistrature nous paraissent conformes à la fois aux évolutions de la société et aux attentes que l'on peut avoir à l'égard de ce corps.
La Chancellerie, sous votre autorité, monsieur le garde des sceaux, doit réaliser un exercice difficile. Il lui faut effectuer un nombre important de recrutements. Cette exigence quantitative suscite des interrogations d'ordre qualitatif. Quand j'emploie ce qualificatif, je pense non pas aux qualités techniques ou intrinsèquement juridiques des candidats – la science juridique est heureusement bien enseignée dans nos universités –, mais plutôt à leurs qualités humaines.
En effet, pour être un bon magistrat, il faut certes être un bon juriste, mais il faut aussi avoir des qualités humaines. C'est la même chose pour les médecins, une profession que l'on compare souvent à celle de magistrat. De tels recrutements supposent des analyses fines des candidatures et les propositions que vous nous faites concernant les jurys et les modalités de concours nous paraissent adaptées.
Vous souhaitez aller vers une évaluation à 360 degrés des magistrats, ce qui revient à poser la question de la gestion des ressources humaines, qui n'est historiquement pas le point le plus fort de la Chancellerie.
Enfin, monsieur le garde des sceaux, vous avez conscience des faiblesses de votre ministère dans le domaine informatique, que nous vous avons souvent signalées. Hélas, une loi ne suffira pas à régler l'ensemble des problèmes en la matière.
Néanmoins, le fait que vous vous attaquiez à la fois aux problèmes informatiques et à la qualité de la gestion des ressources humaines du corps me paraît être un signal important. La notion d'équipe autour du magistrat peut constituer une réponse adaptée, à condition d'en avoir une interprétation assez souple. Je ne pense pas qu'il faille entrer dans une logique consistant à associer dans chaque situation un magistrat, un greffier et un assistant.
Ensuite, vous nous proposez de faire évoluer le régime de responsabilité des magistrats et de retravailler sur la notion de faute disciplinaire. C'est bien sûr un sujet qui est attendu par la société. À cet égard, l'analyse du rapport du Conseil supérieur de la magistrature peut laisser perplexe.
Mme Vérien a évoqué le nombre de plaintes adressées au CSM et les suites qui y sont données, que chacun de nous connaît. Même si nous reconnaissons l'excellence de la magistrature, convenons que la perfection n'est pas de ce monde. Ce sujet a logiquement vocation à être ouvert.
Les évolutions proposées, tant par le garde des sceaux que par la commission, nous paraissent raisonnables et pondérées. L'ouverture du régime disciplinaire ne nous paraît pas être de nature à mettre en cause la responsabilité des magistrats et leurs conditions d'exercice.
La commission a également souhaité modifier la composition du CSM, ou plus exactement les modalités de reconduction des personnes qualifiées, en prévoyant une reconduction par moitié. C'est là un sujet qui a toujours interpellé la commission des lois. Le CSM agissant par mandature, il s'agit, en prévoyant un peu de tuilage entre les compositions, de permettre une continuité dans ses jurisprudences.
En lisant le rapport rédigé à la fin de la précédente mandature, on s'aperçoit que les membres du CSM ont souhaité y faire figurer le maximum d'éléments, manière de montrer à leurs successeurs ce qu'ils ont fait et ce qui pourrait les inspirer. Notre commission propose de favoriser ce tuilage, en prévoyant une reconduction par moitié des personnes qualifiées. Une telle mesure nous paraît de bon aloi.
J'en viens au projet de loi ordinaire. La commission des lois vous demande un peu plus de précisions sur la répartition des emplois, monsieur le garde des sceaux.
L'article 2, qui est très critiqué, est une demande d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Beaucoup d'entre nous sont, sur le principe, très défavorables aux ordonnances, mais toute règle doit avoir une exception. Si on ne veut pas d'une ordonnance, il faut trouver des solutions de remplacement. Il n'existe que deux solutions connues.
Tout d'abord, le Gouvernement ou le Parlement peuvent s'adresser au Conseil d'État, ce qui se fait souvent, et lui demander un rapport sur tel ou tel élément. Cependant, le code de procédure pénale n'est pas son terrain de jeu privilégié. Quant à la Cour de cassation, si elle maîtrise bien sûr la technicité et dispose des compétences humaines, elle n'a pas pour habitude de s'occuper de légistique.
Ensuite, le Gouvernement pourrait confier une mission à des parlementaires, mais la durée de leurs travaux serait limitée à six mois.
En bref, je ne vois pas d'autre solution pour réécrire le code de procédure pénale que de passer par la voie de l'ordonnance, sous réserve de bien se mettre d'accord sur son objet. Notre groupe ne voit aucune difficulté à ce que cette réécriture se fasse à droit constant, même si nous pensons que ce n'est pas totalement possible.
En revanche, nous serons particulièrement attentifs à ce que l'on ne confonde pas lisibilité et simplification. Je vous ai écouté avec attention, il y a une quinzaine de jours, lors de votre audition par la commission des lois, monsieur le garde des sceaux, et je vous ai entendu parler tantôt de lisibilité tantôt de simplification.
Or la réécriture à droit constant du code de procédure pénale, c'est de la lisibilité. Certes, améliorer la lisibilité permet d'apporter clarté et simplicité, mais ce qu'attendent les magistrats et les forces de sécurité quand ils parlent de simplicité, c'est une modification de la procédure pénale, ce que vous vous interdisez justement de faire en travaillant uniquement à droit constant.
Il est évident qu'il faut avancer en parallèle sur les deux aspects : la recodification et la simplification de la procédure pénale. Il me semble que le comité scientifique que vous prévoyez de réunir pour mener ce travail de réécriture – « titanesque » pour les uns, de bénédictin selon moi – devra aussi regarder les questions qui se posent en termes de simplification de la procédure pénale.
D'ailleurs, le comité de parlementaires que vous souhaitez réunir pour suivre ce processus aura davantage de légitimité sur la simplification de la procédure pénale que sur la recodification à droit constant.
En bref, il faut trouver les moyens d'articuler amélioration de la lisibilité du code de procédure pénale et simplification. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'amendement adopté sur l'initiative des rapporteures.
Par ailleurs, nous approuvons l'expérimentation relative aux tribunaux des activités économiques, qui constituera pour la justice un formidable adjuvant – pardonnez-moi cette expression un peu triviale –, car elle permettra à nombre de magistrats de se consacrer à d'autres tâches.
La présence, au sein de ces tribunaux, de juges consulaires assurant la représentation des professions réglementées me paraît être de bon aloi. Une compétence exclusive à terme sur les baux commerciaux me paraît également justifiée.
Dans nos départements, nous sommes sollicités par le monde agricole, ou du moins par ceux qui se sentent porteurs de la défense des intérêts de ceux que j'appellerai, tout à fait respectueusement, les petits agriculteurs, car il a peur d'une approche purement entrepreneuriale.
Les tribunaux de commerce ont depuis longtemps intégré dans leur culture les spécificités des procédures collectives, la notion d'anticipation et la logique de conciliation. Il n'y a donc pas, à mon avis, de difficultés sur ce point, y compris sur les modalités d'accès à ces tribunaux – il n'est d'ailleurs jamais inutile de rappeler que la justice n'est pas gratuite.
Autre sujet, la commission a bien voulu porter attention aux travaux que j'ai menés sur les conseils de juridiction. Nous devons absolument mettre fin à la méfiance qui existe entre le monde politique et le monde judiciaire – c'est une mauvaise chose pour la démocratie et cela pèse nécessairement sur le bon fonctionnement de la justice – et renouer le dialogue. Monsieur le garde des sceaux, vous avez un rapport d'information du Sénat à votre disposition : Judiciarisation de la vie publique : le dialogue plutôt que le duel…
Nous devrons aussi être attentifs à la simplification des procédures de saisie des rémunérations, prévue à l'article 17 du projet de loi.
Nous serons curieux, monsieur le garde des sceaux, de voir ce que vous mettrez dans l'ordonnance sur le régime de la publicité foncière – c'est un sujet important pour nos concitoyens.
Je dirai quelques mots, pour conclure, sur les questions de perquisition de nuit et d'activation à distance. Sur ces deux sujets, qui ont notamment été évoqués par Laurence Harribey, les rédactions trouvées nous semblent correctes.
Ainsi, les perquisitions de nuit seront possibles, « lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque imminent d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique, lorsqu'il existe un risque immédiat de disparition des preuves et indices du crime qui vient d'être commis ou pour permettre l'interpellation de son auteur ».
L'activation à distance, sous contrôle du juge des libertés et de la détention, s'explique par le développement des applications cryptées. Il n'y a pas d'autre solution pour mener certaines investigations. Le dispositif proposé nous paraît équilibré et, comme le souhaite Agnès Canayer, il nous permettra d'éviter à la fois l'immobilisme et l'agitation.
Monsieur le garde des sceaux, Dominique Vérien a estimé qu'il vous restait du travail. Je pense pour ma part qu'il nous en reste à tous ! §
Monsieur le président, monsieur le ministre des détenus, mes chers collègues, la parole est à la défense, à la défense du peuple français ! Les justiciables sont dans l'incompréhension face à l'augmentation de l'insécurité, première des injustices, car elle porte atteinte à leur intégrité, à leurs biens, chèrement acquis, et à leur dignité.
Les délais de jugement augmentent, les courtes peines et les peines de substitution à la prison se multiplient, les places de prison manquent toujours : il y a 73 000 personnes incarcérées dans les prisons françaises pour 60 900 places ; parmi ces personnes incarcérées, près de 17 000 sont étrangères.
Exclamations sur les travées du groupe CRCE.
Le désengorgement des prisons – certaines atteignent 200 % de leur capacité d'accueil – passe très clairement par l'expulsion de ces étrangers, qui constituent 23 % de la population carcérale.
Les citoyens français veulent qu'on leur rende la sécurité, en restaurant une justice ferme et efficace et en rétablissant l'ordre dans nos prisons, car même en prison, la violence règne encore.
De leur côté, les magistrats sont soit politisés, soit découragés.
Parmi les syndiqués, 33 % appartiennent au syndicat de la magistrature, qui s'est récemment illustré en mettant de l'huile sur le feu à Mayotte. Ce même syndicat, qui préfère dresser des « murs des cons » plutôt que de construire des murs de prisons, incarne une politisation de la justice. Ses outrances, sous prétexte de liberté syndicale, portent atteinte à la séparation des pouvoirs et nuisent à la confiance des Français dans la justice.
Les autres magistrats sont découragés et contraints à un laxisme par défaut. Ils rendent des décisions sous la contrainte du manque de places en prison.
Pour remédier à ce problème, vous proposez dans votre texte des places supplémentaires. Or, dans ce domaine, vous n'avez même pas atteint 6 % des objectifs fixés pour 2022 lors du premier quinquennat : vous aviez promis 7 000 places en net, il n'y en a que 400 à mettre à votre crédit. Qui peut croire, dès lors, aux 15 000 places supplémentaires dans quatre ans ?
De plus, la confiance du peuple français en la justice va continuer de reculer, car vous éloignez le peuple et la société civile des structures qui la composent, en intégrant des magistrats professionnels dans les nouveaux tribunaux des activités économiques au détriment des milieux économiques et en n'élargissant pas le corps électoral des juges consulaires aux agriculteurs.
De même, la représentativité et la démocratie reculent. Dans les cours criminelles départementales, vous avez supprimé le jury populaire. À Marseille, vous souhaitez le départ du centre-ville de la cité judiciaire de Marseille, contre l'avis de la mairie et du barreau. Monsieur le garde des sceaux, de nouveau, vous faites l'unanimité contre vous !
Enfin, après le structurel, parlons politique. Comment croire que les choses changent vraiment quand le garde des sceaux, après s'être autoproclamé « ministre des prisonniers », assume comme une fatalité que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne puissent pas être exécutées ? Quel aveu de faiblesse et quel signal désastreux envoyé aux trafiquants d'êtres humains et aux clandestins !
Cette justice à deux vitesses assumée consacre la loi du plus fort. Pour vous, Lola est donc une victime inévitable. Vous faites ainsi un bras d'honneur à sa famille et aux justiciables, victimes de la barbarie devenue quotidienne. §
Vous siégez dans cet hémicycle sur le banc des ministres, mais dans les faits vous avez déjà démissionné. Votre démission est l'une des causes de la « décivilisation », car oui, après les trois années que vous avez passées à la tête de la Chancellerie, la France est plus que jamais un coupe-gorge.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dès qu'il est question de réformer la justice, il est facile d'énoncer une série de lieux communs tant il y a maintenant longtemps que l'institution se dégrade : manque de matériel, locaux inadaptés, souffrance du personnel, incompréhension des justiciables.
C'est bien simple : nos juridictions tiennent pour beaucoup grâce à l'engagement, au courage et à l'abnégation des magistrats et des agents qui les accompagnent quotidiennement – il me paraît indispensable de les soutenir.
Il faut évidemment souligner les efforts budgétaires qui sont consentis depuis plusieurs lois de finances et qui tendent à replacer petit à petit notre pays à un niveau acceptable. À cet égard, nous ne pouvons que nous réjouir de savoir que cette dynamique se poursuivra dans les exercices à venir.
Mais chacun le sait ici, le problème de la justice n'est pas exclusivement un problème de moyens. C'est aussi celui d'une institution qui peine à convaincre nos concitoyens de son efficacité.
Lorsque la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire avait été annoncée, nous avions nourri l'espoir qu'elle apporterait une partie des réponses à ces problématiques. Il est regrettable que, moins de deux ans après l'adoption de ce texte, il faille de nouveau se pencher sur ces questions fondamentales, d'autant qu'il est justement reproché au législateur de trop souvent réformer en la matière…
Nous espérons donc, une nouvelle fois, que la future loi n'aura pas besoin d'être suivie d'une autre dans quelques dizaines de mois. Sans quoi, nous devrons encore faire le constat d'une forme d'échec dans nos méthodes de travail.
Sur le fond, sur un grand nombre de mesures proposées, le groupe du RDSE ne voit pas de difficultés majeures.
C'est en particulier le cas concernant la mise en avant de la peine de travail d'intérêt général, l'élargissement du champ des infractions ouvrant droit à indemnisation par la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions ou encore la déjudiciarisation de la procédure de saisie des rémunérations prévue à l'article 17 du projet de loi.
Nous souscrivons également à l'article 2, qui autorise le Gouvernement à procéder par ordonnance à la réécriture du code de procédure pénale à droit constant. Au RDSE, nous sommes très attachés à ce que le débat et le travail législatifs n'aient pas lieu en dehors des hémicycles et qu'ils s'y conduisent pleinement quand cela est nécessaire. Mais il faut aussi être lucide. Une ordonnance sera plus efficace pour un tel objectif et la proposition de nos rapporteures de retarder d'un an l'entrée en vigueur de l'ordonnance est un bon compromis.
Il demeure que, si la réécriture se fait à droit constant, nous pouvons aussi craindre qu'elle ne soit que partiellement satisfaisante. Par ce texte, les procédures réputées complexes auront-elles disparu ? Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous annoncerait-on déjà une nouvelle loi visant à simplifier le code qui viendrait d'être réécrit ?
J'en viens maintenant aux orientations figurant dans le rapport annexé, qui sont satisfaisantes dans leur ensemble.
Évidemment, il faut revaloriser les salaires des agents, renforcer les effectifs en recrutant des fonctionnaires, comme cela a été annoncé, et poursuivre le financement des chantiers immobiliers et numériques du ministère de la justice.
En revanche, nous réservons encore notre position sur certaines mesures qui nous paraissent risquées du point de vue des libertés et au sujet desquelles des professionnels de la justice nous ont alertés.
Je pense en particulier à deux dispositions de l'article 3.
La première prévoit l'assouplissement du recours aux moyens de télécommunication pour les interprètes pendant la garde à vue et la téléconsultation médicale en garde à vue. Nous regrettons ce développement de l'usage de la visioconférence, notamment dans les cas où les personnes sont en situation difficile.
Le projet de loi consacré à l'immigration, bien qu'il ne soit plus inscrit à l'ordre du jour, allait déjà dans ce sens et nous y étions alors opposés. J'ai du mal à envisager qu'une interprétation ou une consultation médicale ne perde pas significativement en qualité dès lors qu'elle se fait via un micro et une caméra.
La seconde disposition qui nous inquiète, c'est l'activation à distance des appareils connectés des suspects aux fins de géolocalisation et de captation d'images et de sons. Les moyens d'investigation doivent être adaptés aux besoins des enquêteurs, surtout lorsqu'il est question de la sécurité nationale et de crimes et délits particulièrement graves.
Vous nous permettrez néanmoins d'être sensibles à certaines préoccupations partagées par une partie des professionnels de la justice. Je pense notamment aux avocats, qui s'interrogent sur l'impact d'une telle mesure au regard des impératifs de confidentialité qu'ils entretiennent avec leurs clients.
Sur ces deux dispositions, nous serons attentifs aux arguments qui seront avancés en réponse à certains de nos amendements.
Si notre groupe est plutôt favorable à ce projet de loi, notre position pourrait évoluer en fonction de la teneur de nos débats.
Je dirai enfin un mot concernant le projet de loi organique. Dans l'ensemble, nous y sommes favorables, même si nous tenons tout de même à relayer ici les regrets d'une partie des professionnels, notamment ceux du Conseil national de la magistrature, qui a pris une position assez critique sur ce texte.
Cela étant, il y a un intérêt réel à rénover les voies d'accès à la magistrature en les simplifiant, tout comme nous voyons un intérêt à responsabiliser davantage les magistrats.
Les ajustements proposés par notre commission sur ce texte nous semblent aller dans la bonne direction. Aussi, une majorité de notre groupe votera en faveur de ce projet de loi organique. §
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la meilleure manière d'avoir une justice faible est d'avoir une justice pauvre. L'augmentation du budget de la justice est donc inévitable. Elle doit concerner les magistrats, les moyens matériels de la justice, mais aussi les greffiers et tous ceux qui sont nécessaires au bon fonctionnement de la chaîne judiciaire.
Alors certes, le texte qui nous est soumis aujourd'hui a le mérite de répondre à des ambitions financières datant de depuis plusieurs décennies. Nos infrastructures de justice vont pouvoir bénéficier d'une augmentation de plus de 14 % de leur budget et nous savons tous qu'elles en ont cruellement besoin. Cela fait des dizaines d'années que la justice française manque de moyens de façon chronique et qu'elle n'arrive plus à remplir efficacement ses missions. C'est pourquoi la justice apparaît comme pauvre, lente et parfois opaque. Saluons donc cet effort financier sans précédent.
Mais ces nouveaux moyens financiers destinés à faire face à une misère endémique seront-ils suffisants ? Seront-ils suffisants pour enrayer ce que dénonçait en 2016, à juste titre, le garde des sceaux de l'époque, Jean-Jacques Urvoas, à savoir la « clochardisation » de la justice ?
Sans doute, mais force est de constater que ces textes sont une réforme de l'institution judiciaire, alors que notre pays attend également une réforme en profondeur de la justice.
Ces projets de loi ne prévoient rien – hélas ! – pour restaurer et renforcer l'effectivité la chaîne pénale. Ils contiennent quelques micromesures pour améliorer l'enquête, l'instruction, les jugements et l'exécution des peines, mais il ne s'agit là que de signaux faibles, dont l'utilité et l'efficacité feront sans doute débat.
Or, face à la montée des violences dans notre pays, face au sentiment d'impunité qui explose, face aux zones de non-droit qui prolifèrent dans les cités, la France a besoin d'une révolution pénale. Sans cela, le ministre de l'intérieur, malgré son action résolue pour lutter contre l'insécurité, sera condamné, avec ses services, à vider la mer des délits et des crimes avec une petite cuillère percée.
Cette révolution pénale passe avant tout par la construction de places de prison. C'est la seule garantie d'une bonne exécution des peines, la seule voie pour redonner du sens à la sanction pénale et mettre fin au sentiment d'impunité.
Or ce projet de loi ordinaire prévoit des alternatives à la prison, comme la généralisation du recours aux travaux d'intérêt général et l'usage renforcé du bracelet électronique. Alors qu'il faudrait revenir sur les aménagements de peine pour rendre à celle-ci son sens et son effectivité, vous, au contraire, vous les renforcez !
Vous le savez, au 1er janvier 2023, le taux d'occupation était de 119 % dans les prisons et de 140 % dans les maisons d'arrêt, soit 73 000 détenus pour 60 000 places, faisant de la France l'un des pires élèves du Conseil de l'Europe en termes de surpopulation carcérale. Du fait du manque de places, la France incarcère moins que ses voisins : le nombre de personnes incarcérées pour 100 000 habitants s'élève à 105 dans notre pays, contre 123 en Espagne, 124 au Portugal et 138 au Royaume-Uni.
Pourtant, le président Macron avait promis 15 000 places supplémentaires d'ici à 2022. Au terme du premier quinquennat, on dénombrait seulement 2 000 places de prison supplémentaires ; il en manque donc 13 000. J'ai entendu les explications exogènes avancées pour expliquer ce retard, mais malgré la volonté affichée, comment réussir en quatre ans ce que nous n'avons pas su faire en six ans ?
Pourtant, il y a urgence, car selon les chiffres de votre ministère, monsieur le garde des sceaux, seulement 59 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme vont réellement en cellule. À votre décharge, il est vrai qu'il existe une forme de frilosité, pour ne pas dire de réticence, de la part de certains maires à accueillir un centre de détention sur leur commune.
Il faut mettre en œuvre des solutions incitatives afin d'encourager les communes à accepter davantage de tels projets. À cet égard, permettez-moi de vous livrer deux pistes de réflexion : la revalorisation de la dotation globale de fonctionnement des communes qui se porteraient candidates à la construction de bâtiments carcéraux sur leur territoire ; dans le même esprit, la comptabilisation des places de prison construites dans le calcul de carence pour les communes concernées par l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), ce qui reviendrait à une exonération totale de leur pénalité financière.
J'évoquerai pour finir un dernier point : les ordonnances.
Tout le monde s'accorde sur un point : il faut réformer le code de procédure pénale. Malheureusement, ce n'est pas ce que prévoit ce texte, sauf à la marge. Il confie au Gouvernement une mission de recodification à droit constant par voie d'ordonnance.
Ce travail est certes indispensable, mais la question du droit constant pose un réel problème. Les rapporteures ont été des forces de proposition sur ce sujet afin que le Parlement ne soit pas dépossédé de son pouvoir de contrôle. Néanmoins, il semblerait plus pertinent de commencer par réformer le code de procédure pénale pour le simplifier. Si l'on recodifie sans avoir réformé en profondeur, il faudra ensuite recommencer l'ouvrage !
Monsieur le garde des sceaux, la justice n'est pas un sujet comme un autre. Notre conception de l'État et de la démocratie est engagée. Sur ce sujet, les textes de loi comptent autant que les mentalités, parce que la justice est rendue par des êtres humains sur des affaires d'êtres humains. Il nous faut donc rechercher une adhésion large. À cet effet, chacun doit pouvoir dire sa vérité.
Depuis trop longtemps, on a coupé la justice du peuple, en la laissant vivre en vase clos, en ne lui permettant pas de juger rapidement, en cultivant son incroyable complexité et parfois en minorant ses responsabilités. La justice retrouvera la confiance de tous les Français si elle permet de garantir leur sécurité, première des libertés. §
M. le garde des sceaux le confirme.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis le code d'Hammurabi, il y a près de quatre mille ans, le droit a fait beaucoup de chemin ; il structure désormais la plupart de nos sociétés.
Rappelons-le, nous croyons aux vertus de l'État de droit. Nous croyons qu'il est bon que les droits et les devoirs soient démocratiquement définis. Nous croyons qu'il est nécessaire de respecter les libertés individuelles et la propriété privée.
La confiance des individus dans l'institution judiciaire est un pilier indispensable au bon fonctionnement de la société. Or nous constatons qu'un doute s'est installé, qu'un fossé s'est creusé, puisque près d'un Français sur deux estime que la justice fonctionne mal. Restaurer cette confiance, tel était l'objet du texte dont nous avons débattu il y a quelques mois.
Depuis de nombreuses années, monsieur le garde des sceaux, votre ministère souffre d'un mal chronique. Il ne faisait pas partie des priorités politiques des gouvernements qui se sont succédé. §Comme trop souvent, le long terme a été hypothéqué au profit de contingences immédiates.
Or, lorsque la justice est délaissée, ce sont nos concitoyens et de nos entreprises qui en subissent les conséquences, c'est le pacte républicain qui se fissure.
La question des moyens, à cet égard, est fondamentale. La France figure parmi les pays développés qui investissent le moins dans la justice : en 2020, notre pays y consacrait 72 euros par habitant, contre 111 euros au Royaume-Uni et 140 euros en Allemagne, soit le double de la France !
Depuis quelques années, grâce à votre détermination et à votre engagement, monsieur le garde des sceaux, la tendance s'est inversée. Même si une partie sera absorbée par l'inflation, la programmation présentée par le Gouvernement fera passer en quelques années le budget de la justice de 8, 5 milliards d'euros à près de 11 milliards. Nous partons néanmoins de loin et la route est encore longue, mais nous saluons cette hausse.
Au 1er avril 2023, le taux d'occupation de nos prisons était de 120 %. L'augmentation des moyens permettra la création de nouvelles places. Si les juges condamnent, les moyens pour que les peines soient bien appliquées font encore défaut.
Ce projet de loi d'orientation et de programmation doit également permettre de réduire les délais de jugement – vous avez parlé de les diviser par deux – et d'améliorer les conditions de travail dans les juridictions.
Pour ce faire, il faut recruter plus de magistrats et veiller à l'attractivité de leur métier. Les projets de loi dont nous débattons y contribuent en transférant certains contentieux du juge des libertés et de la détention au juge judiciaire, en ouvrant davantage le corps judiciaire et en simplifiant son fonctionnement.
La commission a également souligné l'importance du rôle des greffiers et la nécessité d'accroître leurs effectifs.
Si le manque de moyens explique beaucoup des difficultés auxquelles la justice fait face, ce n'en est pas la seule cause. La France compte environ quatre-vingts codes juridiques. L'inflation normative rend notre droit illisible et en partie impraticable.
Le code de procédure pénale a triplé de volume depuis sa création. Le projet de loi ordinaire prévoit de le clarifier par ordonnance. Bien plus que de le toiletter, il est indispensable de le simplifier. Évidemment, cela ne pourra pas se faire à droit constant.
Il nous semble qu'il sera nécessaire à cet égard de trancher une question qui revient souvent : la fusion des cadres d'enquête. La complexité actuelle nuit au travail des professionnels et in fine aux droits de nos concitoyens.
En ce qui concerne les libertés individuelles, nous comprenons les inquiétudes légitimes que suscite le développement de techniques d'enquête de plus en plus intrusives, notamment l'activation à distance des micros et des caméras des téléphones ou des ordinateurs ou encore leur géolocalisation. Il est nécessaire de veiller à leur strict encadrement ; nous soutenons donc les dispositions qui interdisent leur utilisation dès qu'il est question de journalistes, de magistrats ou encore, pour ne pas dire surtout, d'avocats.
Si le volet pénal est une composante essentielle de la justice, cette dernière englobe bien d'autres domaines. Nous soutenons l'expérimentation des tribunaux des activités économiques et il nous paraît cohérent que ces derniers soient chargés de l'ensemble des procédures relatives aux entreprises en difficulté. La commission a clarifié la composition de ces juridictions expérimentales ; c'était nécessaire et attendu sur le terrain.
Autre innovation apportée par le texte : les saisies de rémunérations seront confiées aux commissaires de justice, sous le contrôle des juges. Cohérente, cette mesure permettra aussi de libérer du temps pour les magistrats et les greffiers.
Ces deux projets de loi contiennent des dispositions marquantes, structurantes et complémentaires et le groupe Les Indépendants sera particulièrement attentif aux débats que nous aurons en séance. §
Il faut mettre en œuvre des solutions incitatives afin d'encourager les communes à être plus favorables à de tels projets. À cet égard, permettez-moi de vous livrer deux pistes de réflexion : la revalorisation de la dotation globale de fonctionnement des communes qui se porteraient candidates à la construction de bâtiments carcéraux sur leur territoire ; dans le même esprit, la comptabilisation des places de prison construites dans le calcul de carence pour les communes concernées par l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ce qui reviendrait à une exonération totale de leur pénalité financière.
J'évoquerai pour finir un dernier point : les ordonnances.
Tout le monde s'accorde sur un point : il faut réformer le code de procédure pénale. Malheureusement, ce n'est pas ce que prévoit ce texte, sauf à la marge. Il confie au Gouvernement une mission de recodification à droit constant par voie d'ordonnance.
Ce travail est certes indispensable, mais la question du droit constant pose un réel problème. Les rapporteures ont été des forces de proposition sur ce sujet afin que le Parlement ne soit pas dépossédé de son pouvoir de contrôle. Néanmoins, il semblerait plus pertinent de commencer par réformer le code de procédure pénale pour le simplifier. Si l'on recodifie sans avoir réformé en profondeur, il faudra ensuite recommencer l'ouvrage !
Monsieur le garde des sceaux, la justice n'est pas un sujet comme un autre. Notre conception de l'État et de la démocratie est engagée. Sur ce sujet, les textes de loi comptent autant que les mentalités, parce que la justice est rendue par des êtres humains sur des affaires d'êtres humains. Il nous faut donc rechercher une adhésion large. À cet effet, chacun doit pouvoir dire sa vérité.
Depuis trop longtemps, on a coupé la justice du peuple, en la laissant vivre en vase clos, en ne lui permettant pas de juger rapidement, en cultivant son incroyable complexité et parfois en minorant ses responsabilités. La justice retrouvera la confiance de tous les Français si elle permet de garantir leur sécurité, première des libertés. §
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis le code d'Hammurabi, il y a près de quatre mille ans, le droit a fait beaucoup de chemin ; il structure désormais la plupart de nos sociétés.
Rappelons-le, nous croyons aux vertus de l'État de droit. Nous croyons qu'il est bon que les droits et les devoirs soient démocratiquement définis. Nous croyons qu'il est nécessaire de respecter les libertés individuelles et la propriété privée.
La confiance des individus dans l'institution judiciaire est un pilier indispensable au bon fonctionnement de la société. Or nous constatons qu'un doute s'est installé, qu'un fossé s'est creusé, puisque près d'un Français sur deux estime que la justice fonctionne mal. C'était l'objet du texte dont nous avons débattu il y a quelques mois.
Depuis de nombreuses années, monsieur le garde des sceaux, votre ministère souffre d'un mal chronique. Il ne faisait pas partie des priorités politiques des gouvernements qui se sont succédé. §Comme trop souvent, le long terme a été hypothéqué au profit de contingences immédiates.
Or, lorsque la justice est délaissée, ce sont les vies de nos concitoyens et de nos entreprises qui en subissent les conséquences, c'est le pacte républicain qui se fissure.
La question des moyens, à cet égard, est fondamentale. La France figure parmi les pays développés qui investissent le moins dans la justice : en 2020, notre pays y consacrait 72 euros par habitant, contre 111 euros au Royaume-Uni et 140 euros en Allemagne – le double de la France !
Depuis quelques années, grâce à votre détermination et à votre engagement, monsieur le garde des sceaux, la tendance s'est inversée. Même si une partie sera absorbée par l'inflation, la programmation présentée par le Gouvernement fait passer en quelques années le budget de la justice de 8, 5 milliards d'euros à près de 11 milliards. Nous partons néanmoins de loin et la route est encore longue, mais nous saluons cette hausse.
Au 1er avril 2023, le taux d'occupation de nos prisons était de 120 %. L'augmentation des moyens permettra la création de nouvelles places. Si les juges condamnent, les moyens pour que les peines soient bien appliquées font encore défaut.
Ce projet de loi d'orientation et de programmation doit également permettre de réduire les délais de jugement – vous avez parlé de les diviser par deux – et d'améliorer les conditions de travail dans les juridictions.
Pour ce faire, il faut recruter plus de magistrats et veiller à l'attractivité de leur métier. Les projets de loi dont nous débattons y contribuent en transférant certains contentieux du juge des libertés et de la détention au juge judiciaire, en ouvrant davantage le corps judiciaire et en simplifiant son fonctionnement.
La commission a également souligné l'importance du rôle des greffiers et la nécessité de renforcer leurs effectifs.
Si le manque de moyens explique beaucoup des difficultés auxquelles la justice fait face, ce n'en est pas la seule cause. La France compte environ quatre-vingts codes juridiques. L'inflation normative rend notre droit illisible et en partie impraticable.
Le code de procédure pénale a triplé de volume depuis sa création. Le projet de loi ordinaire propose de le clarifier par ordonnance. Bien plus que de le toiletter, il est indispensable de le simplifier. Évidemment, cela ne pourra pas se faire à droit constant.
Il nous semble qu'il sera nécessaire à cet égard de trancher une question qui revient souvent : la fusion des cadres d'enquête. La complexité actuelle nuit au travail des professionnels et in fine aux droits de nos concitoyens.
En ce qui concerne les libertés individuelles, nous comprenons les inquiétudes légitimes quant au développement de techniques d'enquête de plus en plus intrusives, notamment l'activation à distance des micros et caméras des téléphones ou ordinateurs ou encore leur géolocalisation. Il est nécessaire de veiller à leur strict encadrement ; nous soutenons donc les dispositions qui interdisent leur utilisation dès qu'il est question de journalistes, de magistrats ou encore, pour ne pas dire surtout, d'avocats.
Si le volet pénal est une composante essentielle de la justice, cette dernière englobe bien d'autres domaines. Nous soutenons l'expérimentation de tribunaux des activités économiques et il nous paraît cohérent que ces derniers soient chargés de l'ensemble des procédures relatives aux entreprises en difficulté. La commission a clarifié la composition de ces juridictions expérimentales ; c'était nécessaire et attendu sur le terrain.
Autre innovation apportée par le texte : les saisies de rémunérations seront confiées aux commissaires de justice, sous le contrôle des juges. Cohérente, cette mesure permettra aussi de libérer du temps pour les magistrats et les greffiers.
Ces deux projets de loi contiennent des dispositions marquantes, structurantes et complémentaires et le groupe Les Indépendants sera particulièrement attentif aux débats que nous aurons en séance. §
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice, son fonctionnement et ses acteurs sont bien sûr un élément essentiel à l'équilibre de notre société.
Deux ans après la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, le cap reste évident : améliorer cette institution dont la dégradation affecte à la fois les magistrats et l'ensemble des personnels judiciaires, en particulier leurs conditions de travail, et les citoyens, qui se trouvent confrontés à des délais trop longs.
Le constat n'est certes pas récent, mais la volonté de remédier à ce que certains ont qualifié de « clochardisation » est bien présente : magistrats épuisés, greffiers en sous-effectif permanent, délais trop importants des procédures civiles et, en conséquence, difficultés lourdes pour les familles, délais souvent incompréhensibles pour les victimes au pénal et durées de détention provisoire bien trop longues.
Si le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires partage ce constat et convient qu'il est urgent d'agir, il n'adhère pas à l'ensemble des dispositions proposées par la majorité sénatoriale et le Gouvernement.
Oui, le budget est en hausse et, lors de l'examen du prochain projet de loi de finances, nous soutiendrons cette ambition nouvelle, mais plus que sur son montant, c'est sur sa répartition et sur son utilisation que nous nous interrogeons.
En premier lieu, nous regrettons une fois de plus le « tout carcéral » que ces textes portent. Une société où moins de personnes seraient en prison n'est pas un modèle moins disant ou moins sécurisant, bien au contraire ! Les programmes des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) et les expérimentations menées plaident en faveur des alternatives à la prison, en raison de leur coût et de leur efficacité.
Faire de la prison la seule punition possible, de la détention provisoire une option usuelle plus qu'une exception – vous en proposez même l'allongement, ce à quoi nous nous opposerons – et développer les comparutions immédiates, c'est, à terme, remplir davantage encore les prisons. Pour autant, la société ne sera pas plus sûre. Quant aux détenus et aux condamnés, ils ne seront pas mieux punis ou mieux réinsérés.
La construction de places de prison supplémentaires n'est pas le seul remède. La punition d'exclusion sociale ne peut pas être découplée de l'objectif de réinsertion ; la situation des services pénitentiaires d'insertion et de probation en est un exemple.
Notre pays a tout autant été condamné en raison de la surpopulation carcérale structurelle que pour l'absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions de détention qu'un tribunal jugerait indignes.
Notre groupe reste critique sur ce projet de loi d'orientation et de programmation, qui aurait dû proposer, au même niveau que la détention, des solutions en milieu ouvert tenant compte des réflexions et des expériences autres que la prison. Il aurait aussi dû être l'occasion de nous interroger sur les potentielles décriminalisations et dépénalisations.
En outre, ces textes prévoient le recrutement de contractuels dans la pénitentiaire, lesquels seront moins bien formés.
Alors que nous avions alerté sur les dérives en matière de sécurité lors de l'examen de précédents projets de loi, en particulier du texte relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, nous ne saurions cautionner ce sucre rapide... Certes, les sucres rapides sont parfois nécessaires, mais si nous saluons la volonté de mettre fin à la précarité des assistants de magistrats, nous n'oublions pas qu'elle ne servira qu'à pallier une politique de recrutement de magistrats défaillante depuis des années – bien avant vous, monsieur le garde des sceaux.
Les recrutements prévus et la constitution d'une équipe autour du magistrat sont des mesures positives. Certes, les solutions proposées dans les textes visent à gérer la pénurie. Pour autant, les mesures structurelles qui les accompagnent sont insuffisantes.
L'accès à la magistrature, l'ouverture des recrutements constituent des aspects essentiels d'une politique de justice efficace, au service des citoyens. Nous saluons la diversification des voies de recrutement, même si nous regrettons de nouveau une prise de conscience bien trop tardive de la nécessité d'accroître le nombre de magistrats. Le terrain le demande depuis longtemps, mais, là encore, l'occasion d'investir sur le long terme est manquée. Il faut des sucres lents, sous forme de recrutements massifs et de formations intensives à l'école de la magistrature.
Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, nous sommes très attachés au déroulement d'un procès dans les meilleures conditions, respectant le temps de l'enquête et les droits de la défense.
Nous l'avons dit, la visioconférence ne peut être systématiquement la règle. Comment imaginer qu'un médecin puisse évaluer de la sorte les conditions d'une garde à vue ? Comment l'interprétariat à distance pourrait-il ne pas gêner le bon déroulement des auditions ? Pourquoi étendre à ce point les pouvoirs de perquisition de nuit ? Comment ne pas voir dans les vidéo-audiences un éloignement du justiciable et du citoyen des lieux de justice ?
Notre groupe a toujours défendu un système de justice équilibré et des mesures de privation de libertés encadrées. C'est pourquoi nous demanderons que soient étendus les droits de visite des parlementaires au sein des hôpitaux psychiatriques.
Ces textes sont de nouveau l'occasion de voir se développer l'idée du « tout technologie », alors que ses bénéfices ne sont pas réellement évalués. Je pense, par exemple, aux caméras individuelles dans les prisons. Aucune garantie de continuité d'enregistrement ou d'accès par l'ensemble des parties à ces vidéos n'étant donnée, ce dispositif semble davantage constituer un effet d'annonce qu'une réelle amélioration.
Et que dire de la volonté de transformer les objets connectés – tous ! – en potentiels mouchards de chacun d'entre nous ?
La refonte de l'accès à l'aide juridictionnelle, qui s'effectuera désormais en ligne, risque d'être contre-productive si celle-ci ne s'accompagne pas du maintien des démarches papier. Je l'ai dit à l'occasion de l'examen de nombreux textes : 13 millions de Français souffrent d'illectronisme à ce jour, et le tout internet ou le tout application peut dégrader leur accès au service public.
Notre groupe salue donc un effort budgétaire, qui ne saurait pourtant être en soi salvateur. La justice n'est pas pour autant réparée. Les recrutements ne sont pas pérennes et restent insuffisants. La politique du tout carcéral est maintenue, les constructions de prisons continuent et les juges des libertés et de la détention sont dessaisis de certaines prérogatives, par exemple.
Certaines mesures sont positives, même si elles ne vont pas assez loin à notre goût. Nous aurions donc pu voter ces textes, comme un encouragement à amplifier ces efforts, mais trop de mesures nous semblent négatives. C'est pourquoi nous avons déposé de nombreux amendements, en commission et en séance.
En l'état, nous ne voterons pas ces textes, mais nous serons attentifs aux discussions et au sort de nos amendements, qui déterminera notre vote final. §
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice, son fonctionnement et ses acteurs sont bien sûr un élément essentiel à l'équilibre de notre société.
Deux ans après la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, le cap reste évident : améliorer cette institution dont la dégradation affecte à la fois les magistrats et l'ensemble des personnels judiciaires, en particulier leurs conditions de travail, et les citoyens, qui se trouvent confrontés à des délais trop longs.
Le constat n'est certes pas récent et la volonté de remédier à ce que certains ont qualifié de « clochardisation » est bien présente : magistrats épuisés, greffiers en sous-effectif permanent, délais trop importants des procédures civiles et, en conséquence, difficultés lourdes pour les familles, délais souvent incompréhensibles pour les victimes au pénal, le corollaire étant des durées de détention provisoire bien trop longues.
Si le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires partage ce constat et convient qu'il est urgent d'agir, il ne saurait s'aligner sur l'ensemble de la vision proposée par la majorité sénatoriale et le Gouvernement.
Oui, le budget est en hausse et, lors de l'examen du prochain projet de loi de finances, nous soutiendrons cette ambition nouvelle, mais plus que sur son montant, c'est sur sa répartition et sur son utilisation que nous nous interrogeons.
En premier lieu, nous regrettons une fois de plus le « tout carcéral » que ces textes portent. Une société où moins de personnes seraient en prison n'est pas un modèle moins disant ou moins sécurisant – bien au contraire ! Les programmes des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) et les expérimentations menées plaident en faveur des solutions de remplacement, en raison de leur coût et de leur efficacité.
Faire de la prison la seule punition possible, de la détention provisoire une option usuelle plus qu'une exception – vous en proposez même l'allongement, ce à quoi nous nous opposerons – et développer les comparutions immédiates, c'est, à terme, remplir davantage encore les prisons. Pour autant, la société ne sera pas plus sûre. Quant aux détenus et aux condamnés, ils ne seront pas mieux punis ou mieux réinsérés.
La construction de places de prison supplémentaires n'est pas le seul remède. La punition d'exclusion sociale ne peut pas être découplée de l'objectif de réinsertion ; la situation des services pénitentiaires d'insertion et de probation en est en est un exemple.
Notre pays a tout autant été condamné en raison de la surpopulation carcérale structurelle que pour l'absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions de détention qu'un tribunal jugerait indignes.
Notre groupe reste critique sur ce projet de loi d'orientation et de programmation, qui aurait dû proposer, au même niveau que la détention, des solutions en milieu ouvert tenant compte des réflexions et des expériences autres que la prison. Il aurait aussi dû être l'occasion de nous interroger sur les potentielles décriminalisations et dépénalisations.
En outre, ces textes prévoient le recrutement de contractuels dans la pénitentiaire, lesquels seront moins bien formés.
Alors que nous avions alerté sur les dérives en matière de sécurité lors de l'examen de précédents projets de loi, en particulier du texte relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, nous ne saurions cautionner ce sucre rapide... Certes, les sucres rapides sont parfois nécessaires, mais si nous saluons la volonté de mettre fin à la précarité des assistants de magistrats, nous n'oublions pas qu'elle ne servira qu'à pallier une politique de recrutement de magistrats défaillante depuis des années – bien avant vous, monsieur le garde des sceaux.
Les recrutements prévus et la constitution d'une équipe autour du magistrat sont des mesures positives. Certes, les solutions proposées dans les textes servent à gérer la pénurie. Pour autant, les mesures structurelles qui les accompagnent sont insuffisantes.
L'accès à la magistrature, l'ouverture des recrutements constituent des aspects essentiels d'une politique de justice efficace et qui soit au service des citoyens. Nous saluons la diversification des voies de recrutement, même si nous regrettons de nouveau une prise de conscience bien trop tardive de la nécessité d'accroître le nombre de magistrats. Le terrain le demande depuis longtemps, mais, là encore, l'occasion d'investir sur le long terme est manquée. Ce sont des sucres lents qu'il faut, sous forme de recrutements massifs et de formations intensives à l'école de la magistrature.
Vous le savez, nous sommes très attachés au déroulement d'un procès dans les meilleures conditions, respectant le temps de l'enquête et les droits de la défense.
Comme nous l'avons dit, la visioconférence ne peut être systématiquement la règle. Comment imaginer qu'un médecin puisse évaluer ainsi les conditions de garde à vue ? Comment ne pas penser qu'un interprétariat à distance peut gêner le bon déroulement des auditions ? Comment étendre à ce point les pouvoirs de perquisition de nuit ? Comment ne pas voir dans les vidéo-audiences un éloignement du justiciable et du citoyen des lieux de justice ?
Notre groupe a toujours défendu un système de justice équilibré et des mesures de privation de libertés encadrées. C'est pourquoi nous demanderons d'étendre les droits de visite des parlementaires au sein des hôpitaux psychiatriques.
Ces textes sont de nouveau l'occasion de voir se développer l'idée du tout technologie, sans que les bénéfices en soient réellement évalués. Je pense, par exemple, aux caméras-piétons dans les prisons. Alors qu'aucune garantie de continuité d'enregistrement ou d'accès par l'ensemble des parties à ces vidéos n'est donnée, ce dispositif semble davantage constituer un effet d'annonce qu'une réelle amélioration.
Et que dire de la volonté de transformer les objets connectés – tous ! – en potentiels mouchards de chacun d'entre nous ?
La refonte de l'accès à l'aide juridictionnelle, qui s'effectuera désormais en ligne, risque d'être contre-productive si celle-ci ne s'accompagne pas du maintien des démarches papiers. Je l'ai dit à l'occasion de nombreux textes : 13 millions de Français souffrent d'illectronisme à ce jour, et le tout internet ou le tout application peut dégrader leur accès au service public.
Notre groupe salue donc un effort budgétaire, qui ne saurait pourtant être en soi salvateur.
La justice n'est pas pour autant réparée. Les recrutements ne sont pas pérennes et restent insuffisants. La politique du tout carcéral est maintenue, les constructions de prisons continuent et les juges des libertés et de la détention sont dessaisis de certaines prérogatives, par exemple.
Certaines mesures sont positives, même si elles ne vont pas assez loin à notre goût. Nous aurions donc pu voter ces textes, comme un encouragement à amplifier ces efforts. Mais trop de mesures nous semblent négatives. C'est pourquoi nous avons déposé de nombreux amendements, en commission et en séance.
En l'état, nous ne voterons pas ces textes, mais nous serons attentifs aux discussions et au sort de nos amendements, qui déterminera notre vote final. §
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les deux textes que nous nous apprêtons à examiner en discussion commune sont le fruit de travaux menés au cours des États généraux de la justice, lancés en octobre 2021 à Poitiers par le Président de la République, et dont les conclusions, remises en juillet 2022, figurent dans le rapport Sauvé.
Ils sont, en outre, la concrétisation législative d'une grande partie des soixante mesures du plan d'action, lui-même issu de ces États généraux, que vous avez présenté en janvier dernier, monsieur le garde des sceaux. L'objectif de ce plan était de rendre la justice de notre pays plus protectrice, plus rapide et plus efficace.
Pour ce faire, le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoit d'allouer à la justice des moyens ambitieux d'ici à la fin du quinquennat : ceux-ci devraient atteindre près de 11 milliards d'euros en 2027.
Je vous prie de m'excuser, monsieur le garde des sceaux, mais je commence à être à court d'adjectifs pour saluer et caractériser l'augmentation de ces crédits ! Nous ne nous en plaindrons évidemment pas, car ces moyens financiers importants viendront renforcer les moyens humains indispensables au bon fonctionnement de cette institution et permettront de poursuivre tout à la fois le recrutement de personnels supplémentaires et la revalorisation des rémunérations et des carrières.
Ce sont donc 10 000 personnes qui seront recrutées d'ici à 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers. Le texte prévoit des créations de postes inédites, telles que des postes de surveillants pénitentiaires adjoints, ou encore la constitution d'équipes, composées notamment d'attachés de justice, destinées à rompre la solitude des magistrats dans leur tâche – solitude qui, on le sait, est immense.
La réforme statutaire, que nous examinerons concomitamment, vise à accompagner cette augmentation importante des effectifs de magistrats prévue par le projet de loi d'orientation et de programmation. Elle s'inspire elle aussi des recommandations formulées par le comité des États généraux de la justice et prévoit notamment d'ouvrir le corps judiciaire sur l'extérieur, d'améliorer le déroulement de carrière des magistrats et le dialogue social, de développer la responsabilisation des magistrats et de renforcer leur protection.
En outre, ces nouveaux moyens financeront la transformation numérique, ainsi que les chantiers immobiliers du ministère.
J'entends les réticences concernant la construction de 15 000 places de prison supplémentaires d'ici à 2027, mais je souligne que ces places sont nécessaires ; de plus, leur construction s'accompagne de mesures d'aménagement de peines, telles que l'extension du champ des travaux d'intérêt général ou encore de la libération sous contrainte.
Par ces textes, monsieur le garde des sceaux, vous entendez également rationaliser l'organisation judiciaire et la répartition des contentieux entre les juridictions.
À cet égard, je ne puis que me réjouir de la reprise, à titre expérimental, du tribunal des activités économiques, dont nous avions proposé la création, François Bonhomme et moi-même, dans une proposition de loi ratifiant, modifiant et complétant l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, et déposée à la fin de l'année 2021 sur le bureau du Sénat.
La commission a adopté deux amendements déposés par mon groupe visant à prévoir que le Parlement sera associé à l'évaluation de l'expérimentation des tribunaux des activités économiques et de la contribution pour la justice économique, ce dont je me félicite.
Dans ce même esprit de rationalisation, vous proposez de procéder, par voie d'ordonnance, à la réécriture à droit constant de la partie législative du code de procédure pénale. Au comité scientifique, installé en janvier dernier, et composé de professionnels du droit, chargé d'assurer le suivi des travaux de réécriture, un contrôle parlementaire sera ajouté, afin de veiller à la conformité de la refonte du code de procédure pénale aux conditions et orientations de l'habilitation.
Nous avons souvent débattu de l'idée selon laquelle les prérogatives du Parlement seraient mises à mal par le recours aux ordonnances lors de l'examen de textes d'habilitation. Soyons honnêtes, il est assez inédit qu'un gouvernement mette en place une telle concertation : nous pouvons, au moins, le souligner.
De même, notre groupe fera usage de son droit d'amendement, en espérant qu'un certain nombre de ses amendements seront adoptés.
Pour finir, j'aborderai un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Vous me voyez venir, j'en suis certain… §En avril dernier, le Sénat avait organisé, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, un débat sur l'état de la justice dans les outre-mer. J'avais regretté à cette occasion, que, sur les 250 pages que comporte le rapport Sauvé, seules deux pages et demi soient consacrées aux outre-mer, alors qu'on sait que les terribles constats qu'il dresse sont d'autant plus graves dans ces territoires. En effet, entre particularismes géographiques, pauvreté, fracture numérique, barrières linguistiques, défaut d'attractivité et insécurité, les outre-mer cumulent les difficultés en matière de justice.
Je connais votre intérêt pour ces territoires éloignés et votre engagement en leur faveur, mes chers collègues – tout comme les vôtres, monsieur le garde des sceaux. Aussi, je vous serais reconnaissant de bien vouloir nous préciser comment ces recrutements massifs seront ventilés outre-mer et de nous communiquer l'état d'avancement des chantiers immobiliers.
Vous vous êtes récemment rendus aux Antilles, où vous avez annoncé que, en Guadeloupe, les travaux de rénovation de l'ancien palais, qui accueillera le conseil des prud'hommes, débuteraient en 2025. Pour la Martinique, vous avez indiqué que la livraison d'une structure d'accompagnement vers la sortie interviendrait au premier trimestre 2025.
À Mayotte, lors de votre déplacement en mars 2022, vous aviez annoncé la création d'une nouvelle cité judiciaire, d'un second centre pénitentiaire et d'un centre éducatif fermé. La réalisation de tels projets prend certes du temps, d'autant que nous faisons face à un énorme problème de foncier, mais il me semble important, compte tenu des événements qui frappent ce département, qu'un calendrier de mise en œuvre puisse être rapidement dévoilé.
En tout état de cause, et nonobstant les effets de tribune de certains, qui apparaissent finalement en décalage avec l'esprit constructif qui a présidé à l'examen de ces textes en commission, le groupe RDPI considère, pour sa part, qu'ils mettent en place une stratégie globale et à long terme pour moderniser notre système judiciaire.
Le Gouvernement a pris la mesure des défis auxquels l'institution judiciaire est confrontée, tels que la surpopulation carcérale, les délais de procédure excessifs et l'inégal accès à la justice, et prévoit des mesures et des moyens ambitieux pour les relever. C'est pourquoi notre groupe votera ces deux textes. §
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà dix ans exactement, le Sénat votait à l'unanimité une proposition de loi que j'avais déposée visant à restaurer la compétence universelle du juge français pour les infractions et les crimes relevant de la Cour pénale internationale (CPI). Il s'agissait simplement de supprimer les quatre verrous à la compétence des juridictions françaises pour connaître des infractions prévues par le Statut de Rome.
Depuis dix ans, j'ai déposé un très grand nombre d'amendements pour faire évoluer la situation. Il y a eu quelques légères évolutions, mais sur deux points principaux, les choses n'ont pas bougé.
Le premier concerne les infractions, qui doivent être constatées dans les deux pays concernés, c'est-à-dire la France et le pays dont l'auteur des faits est ressortissant. À cet égard, certaines décisions ont été prises, y compris par la Cour de cassation, qui ont suscité une réprobation internationale, comme vous le savez. Le 12 mai dernier, la Cour de cassation a pris une position claire sur cette double incrimination, et vous avez publié un communiqué à ce sujet, monsieur le garde des sceaux, le 9 février 2022.
Dans ce communiqué, que vous avez cosigné avec M. Le Drian, vous avez indiqué – de manière quelque peu surprenante – que, si la justice bougeait, le ministère serait prêt à en tirer rapidement les conséquences législatives. Cette déclaration m'a interpellé, car, habituellement, les lois sont élaborées par le Parlement, sur l'initiative du Gouvernement, avant que les juges les appliquent. Vous avez inversé les rôles, en quelque sorte.
Cependant, puisque cette décision a été prise par la Cour de cassation, personne ne comprendrait, monsieur le garde des sceaux, que ce que vous avez vous-même écrit dans ce communiqué ne soit pas mis en œuvre.
J'espère donc que le débat sur ce projet de loi, avec la contribution de nos rapporteures et de notre présidente, nous permettra enfin de progresser sur cette question.
J'aborderai un deuxième point. Monsieur le garde des sceaux, vous connaissez notre position sur la régulation carcérale, que nous évoquons souvent. Cette question a aussi été abordée récemment par Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. En outre, elle est au cœur du rapport Sauvé. Toutefois, malgré les observations de l'Observatoire international des prisons, il y a quelques jours, votre position sur ce sujet reste inchangée.
Nous considérons qu'il est nécessaire de prendre en compte la proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE sur ce sujet, ainsi que les propositions formulées depuis longtemps par Dominique Raimbourg et toutes celles qui sont sur la table visant à plafonner le nombre de détenus dans certains établissements, lesquels sont en outre insalubres.
Aujourd'hui, 2 151 détenus dorment en prison sur des matelas posés à même le sol. Telle est la réalité ! Il faut en finir avec cette situation. §Nous devons faire en sorte que ce texte sur l'indignité dans les prisons se traduise par des actions concrètes. Pour cela, il est nécessaire d'organiser les choses, de réguler et de faire face à un certain nombre de discours parfaitement démagogiques selon lesquels la sécurité consisterait à entasser des personnes dans des prisons n'importe comment et dans des conditions indignes.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les deux textes que nous nous apprêtons à examiner en discussion commune sont le fruit de travaux menés au cours des États généraux de la justice, lancés en octobre 2021 à Poitiers par le Président de la République, et dont les conclusions, remises en juillet 2022, figurent dans le rapport Sauvé.
Ils sont, en outre, la concrétisation législative d'une grande partie des soixante mesures du plan d'action, lui-même issu de ces États généraux, que vous avez présenté en janvier dernier, monsieur le garde des sceaux. L'objectif de ce plan était de rendre la justice de notre pays plus protectrice, plus rapide et plus efficace.
Pour ce faire, le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoit d'allouer à la justice de moyens ambitieux d'ici à la fin du quinquennat : ceux-ci devraient atteindre près de 11 milliards d'euros en 2027.
Je vous prie de m'excuser, monsieur le garde des sceaux, mais je commence à être à court d'adjectifs pour saluer et caractériser l'augmentation de ces crédits ! Nous ne nous en plaindrons évidemment pas, car ces moyens financiers importants viendront renforcer les moyens humains indispensables au bon fonctionnement de cette institution et permettront de poursuivre tout à la fois le recrutement de personnels supplémentaires et la revalorisation des rémunérations et des carrières.
Ce sont donc 10 000 personnes qui seront recrutées d'ici à 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers. Le texte prévoit des créations de postes inédites, telles que des postes de surveillants pénitentiaires adjoints, ou encore ces équipes, composées notamment d'attachés de justice, destinées à rompre la solitude des magistrats dans leur tâche – solitude qui, on le sait, est immense.
La réforme statutaire, que nous examinerons concomitamment, vise à accompagner cette augmentation importante des effectifs de magistrats prévue par le projet de loi d'orientation et de programmation. Elle s'inspire elle aussi des recommandations formulées par le comité des États généraux de la justice et propose notamment d'ouvrir le corps judiciaire sur l'extérieur, d'améliorer le déroulement de carrière des magistrats et le dialogue social, et de développer la responsabilisation des magistrats et de renforcer leur protection.
En outre, ces nouveaux moyens financeront la transformation numérique, ainsi que les chantiers immobiliers du ministère.
J'entends les réticences concernant la construction de 15 000 places de prison supplémentaires d'ici à 2027, mais je souligne que ces places sont nécessaires ; de plus, leur construction s'accompagne de mesures d'aménagement de peines, telles que l'extension du champ des travaux d'intérêt général, ou encore de la libération sous contrainte.
Par ces textes, monsieur le garde des sceaux, vous entendez également rationaliser l'organisation judiciaire et la répartition des contentieux entre les juridictions.
À cet égard, je ne puis que me réjouir de la reprise, à titre expérimental, du tribunal des activités économiques, dont nous avions proposé la création, François Bonhomme et moi-même, dans une proposition de loi ratifiant, modifiant et complétant l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, et déposée à la fin de l'année 2021 sur le bureau du Sénat.
La commission a adopté deux amendements déposés par mon groupe visant à prévoir que le Parlement soit associé à l'évaluation de l'expérimentation des tribunaux des activités économiques et de la contribution pour la justice économique, ce dont je me félicite.
Dans ce même esprit de rationalisation, vous proposez de procéder, par voie d'ordonnance, à la réécriture à droit constant de la partie législative du code de procédure pénale. Au comité scientifique, installé en janvier dernier, et composé de professionnels du droit, chargé d'assurer le suivi des travaux de réécriture, un contrôle parlementaire sera ajouté, afin de veiller à la conformité de la refonte du code de procédure pénale aux conditions et orientations de l'habilitation.
Nous avons souvent débattu de l'idée selon laquelle les prérogatives du Parlement seraient mises à mal par le recours aux ordonnances lors de l'examen de textes d'habilitation. Soyons honnêtes, il est assez inédit qu'un Gouvernement mette en place une telle concertation : nous pouvons, au moins, le souligner.
De même, notre groupe fera usage de son droit d'amendement, en espérant qu'un certain nombre de ses amendements seront adoptés.
Pour finir, j'aborderai un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Vous me voyez venir, j'en suis certain… §En avril dernier, le Sénat avait organisé, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, un débat sur l'état de la justice dans les outre-mer. J'avais regretté à cette occasion, que, sur les 250 pages que comporte le rapport Sauvé, seules deux pages et demi soient consacrées aux outre-mer, alors qu'on sait que les terribles constats qu'il dresse sont d'autant plus graves dans ces territoires. En effet, entre particularismes géographiques, pauvreté, fracture numérique, barrières linguistiques, défaut d'attractivité et insécurité, les outre-mer cumulent les difficultés en matière de justice.
Je connais votre intérêt pour ces territoires éloignés et votre engagement en leur faveur, mes chers collègues – tout comme les vôtres, monsieur le garde des sceaux. Aussi, je vous serais reconnaissant de bien vouloir nous préciser comment ces recrutements massifs seront ventilés outre-mer et de nous communiquer l'état d'avancement des chantiers immobiliers.
Vous vous êtes récemment rendus aux Antilles, où vous avez annoncé qu'en Guadeloupe, les travaux de rénovation de l'ancien palais, qui accueillera le conseil des prud'hommes, débuteraient en 2025. Pour la Martinique, vous avez indiqué que la livraison d'une structure d'accompagnement vers la sortie interviendrait au premier trimestre 2025.
À Mayotte, lors de votre déplacement en mars 2022, vous aviez annoncé la création d'une nouvelle cité judiciaire, d'un second centre pénitentiaire et d'un centre éducatif fermé. La réalisation de tels projets prend certes du temps, d'autant que nous faisons face à un énorme problème de foncier, mais il me semble important, compte tenu des événements qui frappent ce département, qu'un calendrier de mise en œuvre puisse être rapidement dévoilé.
En tout état de cause, et nonobstant les effets de tribune de certains, qui apparaissent finalement en décalage avec l'esprit constructif qui a présidé à l'examen de ces textes en commission, le groupe RDPI considère, pour sa part, qu'ils mettent en place une stratégie globale et à long terme pour moderniser notre système judiciaire.
Le Gouvernement a pris la mesure des défis auxquels l'institution judiciaire est confrontée, tels que la surpopulation carcérale, les délais de procédure excessifs et l'inégal accès à la justice, et prévoit des moyens et des mesures ambitieux pour y remédier. C'est pourquoi notre groupe votera ces deux textes. §
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà dix ans exactement, le Sénat votait à l'unanimité une proposition de loi que j'avais déposée visant à restaurer la compétence universelle du juge français pour les infractions et les crimes relevant de la Cour pénale internationale (CPI). Il s'agissait simplement de supprimer les quatre verrous à la compétence des juridictions françaises pour connaître des infractions prévues par le Statut de Rome.
Depuis dix ans, j'ai déposé un très grand nombre d'amendements pour faire évoluer la situation. Il y a eu quelques légères évolutions, mais sur deux points principaux, les choses n'ont pas bougé.
Le premier concerne la question des infractions qui doivent être constatées dans les deux pays concernés, c'est-à-dire la France et le pays dont l'auteur des faits est ressortissant. À cet égard, certaines décisions ont été prises, y compris par la Cour de cassation, qui ont suscité une réprobation internationale, comme vous le savez. Le 12 mai dernier, la Cour de cassation a pris une position claire sur cette double incrimination, et vous avez publié un communiqué à ce sujet, monsieur le garde des sceaux, le 9 février 2022.
Dans ce communiqué, que vous avez cosigné avec M. Le Drian, vous avez indiqué – de manière quelque peu surprenante – que, si la justice bougeait, le ministère serait prêt à en tirer rapidement les conséquences législatives. Cette déclaration m'a interpellé, car, habituellement, les lois sont élaborées par le Parlement, sur l'initiative du Gouvernement, avant que les juges les appliquent. Vous avez inversé les rôles, en quelque sorte.
Cependant, puisque cette décision a été prise par la Cour de cassation, personne ne comprendrait, monsieur le garde des sceaux, que ce que vous avez vous-même écrit dans ce communiqué ne soit pas mis en œuvre.
J'espère donc que le débat sur ce projet de loi, avec la contribution de nos rapporteures et de notre présidente, nous permettra enfin de progresser sur cette question.
J'aborderai un deuxième point. Monsieur le garde des sceaux, vous connaissez notre position sur la question de la régulation carcérale, sujet que nous abordons souvent. Il l'a été récemment aussi par Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et il est au cœur du rapport Sauvé, comme vous le savez. Malgré les observations de l'Observatoire international des prisons, il y a quelques jours, votre position reste inchangée.
Nous considérons qu'il est nécessaire de prendre en compte la proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE sur ce sujet, ainsi que les propositions formulées depuis longtemps par Dominique Raimbourg, ainsi que toutes les propositions qui sont sur la table pour plafonner le nombre de détenus dans certains établissements, qui sont en outre insalubres.
Nous devons en finir avec le fait qu'il y a aujourd'hui 2 151 personnes détenues qui dorment sur des matelas à même le sol – car telle est la réalité ! §Et nous devons faire en sorte que ce texte sur l'indignité dans les prisons se traduise par des actions concrètes. Pour cela, il est nécessaire d'organiser les choses, de réguler et de faire face à un certain nombre de discours parfaitement démagogiques selon lesquels la sécurité consisterait à entasser des personnes dans des prisons n'importe comment et dans des conditions indignes.
Robert Badinter a déclaré un jour que la principale cause de la récidive, c'est la condition pénitentiaire. Il existe des moyens de remédier à ce problème. Il serait incompréhensible de ne pas en discuter à l'occasion de l'examen de ce projet de loi d'orientation et de programmation. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 8 juillet 2022 – il y aura bientôt un an – le vice-président honoraire du Conseil d'État Jean-Marc Sauvé remettait au Président de la République un rapport issu du comité des États généraux de la justice. Les constats effectués dans ce rapport, je ne vous apprends rien, étaient alarmants : difficultés dans l'exécution des peines, défaillance de l'administration pénitentiaire, délais de jugements toujours plus longs, etc.
Cette situation est principalement due au manque de moyens alloués à la justice. Dès lors, les projets de loi que nous étudions aujourd'hui sont les bienvenus. Pour autant, les crédits qu'ils ouvrent, s'ils sont de bon augure, ne permettront pas, à eux seuls, de pallier les carences dénoncées dans le rapport Sauvé.
Pour ma part, j'évoquerai simplement quelques aspects du projet de loi d'orientation et de programmation.
Son article 2 prévoit une réécriture de la partie législative du code de procédure pénale. Le Gouvernement a choisi pour cela de procéder par ordonnance, ce qui suscite des interrogations, car il s'agit de revenir sur les règles particulièrement sensibles touchant aux libertés individuelles et au pouvoir coercitif de l'État, lesquelles me paraissent relever beaucoup plus du législateur que du Gouvernement.
On peut parler d'un usage abusif des ordonnances. Alors que celles-ci devaient être l'exception, elles sont devenues pratiques courantes. Ainsi, le nombre total d'ordonnances publiées a doublé entre 2007 et 2022. Il y en a eu 773 en quinze ans, contre 321 entre 1984 et 2007. Et il ne faut pas oublier le flottement jurisprudentiel qui entoure la ratification de ces ordonnances. Je ne suis donc pas favorable à la méthode qui a été retenue.
Sur le fond, ce même texte contient des mesures qui réforment profondément les règles de la procédure pénale. On est loin de la réforme à droit constant annoncée.
Tel est ainsi le cas de l'article 3, par exemple, qui prévoit des dispositions dangereuses sur les perquisitions pénales, les gardes à vue ou encore le statut du témoin assisté. On peut se poser de légitimes questions sur certaines des mesures proposées, comme l'activation à distance des appareils électroniques dans le cadre d'une enquête judiciaire. Il n'est pas conforme à nos usages de mettre en place des pratiques qui relèvent plutôt de régimes politiques totalitaires ! Nous devons donc nous interroger sérieusement sur le titre Il de ce projet de loi, tant sur la méthode qu'il prévoit que sur le fond.
Le titre III concerne la justice commerciale et les juges non professionnels.
L'article 6 prévoit la possibilité, à titre expérimental, d'inclure dans la formation de jugement du tribunal des activités économiques un magistrat du siège en qualité d'assesseur, qui serait désigné par ordonnance du président du tribunal judiciaire.
Ce recours au principe de l'échevinage dans le tribunal des activités économiques est particulièrement mal perçu par les juges consulaires, qui y voient un signe de défiance, alors que les tribunaux de commerce ont su s'organiser pour rendre une justice dont la qualité n'est pas contestée.
Le risque est grand, si cette disposition est maintenue, de provoquer une vague de démissions chez les magistrats consulaires alors que les tribunaux de commerce manquent aujourd'hui de juges. La commission des lois du Sénat l'a bien compris : elle a purement et simplement supprimé cette modification de la composition du tribunal des activités économiques.
L'article 7 permet de déroger au principe de gratuité de la justice en instaurant une cotisation financière des entreprises, à la charge du demandeur devant le tribunal des activités économiques.
Cet article, qui prévoit une mesure expérimentale dans certains tribunaux seulement, va créer une inégalité territoriale et ainsi entraîner, selon moi, une rupture d'égalité entre les justiciables. Il est également susceptible de porter atteinte à l'accès au droit pour les demandeurs de bonne foi qui devront, pour obtenir un titre de créance, payer non seulement cette contribution, mais aussi un avocat.
Surtout, le fait de créer cette contribution constitue une première atteinte, notable, au principe de la gratuité de la justice, qui est la règle dans notre pays. Cette mesure n'est donc pas souhaitable.
En résumé, la densité des observations qui sont faites à l'occasion de cette discussion générale montre, s'il en est encore besoin, l'importance et la complexité des deux textes concernés, tant sur la forme que sur le fond.
Ce texte doit donc être modifié par notre assemblée, en ayant le souci non seulement d'améliorer notre système judiciaire, mais aussi de garantir les droits et les libertés de nos concitoyens. C'est à ces conditions que je le voterai. §
Robert Badinter a déclaré un jour que la principale cause de la récidive est la condition pénitentiaire. Il existe des moyens de remédier à ce problème. Il serait incompréhensible de ne pas en parler à l'occasion de l'examen de ce projet de loi d'orientation et de programmation. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quoi de mieux qu'un projet de loi d'orientation et de programmation pour mettre le droit et le fonctionnement de la justice au service de la lutte, prioritaire, contre les violences faites aux femmes ? Car, si j'ai bien compris, il s'agit là d'une priorité du Président de la République et du Gouvernement, ainsi que de nos rapporteures.
Or, quelle déception ! Ce texte ne prévoit sur ce sujet que la création de pôles spécialisés. C'est mieux que rien, certes, mais ce n'était pas la promesse du Président de la République, qui avait parlé de juridictions spécialisées.
Je comprends que beaucoup d'entre vous ne saisissent pas spontanément la différence entre des pôles et des juridictions. Il est vrai que ce n'est pas si simple.
Un pôle spécialisé est constitué de magistrats qui sortent de leur bureau, qui se parlent, qui coordonnent leurs actions et qui discutent ensemble des dossiers. Certains tribunaux en disposent déjà, et les professions judiciaires en sont satisfaites. C'est mieux qu'avant, personne ne le conteste, mais ce n'est pas une juridiction spécialisée.
Une juridiction spécialisée correspond à une pratique différente. Il s'agit d'un guichet unique, avec un magistrat ayant des prérogatives à la fois civiles et pénales. C'est une véritable différence pour les justiciables.
Faute de mieux, nous nous contenterons de ces pôles spécialisés, et nous espérons les voir s'étendre. Ce serait une bonne chose, mais ce n'est pas ce que nous voulions.
La réforme que vous nous présentez, monsieur le garde des sceaux, aurait été une belle occasion de concrétiser les propositions figurant dans le rapport Vérien-Chandler, qui confirme l'état des lieux qui a été effectué lors du Grenelle contre les violences conjugales. Or aucune d'entre elles n'a été reprise.
Vous avez expliqué à l'Assemblée nationale que vous pensiez que ce texte n'était pas le bon véhicule pour traduire ces propositions. Pourtant, légiférer sur les violences faites aux femmes, ce n'est pas tout à fait la même chose que légiférer sur les violences intrafamiliales. Les féminicides – il faut dire les choses –, ce sont des femmes qui meurent – quarante-sept depuis le début de l'année ! – et des hommes qui tuent. Il ne faut donc pas toujours parler de violences intrafamiliales…
Nous légiférons n'importe comment ! Des propositions de loi sont enlisées dans les méandres de la navette parlementaire. On ne sait pas où en sont les textes, qu'il s'agisse de la proposition de loi visant à renforcer l'ordonnance de protection – le Sénat l'a déjà examinée, mais on ne sait pas si elle nous reviendra – ou du texte prévoyant des dispositions en cas d'inceste – on ignore quand il sera examiné à l'Assemblée nationale. Nous ne pouvons pas légiférer ainsi ! Pendant ce temps, les femmes se heurtent au labyrinthe judiciaire et les hommes continuent de tuer.
Il y a quinze jours à peine, un homme, qui venait de sortir de prison, a tué sa femme et ses deux enfants. Sa femme avait pourtant déposé plainte à deux reprises ! La seule chose que le procureur de la République a trouvé à dire, c'est que cet homme ne lui paraissait pas dangereux. Pourtant, il a assassiné femme et enfants. Cette situation ne peut plus durer !
Je ne comprends pas votre rapport au temps, monsieur le garde des sceaux. Le temps législatif n'est pas le temps de l'urgence. Quand il s'agit de faire travailler les gens deux ans de plus, les décrets sont pris tout de suite, mais, pour lutter contre les violences faites aux femmes, il nous faut attendre un autre projet de loi, qui viendra on ne sait pas trop quand ! §
Cette méthode n'est pas la bonne. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une loi-cadre. Je suis désolée de constater d'ores et déjà que les femmes devront encore attendre pour que la délivrance d'une ordonnance de protection ne soit plus soumise à la double condition que des faits de violence aient été commis et qu'il existe un danger. Il n'est pas compréhensible que des femmes soient encore envoyées en prison pour non-présentation d'enfant.
Ce n'est pas sérieux de travailler ainsi, dans un pays où 142 femmes ont été tuées par la violence des hommes l'année dernière.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 8 juillet 2022 – il y aura bientôt un an – le vice-président honoraire du Conseil d'État Jean-Marc Sauvé remettait au Président de la République un rapport issu du comité des États généraux de la justice. Les constats effectués dans ce rapport, je ne vous apprends riens, étaient alarmants : difficultés dans l'exécution des peines, défaillance de l'administration pénitentiaire, délais de jugements toujours plus longs, etc.
Cette situation est principalement due au manque de moyens alloués à la justice. Dès lors, les projets de loi que nous étudions aujourd'hui sont les bienvenus. Pour autant, les crédits qu'ils ouvrent, s'ils sont de bon augure, ne permettront pas, à eux seuls, de pallier les carences dénoncées dans le rapport Sauvé.
Pour ma part, j'évoquerai simplement quelques aspects du projet de loi d'orientation et de programmation.
Son article 2 prévoit une réécriture de la partie législative du code de procédure pénale. Le Gouvernement a choisi, pour cela, de procéder par ordonnance, ce qui suscite des interrogations, car il s'agit de revenir sur les règles particulièrement sensibles touchant aux libertés individuelles et au pouvoir coercitif de l'État, lesquelles me paraissent relever beaucoup plus du législateur que du Gouvernement.
On peut parler d'un usage abusif des ordonnances. Alors que celles-ci devaient être l'exception, elles sont devenues pratiques courantes. Ainsi, le nombre total d'ordonnances publiées a doublé entre 2007 et 2022. Il y en a eu 773 en quinze ans, contre 321 entre 1984 et 2007. Et il ne faut pas oublier le flottement jurisprudentiel qui entoure la ratification de ces ordonnances. Je ne suis donc pas favorable à la méthode qui a été retenue.
Sur le fond, ce même texte contient des mesures qui réforment profondément les règles de la procédure pénale. On est loin de la réforme à droit constant annoncée.
L'article 3, par exemple, modifie profondément notre procédure pénale. Il prévoit des dispositions dangereuses sur les perquisitions pénales, les gardes à vue ou encore le statut du témoin assisté. On peut se poser de légitimes questions sur certaines des mesures proposées, comme l'activation à distance des appareils électroniques dans le cadre d'une enquête judiciaire. Il n'est pas conforme à nos usages de mettre en place des pratiques qui relèvent plutôt de régimes politiques totalitaires ! Nous devons donc nous interroger sérieusement sur le titre Il de ce projet de loi, tant sur la méthode qu'il prévoit que sur le fond.
Le titre III concerne la justice commerciale et les juges non professionnels.
L'article 6 prévoit la possibilité, à titre expérimental, d'inclure dans la formation de jugement du tribunal des activités économiques un magistrat du siège en qualité d'assesseur, qui serait désigné par ordonnance du président du tribunal judiciaire.
Ce recours au principe de l'échevinage dans le tribunal des activités économiques est particulièrement mal perçu par les juges consulaires, qui y voient un signe de défiance, alors que les tribunaux de commerce ont su s'organiser pour rendre une justice dont la qualité n'est pas contestée.
Le risque est grand, si cette disposition est maintenue, de provoquer une vague de démissions chez les magistrats consulaires alors que les tribunaux de commerce manquent aujourd'hui de juges. La commission des lois du Sénat l'a bien compris : elle a purement et simplement supprimé cette modification de la composition du tribunal des activités économiques.
L'article 7 permet de déroger au principe de gratuité de la justice en instaurant une cotisation financière des entreprises, à la charge du demandeur devant le tribunal des activités économiques.
Cet article, qui porte une mesure expérimentale dans certains tribunaux seulement, va créer une inégalité territoriale et ainsi entraîner, selon moi, une rupture d'égalité entre les justiciables. Il est également susceptible de porter atteinte à l'accès au droit pour les demandeurs de bonne foi qui devront, pour obtenir un titre de créance, payer non seulement cette contribution, mais aussi un avocat. Surtout, le fait de créer cette contribution constitue une première atteinte, notable, au principe de la gratuité de la justice, qui est la règle dans notre pays. Cette mesure n'est donc pas souhaitable.
En résumé, la densité des observations qui sont faites à l'occasion de cette discussion générale montre, s'il en est encore besoin, l'importance et la complexité des deux textes concernés, tant sur la forme que sur le fond.
Ce texte doit donc être modifié par notre assemblée, en ayant le souci non seulement d'améliorer notre système judiciaire, mais aussi de garantir les droits et les libertés de nos concitoyens. C'est à ces conditions que je le voterai. §
Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe CRCE. – Mme Elsa Schalck applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quoi de mieux qu'un projet de loi d'orientation et de programmation pour mettre le droit et le fonctionnement de la justice au service de la lutte, prioritaire, contre les violences faites aux femmes ? Car, si j'ai bien compris, il s'agit là d'une priorité du Président de la République et du Gouvernement, ainsi que de nos rapporteures.
Or, quelle déception ! Ce texte ne prévoit sur ce sujet que la création de pôles spécialisés. C'est mieux que rien, certes, mais ce n'était pas la promesse du Président de la République, qui avait parlé de juridictions spécialisées.
Je comprends que beaucoup d'entre vous ne saisissent pas spontanément la différence entre des pôles et des juridictions. Il est vrai que ce n'est pas si simple.
Un pôle spécialisé est constitué de magistrats qui sortent de leur bureau, qui se parlent, qui coordonnent leurs actions et qui discutent ensemble des dossiers. Certains tribunaux en disposent déjà, et les professions judiciaires en sont satisfaites. C'est mieux qu'avant, personne ne le conteste, mais ce n'est pas une juridiction spécialisée.
Une juridiction spécialisée correspond à une pratique différente. Il s'agit d'un guichet unique, avec un magistrat ayant des prérogatives à la fois civiles et pénales. C'est une véritable différence pour les justiciables.
Faute de mieux, nous nous contenterons de ces pôles spécialisés, et nous espérons les voir s'étendre. Ce serait une bonne chose, mais ce n'est pas ce que nous voulions.
La réforme que vous nous présentez, monsieur le garde des sceaux, aurait été une belle occasion de concrétiser les propositions figurant dans le rapport Vérien-Chandler, qui confirme l'état des lieux qui a été effectué lors du Grenelle. Or aucune d'entre elles n'a été reprise.
Vous avez expliqué à l'Assemblée nationale que vous ne pensiez pas que ce texte était le bon véhicule pour traduire ces propositions. Pourtant, légiférer sur les violences faites aux femmes, ce n'est pas tout à fait la même chose que légiférer sur les violences intrafamiliales. Dans les cas de féminicide, il faut dire les choses, ce sont des femmes qui meurent – quarante-sept depuis le début de l'année ! – et des hommes qui tuent. Il ne faut donc pas toujours parler de violences intrafamiliales…
Nous légiférons n'importe comment ! Des propositions de loi sont enlisées dans les méandres de la navette parlementaire. On ne sait pas où en sont les textes, qu'il s'agisse de la proposition de loi visant à renforcer l'ordonnance de protection – le Sénat l'a déjà examinée, mais on ne sait pas si elle nous reviendra – ou du texte prévoyant des dispositions en cas d'inceste – on ne sait pas quand il sera examiné à l'Assemblée nationale. Nous ne pouvons pas légiférer ainsi ! Pendant ce temps, les femmes se heurtent au labyrinthe judiciaire et les hommes continuent de tuer.
Il y a quinze jours à peine, un homme, qui venait de sortir de prison, a tué sa femme et ses deux enfants. Sa femme avait déposé plainte à deux reprises ! Le procureur de la République n'a rien trouvé de mieux à dire que cet homme ne lui paraissait pas dangereux. Pourtant, il a assassiné femme et enfants. Cette situation ne peut plus durer !
Je ne comprends pas votre rapport au temps, monsieur le garde des sceaux. Le temps législatif n'est pas le temps de l'urgence. Quand il s'agit de faire travailler les gens deux ans de plus, les décrets sont pris tout de suite, mais, pour lutter contre les violences faites aux femmes, il nous faut attendre un autre projet de loi, qui viendra on ne sait pas trop quand ! §
Cette méthode n'est pas la bonne. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une loi-cadre. Je suis désolée de constater d'ores et déjà que les femmes devront encore attendre pour que la délivrance d'une ordonnance de protection ne soit plus soumise à la double condition que des faits de violence aient été commis et qu'il existe un danger. Il n'est pas compréhensible que des femmes soient encore envoyées en prison pour non-présentation d'enfant.
Ce n'est pas sérieux de travailler ainsi, dans un pays où 142 femmes ont été tuées par la violence des hommes l'année dernière.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre institution judiciaire est au bord de la rupture. Ce constat n'est pas nouveau, mais le fait qu'il ne change pas, mandature après mandature, interpelle.
Le rapport Sauvé, remis au garde des sceaux le 8 juillet 2022 et duquel découlent ces projets de loi, pointait particulièrement deux responsables de la crise que nous traversons : la sous-dotation permanente de l'institution judiciaire, ainsi que la complexification et la multiplication du droit et des procédures.
Le premier point n'est pas de nature à faire débat : notre justice ne dispose pas des moyens adéquats pour faire face à l'ampleur de ses missions. Membre de la commission des lois, j'ai eu par deux fois l'occasion d'aller observer la réalité dans nos tribunaux, à Bordeaux et à Thionville. Chacun de ces tribunaux présente des problèmes structurels qui affectent l'efficacité de notre système judiciaire : manque de personnel, manque de moyens et défaillance, voire obsolescence, du matériel informatique. Ces défaillances font que les procédures s'étalent sur des mois.
Notre justice n'a jamais été aussi lente, le délai de jugement étant de 14 mois en première instance et de 15, 8 mois en appel. Il peut atteindre 16 mois en moyenne aux prud'hommes !
Pour inverser cette tendance, le Gouvernement prévoit un budget de 9, 6 milliards d'euros pour 2023, soit une hausse de 26 % par rapport à l'année 2022. L'effort mérite d'être souligné, mais les moyens sont encore loin d'être suffisants pour atteindre les objectifs les plus ambitieux fixés par le Gouvernement.
Parmi ces objectifs figure la création de 15 000 places de prisons entre 2018 et 2027, pour lutter contre la surpopulation chronique dans ces établissements. Nos maisons d'arrêt présentent un taux d'occupation moyen de 143 %. Des milliers de places supplémentaires seraient nécessaires dès aujourd'hui pour que nos détenus soient accueillis dans des conditions acceptables.
Pire encore, 27 % des personnes incarcérées sont des prévenus en attente de leur procès, qui ne peut se tenir en temps et en heure, faute de moyens.
Dans un rapport du 25 mai 2023, notre collègue député Patrick Hetzel souligne que le plan que nous examinons apparaît d'ores et déjà sous-dimensionné. Il dénonce le retard que prend l'exécution des programmes déjà lancés : seuls 35 % des 7 000 places annoncées en 2018 ont effectivement été mises en service et tout porte à croire que le délai ne sera pas tenu. Ces places sont pourtant indispensables pour que nos tribunaux puissent réellement remplir leur office et condamner nos délinquants à des peines effectives.
À Bordeaux, les magistrats m'ont fait part d'une réalité aberrante : les prévenus ne sont plus condamnés à des peines de prison ferme afin de ne pas accroître la surpopulation carcérale du centre de Gradignan !
Nos tribunaux et nos services pénitentiaires sont intimement liés. Aussi, si les uns ne disposent pas de moyens suffisants, les autres périclitent.
Ces deux projets de loi visent à rendre notre justice « plus rapide, plus claire, plus moderne », notamment en simplifiant la procédure pénale et en mettant fin à la multiplication du droit et des procédures, l'inflation législative n'étant plus à démontrer.
Ces objectifs ne suscitent, eux non plus, aucune opposition de principe, tant l'intelligibilité de la loi est un enjeu majeur pour notre démocratie. Toutefois, en tant que colégislateur, le Sénat est confronté à un problème de méthode, que la commission des lois a largement mis en exergue : une part substantielle du contenu des textes soumis à notre examen est renvoyée à la discrétion du pouvoir réglementaire. Aussi, faute de communication sur les projets de décret d'application de certaines dispositions figurant dans les projets de loi, le Sénat ne peut se prononcer en pleine connaissance de cause sur celles-ci.
Pour conclure, ces textes ne constituent malheureusement qu'une traduction approximative des recommandations évoquées précédemment.
En effet, s'ils comportent des avancées réelles, comme le recours accru aux travaux d'intérêt général et l'expérimentation, réclamée de longue date par le Sénat, des tribunaux des activités économiques, ils omettent plusieurs recommandations du rapport Sauvé comme l'extension du statut de témoin assisté et le renforcement du rôle de nos greffiers dans l'aide à la décision.
La commission des lois est parvenue à corriger certaines lacunes, en portant par exemple l'objectif de recrutement de greffiers à 1 800 postes, mais l'écueil principal de cette réforme demeure. En procédant à une refonte par ordonnances de la procédure pénale, quelle place le pouvoir exécutif laisse-t-il au législateur pour réformer des règles extrêmement sensibles, qui touchent aux libertés individuelles et aux pouvoirs coercitifs de l'État ?
Il est indispensable que le Parlement puisse contrôler le respect du champ de l'habilitation qu'il accorde au Gouvernement et qu'il dispose, surtout, du temps nécessaire pour le faire dans des conditions sereines.
Au bout du compte, ces textes ne sont que le début du long travail qui nous attend pour rebâtir une justice digne des valeurs de notre pays. §
Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes CRCE. – Mme Elsa Schalck applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre institution judiciaire est au bord de la rupture. Ce constat n'est pas nouveau, mais le fait qu'il ne change pas, mandature après mandature, interpelle.
Le rapport Sauvé, remis au garde des sceaux le 8 juillet 2022 et duquel découlent ces projets de loi, pointait particulièrement deux responsables de la crise que nous traversons : la sous-dotation permanente de l'institution judiciaire, ainsi que la complexification et la multiplication du droit et des procédures.
Le premier point n'est pas de nature à faire débat : notre justice ne dispose pas des moyens adéquats pour faire face à l'ampleur de ses missions. Membre de la commission des lois, j'ai eu par deux fois l'occasion d'aller observer la réalité dans nos tribunaux, à Bordeaux et à Thionville. Chacun de ces deux tribunaux présente des problèmes structurels qui affectent l'efficacité de notre système judiciaire : manque de personnel, manque de moyens et défaillance, voire obsolescence, du matériel informatique. Ces défaillances font que les procédures s'étalent sur des mois. Notre justice n'a jamais été aussi lente, le délai de jugement étant de 14 mois en première instance, de 15, 8 mois en appel et pouvant atteindre 16 mois en moyenne aux prud'hommes.
Pour inverser cette tendance, le Gouvernement prévoit un budget de 9, 6 milliards d'euros pour 2023, en hausse de 26 % par rapport à l'année 2022. L'effort est à souligner, mais nous sommes encore loin des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs les plus ambitieux fixés par le Gouvernement.
Parmi ces objectifs figure la création de 15 000 places de prisons entre 2018 et 2027, pour lutter contre la surpopulation chronique dans ces établissements. Nos maisons d'arrêt présentent un taux d'occupation moyen de 143 %. Des milliers de places supplémentaires seraient nécessaires dès aujourd'hui pour que nos détenus soient accueillis dans des conditions acceptables.
Pire encore, 27 % des personnes incarcérées sont des prévenus en attente de leur procès, qui ne peut se tenir en temps et en heure, faute de moyens.
Dans un rapport du 25 mai 2023, notre collègue député Patrick Hetzel souligne que le plan que nous examinons apparaît d'ores et déjà sous-dimensionné. Il dénonce le retard que prend l'exécution des programmes déjà lancés : seuls 35 % des 7 000 places annoncées en 2018 ont effectivement été mises en service et tout porte à croire que le délai ne sera pas tenu. Ces places sont pourtant indispensables pour que nos tribunaux puissent réellement faire leur office et condamner nos délinquants à des peines effectives.
À Bordeaux, les magistrats m'ont fait part d'une réalité aberrante : les prévenus ne sont plus condamnés à des peines de prison ferme afin de ne pas accroître la surpopulation carcérale du centre de Gradignan…
Nos tribunaux et nos services pénitentiaires sont intimement liés. Aussi, si les uns ne disposent pas de moyens suffisants, les autres périclitent.
Ces deux projets de loi visent à rendre notre justice « plus rapide, plus claire, plus moderne », notamment en simplifiant la procédure pénale et en mettant fin à la multiplication du droit et des procédures, l'inflation législative n'étant plus à démontrer.
Ces objectifs ne suscitent, eux non plus, aucune opposition de principe, tant l'intelligibilité de la loi est un enjeu majeur pour notre démocratie. Toutefois, en tant que colégislateur, le Sénat est confronté à un problème de méthode, que la commission des lois a largement mis en exergue : une part substantielle du contenu des textes soumis à notre examen est renvoyée à la discrétion du pouvoir réglementaire. Aussi, faute de communication sur les projets de décret d'application de certaines dispositions figurant dans les projets de loi, le Sénat ne peut se prononcer en pleine connaissance de cause sur celles-ci.
Pour conclure, ces textes ne constituent malheureusement qu'une traduction approximative des recommandations évoquées précédemment.
En effet, s'ils comportent des avancées réelles, comme le recours accru aux travaux d'intérêt général et l'expérimentation, réclamée de longue date par le Sénat, des tribunaux des activités économiques, ils omettent plusieurs recommandations du rapport Sauvé comme l'extension du statut de témoin assisté et le renforcement du rôle de nos greffiers dans l'aide à la décision.
La commission des lois est parvenue à corriger certaines lacunes, en portant par exemple l'objectif de recrutement de greffiers à 1 800 postes, mais l'écueil principal de cette réforme demeure. En procédant à une refonte par ordonnance de la procédure pénale, quelle place le pouvoir exécutif laisse-t-il au législateur pour réformer des règles extrêmement sensibles, qui touchent aux libertés individuelles et aux pouvoirs coercitifs de l'État ?
Il est indispensable que le Parlement puisse contrôler le respect du champ de l'habilitation qu'il accorde au Gouvernement et qu'il dispose, surtout, du temps nécessaire pour le faire dans des conditions sereines.
Au bout du compte, ces textes ne sont que le début du long travail qui nous attend pour rebâtir une justice digne des valeurs de notre pays. §
J'interviendrai brièvement pour répondre aux interrogations légitimes qui ont été soulevées.
Au préalable, je rappelle que les États généraux de la justice ont ceci de singulier que nos compatriotes y ont été associés. Cet exercice démocratique a été une réussite, puisque plus d'un million de contributions sont remontées jusqu'à la Chancellerie.
Ensuite, si de nombreuses réformes de la justice ont été menées par les gouvernements précédents, elles ont rarement été assorties des moyens de les mettre en œuvre. Faute de moyens, ces réformes, malgré la volonté de les appliquer, ont donc fini dans les tiroirs. Ce ne sera pas le cas de celle-ci.
En outre, les États généraux constituent un véritable changement de gouvernance. En effet, les idées auraient pu émaner du ministère de la justice, puis être déclinées dans les différentes juridictions. Or ce n'est pas du tout ce que nous avons fait. Nous avons recueilli la parole de tous les acteurs, dans le cadre à la fois du comité présidé par Jean-Marc Sauvé, au sein duquel siégeaient les présidents des commissions des lois du Sénat – je le rappelle – et de l'Assemblée nationale, de hauts magistrats, des universitaires, des avocats et des représentants des forces de sécurité intérieure, et des ateliers de travail.
Dans un premier temps, je n'ai pas souhaité participer à ces États généraux, de quelque façon que ce soit, car je ne voulais pas que me soit fait un jour le reproche d'avoir engagé une réforme partisane. Au contraire, cette réforme prend en considération toutes les sensibilités.
Dans un second temps, j'ai rencontré, par vagues successives, tout l'écosystème judiciaire : magistrats, greffiers, avocats, agents administratifs, syndicats – tout le monde, sans exception.
De ces rencontres, nous avons tiré plusieurs mesures, dont beaucoup, je tiens à le rappeler, sont consensuelles.
Je répondrai à quelques propos qui ont été tenus et qui, pardonnez-moi l'expression, me chiffonnent un peu.
Madame la sénatrice Cukierman, je ne peux pas vous laisser dire qu'il n'y a pas eu de dialogue social. Nous avons consulté tout le monde !
J'interviendrai brièvement pour répondre aux interrogations légitimes qui ont été soulevées.
Au préalable, je rappelle que les États généraux de la justice ont ceci de singulier que nos compatriotes y ont été associés. Cet exercice démocratique a été une réussite, puisque plus d'un million de contributions sont remontées jusqu'à la Chancellerie.
Ensuite, si de nombreuses réformes de la justice ont été menées par les gouvernements précédents, elles ont rarement été assorties des moyens de les mettre en œuvre. Faute de moyens, ces réformes, malgré la volonté de les appliquer, ont donc fini dans les tiroirs. Ce ne sera pas le cas de celle-ci.
En outre, les États généraux constituent un véritable changement de gouvernance. En effet, les idées auraient pu émaner du ministère de la justice, puis être déclinées dans les différentes juridictions. Or ce n'est pas du tout ce que nous avons fait. Nous avons recueilli la parole de tous les acteurs, dans le cadre à la fois du comité présidé par Jean-Marc Sauvé, au sein duquel siégeaient les présidents des commissions des lois du Sénat – je le rappelle – et de l'Assemblée nationale, de hauts magistrats, des universitaires, des avocats et des représentants des forces de sécurité intérieure, et des ateliers de travail.
Dans un premier temps, je n'ai pas souhaité participer à ces États généraux, de quelque façon que ce soit, car je ne voulais pas que me soit fait un jour le reproche d'avoir engagé une réforme partisane. Au contraire, cette réforme prend en considération toutes les sensibilités.
Dans un second temps, j'ai rencontré, par vagues successives, tout l'écosystème judiciaire : magistrats, greffiers, avocats, agents administratifs, syndicats – tout le monde, sans exception.
De ces rencontres, nous avons tiré plusieurs mesures, dont beaucoup, je tiens à le rappeler, sont consensuelles.
Je répondrai à quelques propos qui ont été tenus et qui, pardonnez-moi l'expression, me chiffonnent un peu les oreilles.
Madame la sénatrice Cukierman, je ne peux pas vous laisser dire qu'il n'y a pas eu de dialogue social. Nous avons consulté tout le monde !
Permettez-moi de vous donner un exemple très précis. Dans son rapport, le comité des États généraux préconisait la création d'une agence de probation. Les organisations syndicales nous ayant dit qu'elles n'en voulaient pas et nous ayant expliqué pourquoi, nous n'avons pas retenu cette mesure.
Nous n'avons pas non plus retenu certaines autres préconisations figurant dans le rapport, car elles auraient nécessité une réforme constitutionnelle. Je pense notamment à la modification en profondeur du Conseil supérieur de la magistrature ou encore à la question de l'indépendance du parquet. Il n'était pas concevable de traiter ces sujets dans le cadre des présents textes. Ce n'était pas possible.
Monsieur le sénateur Sueur, qu'a proposé le comité des États généraux de la justice sur la question de la surpopulation ?
Permettez-moi de vous donner un exemple très précis. Dans son rapport, le comité des États généraux préconisait la création d'une agence de probation. Les organisations syndicales nous ayant dit qu'elles n'en voulaient pas et nous ayant expliqué pourquoi, nous n'avons pas retenu cette mesure.
Nous n'avons pas non plus retenu certaines autres préconisations figurant dans le rapport, car elles auraient nécessité une réforme constitutionnelle. Je pense notamment à la modification en profondeur du Conseil supérieur de la magistrature ou encore à la question de l'indépendance du parquet. Il n'était pas concevable de traiter ces sujets dans le cadre des présents textes. Ce n'était pas possible.
Monsieur le sénateur Sueur, qu'a proposé le comité des États généraux de la justice sur la question de la surpopulation ?
Il a proposé de définir pour chaque établissement pénitentiaire un seuil de criticité, tout en précisant qu'il ne peut s'agir d'un quota.
Il a proposé de définir pour chaque établissement pénitentiaire un seuil de criticité, tout en précisant qu'il ne peut s'agir d'un quota.
Ne soyons pas caricaturaux non plus ! Laissez-moi développer mon propos, monsieur le sénateur.
Certains ont confondu quota et seuil de criticité.
L'instauration d'un quota conduirait à libérer des détenus une fois celui-ci dépassé. Pardon de vous le dire, mais je ne ferai jamais une telle chose !
Le dépassement d'un seuil de criticité entraînerait la réunion des différents acteurs de la chaîne pénale, ce qui se fait déjà.
Ne soyons pas caricaturaux non plus ! Laissez-moi développer mon propos, monsieur le sénateur.
Certains ont confondu quota et seuil de criticité.
L'instauration d'un quota conduirait à libérer des détenus une fois celui-ci dépassé. Pardon de vous le dire, mais je ne ferai jamais une telle chose !
Le dépassement d'un seuil de criticité entraînerait la réunion des différents acteurs de la chaîne pénale, ce qui se fait déjà.
Ce n'est pas écrit dans le texte, mais cela se fait déjà, régulièrement et dans tous les ressorts. La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) signale naturellement à l'autorité judiciaire lorsqu'elle rencontre des difficultés.
De mon côté, j'ai multiplié par deux le nombre de postes de travail d'intérêt général. Nous devons toutefois comprendre pourquoi les condamnations à des peines de travail d'intérêt général ont diminué de 15 %. Une difficulté existe ; nous devons absolument la résoudre. Dans toutes les circulaires que j'ai prises, j'ai encouragé le recours à cette peine en précisant, bien sûr, « chaque fois que cela est possible ».
Ensuite, madame la rapporteure, je ne suis pas d'accord avec vous sur la question des greffiers. Vous estimez que les greffiers ne sont pas intégrés dans l'équipe autour du magistrat. Or ils le sont de fait ! Rien ne se fait, en matière pénale ou civile, sans eux. Si j'avais inscrit dans la loi que les greffiers faisaient désormais partie de l'équipe autour du magistrat, on m'aurait opposé que la loi était bavarde, les greffiers étant présents de toute façon !
Voilà pourquoi nous n'estimons pas nécessaire de modifier le statut du greffier dans ce projet de loi. Pour autant, ce dernier fera partie de l'équipe autour du magistrat, au même titre que les juristes assistants, car il est absolument indispensable : il est le garant de l'authenticité de ce qui se dit et de ce qui se fait. Il est indispensable au bon fonctionnement de la justice.
Enfin, madame la rapporteure Vérien, vous proposez que les étudiants puissent continuer d'entrer à l'école de formation des avocats en master 1, à condition qu'ils soient titulaires d'un master 2 au moment de l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (Capa). Un tel assouplissement relève du niveau réglementaire, vous avez raison, et je suis tout à fait d'accord pour travailler sur votre proposition.
À ce stade, je me permettrai toutefois de vous appeler à la vigilance sur un point : nous devons conserver la finalité professionnalisante de la formation. Il faut ainsi éviter, par exemple, que le stage réalisé par un élève dans le cadre de son projet pédagogique individuel (PPI) ne soit détourné de son objet afin de lui permettre de poursuivre ses études universitaires en vue d'obtenir un master 2. Ce sera ma seule réserve.
La porte du ministère vous est ouverte ; parlons de votre proposition, à laquelle je ne suis pas opposé du tout.
Ce n'est pas écrit dans le texte, mais cela se fait déjà, régulièrement et dans tous les ressorts. La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) signale naturellement à l'autorité judiciaire lorsqu'elle rencontre des difficultés.
De mon côté, j'ai multiplié par deux le nombre de postes de travail d'intérêt général. Nous devons toutefois comprendre pourquoi les condamnations à des peines de travail d'intérêt général ont diminué de 15 %. Une difficulté existe ; nous devons absolument la résoudre. Dans toutes les circulaires que j'ai prises, j'ai encouragé le recours à cette peine en précisant, bien sûr, « chaque fois que cela est possible ».
Ensuite, madame la rapporteure, je ne suis pas d'accord avec vous sur la question des greffiers. Vous estimez que les greffiers ne sont pas intégrés dans l'équipe autour du magistrat. Or ils le sont de fait ! En effet, rien ne se fait, en matière pénale ou civile, sans greffier. Si j'avais inscrit dans la loi que les greffiers faisaient désormais partie de l'équipe autour du magistrat, on m'aurait opposé que la loi était bavarde, les greffiers étant présents de toute façon !
Voilà pourquoi nous n'estimons pas nécessaire de modifier le statut du greffier dans ce projet de loi. Pour autant, ce dernier fera partie de l'équipe autour du magistrat, au même titre que les juristes assistants, car il est absolument indispensable : il est le garant de l'authenticité de ce qui se dit et de ce qui se fait. Aussi est-il indispensable au bon fonctionnement de la justice.
Enfin, madame la rapporteure Vérien, vous proposez que les étudiants puissent continuer d'entrer à l'école de formation des avocats en master 1, à condition qu'ils soient titulaires d'un master 2 au moment de l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (Capa). Un tel assouplissement relève du niveau réglementaire, vous avez raison, et je suis tout à fait d'accord pour travailler sur votre proposition.
À ce stade, je me permettrai toutefois de vous appeler à la vigilance sur un point : nous devons conserver la finalité professionnalisante de la formation. Il faut ainsi éviter, par exemple, que le stage réalisé par un élève dans le cadre de son projet pédagogique individuel (PPI) ne soit détourné de son objet afin de lui permettre de poursuivre ses études universitaires en vue d'obtenir un master 2. Ce sera ma seule réserve.
La porte du ministère vous est ouverte ; parlons de votre proposition, à laquelle je ne suis pas opposé du tout.
En ce qui concerne les violences faites aux femmes, puisque vous me suggérez d'en dire un mot, je considère que le travail accompli par la sénatrice Dominique Vérien et la députée Émilie Chandler est exceptionnel.
En ce qui concerne les violences faites aux femmes, puisque vous me suggérez d'en dire un mot, je considère que le travail accompli par la sénatrice Dominique Vérien et la députée Émilie Chandler est exceptionnel.
Disons les choses calmement et simplement.
Nous avons effectué près de 400 auditions et plusieurs déplacements à l'étranger.
Je précise qu'un pôle spécialisé n'est pas uniquement un pôle de magistrats qui se contentent de papoter autour de la machine à café en sortant de leur bureau. C'est bien autre chose. La spécialisation, c'est aussi une formation commune.
L'un des mérites du rapport de Mmes Vérien et Chandler est de nous avoir permis d'observer les juridictions spécialisées en Espagne. Il se trouve qu'elles ne font pas que des heureux.
Pour le reste, nous serons prêts dès cet automne, le temps que les choses se mettent en place. Nous avons d'ores et déjà indiqué que nous retiendrons plusieurs préconisations du rapport, comme la création d'un pôle spécialisé évidemment, mais également le déploiement de bracelets antirapprochement de nouvelle génération, ainsi que la réduction à vingt-quatre heures du délai pour prononcer une ordonnance de protection.
Je rappelle, madame la sénatrice, même si je sais que cela ne vous aura pas échappé tant vous êtes attentive à ces questions, que ce délai est passé de quarante-sept jours à six jours et que nous allons l'abaisser à vingt-quatre heures. Une procédure exceptionnelle est prévue dans les cas d'urgence.
Pourquoi faut-il motiver la décision, ce que vous semblez contester ? Parce que le contradictoire, pendant une petite période, ne s'exercera pas. Or le contradictoire, c'est le b.a.-ba de notre justice.
Disons les choses calmement et simplement.
Nous avons effectué près de 400 auditions et plusieurs déplacements à l'étranger.
Je précise qu'un pôle spécialisé n'est pas uniquement un pôle de magistrats qui se contentent de papoter à la machine à café en sortant de leur bureau. C'est bien autre chose. La spécialisation, c'est aussi une formation commune.
L'un des mérites du rapport de Mmes Vérien et Chandler est de nous avoir permis d'observer les juridictions spécialisées en Espagne. Il se trouve qu'elles ne font pas que des heureux. Je ferme cette parenthèse.
Pour le reste, nous serons prêts dès cet automne, le temps que les choses se mettent en place. Nous avons d'ores et déjà indiqué que nous retiendrons plusieurs préconisations du rapport, comme la création d'un pôle spécialisé évidemment, mais également le déploiement de bracelets antirapprochement de nouvelle génération, ainsi que la réduction à vingt-quatre heures du délai pour prononcer une ordonnance de protection.
Je rappelle, madame la sénatrice, même si je sais que cela ne vous aura pas échappé tant vous êtes attentive à ces questions, que ce délai est passé de quarante-sept jours à six jours et que nous allons l'abaisser à vingt-quatre heures. Une procédure exceptionnelle est prévue dans les cas d'urgence. Pourquoi faut-il motiver la décision, ce que vous semblez contester ? Parce que le contradictoire, pendant une petite période, ne s'exercera pas. Or le contradictoire, c'est le b.a.-ba de notre justice.
La discussion générale commune est close.
Nous passons à la discussion, dans le texte de la commission, du projet de loi d'orientation et de programmation.
projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027
Article 1er
En millions d'euros
Le rapport définissant les orientations et la programmation des moyens du ministère de la justice pour la période 2023-2027, annexé à la présente loi, est approuvé.
Les crédits de paiement du ministère de la justice, hors charges de pensions, évolueront conformément au tableau suivant :
CRÉDITS DE PAIEMENT hors compte d'affectation spéciale « Pensions »
2022 (pour mémoire)
Budget du ministère de la justice, en millions d'euros
Les créations nettes d'emplois du ministère de la justice s'élèveront à 9 395 équivalents temps plein, dont 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 600 conseillers de probation et d'insertion supplémentaires.
Le périmètre budgétaire concerné correspond à celui de la mission « Justice », qui regroupe les programmes « Justice judiciaire », « Administration pénitentiaire », « Protection judiciaire de la jeunesse », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature ».
En millions d'euros
CRÉDITS DE PAIEMENT hors compte d'affectation spéciale « Pensions »
2022 (pour mémoire)
Budget du ministère de la justice, en millions d'euros
Les créations nettes d'emplois du ministère de la justice s'élèveront à 9 395 équivalents temps plein, dont 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 600 conseillers de probation et d'insertion supplémentaires.
Le périmètre budgétaire concerné correspond à celui de la mission « Justice », qui regroupe les programmes « Justice judiciaire », « Administration pénitentiaire », « Protection judiciaire de la jeunesse », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature ».
Monsieur le garde des sceaux, nous sommes tous conscients des difficultés et des défis auxquels notre système judiciaire est confronté.
L'article 1er du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 renforce le budget consacré à la justice pour le porter à près de 11 milliards d'euros d'ici à 2027. Cela mérite d'être souligné, notre système judiciaire, on le dit régulièrement, n'étant pas doté de moyens suffisants. Cela dit, si un budget important ne garantit pas nécessairement le succès d'une réforme, il lui ouvre tout de même la voie.
Aussi, cette trajectoire budgétaire est plutôt positive, en cela qu'elle permet de financer des créations nettes d'emplois.
L'article 1er prévoit le recrutement de 1 500 magistrats, de 1 800 greffiers et de 600 conseillers pénitentiaires de probation et d'insertion (CPIP) supplémentaires. Est-ce suffisant pour mettre fin à l'état de délabrement avancé de notre justice ?
En parallèle à l'augmentation des ressources budgétaires, un changement de philosophie doit s'opérer au sein de l'institution judiciaire. Il faut notamment reconnaître que nos magistrats souffrent terriblement au travail. Souvenons-nous ainsi de cette jeune magistrate, prénommée Charlotte, qui s'était suicidée à Béthune en août 2021. Cette dernière ne disposait pas même d'un bureau sur lequel travailler ! Les États généraux de la justice ont été organisés à la suite de cette tragédie. À mes yeux, cette réforme porte symboliquement son nom.
Si je salue l'augmentation sans précédent du budget de la justice, je vous demande, monsieur le garde des sceaux, de rester vigilant sur la répartition de ces ressources, afin qu'elles profitent aux différents programmes de la mission budgétaire. Les prisons en ont grandement besoin.
L'amendement n° 268, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
s'élèveront à 9 395 équivalents temps plein, dont 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 600 conseillers de probation et d'insertion supplémentaires
par les mots :
sont fixées à 10 000 équivalents temps plein d'ici 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires, y compris 605 équivalents temps plein recrutés en gestion 2022 au titre de la justice de proximité
La parole est à M. le garde des sceaux.
Monsieur le garde des sceaux, nous sommes tous conscients des défis et des difficultés auxquels est confronté notre système judiciaire. L'article 1er du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 renforce le budget consacré à la justice pour le porter à près de 11 milliards d'euros d'ici à 2027. Il faut le souligner, puisqu'on reproche régulièrement à notre système judiciaire de ne pas être doté de moyens suffisants. Cela dit, si un budget important ne garantit pas nécessairement le succès d'une réforme, il lui ouvre tout de même la voie.
Aussi, cette trajectoire budgétaire est plutôt positive, en cela qu'elle permet de financer des créations nettes d'emplois.
L'article 1er prévoit le recrutement de 1 500 magistrats, de 1 800 greffiers et de 600 conseillers pénitentiaires de probation et d'insertion (CPIP) supplémentaires. Cela suffit-il pour répondre à l'état de délabrement avancé de notre justice ?
En parallèle à l'augmentation des ressources budgétaires, un changement de philosophie doit s'opérer au sein de l'institution judiciaire. Cela passe notamment par le fait de reconnaître que nos magistrats souffrent terriblement au travail. Souvenons-nous ainsi de cette jeune magistrate, prénommée Charlotte, qui s'était suicidée à Béthune en août 2021. Cette dernière ne disposait pas même d'un bureau sur lequel travailler ! Les États généraux de la justice ont fait suite à cette tragédie. À mes yeux, cette réforme porte symboliquement son nom.
Si je salue l'augmentation sans précédent du budget de la justice, je vous demande, monsieur le garde des sceaux, de rester vigilant sur la répartition de ces ressources, afin qu'elles profitent aux différents programmes de la mission budgétaire. Les prisons en ont grandement besoin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de faire preuve de flexibilité et de souplesse : je souhaite que l'on supprime la référence aux 1 800 emplois de greffiers et aux 600 emplois de conseillers de probation et d'insertion.
En réalité, nos moyens, vous le savez, seront répartis finement, année après année, lors de la discussion budgétaire au Parlement. Cette répartition sera fonction, bien sûr, des besoins des métiers, de l'avancement des projets, des capacités de recrutement, de la formation et des écoles.
Les créations nettes d'emplois sur le quinquennat, qui s'étire de 2022 à 2027, s'établissent bien à 10 000 équivalents temps plein et non à 9 395. En effet, les 605 équivalents temps plein créés en 2022 l'ont été au début du second quinquennat et doivent donc bien être comptabilisés dans les 10 000 créations prévues.
Les 1 500 postes de magistrats et les 1 500 postes de greffiers correspondent aux préconisations des États généraux de la justice. Ces chiffres ne me sont pas venus à l'esprit un beau matin et n'ont pas été décidés au doigt mouillé. Ils ont fait l'objet de discussions avec l'écosystème judiciaire.
Si le besoin venait à se faire sentir, je serais bien sûr disposé à recruter davantage de greffiers. Je n'ignore rien du rôle qu'ils jouent dans les juridictions. Je le redis, ils feront partie de l'équipe autour du magistrat. Ils sont indispensables aussi pour l'accueil des justiciables.
De même, je suis parfaitement conscient de l'importance de la tâche des conseillers pénitentiaires de probation et d'insertion (CPIP), notamment pour la prise en charge et le suivi des personnes placées sous main de justice, mais aussi pour le développement du recours aux travaux d'intérêt général que je prône.
Ces CPIP sont un rouage indispensable de la prévention de la récidive. Je rappelle que sur les 1 500 emplois créés dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) entre 2018 et 2022, 970 étaient des postes de CPIP, dont 100 ont été créés à la fin de l'année 2021 dans le cadre de la justice de proximité.
Ces recrutements ont permis de faire baisser de 80 à 71 le nombre de dossiers suivis par chaque CPIP. Aussi, j'estime qu'il est prématuré de s'engager à recruter 600 CPIP supplémentaires durant le quinquennat. Ce que nous souhaitons tous, évidemment, c'est alléger la charge de travail de ces conseillers. Nous y veillerons, naturellement, mais, sur la répartition, laissez-nous un peu de flexibilité. Vous pourrez de toute façon, lors des discussions budgétaires, contrôler le nombre de personnels engagés, poste par poste.
L'amendement n° 268, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
s'élèveront à 9 395 équivalents temps plein, dont 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 600 conseillers de probation et d'insertion supplémentaires
par les mots :
sont fixées à 10 000 équivalents temps plein d'ici 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires, y compris 605 équivalents temps plein recrutés en gestion 2022 au titre de la justice de proximité
La parole est à M. le garde des sceaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de faire preuve de flexibilité et de souplesse : je souhaite que l'on supprime la référence aux 1 800 emplois de greffiers et aux 600 emplois de conseillers de probation et d'insertion.
En réalité, nos moyens, vous le savez, seront répartis finement, année après année, lors de la discussion budgétaire au Parlement. Cette répartition sera fonction, bien sûr, des besoins des métiers, de l'avancement des projets, des capacités de recrutement, de la formation et des écoles.
Les créations nettes d'emplois sur le quinquennat, qui s'étire de 2022 à 2027, s'établissent bien à 10 000 équivalents temps plein et non à 9 395. En effet, les 605 équivalents temps plein créés en 2022 l'ont été au début du second quinquennat et doivent donc bien être comptabilisés dans les 10 000 créations prévues.
La mention de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers correspond aux préconisations issues des États généraux de la justice. Ces chiffres ne me sont venus à l'esprit un beau matin ; ils n'ont pas été décidés au doigt mouillé, mais ont fait l'objet de discussions avec l'écosystème judiciaire.
Si le besoin venait à se faire sentir, je serais bien sûr disposé à recruter davantage de greffiers. Je n'ignore rien du rôle qu'ils jouent dans les juridictions. Je le redis, ils feront partie de l'équipe autour du magistrat. Ils sont indispensables aussi pour l'accueil des justiciables.
De même, je suis parfaitement conscient de l'importance de la tâche des conseillers pénitentiaires de probation et d'insertion (CPIP), notamment pour la prise en charge et le suivi des personnes placées sous main de justice, mais aussi pour le développement du recours aux travaux d'intérêt général que je prône.
Ces CPIP sont un rouage indispensable dans la prévention de la récidive. Je rappelle que sur les 1 500 emplois créés dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) entre 2018 et 2022, 970 étaient des postes de CPIP, dont 100 ont été créés à la fin de l'année 2021 au titre de la justice de proximité.
Ces recrutements ont permis de faire baisser le nombre de dossiers suivis par chaque CPIP de 80 à 71. Aussi, j'estime qu'il est prématuré de s'engager à recruter 600 CPIP supplémentaires durant le quinquennat. Ce que nous souhaitons tous, évidemment, c'est alléger la charge de travail de ces conseillers. Nous y veillerons, naturellement, mais, sur la répartition, laissez-nous un peu de flexibilité. Vous pourrez de toute façon, lors des discussions budgétaires, contrôler le nombre de personnels engagés, poste par poste.
L'avis de la commission est évidemment défavorable, monsieur le garde des sceaux, puisque votre amendement vise à revenir sur les dispositions adoptées par la commission des lois.
Nous avons bien conscience des efforts qui ont déjà été fournis ces dernières années en matière de recrutement, en particulier de CPIP, et nous nous en sommes toujours réjouis.
Il est certain que vous mettez un coup d'accélérateur en prévoyant la création de 1 500 postes de magistrats et de 1 500 postes de greffiers. Toutefois, nous estimons, car c'est le ratio qui nous a été demandé par les personnels de greffe, que le besoin est actuellement de 1, 2 greffier pour 1 magistrat. Il faut donc que l'évolution des moyens tienne compte de ce ratio. C'est pourquoi nous avons prévu dans le texte la création de 1 800 postes de greffiers.
Si des recrutements de CPIP ont déjà été effectués, nous estimons qu'il existe une marge de progression, car le talon d'Achille de la justice reste l'exécution des peines et le suivi des dossiers et des personnes.
Par ailleurs, je vous rappelle, monsieur le garde des sceaux, que le texte que nous examinons étant un projet de loi d'orientation et de programmation, il restera souple. Toutefois, nous tenions à afficher ces enjeux, qui nous paraissent fondamentaux.
L'avis de la commission est évidemment défavorable, monsieur le garde des sceaux, puisque votre amendement vise à revenir sur les dispositions adoptées par la commission des lois.
Nous avons bien conscience des efforts qui ont déjà été fournis ces dernières années en matière de recrutement, en particulier de CPIP, et nous nous en sommes toujours réjouis.
Il est certain que vous mettez un coup d'accélérateur en prévoyant la création de 1 500 postes de magistrats et de 1 500 postes de greffiers. Toutefois, nous estimons, car c'est le ratio qui nous a été demandé par les personnels de greffe, que le besoin est actuellement de 1, 2 greffier pour 1 magistrat. Il faut donc que l'évolution des moyens tienne compte de ce ratio. C'est pourquoi nous avons prévu dans le texte la création de 1 800 postes de greffiers.
Si des recrutements de CPIP ont déjà été effectués, nous estimons qu'il existe une marge de progression, car le talon d'Achille de la justice reste l'exécution des peines et le suivi des dossiers et des personnes.
Par ailleurs, je vous rappelle, monsieur le garde des sceaux, que le texte que nous examinons étant un projet de loi d'orientation et de programmation, elle restera souple. Toutefois, nous tenions à afficher ces enjeux, qui nous paraissent fondamentaux.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 29, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
La trajectoire des créations d'emplois définie à l'alinéa précédent s'accompagne d'une revalorisation et de l'adaptation des compétences des différentes professions judiciaires, prenant en compte les spécificités des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
L'amendement n'est pas adopté.
Monsieur le garde des sceaux, dans le rapport annexé, sorte de feuille de route pour la justice n'ayant aucune valeur normative, vous posez des diagnostics très justes, notamment la nécessité de revaloriser les emplois des professions judiciaires.
Aussi proposons-nous que ce principe soit inscrit dans le projet de loi et non pas seulement dans le rapport annexé.
L'amendement n° 29, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
La trajectoire des créations d'emplois définie à l'alinéa précédent s'accompagne d'une revalorisation et de l'adaptation des compétences des différentes professions judiciaires, prenant en compte les spécificités des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Monsieur le garde des sceaux, dans le rapport annexé, sorte de feuille de route pour la justice n'ayant aucune valeur normative, vous posez des diagnostics très justes, notamment la nécessité de revaloriser les emplois des professions judiciaires.
Aussi proposons-nous que ce principe soit inscrit dans le projet de loi et non pas seulement dans le rapport annexé. Tel est l'objet de cet amendement.
Madame de La Gontrie, j'émets un avis défavorable sur votre amendement.
Si nous comprenons et partageons l'objectif de revalorisation des métiers – nous savons qu'il s'agit d'un axe important et attendu par les personnels de la justice –, nous considérons qu'il n'est pas de nature législative et qu'il a plutôt sa place dans le rapport annexé. Il ne faut pas diluer les dispositions du projet de loi de programmation. De manière générale, les revalorisations et les adaptations de compétences ne se prévoient pas dans une loi.
En revanche, nous veillerons à ce que le Gouvernement atteigne, durant ce quinquennat, ses objectifs.
Madame de La Gontrie, j'émets un avis défavorable sur votre amendement.
Si nous comprenons et partageons l'objectif de revalorisation des métiers – nous savons qu'il s'agit d'un axe important et attendu par les personnels de la justice –, nous considérons qu'elle n'est pas de nature législative et qu'elle a plutôt sa place dans le rapport annexé. Il ne faut pas diluer les dispositions du projet de loi de programmation. De manière générale, les revalorisations et les adaptations de compétences ne se prévoient pas dans une loi.
En revanche, nous veillerons à ce que le Gouvernement remplisse, durant ce quinquennat, ses objectifs.
Je partage la position de Mme la rapporteure et j'émets un avis défavorable sur cet amendement : la revalorisation des métiers ne relève pas du domaine législatif.
Par ailleurs, je rappelle que nous avons fait des promesses, que nous avons d'ores et déjà tenues. En effet, nous avons accordé une revalorisation de 1 000 euros aux magistrats, dont le traitement n'avait pas été augmenté depuis 1996. Une telle revalorisation était tout à fait légitime, même si son montant n'est pas faramineux, si l'on compare le niveau des traitements en 1996 et en 2023.
Nous avons calqué la rémunération des magistrats judiciaires sur celle des magistrats des juridictions administratives, car nous avons considéré, étant entendu qu'il nous faut recruter de nombreux magistrats, que si les magistrats de l'ordre administratif souhaitaient venir abonder l'ordre judiciaire
M. Alain Richard sourit.
Je partage la position de Mme la rapporteure : la revalorisation des métiers ne relève pas du domaine législatif.
Par ailleurs, je rappelle que nous avons fait des promesses, que nous avons d'ores et déjà tenues. En effet, nous avons accordé une revalorisation de 1 000 euros aux magistrats, dont le traitement n'avait pas été revalorisé depuis 1996. Une telle augmentation était tout à fait légitime, même si son montant n'est pas faramineux, si l'on compare le niveau des traitements en 1996 et en 2023.
Nous avons calqué la rémunération des magistrats judiciaires sur celle des magistrats des juridictions administratives, car nous avons considéré, étant entendu qu'il nous faut recruter de nombreux magistrats, que si les magistrats de l'ordre administratif souhaitaient venir abonder l'ordre judiciaire §
De même, nous avons revalorisé les personnels pénitentiaires, je l'ai dit, en les faisant passer de la catégorie C à la catégorie B. Les personnels de commandement passent de la catégorie B à la catégorie A.
Restent les greffiers qui seront, comme je l'ai dit, revalorisés de manière importante d'ici à l'automne, selon un calendrier dédié.
J'y insiste, nous tenons nos engagements.
Comme Mme la rapporteure, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
De même, nous avons revalorisé les personnels pénitentiaires, je l'ai dit, en les faisant passer de la catégorie C de la fonction publique à la catégorie B. Les personnels de commandement passent de la catégorie B à la catégorie A.
Restent les greffiers, qui seront, je l'ai dit, revalorisés de manière importante d'ici à l'automne, selon un calendrier dédié.
J'y insiste, nous tenons nos engagements.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Tout d'abord, je ne suis pas sûre que, sur ces sujets, la rapporteure et le garde des sceaux doivent nécessairement être du même avis.
Ensuite, ce qui est très troublant dans vos propos, monsieur le garde des sceaux, c'est que, alors que vous semblez être d'accord avec le contenu de l'amendement, vous appelez à ne pas le voter.
Je dois dire que cela me laisse un peu perplexe. J'ai tendance à penser que la loi est plus protectrice qu'un simple engagement oral. C'est pourquoi il faut voter cet amendement.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 30, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur la ventilation des créations nettes d'emplois mentionnés à l'alinéa précédent.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Nous avons déjà évoqué la ventilation des créations d'emplois, sur laquelle la commission des lois et le Gouvernement ne sont d'ailleurs pas d'accord. Au fond, les deux discours sont audibles : d'un côté, « Soyons ambitieux ! » ; de l'autre, « Laissez-nous de la souplesse pour nous adapter au fur et à mesure ! »
Pour notre part, nous demandons que, chaque année, vous nous fassiez le point – cela s'appelle un rapport ! – sur la ventilation des créations nettes d'emplois envisagées, de sorte que nous disposions d'une vision exacte et que nous puissions nous assurer que les deux objectifs se rejoignent.
J'émettrai en effet un avis défavorable.
Vous connaissez la position du Sénat sur les demandes de rapport, auxquelles nous sommes en général très défavorables. Selon le bilan annuel de l'application des lois pour 2022, que nous venons de recevoir, sur les vingt et un rapports que nous avons demandés au Gouvernement, nous n'en avons obtenu aucun. Les demandes de rapport ne sont donc pas, comme vous le voyez, d'une grande efficacité !
Au surplus, les bleus budgétaires, émis chaque année avant l'examen du projet de loi de finances, comportent des préconisations et constituent rien de moins que des rapports. S'il était adopté, votre amendement serait non seulement inefficace, mais également redondant.
Madame la sénatrice, vous m'avez opportunément rappelé que le Gouvernement n'était pas obligé d'être d'accord avec la rapporteure. En l'occurrence, il se trouve que je le suis.
L'examen du projet de loi de finances vous donnera l'occasion de poser au Gouvernement toutes les questions que vous souhaiterez lui poser.
Je ne suis moi non plus pas favorable aux demandes de rapports. Ceux qui sont demandés à mon ministère représentent une charge de travail supplémentaire, alors que j'ai toujours plaisir à répondre aux questions que vous me posez. §
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 31, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
La présente programmation fait l'objet d'actualisations afin de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans le rapport annexé à la présente loi, d'une part, et les réalisations et moyens consacrés, d'autre part.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Cet amendement vise à reprendre une disposition qui figurait dans la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et qui prévoyait l'actualisation de la programmation pour vérifier son adéquation avec les objectifs fixés.
L'absence de cette disposition dans le présent projet de loi doit être un oubli, monsieur le garde des sceaux. Aussi, je vous propose de le réparer en introduisant dans l'article 1er la disposition qui figurait dans la précédente loi de programmation.
Comme en 2018, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement – nous sommes constants.
La commission est constante et, comme en 2018, elle émet un avis défavorable sur cet amendement.
Sans surprise, le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
L'amendement n'est pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures,
La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.
La séance est reprise.
Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l'examen des amendements portant sur le rapport annexé.
Introduction
La justice est tout à la fois de grands principes qui fondent la République et la démocratie mais aussi un service public, certes spécifique, qui doit répondre aux exigences d'efficacité et de modernisation.
Annoncée par la Première ministre lors de son discours de politique générale du 6 juillet 2022 au Parlement, la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice vise notamment à doter l'institution judiciaire des ressources à la hauteur des exigences de ses missions et de l'ambition commune qu'elle porte.
Nourri des conclusions des États généraux de la justice formalisées dans le rapport remis le 8 juillet 2022 au Président de la République mais aussi des réflexions et convictions portées par le ministère de la justice, ce texte apporte des réponses opérationnelles et concrètes pour bâtir la justice de demain.
Riche d'une vaste consultation, ayant permis de recueillir près d'un million de contributions de citoyens et d'acteurs et partenaires de la justice, le rapport du comité des États généraux de la justice a dressé le constat d'une justice sous tension, parfois en difficulté pour remplir pleinement son rôle.
Afin de rehausser ses capacités, les moyens alloués à l'institution judiciaire seront largement accrus, poursuivant l'augmentation du budget de la mission « Justice » déjà amorcée lors du précédent quinquennat. Cet effort budgétaire sans précédent, dont la trajectoire est inscrite dans le projet de loi, vise à répondre aux attentes fortes des citoyens et des professionnels de la justice.
Au-delà d'une augmentation des ressources, le projet de loi d'orientation et de programmation a pour ambition d'accompagner une réforme profonde de la justice, plus rapide notamment dans ses délais de jugement, plus protectrice et efficace, plus proche et exigeante.
1. Un état des lieux détaillé issu de l'exercice inédit des États généraux de la justice
1.1. Un exercice inédit ayant associé l'ensemble des parties prenantes du service public de la justice
1.1.1. La consultation des citoyens et des professionnels de la justice
Lancée par le Président de la République le 18 octobre 2021 à Poitiers, en présence de citoyens, d'élus, de professionnels de justice, de magistrats, de greffiers, d'avocats, de notaires, de commissaires de justice, de mandataires judiciaires, de surveillants pénitentiaires, d'étudiants, ou encore des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et des forces de sécurité intérieure, la consultation menée marque une ouverture inédite de l'institution judiciaire.
Son lancement a été l'occasion pour le Président de la République de rappeler le premier enjeu des États généraux : la « restauration du pacte civique entre la Nation et la justice ».
Un comité composé de personnalités indépendantes et transpartisanes a été constitué dès le début du processus afin de donner l'impulsion nécessaire à la conduite de cette réflexion d'envergure, sous la présidence de Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d'État.
Une première phase, qui a consisté en une large consultation des citoyens et des professionnels de justice, a eu pour ambition de dresser un état de la situation de la justice en France et de formuler des propositions concrètes pour la mettre au cœur du débat public.
Ainsi, une consultation publique « Parlons justice » a été ouverte en ligne. Des rencontres et des consultations des usagers de la justice ont eu lieu dans toute la France.
L'ensemble des professionnels de justice, des magistrats, des professions du droit mais également de citoyens se sont vus offrir l'occasion de s'exprimer et de formuler des propositions concrètes d'amélioration du fonctionnement de l'institution judiciaire. Ces échanges ont eu lieu dans le cadre d'auditions, de visites sur site, de contributions écrites, de près de 250 débats organisés sur l'ensemble du territoire. Des réunions territoriales ont également été organisées, en particulier dans des juridictions et des établissements de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.
La consultation a été complétée par l'expertise de sept groupes de travail, constitués autour de magistrats, d'agents du ministère de la justice et de partenaires, qui ont couvert les problématiques des justices civile, pénale, de protection, économique et commerciale, de la pénitentiaire et de la réinsertion, du pilotage des organisations ainsi que des missions et des statuts. Chacun de ces ateliers a établi un état des lieux précis et remis des propositions dans son champ d'expertise.
1.1.2. La convergence et la synthèse des propositions par un comité indépendant
À la fin du mois de janvier 2022, le croisement des propositions des acteurs mobilisés a constitué un moment clé pour cette démarche participative. Rassemblant 12 citoyens, 12 magistrats et agents du ministère ainsi que 12 partenaires de la justice, cet atelier de convergence a eu pour mission de prioriser les propositions ayant émergé.
Le comité Sauvé a remis son rapport au Président de la République le 8 juillet 2022.
Signe de l'ambition démocratique de la démarche, la synthèse des contributions, de même que les conclusions de l'atelier de convergence et les conclusions des groupes de travail ont été mises en ligne avec le rapport final sur le site internet du ministère de la justice.
1.1.3. Un travail de concertation mené par le garde des sceaux
À la suite de la remise du rapport, le garde des sceaux, ministre de la justice, a ouvert, le 18 juillet 2022, une très large concertation sur ces préconisations. Ont été associés le Premier président de la Cour de cassation et le Procureur général près ladite Cour, les membres du Conseil supérieur de la magistrature, les quatre conférences des chefs de cour et de juridiction, toutes les professions du droit, les syndicats, les forces de sécurité intérieure, mais également des citoyens « grands témoins », afin de recueillir leurs observations sur le rapport et ses annexes. Le garde des sceaux a renouvelé cet exercice avec les mêmes acteurs à la rentrée de septembre 2022.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ont également été invités à prendre part à ces échanges, s'agissant de leurs périmètres respectifs.
1.2. Un appel à agir en faveur de l'institution judiciaire
1.2.1. Une justice en proie à des difficultés d'accessibilité et de délais
Les consultations ont fait émerger le besoin d'un renforcement de la culture juridique de l'ensemble des citoyens, comme partie intégrante de l'éducation à la citoyenneté. Chacun a besoin de comprendre les fondamentaux du fonctionnement de l'institution judiciaire, qu'il y soit confronté à titre personnel ou simplement pour décoder les informations reçues des médias.
Surtout, elles ont mis en évidence un système judiciaire qui souffre encore de délais considérés comme trop longs par les professionnels de la justice comme par les citoyens.
Focus : les délais moyens
En 2021, le délai moyen de traitement d'une affaire civile s'établissait à 9, 9 mois devant les tribunaux judiciaires, 15, 7 mois devant les cours d'appel, 16, 3 mois devant les conseils de prud'hommes et 10 mois devant les tribunaux de commerce.
En 2021, au pénal toutes condamnations confondues (crimes et délits), le délai de traitement se maintient depuis 2012 à environ 13 mois, ce délai n'intégrant pas les délais d'enquête de police qui ne dépendent pas du ministère de la justice.
Pour les convocations par officier de police judiciaire devant le tribunal correctionnel (COPJ), le délai de traitement (entre la convocation et le jugement au fond) était en 2021 de 11, 9 mois, 35 % des COPJ étant jugées dans un délai inférieur à 6 mois.
Le délai moyen de traitement en correctionnelle est, quant à lui, de 10, 4 mois en 2021.
Le délai de traitement par les parquets des auteurs poursuivis est assez court (3, 9 mois en moyenne), avec un délai raccourci en cas de poursuites devant une juridiction pour mineurs (1, 8 mois), et prolongé lorsque l'affaire est transmise au juge d'instruction (9, 3 mois).
L'objectif-cible en matière civile est de parvenir à un délai moyen de traitement à 13, 5 mois fin 2023 et à 11, 5 mois fin 2027.
En matière pénale, le délai moyen global visé de décision devant le TC (de la saisine du parquet à la décision au fond) et devant le JE/TPE (de la saisine du parquet au jugement sur la culpabilité) est de 10, 4 mois fin 2023 et 8, 5 mois fin 2027.
1.2.2. Une justice civile et commerciale au cœur des attentes des citoyens
Représentant 60 % de l'activité judiciaire, la justice civile est confrontée à une impérieuse nécessité de maintenir le traitement des affaires dans des délais raisonnables, y compris pour les procédures longues, et alors qu'elle est déjà organisée, notamment au travers des procédures sur requêtes et en référé, pour faire face à l'urgence. Le déficit d'attractivité des fonctions civiles complique encore davantage le traitement des affaires civiles.
Or, ainsi que mis en évidence par le groupe de travail sur la justice civile, au-delà de son importance comptable, la justice civile assure la cohésion sociale, car elle permet d'apaiser les litiges entre nos concitoyens et participe au développement socio-économique du pays.
La justice commerciale, organisée, quant à elle, autour des tribunaux de commerce, fait l'objet d'une organisation jugée insuffisamment unifiée et lisible par l'ensemble des acteurs. Il est à noter toutefois que ce constat fait suite au double mouvement à l'œuvre ces dernières années de spécialisation accrue du contentieux commercial et des procédures collectives et de recherche de proximité pour le justiciable, qui nécessite une prise en charge spécifique.
1.2.3. Une justice pénale insuffisamment lisible
La procédure pénale est devenue de plus en plus complexe et difficile à appréhender, tant pour les professionnels du droit que pour les justiciables. Le code de procédure pénale a fait l'objet d'une inflation normative sans précédent depuis son entrée en vigueur en 1959, passant de 800 à plus de 2 400 articles, en accélération depuis 2008, sous l'effet conjugué de l'adoption de nouvelles politiques pénales, de la transposition de dispositions supranationales ou de la prise en compte de décisions jurisprudentielles. Cette évolution génère une incohérence du plan d'ensemble du code, qui ne respecte pas la chronologie de la procédure pénale : ainsi, les règles applicables lors de l'enquête ou de l'instruction sont, par exemple, dispersées dans au moins six parties distinctes du code. Un tel éclatement des dispositions conduit également à des redondances nuisant à la lisibilité d'ensemble de la procédure pénale et à la sécurité juridique.
En outre, certaines dispositions en matière pénale ont besoin d'évoluer pour être davantage en phase avec les besoins des praticiens et les attentes des citoyens. À ce titre, la réforme des peines (« bloc peines »), entrée en vigueur le 24 mars 2020 dans un contexte marqué par la crise sanitaire, a fait l'objet d'une appropriation inégale : alors que les aménagements ab initio ou la libération sous contrainte sont de plus en plus usitées par les services judiciaires et pénitentiaires, la peine de travail d'intérêt général devrait davantage être valorisée notamment au stade post sentenciel nonobstant les améliorations apportées pour son prononcé.
1.2.4. Une politique carcérale au cœur des attentions
Dans le contexte de surpopulation carcérale, les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires français, en particulier dans les maisons d'arrêt, font l'objet d'une attention soutenue du ministère de la justice par des mesures tant juridiques que structurelles. Par ailleurs, il faut répondre au déficit préoccupant d'attractivité et de fidélisation des personnels pénitentiaires, par la revalorisation des métiers et la formation des agents.
2. Un plan d'action pour la justice
2.1. Des moyens accrus et une organisation rénovée
2.1.1. L'augmentation soutenue et régulière des moyens dédiés à la justice
Inscrite dans la présente loi de programmation, la progression des crédits, de 21 % à l'horizon 2027 par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, traduit de manière concrète la priorité réaffirmée par le Gouvernement accordée au renforcement et à la modernisation de la justice.
Ainsi, sur deux quinquennats, en prenant en compte la loi précédente de programmation pluriannuelle, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le budget du ministère aura augmenté de 60 %, pour atteindre près de 11 milliards d'euros en 2027.
En cumulé sur le quinquennat, 7, 5 milliards de crédits supplémentaires seront alloués au service public de la justice sur ce quinquennat, par rapport au niveau de 2022.
CRÉDITS DE PAIEMENT
hors compte d'affectation spéciale « Pensions »
2022 (pour mémoire)
Budget du ministère de la justice, en millions d'euros
Cet effort sur les moyens financiers se décline également sur les moyens humains avec la programmation du recrutement sans précédent de 10 000 emplois supplémentaires d'ici 2027, dont 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et un nombre substantiel d'assistants du magistrat. Également, sont compris dans les 10 000 emplois, les 605 équivalents temps plein recrutés en gestion 2022 au titre de la justice de proximité. En 5 ans, autant de magistrats auront été recrutés que sur les 20 dernières années.
Disposer d'une trajectoire budgétaire sécurisée sur cinq ans permettra au ministère de la justice de conduire résolument les investissements d'ampleur indispensables, tant dans les domaines immobilier, informatique ou organisationnel, qu'en matière de ressources humaines, pour évoluer vers un service public davantage attentif aux besoins des justiciables qu'il accueille et plus respectueux encore des personnes qui lui sont confiées.
La mise en œuvre de ces objectifs fixés par la loi fera l'objet d'un suivi en exécution.
Une clause de revoyure interviendra dans le cadre du PLF 2025 s'agissant des dépenses d'investissements immobiliers.
À cet effet, dans les conditions fixées par l'article 15 modifié de loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances et dans le respect de l'enveloppe de ressources prévue au titre de la période 2023-2027, le ministère de la justice pourra bénéficier de la reconduction d'une année sur l'autre des moyens immobiliers programmés n'ayant pas été consommés, qui seront donc sanctuarisés.
Cette garantie ira de pair avec un suivi étroit de l'avancement de la programmation immobilière pénitentiaire et judiciaire, décrit plus bas.
2.1.2. Des métiers de la justice revalorisés
2.1.2.1 Le renforcement de l'attractivité des métiers
Revaloriser les métiers pour les rendre attractifs et favoriser leur fidélisation nécessite de tenir compte du niveau de rémunération d'emplois comparables dans la fonction publique et de revaloriser en conséquence les rémunérations des différentes professions : magistrats judiciaires, greffiers, personnels de direction, éducateurs, personnels d'insertion et de probation, surveillants pénitentiaires, cadres et personnels administratifs et techniques…
Les voies de recrutement dans la magistrature seront simplifiées pour les professionnels du droit. De même, seront facilités les recrutements des magistrats à titre temporaire qui viennent compléter les équipes juridictionnelles.
S'agissant des greffiers, la toujours plus grande technicité de leurs fonctions et du niveau de diplômes détenu par les recrutés implique une attention particulière pour renforcer l'attractivité de ce métier et offrir des parcours de carrières valorisants. Le budget 2023 comporte ainsi une mesure catégorielle de revalorisation indiciaire des greffiers, avec une entrée en vigueur au 1er octobre 2023 pour un coût de 1, 75 M € en 2023 (7 M € en année pleine). Elle s'accompagnera d'une politique volontariste pérenne de convergence et de revalorisation indemnitaire des fonctions.
Pour ce qui concerne les métiers des filières en tension, comme le numérique, le ministère a engagé un travail visant, d'une part, à identifier les compétences stratégiques mais également les risques liés à la perte de compétences clés et, d'autre part, à mobiliser et à adapter ses actions en matière de gestion des ressources humaines pour pouvoir continuer à recruter et fidéliser ces compétences rares.
Pour tous ces métiers, la rémunération est un élément essentiel de l'attractivité du ministère et de la fidélisation de ses agents. Elle permet de reconnaître les fonctions occupées et la valeur professionnelle des agents, individuelle et collective.
La politique indemnitaire sera régulièrement ajustée afin de tenir compte de l'évolution des missions et des conditions d'exercice des fonctions des agents, en cohérence avec les orientations interministérielles qui seraient données.
2.1.2.2 Une politique dynamique de recrutements
Face aux enjeux massifs de recrutements sur les différents métiers de la justice, le ministère va poursuivre l'engagement d'une action forte de communication sur ses métiers, le sens du travail en son sein et les valeurs spécifiques de la justice. Il s'inscrit également dans le travail interministériel de valorisation de la « marque employeur » de l'État qu'il décline sur différents supports de communication ou leviers d'action, notamment ceux accessibles par les jeunes générations.
Par ailleurs, les nouvelles possibilités de recrutement, de mobilité et d'évolution dans les parcours professionnels ouvertes par la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique doivent également permettre de répondre aux besoins en compétences du ministère. Le recrutement par la voie de l'apprentissage sera encouragé. Le recrutement de personnes en situation de handicap constituera également un levier pertinent de recrutement pour répondre aux enjeux ministériels.
Enfin, le ministère de la justice engagera une action pour conserver les compétences qu'elle a su accueillir dans le cadre de la mise en place de la justice de proximité ou de la lutte contre les violences intrafamiliales. Ainsi, les agents contractuels A, B et C recrutés dans ce cadre se verront proposer, s'ils exercent toujours leurs fonctions et sans qu'ils aient besoin de recandidater, un contrat à durée indéterminée conformément aux dispositions de la loi de transformation de la fonction publique. C'est un enjeu essentiel pour permettre à ces agents d'œuvrer durablement dans les juridictions compte tenu de l'apport essentiel qu'ils ont constitué depuis 2020.
2.1.2.3 L'adaptation des compétences
Dans le cadre d'une méthode ministérielle harmonisée, chaque direction du ministère définira l'évolution des différents métiers et des compétences dont elle a besoin sur les cinq prochaines années pour l'ensemble des métiers, spécifiques et communs, de tous niveaux.
La démarche de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences devra s'appuyer sur cette connaissance de l'évolution des métiers mais également sur son système d'information des ressources humaines (SIRH) qui sera enrichi de nouvelles fonctionnalités. Des investissements seront ainsi réalisés pour doter le SIRH d'un module de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC).
L'adaptation des compétences aux besoins évolutifs des emplois mobilise l'appareil de formation. À cet égard, l'École nationale de la magistrature va renforcer sa formation en termes de management (cf. 2.1.5).
S'agissant des métiers pénitentiaires, une politique ambitieuse de formation initiale et continue permettra de répondre à la diversification des missions (lutte contre les violences et les phénomènes de radicalisation, missions extérieures et de sécurité publique, développement de la surveillance électronique, missions de réinsertion et de prévention de la récidive…). Cette politique se matérialisera par un nouveau plan de formation pour l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP), ainsi que par des plans locaux de formation dans les unités de recrutement, formation et qualifications (URFQ) des directions interrégionales et la création de centres de formation continue (CFC).
De même, l'accent sera mis sur la formation relative à la prise en charge des mineurs non accompagnés, afin d'acquérir ou de développer les savoir-faire des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse sur la prise en charge de ces jeunes, en application du code de justice pénale des mineurs.
Enfin, le réseau ministériel de conseillers mobilité carrière sera renforcé afin de personnaliser l'accompagnement des agents dans leur parcours professionnel.
2.1.2.4. L'attention aux parcours professionnels des cadres
Le ministère a entrepris un chantier visant à reconnaître les emplois de cadres supérieurs à responsabilité territoriale du ministère en élaborant un statut ministériel de ces emplois s'inscrivant dans le cadre général des emplois de direction de l'État, particulièrement de ceux de l'administration territoriale de l'État. À compter de 2023, ce statut ministériel d'emploi de direction permettra de fluidifier les parcours des cadres entre les directions et avec les autres employeurs publics et d'attirer des compétences nouvelles.
Afin d'identifier les cadres du ministère qui pourraient être appelés à occuper les emplois à responsabilité au sein du ministère ou dans le champ interministériel, des revues systématiques de cadres sont mises en œuvre tous les deux ans.
La revue des cadres facilite également l'accès des femmes aux postes à responsabilité. Toutes les mesures d'accompagnement des femmes pour briser le plafond de verre sont mises en place, tutorat, mentorat, coaching, formation…
Enfin, le ministère met en œuvre la réforme de l'encadrement supérieur, en lien avec la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur. Dans ce cadre, un accompagnement individualisé et spécifique aux cadres supérieurs sera mis en place pour encourager le développement de leurs compétences (coaching, formations…) et les aider à construire leur projet professionnel. Un dispositif d'évaluation des compétences et des réalisations, adapté aux cadres supérieurs, sera également mis en place. À cet effet, une instance collégiale ministérielle prévue par l'ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de l'État sera constituée.
2.1.2.5 Les spécificités des outre-mer prises en compte
La politique de ressources humaines du ministère est adaptée pour faire face aux enjeux spécifiques des outre-mer tout en tenant compte de la différence de contexte de ces territoires.
Elle prévoit :
– l'accompagnement préalable des candidats à une mobilité outre-mer (entretiens préalables systématiques) et la facilitation de leur déménagement ;
– des dispositifs permettant des recrutements locaux par concours dans les territoires où l'attractivité est insuffisante dans le respect des obligations liées à la prise en compte du centre d'intérêts matériels et moraux (CIMM) dans les règles de mobilité ;
– l'amélioration des mesures d'action sociale, notamment en matière de logement ;
– l'accompagnement au retour des agents et la valorisation de l'expérience acquise en outre-mer (priorité de mutation, choix de postes préférentiel, valorisation pour l'avancement…) ;
– la construction de parcours professionnels ministériels, interministériels, voire interfonctions publiques pour les agents qui souhaitent faire toute ou une partie de leur carrière dans un territoire ultramarin.
Le ministère s'attache à adapter la mise en œuvre des mobilités pour faciliter l'application, d'une part, du critère légal de priorité de mutation lié au centre des intérêts matériels et moraux des agents originaires des outre-mer et, d'autre part, du critère de priorité de mutation subsidiaire, prévu par les lignes directrices de gestion mobilité du ministère, pour le retour des agents qui le souhaitent après 3 ans de service outre-mer.
2.1.3. L'attention à l'action sociale, à une politique de ressources humaines exemplaire et à la qualité de vie au travail
2 1.3.1. Une politique d'action sociale renforcée
La politique ministérielle d'action sociale sera poursuivie avec l'objectif de contribuer davantage à l'attractivité du ministère et à la fidélisation de ses agents. Elle sera adaptée aux besoins des agents en articulation étroite avec les directions d'emploi, dans le cadre d'un dialogue social approfondi avec les organisations syndicales au sein du Conseil national de l'action sociale (CNAS).
À cette fin, l'effort dans le domaine du logement sera prioritaire, les réservations de logement se feront dans les zones des recrutements à intervenir dans les cinq ans, au bénéfice des agents comme les surveillants pénitentiaires et les adjoints administratifs. En raison de la pression immobilière, une enveloppe est consacrée à de nouvelles réservations de logements, particulièrement en Île-de-France, mais également dans les zones tendues identifiées (PACA, Rhône-Alpes, Lille Métropole), zones d'accueil importantes d'agents primo-recrutés. Le travail de prospection et de conventionnement réalisé auprès des organismes de logement social à proximité de nouvelles ou de récentes structures du ministère, par exemple au Millénaire et bientôt en Guyane, sera poursuivi.
Le ministère s'attache également à mobiliser des réserves foncières, sur son propre patrimoine notamment, mais également par un travail de proximité avec les collectivités territoriales intéressées, pour faciliter la construction de logements intermédiaires ou de droit commun.
Le ministère met également en place un portail unique recensant toutes les offres de logement et comprenant des conseils personnalisés aux agents.
En complément de ces mesures, l'accession à la propriété est aidée. Le dispositif de prêt bonifié mis en place sera renforcé.
L'effort réalisé en matière de petite enfance sera également intensifié, particulièrement dans les grandes agglomérations. La spécificité des horaires effectués par une partie des personnels du ministère de la justice, notamment les personnels pénitentiaires travaillant en détention, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et une partie des magistrats et des fonctionnaires des services judiciaires conduit le ministère à prioriser la mise en place de dispositifs permettant aux personnels concernés à la fois de faire garder leurs enfants et de bénéficier d'aides leur permettant de compenser financièrement une partie du surcoût des prestations de garde en horaires atypiques. Depuis novembre 2012, le dispositif de type chèque emploi service universel « horaires atypiques du ministère de la justice » mis en place répond à un réel besoin et demeure.
Soucieux de permettre aux familles de concilier plus aisément vie familiale et vie professionnelle, le ministère souhaite développer son offre d'accueil de la petite enfance en structures collectives afin de faciliter la réussite de l'installation des agents recrutés ou mutés, et d'accompagner la mobilité professionnelle.
Le développement de prestations existantes sera poursuivi. D'une part, le contrat enfance jeunesse entre le ministère de la justice, la caisse d'allocations familiales et la municipalité de Fleury-Mérogis, qui permet la réservation annuelle de places en crèche à destination des agents ayant des horaires atypiques, peut être étendu à d'autres localités. D'autre part, la réservation de berceaux pour les enfants d'agents du ministère est une priorité sur les cinq années à venir, particulièrement en Île-de-France.
Protéger ses agents contre les accidents de la vie, en désignant un organisme chargé de leur protection sociale complémentaire, constitue le choix réalisé par le ministère pour une nouvelle période de sept ans à compter de 2017.
L'offre de référence s'adresse à tous les personnels du ministère de la justice, ainsi qu'à leur conjoint ou personne assimilée et à leurs enfants. Elle propose des contrats solidaires en termes intergénérationnels, familiaux et de revenus sur la base d'une tarification modérée à hauteur des transferts financiers effectués par le ministère.
Le ministère mettra en œuvre les nouvelles mesures qui ont été et sont négociées dans le cadre interfonctions publiques avec les partenaires sociaux en matière de renforcement de la protection sociale complémentaire des agents publics. En 2022, un forfait a été versé à chaque agent pour l'aider à financer sa protection sociale. Un accord est prévu avec les organisations syndicales, pour une mise en œuvre à l'horizon de la fin de l'année 2024.
2.1.3.2 Une politique des ressources humaines exemplaire en matière de responsabilité sociale
Le ministère a construit une politique volontariste en matière d'égalité professionnelle par la signature d'un accord relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes le 20 janvier 2020 par la majorité des organisations syndicales. Cet accord, support d'un plan d'action ministériel porteur de 60 mesures, emporte une révision des pratiques de ressources humaines, en les évaluant et en les améliorant, tant dans le domaine des rémunérations, de la durée et de l'organisation du travail, de la formation, des promotions et des conditions de travail. Une renégociation de l'accord est prévue en 2023 pour la mise en œuvre d'un plan sur l'horizon 2024 à 2026.
Un plan d'action ministériel pour la diversité et de lutte contre les discriminations, notamment dans le recrutement et dans le déroulement de la carrière, est également en place.
Un dispositif de signalement des actes de violence, de discriminations, de harcèlements et d'agissements sexistes à destination de tous les agents afin de garantir une liberté et une fluidité de la parole est également déployé depuis 2022 et jusqu'en 2026. Il est confié à un organe extérieur au ministère, les agents s'appropriant progressivement cette nouvelle protection. Une convention pluriannuelle a été conclue avec l'association FLAG ! en septembre 2021 afin de sensibiliser les agents du ministère à l'occasion d'événements et de conseiller en tant que de besoin les agents concernés.
Ces politiques reposent sur un réseau de référents dans toutes les directions, au nombre de 102, qui mettent en place des actions concrètes sur tous les territoires et dans tous les réseaux professionnels.
Le ministère a obtenu en décembre 2021, pour 4 ans, le label Alliance, c'est-à-dire le double label égalité femmes/hommes et diversité. Il reconnaît l'engagement du ministère dans ces deux politiques de gestion des ressources humaines, son volontarisme et la qualité des actions conduites.
En 2023, le ministre de la justice va renforcer sa politique ministérielle dans le domaine du handicap et des emplois réservés et l'inscrire dans une vision pluriannuelle. Elle vise à respecter l'objectif d'un taux d'emploi de 6 % des effectifs rémunérés du ministère et à favoriser, au-delà du recrutement de personnes en situation de handicap, leur maintien en fonction et leur déroulement de carrière sans discrimination. Elle s'appuie sur le maillage du réseau des référents handicap et sur un partenariat renforcé avec le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique et sur des partenariats avec des associations spécialisées.
Le collège de déontologie du ministère a été installé solennellement le 6 mars 2020 et des correspondants déontologues ont été désignés dans chacune des directions. Le ministère communiquera davantage sur ce dispositif afin d'en assurer sa promotion et d'organiser un véritable travail en réseau. Le dispositif de recueil des alertes a été mis en place et confié au collège de déontologie. Le ministère assure la formation de ses agents sur ces thèmes, en commençant par les cadres.
Dans la droite ligne de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, le ministère a mis en place des référents laïcité et promeut une formation obligatoire aux exigences du principe de laïcité pour tout agent public. Depuis 2022, chaque nouvel entrant suit une formation à la laïcité. En 2025, l'ensemble des agents du ministère seront formés à la laïcité. Un dispositif de conseil aux agents en matière de respect du principe de laïcité est également en place.
La prévention des violences faites aux agents constitue un chantier prioritaire. Dans la continuité des travaux conduits en comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériel, deux circulaires rappellent les modalités de mise en œuvre du droit à la protection fonctionnelle ainsi que les différents textes applicables et les mesures de prévention et de réparation mises en place. La charte de prévention des violences signée le 18 novembre 2021 par le ministre et des organisations syndicales majoritaires est mise en œuvre.
Un plan ministériel de santé au travail est en place pour la période 2022 à 2024. Il prévoit, d'une part, un renforcement et une coordination efficace des réseaux (médecins de prévention, infirmiers en santé au travail, travailleurs sociaux, psychologues du travail, référents SST, Handicap/QVT) avec, comme objectif principal, l'harmonisation des pratiques métiers et, d'autre part, la professionnalisation continue des acteurs intervenant dans le champ de la prévention (assistants et conseillers de prévention, formation des présidents et des membres des instances du dialogue social) ainsi que des chefs de service, sur la base d'une meilleure connaissance des risques et l'élaboration d'outils méthodologiques partagés, accompagnés d'actions de formation dédiées.
Parmi les axes privilégiés en matière de santé, d'hygiène et de sécurité au travail à l'horizon 2027 dans un contexte de démographie médicale sous tension, la priorité va à l'effort de fidélisation des médecins de prévention en poste et à l'attractivité du ministère pour en recruter de nouveaux (appui administratif, amélioration des conditions d'accueil, mise aux normes des cabinets médicaux, poursuite du conventionnement avec des services interentreprises) ainsi qu'au recrutement d'infirmières en santé au travail et la constitution d'équipes pluridisciplinaires.
2.1.3.3. La négociation d'un accord-cadre sur la qualité de vie au travail
Une négociation en vue de la signature d'un accord-cadre portant sur la qualité de vie au travail sera ouverte en 2023 avec les organisations syndicales représentatives du ministère.
Conçu et négocié avec les organisations syndicales, cet accord-cadre pourra utilement s'appuyer sur les travaux qui sont conduits en lien avec l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT). Il fixera des principes généraux en matière de qualité de vie au travail portant sur l'ensemble des services du ministère de la justice et sera décliné en plans d'action opérationnels dans les directions à réseau territorial et au niveau pertinent. Seront ainsi mises en œuvre des actions concrètes sur le terrain, des expérimentations, la diffusion de bonnes pratiques ministérielles ou de conduites par des employeurs autres, publics et privés…
L'amélioration de la qualité de vie au travail repose notamment sur plusieurs objectifs stratégiques et actions concrètes en matière d'accompagnement des agents par les services des ressources humaines apportant un appui personnalisé, d'adaptation des pratiques managériales, de santé et la sécurité au travail, de relation au travail et la conciliation vie professionnelle et vie privée.
2.1.4. Une organisation administrative des services judiciaires garantissant la déconcentration de certaines décisions et amélioration du pilotage
Les fortes attentes en matière d'une organisation administrative des services judiciaires au plus proche des besoins des juridictions, relayées par les États généraux de la justice, conduisent à proposer une plus grande déconcentration de certains actes de gestion associée à une réforme de l'organisation administrative du réseau judiciaire. Cette réforme porte exclusivement sur le champ administratif et n'a pas d'impact sur la carte judiciaire des cours d'appel et des juridictions.
Les ressources humaines, le pilotage budgétaire et le contrôle interne ainsi que la gestion de l'immobilier, des besoins en équipement numérique et des achats sont des matières pour lesquelles une organisation moins centralisée de la prise de décision et de la gestion permettrait non seulement de responsabiliser les acteurs locaux mais également de mieux prendre en compte la spécificité des territoires.
À compter de 2024 et progressivement, les pouvoirs de gestion des chefs de cour pour certains actes dans ces matières seront ainsi renforcés afin de gagner en subsidiarité, sous réserve d'études d'impact préalables.
Cette déconcentration s'accompagnera d'un renforcement des compétences budgétaires et de gestion des cours d'appel disposant d'un budget opérationnel de programme (BOP) de façon à rationaliser l'emploi des crédits et à définir des politiques cohérentes de gestion. Une réforme organisationnelle sera conduite en ce sens au cours de l'année 2023 avec comme objectif une mise en œuvre au 1er janvier 2024.
Enfin, la déconcentration sera également mise en place à l'échelle des tribunaux judiciaires qui, outre l'attribution d'un budget de proximité, bénéficieront de compétences dans certaines matières, notamment immobilières ou informatiques.
La réflexion ainsi engagée sera gage d'une plus grande efficacité et permettra de clarifier la répartition des compétences au service des juridictions entre le secrétariat général et la direction des services judiciaires.
2.1.5. L'équipe autour du magistrat institutionnalisée, pérennisée et renforcée
À l'issue des réflexions menées dans le cadre des États généraux de la justice et du rapport de Dominique Lottin sur la « Structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires autour des magistrats », il est devenu impératif de structurer l'équipe juridictionnelle au sein des juridictions. Fort des recrutements déjà réalisés et des actions entreprises dans les juridictions, il s'agit de systématiser la mise en place d'une équipe de collaborateurs autour des magistrats en la modélisant afin de clarifier les missions de chacun.
Il convient ainsi de mieux distinguer, d'un côté, l'assistance procédurale renforcée et l'accueil du justiciable qui relèvent du cœur des missions des greffiers, de l'autre, l'aide à la décision, le soutien à l'activité administrative des chefs de juridiction et l'assistance à la mise en place des politiques publiques qui relèvent des assistants juridictionnels (aujourd'hui constitués des assistants de justice, des assistants spécialisés, des juristes assistants et des chefs de cabinet).
Le magistrat est recentré sur ses missions juridictionnelles et dispose d'une équipe juridictionnelle pluridisciplinaire à ses côtés. Une fonction d'assistance auprès des magistrats est ainsi créée, l'attaché de justice qui peut être fonctionnaire ou contractuel, et se substitue aux actuels juristes assistants. Le champ d'intervention de ces nouveaux attachés de justice est élargi par rapport aux juristes assistants. Le magistrat, véritable chef d'équipe, est davantage formé, dès sa prise de fonction, à l'animation d'équipe et les différents agents nommés dans les fonctions d'attachés de justice bénéficient d'une formation dispensée par l'École nationale de la magistrature.
Les attachés de justice bénéficient d'une passerelle simplifiée vers la magistrature, permettant ainsi de constituer de véritables viviers venant renforcer l'autorité judiciaire.
Les assistants spécialisés seront également reconnus par le code de l'organisation judiciaire pour étendre à la matière civile le statut reconnu en matière pénale.
En parallèle de la création de cette fonction, un travail sera mené en 2023 afin de structurer et de modéliser les équipes juridictionnelles au sein des juridictions permettant de mieux prendre en compte l'impact de cette équipe sur l'activité juridictionnelle et d'assurer une mise en œuvre harmonisée sur l'ensemble du territoire.
2.1.6. Des brigades de soutien en outre-mer
Afin de répondre aux difficultés des juridictions d'outre-mer les plus concernées par un déficit structurel d'activité des personnels, une expérimentation de brigades de soutien est mise en œuvre à Cayenne et à Mamoudzou visant à renforcer ces juridictions à compter de 2023.
Les renforts prévus pour une durée de 6 mois doivent permettre l'amélioration rapide du fonctionnement de la justice sur ces territoires. Ce dispositif n'a pas vocation à devenir un mode de gestion pérenne de ces juridictions. Il se donne pour objectif d'assurer un renfort ponctuel permettant aux juridictions de surmonter des difficultés dans l'attente d'une réponse plus pérenne. À l'issue de leur participation aux brigades, les agents et les magistrats bénéficient d'un retour sur leurs fonctions précédentes.
Ce dispositif est complémentaire de celui de l'accompagnement RH renforcé, qui prévoit depuis 2021 que l'exercice réussi d'un poste durant au moins 3 ans dans ces juridictions (et certaines autres) permette le retour sur un poste priorisé.
2.2. Une transformation numérique accélérée
Dans sa communication à la commission des finances du Sénat de janvier 2022, la Cour des comptes constate que, compte tenu du retard considérable préexistant au lancement du plan, le premier plan de transformation numérique (2017-2022) a essentiellement « répondu à la nécessité de rattraper le retard numérique du ministère ». Si le « premier axe stratégique du plan, relatif aux infrastructures a permis de doter le ministère d'équipements individuels performants et d'un système moderne de visioconférence », ainsi que de lui faire bénéficier « d'une amélioration des réseaux et de la téléphonie », le deuxième axe du plan relatif aux applicatifs a connu des résultats beaucoup plus inégaux, en raison notamment d'un défaut de hiérarchisation des projets et d'une gouvernance insuffisante. Si un important travail de réorganisation du service du numérique et de la gouvernance du numérique au sein du ministère a été engagé dès le début de l'année 2021, les États généraux de la justice ont souligné le caractère insatisfaisant des outils numériques mis à disposition des juridictions.
Pour prendre en compte ces attentes et dans un objectif de fiabilité du système d'information, un nouveau plan de transformation numérique a été conçu au cours de l'année 2022. Ce plan de transformation numérique pour les années 2023-2027 répond à huit objectifs stratégiques :
1 – Redresser le patrimoine fonctionnel et technique du ministère de la justice (améliorer le réseau, résorber la dette technique, poursuivre la modernisation des applications et équipements en associant les personnels) ;
2 – Faire émerger une architecture ouverte et évolutive (créer un cadre de cohérence partagé et respecté, un système d'information modulaire et découplé, des référentiels de données transverses) ;
3 – Construire un socle système d'information flexible, sécurisé et résilient ;
4 – Mettre la valeur de la donnée au cœur des réflexions (open data, aide à la décision, qualité et gouvernance de la donnée) ;
5 – Aligner progressivement les compétences et les pratiques sur l'état de l'art (articulation du cadre juridique et du développement du numérique, nouvelle méthode de réalisation des produits numériques, tournée vers l'utilisateur, internalisation des ressources et compétences clés) ;
6 – Optimiser les services aux utilisateurs (numériser les flux de travail et faciliter la manipulation par les acteurs, identité numérique, chaîne de soutien modernisée, environnement de travail numérique de l'agent) ;
7 – Prendre en compte les exigences de sécurité dans la conception et dans tout le cycle de vie des produits numériques (nouvelle organisation de la sécurité des systèmes d'information et protection des données) ;
8 – Déployer et faire vivre une gouvernance permettant de soutenir les activités du numérique.
2.2.1. Un plan numérique de soutien immédiat aux juridictions
La première mesure vise le déploiement de techniciens informatiques de proximité (TIP) en juridiction. Il s'agit de déployer 100 techniciens informatiques dans les tribunaux dès 2023, en attendant une seconde vague de recrutement en 2024, afin d'offrir à toutes les juridictions un point d'entrée unique pour le traitement des incidents numériques en juridiction et de professionnaliser la chaîne de soutien de premier niveau, en lien direct avec le réseau déconcentré du secrétariat général.
Le service du numérique améliorera, en deuxième lieu, en 2023 la normalisation des équipements réseaux en juridiction et débutera la connexion au réseau interministériel de l'État (RIE 2), afin de stabiliser les accès réseau en juridiction et d'augmenter substantiellement les débits.
La troisième mesure a pour objet la mise à niveau du parc informatique en juridiction. Cette action programmée sur 2023 permettra d'établir un schéma type des équipements nécessaires en juridiction (ultraportables, doubles écrans, smartphones, visioconférences, copieurs, scanners…), de remettre à niveau la dotation des sites sous-équipés et d'en définir la fréquence de renouvellement.
La quatrième mesure concerne la mise en place d'audits à 360° dans les juridictions en crise. Le service du numérique a élaboré une méthode de soutien exceptionnel aux sites judiciaires connaissant une répétition d'incidents numériques. Ces opérations coordonnées impliqueront les services déconcentrés du secrétariat général et des services judiciaires (et permettront durant plusieurs semaines un audit numérique de l'ensemble d'une juridiction). Les premiers audits 360° se dérouleront au sein des tribunaux judiciaires de Bordeaux et de Bobigny.
2.2.2. Un grand chantier de dématérialisation intégrale : le projet « zéro papier 2027 »
Le plan de transformation numérique intègre un axe stratégique ministériel de dématérialisation : le projet « zéro papier ». Il devra permettre à l'ensemble des agents de la justice de travailler de façon dématérialisée, en administration centrale comme en juridiction ou en service déconcentré, à l'horizon 2027. Si la procédure pénale numérique a été un levier important de la dématérialisation lors du premier plan de transformation, il convient désormais de capitaliser sur ce savoir-faire, de bénéficier de la maturité numérique des outils applicatifs socles, en matière de signature électronique, de gestion de documents, d'échanges de fichiers et de procédures, de travail collaboratif, et d'étendre cette dématérialisation à l'ensemble des champs d'activité du ministère, tant en matière civile qu'administrative.
Dès 2023, des avancées majeures en matière de dématérialisation sont prévues.
S'agissant de la dématérialisation pénale, le premier semestre 2023 verra la généralisation de la signature électronique pénale à tous les tribunaux. Par ailleurs, le programme Procédure pénale numérique permettra en 2023 l'enregistrement automatique dans les tribunaux d'une part importante des procédures nativement numériques transmises aux tribunaux (plus de 60 % du total des procédures nativement numériques à fin 2023).
S'agissant de la dématérialisation civile, le développement d'une gestion électronique des documents (GED) transverse et d'un bureau de signature électronique générique, adossé sur l'application SIGNA, permettra la mise à disposition d'un outil de signature électronique pour toutes les juridictions avant la fin de l'année 2023.
2.2.3. Le renforcement du socle technique du système d'information
Le plan de transformation numérique vise une refonte en profondeur du socle technique et la stabilisation de l'accès aux applications. Cette refonte concerne notamment le passage sur le cloud de toutes les applications du ministère et la suppression progressive des serveurs locaux et l'augmentation massive des débits grâce au raccordement au Réseau interministériel de l'État (RIE) 2 de tous les sites du ministère.
Par ailleurs, le ministère de la justice intensifiera son effort pour assurer la conformité de son système d'information aux réglementations relatives à la protection des données personnelles et aux exigences de sécurité numérique de l'État.
2.2.4. Une nouvelle organisation de conduite des projets applicatifs au sein du ministère
Afin d'améliorer la rapidité et la qualité de la production des applications informatiques au sein du ministère, le plan de transformation numérique renforce la cohérence des feuilles de route applicative et l'architecture cible du système d'information.
Il prévoit une amélioration du pilotage des grands programmes en mode projet. Il s'agit de tirer les leçons des difficultés et des réussites constatées en la matière, ainsi que des recommandations de la direction interministérielle du numérique (DINUM) : généralisation du pilotage en mode projet, relation de plus grande proximité avec les utilisateurs sur les sites déconcentrés avec un recours accru aux expérimentations, développement de projets plus courts sur des périmètres plus limités avec des jalons mieux identifiés, développement d'une architecture SI ouverte, modulaire, systématisant le recours aux API (application programming interface ou « interface de programmation d'application »), démarche qui a été identifiée comme l'un des axes majeurs de la refondation de Cassiopée.
Le développement des petits projets applicatifs en mode incubateur ou start-up d'État sera largement soutenu.
Enfin, le rôle de coordination, de soutien et de gouvernance du secrétariat général sera renforcé afin d'assurer une meilleure coordination des feuilles de route applicatives des directions et d'aider à la montée en compétence des responsables de projets et au recrutement de directeurs de projet. À cette fin, il sera créé au sein du secrétariat général une cellule de soutien aux maîtrises d'ouvrage métier. Un travail de modélisation des organisations de conduite de projet sera engagé et un dispositif d'appui des directions de projet pour mieux piloter les relations avec les prestataires informatiques sera mis en place. Enfin, le ministère de la justice entend renforcer encore l'accompagnement de la conduite des projets, avec l'appui de la DINUM s'agissant des projets les plus structurants.
2.2.5. La poursuite d'une feuille de route applicative ambitieuse
Le ministère accentuera le développement en son sein de grands projets communs fonctionnels transversaux, destinés à soutenir le développement de l'ensemble des projets applicatifs (cloud, signature électronique, archivage électronique, identité numérique, renouvellement de la solution éditique, valorisation de la donnée).
Dans le cadre d'une gouvernance renforcée, les projets applicatifs portés par le ministère seront intensifiés, particulièrement en matière de numérisation et de dématérialisation, de communication électronique, d'aide à la décision et de pilotage des organisations. Les interconnexions applicatives, qui permettent de limiter le travail de ressaisie et de sécuriser la gestion de la donnée seront priorisées, et une attention particulière continuera d'être apportée aux outils d'échange d'information avec les partenaires des juridictions et des sites déconcentrés du ministère, ainsi qu'avec les justiciables.
Cette priorisation s'illustrera dans le soutien aux principaux projets et programmes applicatifs du ministère, arbitrés chaque année lors du comité stratégique de la transformation numérique (CSTN).
La procédure pénale numérique poursuivra sa feuille de route ambitieuse en matière de dématérialisation native des 4 millions de procédures pénales transmises chaque année aux juridictions par les services enquêteurs et les administrations spécialisés. Ses travaux intégreront les liens croissants avec les nombreux outils techniques développés ces dernières années en matière pénale, ainsi qu'avec l'application métier centrale en matière pénale, Cassiopée, qui verra se poursuivre le travail de refondation engagé en 2022, à travers des chantiers à la fois circonscrits et structurants (valorisation de la donnée à travers les API, refonte éditique, modernisation ergonomique et fonctionnelle).
Le projet Portalis, profondément réorganisé en 2022, fusionnera progressivement les nombreux applicatifs de la chaîne civile pour offrir un outil unique et moderne aux magistrats et aux greffiers des juridictions.
Plusieurs projets d'envergure en matière d'exécution des peines et de prise en charge des personnes placées sous main de justice connaîtront des avancées majeures : SAGEO (nouveau dispositif de télécommunication pour les personnels de surveillance), le NED (numérique en détention), GENESIS et PRISME, qui permettent la gestion des personnes incarcérées ou suivies en milieu ouvert et, enfin, ATIGIP 360, qui désigne les plateformes d'accès au travail d'intérêt général, à l'insertion professionnelle et aux placements extérieurs développés par l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP).
La modernisation du Casier judiciaire national, engagée depuis plusieurs années, sera achevée avec l'aboutissement des projets ASTREA et Ecris TCN.
L'application PARCOURS, dont une première version a été déployée, permettra de centraliser et d'unifier le suivi des mineurs confiés à la protection judiciaire de la jeunesse, en lien avec les juridictions.
Deux outils majeurs pour renforcer les capacités de suivi des auteurs d'infraction seront développés. L'application SISPOPP constituera l'instrument privilégié des parquets dans le suivi et le pilotage des politiques pénales prioritaires, au premier rang desquelles les violences intrafamiliales. Le ministère de la justice contribuera également au développement du FPVIF (fichier des auteurs de violences intrafamiliales) avec le ministère de l'intérieur. Les JIRS seront par ailleurs dotées d'un fichier de suivi et de recoupement des procédures, destiné à renforcer la lutte contre la criminalité organisée. Enfin, Justice.fr, une application pour smartphone à destination des justiciables, sera créée dès 2023, en lien avec la modernisation du portail internet du justiciable (cf. 2.6).
2.3. Des outils, équipements et moyens immobiliers au service de la justice
2.3.1. Une politique immobilière à la hauteur des enjeux du ministère de la justice
2.3.1.1 L'immobilier judiciaire
Le parc judiciaire est aujourd'hui saturé sous l'effet des augmentations successives d'effectifs depuis une dizaine d'années, représentant environ 10 % d'effectifs supplémentaires, alors que la surface du parc restait stable autour de 2, 1 millions de m². Il convient en conséquence et compte tenu de la nouvelle augmentation des effectifs prévue, de poursuivre le programme de restructuration et d'extension engagé dans le cadre de schémas directeurs immobiliers locaux, dont les plus sensibles ont déjà été menés ou engagés. En raison du temps long de l'immobilier, lorsque les emprises immobilières actuelles ne sont pas en mesure d'intégrer tout ou partie des augmentations d'effectifs qui arriveront rapidement, de nouvelles prises bail pourront répondre dans un premier temps et temporairement aux besoins immobiliers complémentaires pour les accueillir.
Ce programme immobilier permettra d'accueillir les nouveaux effectifs dans des configurations prenant en compte les nouveaux modes de travail et les orientations gouvernementales en matière de sobriété immobilière mais également d'accroître les capacités d'accueil du public, notamment en salle d'audience, pour permettre l'augmentation de l'activité attendue.
Les priorités de l'immobilier judiciaire pour 2023-2027 sont donc les suivantes :
– garantir la pérennité et le bon fonctionnement technique du patrimoine par la mise en œuvre d'un programme de gros entretien renouvellement qui prend en compte la sécurité et la sûreté des personnes et des biens, des mises aux normes réglementaires et d'accessibilité ;
– améliorer la situation des juridictions sur le plan fonctionnel et absorber l'augmentation actuelle et future des effectifs. Une attention particulière est accordée au traitement des archives et des scellés ainsi qu'à leur externalisation ;
– mettre en œuvre les objectifs gouvernementaux en matière de transition écologique des bâtiments de l'État ;
– dans la continuité du déploiement de l'augmentation des débits (ADD), et afin de parfaire ce déploiement jusqu'aux équipements terminaux, poursuivre la mise en œuvre de la rénovation des câblages, dans le cadre du plan de transformation numérique ministériel qui doit permettre de répondre à des besoins nouveaux dans l'exercice de la justice, notamment la retransmission vidéo sur différentes salles d'audience pour des procès hors normes, l'expérimentation de la web radio, les perspectives ouvertes par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire autorisant sous conditions l'enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences, etc. ;
– mettre en œuvre des solutions pérennes pour l'accueil des procès hors normes et pour la généralisation des cours criminelles départementales.
En 2023 et en 2024, la programmation judiciaire (avec l'indication de la date prévisionnelle de mise en chantier) concernera notamment les opérations suivantes :
– la construction d'un palais de justice à Lille (en cours), Saint-Benoît (La Réunion, 2023) ;
– la réhabilitation d'un bâtiment pour reloger des juridictions à Mâcon (2024), Valenciennes (2024), etc. ;
– la restructuration et l'extension des palais de justice à Bayonne (2024), Évry (2024), Nancy (cour d'appel, 2023), Nantes (2024), Nanterre (2024), Niort (2023), Versailles (cour d'appel, 2023), etc. ;
– la restructuration de palais de justice accompagnée de l'installation complémentaire de juridictions dans des sites à acquérir à Arras (2024), Fort-de-France (2025), Toulouse (2024 – 2027), etc. ;
– la restructuration des palais de justice d'Alençon (2024), de Bourges (en cours), de Carcassonne (2023), de Chaumont (2024), de Montargis (2024), de Paris (Île de la Cité, 2022-2024-2027), etc. ;
– l'externalisation de service au tribunal de Paris (2024), une réflexion concernant l'aménagement d'une salle pérenne des « grands procès » à Paris, la construction de centres d'archivage et de stockage de scellés en Île-de-France, en région lyonnaise et toulousaine.
Les opérations relatives aux territoires d'outre-mer feront l'objet d'une attention particulière tout au long de la programmation.
Il est prévu le lancement ou la poursuite de schémas directeurs immobiliers pour intégrer notamment les augmentations des effectifs sur 22 sites (Angers, Auxerre, Bar-le-Duc, Béthune, Boulogne-sur-Mer, Brest, Cahors, Cholet, Dax, Grenoble, La Rochelle, Orléans, Mende, Metz, Narbonne, Nice, Nouvelle-Calédonie, Orléans, Rouen, Saverne, Valence/Romans et tribunal judiciaire de Versailles) afin de fiabiliser le besoin avant le lancement d'une opération immobilière, et en vue de préparer la programmation du quinquennat suivant.
Enfin, un programme de rénovation thermique est engagé dont certains chantiers sont d'ores et déjà lancés dans le cadre notamment du plan de relance (Nanterre, Île de la Cité…) et dont le financement devra être articulé avec la planification écologique définie au plan interministériel.
2.3.1.2 L'immobilier pénitentiaire
S'agissant du patrimoine pénitentiaire, il s'agira de poursuivre et de finaliser la construction de nouveaux établissements dans le cadre du programme de construction de 15 000 nouvelles places de prison, tout en engageant la rénovation énergétique et en poursuivant la réhabilitation du parc existant.
La création de 15 000 places supplémentaires sur la période 2018-2027 permettra de résorber la surpopulation carcérale, qui dégrade fortement la prise en charge des personnes détenues et les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
La résorption de la suroccupation des détentions est indispensable pour rendre effectif l'objectif de réinsertion sociale de la peine privative de liberté en permettant la mise en œuvre d'activités, d'améliorer la prise en charge sanitaire et psychologique des personnes détenues et de restaurer l'attractivité du métier de surveillant. Elle doit aussi permettre de garantir la dignité des conditions de détention, d'améliorer la sécurité et de mieux lutter contre la radicalisation violente.
Les projections de population pénale à dix ans ont permis de territorialiser les nouvelles implantations de maisons d'arrêt. Le calibrage intègre en outre l'impact de la réforme pénale, notamment la réduction du recours à la détention provisoire et la limitation des peines d'emprisonnement de courte durée.
L'administration pénitentiaire comptera, à l'issue du programme 15 000, près de 40 000 places construites depuis moins de 30 ans. Ce plan doit permettre d'atteindre un taux d'encellulement individuel de 80 % sur la totalité des établissements du parc, contre 40, 4 % aujourd'hui.
Une partie de ces nouvelles places sont créées au sein des nouvelles structures d'accompagnement vers la sortie. Ces dernières, rattachées à des établissements existants, permettent l'exécution de courtes peines, traditionnellement effectuées en maison d'arrêt, au sein d'un environnement plus favorable à la préparation de la réinsertion sociale, notamment grâce à des principes de vie quotidienne fondés sur la responsabilisation du condamné et l'apprentissage de l'autonomie.
Sur la cinquantaine d'opérations du programme 15 000, 11 établissements ont d'ores et déjà été livrés (soit 3 951 places brutes créées et 2 441 nettes une fois prises en compte les fermetures de prisons vétustes) et 15 sont en travaux. Au total, 24 établissements, soit la moitié, seront opérationnels en 2024.
La mise en œuvre du programme a été marquée à ses débuts par la difficulté des recherches foncières, souvent pour des raisons de faisabilité technique ou environnementale (découverte d'espèces protégées notamment), mais également d'acceptabilité de la part des élus ou des riverains. Elle a également été retardée par des démarches contentieuses. Les terrains nécessaires au lancement de l'ensemble des projets étant toutefois désormais identifiés, les opérations sont entrées dans leur phase active et le rythme des livraisons va maintenant s'accélérer, pour s'échelonner jusqu'à fin 2027.
Ainsi, en 2022, ont été livrés le centre de détention de Koné (120 places) ainsi que les deux structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) de Caen (90 places) et de Montpellier (150 places), représentant au total 360 places.
En 2023, 10 nouveaux établissements actuellement en voie d'achèvement, représentant 1 958 places, seront livrés : les centres pénitentiaires de Troyes-Lavau et de Caen-Ifs, le centre de détention de Fleury-Mérogis ainsi que 7 SAS (Valence, Avignon, Meaux, Osny, Le Mans-Coulaines, Noisy-le-Grand et Toulon).
D'ici la fin 2023, les derniers établissements seront entrés en phase opérationnelle en vue d'une livraison prévue en 2024 (extension de Nîmes, SAS de Colmar et de Ducos), 2025 (Baumettes 3, Wallis-et-Futuna, InSERRE – Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi – Arras), 2026 (SAS d'Orléans, Bordeaux-Gradignan, extension de Baie-Mahault, Avignon-Comtat Venaissin, Tremblay-en-France) et 2027 (Toulouse-Muret, Saint-Laurent-du-Maroni, Perpignan-Rivesaltes, Nîmes, Melun-Crisenoy, Vannes, Angers, Noiseau, Le Muy, Val d'Oise, InSERRE : Donchery et Toul, Pau et la SAS de Châlons-en-Champagne).
Les opérations de gros entretien ou de rénovation du parc pénitentiaire constituent également une priorité pour offrir de meilleures conditions de travail aux personnels et des conditions d'incarcération dignes.
Ainsi, le budget consacré chaque année à l'entretien des établissements pénitentiaires existants a doublé depuis 2018. L'adaptation de l'immobilier des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) a également été engagée ces dernières années à travers des opérations de déménagement, d'extension ou de réhabilitation des locaux afin d'accueillir dans de bonnes conditions les renforts d'effectifs résultant de la création de 1 500 emplois supplémentaires sur la période 2018-2022, dont l'arrivée dans les SPIP s'étalera jusqu'en 2024 à l'issue de leur formation.
Par ailleurs, deux schémas directeurs de rénovation concernant les établissements de Fresnes et de Poissy ont été engagés en vue de conserver les capacités opérationnelles de ces établissements stratégiques d'Île-de-France.
Dans le cadre de l'application du décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire, la rénovation énergétique du patrimoine pénitentiaire doit être amplifiée dans un cadre pluriannuel.
Dans un premier temps, 25 établissements ont été ciblés : conçus de manière similaire au sein du programme 13 000 (mis en service entre 1990 et 1992), ils ne répondent pas aux exigences de maîtrise énergétique et n'ont pas encore fait l'objet de travaux de gros entretien ou de renouvellement. Les travaux concerneront principalement le remplacement des menuiseries extérieures, l'isolation et l'étanchéité des toitures des bâtiments d'hébergement.
Afin d'accompagner une politique ambitieuse de formation continue des personnels pénitentiaires, notamment dans le cadre du socle commun de formation ou de la mise en œuvre de la Charte du surveillant acteur (« Principes du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d'une détention sécurisée », 2021), l'administration pénitentiaire souhaite doter progressivement les directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP), qui exercent cette compétence, de centres de formation continue disposant de salles adaptées à l'enseignement métier, notamment des espaces de simulation d'intervention, comme on en trouve à l'ENAP.
La DISP de Paris sera ainsi pourvue, dès 2024, d'un centre de formation continue de ce type, en complément d'un centre francilien de sécurité qui sera livré cette année.
Enfin, la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice a créé les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour accueillir des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Le programme de construction initial prévoyait l'ouverture de 705 places en deux tranches de construction.
La première tranche, qui s'est achevée en 2018 par l'ouverture de l'UHSA de Marseille, a concerné neuf unités totalisant 440 places. Le lancement effectif d'une seconde tranche de construction des UHSA prévoit la création de 3 nouvelles UHSA dans le ressort des directions interrégionales de Paris (60 places), Toulouse (40 places) et Rennes (60 places).
2.3.1.3 L'immobilier de la protection judiciaire de la jeunesse
Le patrimoine immobilier de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est caractérisé par un nombre important d'unités immobilières de petite dimension, disséminées sur l'ensemble du territoire national pour être au plus près des mineurs et de leurs familles.
La programmation immobilière de la protection judiciaire de la jeunesse vise :
– à maintenir à un haut niveau d'intervention l'effort en faveur de l'ensemble des structures de la PJJ, en programmant des travaux d'entretien lourd, des restructurations et des constructions neuves, prolongeant la dynamique de remise à niveau du parc immobilier de la PJJ ;
– à poursuivre la mise en œuvre du programme des centres éducatifs fermés (CEF) ;
– à lancer de nouvelles opérations pour améliorer et accroître son patrimoine destiné aux activités d'insertion.
La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) dispose actuellement de 52 CEF en activité, 18 dans le secteur public et 34 dans le secteur associatif, et deux centres en suspension d'activité dont un public et l'autre associatif.
La construction de 21 CEF a été lancée en 2019 dont 6 pour le secteur public, sous maîtrise d'ouvrage publique. Un CEF public (Bergerac) est déjà opérationnel depuis 2022 et un deuxième est en cours de construction (Rochefort). Deux CEF associatifs ont également été livrés et une dizaine de projets sont en cours.
La construction de nouveaux établissements (12 unités éducatives d'activités de jour, UEAJ) pour compléter le maillage territorial et développer l'insertion dans le cadre du nouveau code de la justice des mineurs doit par ailleurs être mise en œuvre pour augmenter, en parallèle des ouvertures de CEF, les capacités de placement et de prise en charge en insertion.
Enfin, une opération lourde de réhabilitation du patrimoine francilien de la protection judiciaire de la jeunesse va être engagée.
2.3.1.4. Une nouvelle gouvernance des investissements immobiliers
S'agissant des crédits sur les investissements immobiliers, une clause de revoyure sera prévue dans le cadre du PLF 2025 afin d'apprécier le degré d'avancement de la programmation immobilière judiciaire et pénitentiaire et ses conditions économiques. Les crédits immobiliers non consommés en cours de gestion seront reportés sur l'exercice suivant pour permettre le financement des opérations programmées. Les crédits alloués aux investissements immobiliers du ministère ne pourront pas être utilisés à une autre fin.
S'agissant de la gouvernance des investissements immobiliers, un comité stratégique immobilier, présidé par le ministre de la justice, sera mis en place pour examiner, pour chaque projet d'investissement majeur, la satisfaction du besoin opérationnel, la stratégie de maîtrise des risques, le coût global intégrant les coûts d'investissement, d'exploitation et de maintenance, ainsi que la faisabilité financière d'ensemble.
Compte tenu de son ampleur et de ses enjeux, la programmation immobilière du ministère fera l'objet d'un suivi interministériel régulier associant le ministère chargé du budget, qui procédera à un examen contradictoire de la soutenabilité financière desdits projets de même que, chaque année, de la programmation pluriannuelle.
Le renforcement du pilotage des investissements doit notamment permettre, sous la responsabilité du ministre de la justice, d'assurer la cohérence d'ensemble des décisions ministérielles en matière d'investissement et de maîtriser les coûts, les délais et les spécifications des projets d'investissements majeurs.
2.3.2. Des missions de surveillance modernisées
La dynamique de modernisation des missions de surveillance sera poursuivie sur la période 2023-2027 : généralisation du numérique en détention, équipement des agents pénitentiaires en terminaux mobiles polyvalents et caméras-piéton, et modernisation des systèmes d'information.
L'administration pénitentiaire s'est donnée pour priorité de réduire les violences, de lutter contre la radicalisation violente et de poursuivre la sécurisation des établissements.
Les actions destinées à lutter contre la violence sont la condition d'un climat de travail sécurisé et apaisé pour les personnels et d'une exécution de la peine digne pour les personnes placées sous main de justice. Pour atteindre cet objectif, un plan national pluriannuel de lutte contre les violences, sous toutes ses formes, commises tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé, a été initié en décembre 2021. Sur la base d'un état des lieux précis de la situation des violences en milieu pénitentiaire, il vise à formuler des propositions concrètes et à déployer, à partir de début 2023, des outils et des pratiques efficaces afin de réduire les violences en détention et en milieu ouvert, à l'encontre des personnels, mais également entre personnes détenues. La conception de ce plan s'accompagne de la montée en puissance du rôle du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d'une détention sécurisée, conformément à la charte signée par le garde des sceaux avec les organisations professionnelles en avril 2021.
Par ailleurs, de nouvelles unités pour détenus violents seront ouvertes en 2023 à Lyon-Corbas et en 2024 à Alençon-Condé-sur-Sarthe.
Pour la prise en charge spécifique des personnes radicalisées, un nouveau marché permettant d'augmenter le nombre de personnes prises en charge dans les centres de jour et élargissant le maillage territorial a été attribué le 4 octobre 2022. S'agissant des quartiers d'évaluation de la radicalisation, l'ouverture récente d'une structure dédiée aux femmes à Fresnes permet de compléter la prise en charge de ce public Un deuxième quartier de prise en charge de la radicalisation dédiée aux femmes sera également créé en 2023.
Afin d'accompagner cette politique, des médiateurs du fait religieux supplémentaires seront recrutés dès 2023.
À l'issue d'une expérimentation en 2022 qui a démontré sa pertinence, il est proposé de généraliser les caméras-piéton à partir de 2023. Cette généralisation permettra d'équiper en caméras individuelles les personnels assurant des missions présentant un risque particulier d'incident ou d'évasion. Le dispositif est à la fois un matériel de sécurité supplémentaire pour les agents, un élément de preuve qui facilite la manifestation de la vérité en cas d'incident et un outil visant à l'amélioration des pratiques professionnelles.
Par ailleurs, après avoir équipé de terminaux mobiles les équipes chargées des missions extérieures, comme les extractions judiciaires, les personnels de surveillance seront progressivement dotés, dans les détentions, d'un smartphone leur permettant d'assurer leurs différents types de communication (émetteur/récepteur, téléphone, alarme, accès à distance aux applications métier). À l'issue d'une expérimentation à Fresnes fin 2022, le projet entrera en 2023 en phase de généralisation. Les agents du milieu ouvert seront également équipés de dispositifs adaptés à leurs spécificités.
Face à l'évolution des publics hébergés et à l'augmentation des phénomènes de violence, l'administration pénitentiaire poursuivra les actions visant à sécuriser les établissements ainsi que les services pénitentiaires d'insertion et de probation et à mieux protéger les personnels sur leur lieu de travail : déploiement des dispositifs anti-projections, renouvellement des systèmes de radiocommunication, remise à niveau de la vidéosurveillance et des portiques de détection, déploiement de dispositifs anti-drones.
Des moyens importants seront consacrés dès 2023 à la pose ou au remplacement de clôtures, à l'agrandissement des parkings pour accroître le nombre de places de stationnement et pour éviter aux personnels de stationner leur véhicule dans un espace ouvert, à la gestion des entrées par lecteur de badges ainsi qu'au traitement des abords des domaines, pour les rendre carrossables et pour favoriser leur contrôle par les équipes locales de sécurité pénitentiaire.
Afin de lutter contre l'utilisation des moyens de communication illicites en détention, l'installation de dispositifs de neutralisation par brouillage des téléphones portables, engagée depuis 2018 en ciblant les structures sécuritaires et sensibles, se poursuivra. Par ailleurs, les quartiers d'isolement et disciplinaires des établissements pénitentiaires livrés dans le cadre du programme 15 000 seront systématiquement pourvus de cette technologie, qui couvre l'ensemble des fréquences Bluetooth, WIFI et cellulaires (dont la 5G).
Enfin, trois ans après sa structuration en service à compétence nationale, le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) continuera à être conforté avec, en particulier, la professionnalisation des métiers du renseignement au sein de l'administration pénitentiaire et l'amélioration de l'attractivité des emplois, pour qu'il puisse remplir pleinement ses missions.
Le ministère s'est engagé dans le projet « Réseau radio du futur » (RRF) qui a pour ambition d'apporter aux différents services de sécurité et de secours une solution de communication haut débit et multimédia fiable, performante, sécurisée et interopérable. L'administration pénitentiaire travaille sur ce projet depuis deux ans en lien étroit avec le ministère de l'intérieur. Il est prévu que le ministère de la justice soit membre du conseil d'administration de l'Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (ACMOSS), chargée de la gestion du projet.
La première phase de déploiement au sein des établissements et des services pénitentiaires est envisagée à l'horizon 2024. Elle concernera les missions extérieures (extractions judiciaires, équipes locales de sécurité pénitentiaires, unités hospitalières, agents de surveillance électronique), soit une population d'environ 4 000 agents. La seconde phase de déploiement a vocation à assurer les communications intérieures des établissements, à l'issue de tests de qualification préalables à un déploiement à compter de 2025.
Des cas d'usage supplémentaires sont également envisagés au bénéfice d'autres personnels ou services du ministère de la justice.
Enfin, afin de répondre au déficit d'attractivité de la filière de surveillance, qui empêche l'administration pénitentiaire de disposer d'un capital humain suffisant pour réaliser ses missions, des mesures sont prises pour permettre le recrutement de surveillants pénitentiaires adjoints contractuels. Bien que des efforts aient été réalisés ces dernières années pour favoriser l'attractivité du métier, la condition actuelle de surveillant ne permet pas de garantir des recrutements suffisants et de fidéliser les personnels. Aussi, parallèlement à une réforme statutaire et indemnitaire d'envergure du corps d'encadrement et d'application, qui vise à répondre à cette problématique et à dynamiser le recrutement, il est proposé de créer un statut de surveillant adjoint contractuel, sur le modèle du statut de policier adjoint. Ce nouveau vecteur de recrutement permettrait, pour les postes demeurés vacants à l'issue des concours de surveillants, de recourir à une ressource humaine de proximité en proposant des emplois dans des établissements pénitentiaires correspondant aux bassins de vie des agents recrutés. Les missions attribuées aux surveillants adjoints contractuels, qui interviendront aux côtés des surveillants pénitentiaires, seront circonscrites à certaines tâches limitativement énumérées. Ces agents, âgés de dix-huit à moins de trente ans, seront recrutés en qualité de contractuels de droit public pour une période de trois ans, renouvelable une fois par reconduction expresse, et pourront accéder aux concours de surveillants par une voie réservée. Ce dispositif constituerait un levier d'optimisation des recrutements au moment où les besoins sont très importants au regard des départs en retraite et de la mise en service des nouveaux établissements pénitentiaires.
2.3.3. Des capacités de statistiques et d'évaluation des politiques publiques de la justice
La place de la statistique au sein du ministère de la justice sera consolidée sur la période 2023-2027, déployant la feuille de route issue de réflexions collectives associant les équipes du service et toutes les directions du ministère. Ces réflexions ont intégré les préconisations de la mission conjointe des inspections générales de la justice et de l'Insee sur l'organisation, les perspectives et les enjeux de la statistique au sein du ministère, dont le rapport final a été rendu au début de l'année 2022, et pris en compte l'avis de l'Autorité de la statistique publique.
Le service statistique ministériel s'appuie ainsi sur trois axes majeurs : une offre de services renouvelée, une collaboration renforcée au sein du ministère et avec la statistique publique, et un positionnement plus central du service dans l'offre et la circulation de la donnée. La réorganisation induite démarre dès 2023, dans un contexte de demandes priorisées.
En ce sens, une grande enquête nationale sur les attentes des justiciables en termes de justice civile sera lancée avec une collecte en collaboration avec l'Insee : ses premiers résultats seront disponibles en 2025. Elle permettra de mesurer la satisfaction des usagers, les attentes des citoyens, l'image de la justice et l'importance du « non recours à la justice » sur quelques contentieux. En outre, sera remaniée la gamme des publications et de produits de diffusion, après examen des besoins, pour en améliorer le rapport investissement/efficacité ; l'aboutissement de la démarche étant la définition d'une stratégie de communication statistique moderne, articulée avec la communication ministérielle et celle du service statistique public. Une autre action prioritaire à horizon 2027 est d'optimiser l'accès aux bases de données individuelles du ministère à des fins statistiques, notamment en matière d'appariements des fichiers.
Par ailleurs, afin d'éclairer au mieux les décisions stratégiques, il convient de renforcer l'évaluation des politiques déjà menées et de mieux anticiper l'impact des réformes à venir. Une méthode d'évaluation commune au ministère sur les évaluations sera formalisée en 2023 pour le lancement d'évaluation dans les années suivantes.
2.4. Des réponses sectorielles fortes dans le champ de la justice civile et pénale
2.4.1. Pour la justice civile : développer une véritable politique de l'amiable, simplifier la procédure et accentuer la protection des personnes vulnérables
2.4.1.1. Une politique de l'amiable
Il est indispensable de développer une véritable politique de l'amiable favorisant une justice participative, plus rapide, donc plus proche des attentes des justiciables. Si ces dispositions seront essentiellement portées par le vecteur réglementaire, le Parlement sera associé à cette réforme en la présentant devant les commissions des lois.
En premier lieu, la mise en œuvre de cette démarche passe par la réorganisation des dispositions relatives aux modes alternatifs de règlement des différends au sein du code de procédure civile. Aujourd'hui, les dispositions qui concernent l'amiable sont éparses et incomplètes. Il faut que les principes directeurs de l'amiable ainsi que ses outils soient rassemblés dans un seul livre du code de procédure civile.
En deuxième lieu, tous les acteurs de la justice – magistrats, avocats, greffiers, équipe autour du juge – doivent s'investir dans ce changement de culture, qui va bien au-delà de la simple question de la gestion des flux et des stocks. Les écoles de formation – École nationale de la magistrature, École nationale des greffes, mais également les écoles de formation des avocats – seront en première ligne pour former et accompagner les professionnels dans cette nouvelle approche globale de l'application du droit.
En troisième lieu, il s'agit également de développer de nouveaux modes amiables aux côtés de la médiation et de la conciliation afin que le justiciable participe à l'œuvre de justice, soit écouté et responsabilisé. Au Québec, le taux de succès de ces procédures de règlement amiable en matière civile est de 80 %. Il s'agit de :
– la césure du procès civil, qui est en partie inspirée de la pratique étrangère : elle consiste à faire trancher par le tribunal le nœud du litige, par exemple un problème de responsabilité médicale, et ensuite à proposer aux parties de s'accorder sur le reste des demandes, ici le montant de l'indemnisation ;
– l'audience de règlement amiable : inspirée du Québec, cette nouvelle procédure permet au juge d'amener les parties, avec l'aide de leurs avocats, à trouver un accord auquel il peut être donné force exécutoire.
2.4.1.2. La simplification de la procédure civile
S'agissant de la procédure d'appel, les décrets dits Magendie n'ont pas atteint leurs objectifs de réduction des délais en matière civile. Les délais de procédure prévus par ces décrets seront donc desserrés, leur rigidité actuelle pénalisant les avocats et les justiciables sans assurer un règlement plus rapide des litiges.
De manière plus générale, il sera recherché une meilleure lisibilité et une plus grande simplification de la procédure d'appel. Ainsi, seront amendés des points précis de la procédure civile, identifiés par les acteurs du monde judiciaire comme des complexités inutiles, chronophages ou simplement peu adaptées à la pratique quotidienne.
Il sera également tenu compte des travaux déjà engagés dans le but d'améliorer la présentation des écritures.
Il est enfin envisagé de mettre en place un mode unique de saisine du juge via la généralisation de la requête signifiée.
L'objectif cible de ce plan d'action pour la matière civile, conjugué au renforcement des ressources humaines et des moyens matériels alloués aux juridictions, est une diminution par deux des délais de procédure.
Enfin, il est prévu de recentrer le juge des libertés et de la détention (JLD) sur la matière pénale, en confiant à un « magistrat du siège du tribunal judiciaire » les fonctions civiles actuellement dévolues au JLD dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que dans le code de la santé publique (contentieux des hospitalisations sous contrainte). Cette mesure nécessitera un réajustement de la répartition des effectifs dans les juridictions entre les JLD et les juges non spécialisés. Les indemnités d'astreinte des magistrats intervenant les fins de semaine dans les fonctions civiles actuellement dévolues au JLD seront maintenues sans que des quotas d'astreinte puissent leur être opposés.
2.4.1.3 La protection des personnes vulnérables
À ce jour, notamment du fait du vieillissement de la population, près de 800 000 personnes ne sont plus en capacité de pourvoir à leurs intérêts. La protection de nos concitoyens les plus fragiles est également un enjeu majeur de la justice civile.
Il y a donc lieu de poursuivre les objectifs de la loi du 5 mars 2007 sur la protection juridique des majeurs et de renforcer notamment le recours aux mesures alternatives aux dispositifs de protection judiciaire que sont la tutelle et la curatelle.
Le mandat de protection future, qui vise à désigner à l'avance une personne pour se faire représenter dans les actes de la vie courante, sera développé pour la représentation mais également pour l'assistance. Il en va de l'intérêt de la personne dont la fragilité va croissante au fil des années et dont la protection pourra ainsi évoluer.
L'habilitation familiale pourrait être confiée à un cercle de proches élargi, par exemple aux neveux et aux nièces, dès lors qu'ils entretiennent des liens étroits avec la personne vulnérable.
2.4.2. Pour la justice sociale et commerciale : renforcer les moyens et la lisibilité du paysage juridictionnel
2.4.2.1. Les orientations pour les conseils de prud'hommes
Dans la ligne de la position commune signée par une grande partie des organisations syndicales et patronales représentatives, les moyens d'aide à la décision, les formations et l'indemnisation des conseillers prud'hommes, gage du plein effet du principe paritaire, seront accrus. Pour faciliter l'accès à cette fonction, les conditions de candidature seront assouplies.
Par ailleurs, l'attention à la gestion du flux des affaires, dans leur instruction et leur audiencement, sera renforcée. À cette fin, les responsabilités et les pouvoirs des greffiers et des présidents des tribunaux judiciaires pourraient être accrus.
L'ensemble de ces actions se feront en concertation étroite avec le conseil supérieur de la prud'homie.
2.4.2.2. Accélérer et adapter la justice commerciale
La justice économique doit faire l'objet de certaines innovations permettant d'en assurer la lisibilité pour le justiciable et ses différents acteurs et d'en renforcer la centralité en matière de régulation économique.
Afin d'assurer une prise en compte optimale des spécificités du contentieux commercial et dans un souci de bonne administration de la justice, un tribunal des activités économiques (TAE) compétent pour connaître de toutes les procédures amiables et collectives, à l'exception de certaines professions libérales, sera constitué, par l'intermédiaire d'une expérimentation, auprès d'un échantillon représentatif de territoires expérimentateurs (9).
Une contribution financière sera à cette occasion également expérimentée, à l'instar de ce qui se pratique dans la plupart des autres pays européens. Elle tiendra compte, notamment, de la faculté contributive du demandeur, de l'enjeu du litige et de sa nature. En seront exclus la partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, le demandeur à l'ouverture d'une procédure amiable ou collective prévue au livre VI du code de commerce et l'État. Cette contribution a vocation à financer le service public de la justice et servira d'outil supplémentaire pour le juge. En cas de règlement amiable du différend, il sera procédé au remboursement de cette contribution.
2.4.3. En matière pénale, simplifier et moderniser la procédure
2.4.3.1. Une réécriture globale du code de procédure pénale en concertation avec les parlementaires et les professionnels
L'objectif poursuivi est celui d'une réécriture globale du code de procédure pénale afin de parvenir à une justice pénale plus simple, plus claire, plus intelligible et plus efficace, intégrant les potentialités offertes par le développement numérique, et répondant ainsi à l'attente légitime des praticiens et des justiciables.
Il s'agit, en procédant à une recodification et une réécriture à droit constant, de conserver les principes fondamentaux, les acquis des droits de la défense ou encore les évolutions procédurales récentes et de les rendre plus lisibles. Il s'agit aussi de moderniser le code de procédure pénale et de l'adapter aux attentes des professionnels du droit et des justiciables, notamment à l'aune des potentialités offertes par le développement numérique.
Cette réforme à droit constant, effectuée par voie d'ordonnance compte tenu de sa technicité et de son ampleur au vu du nombre d'articles, sera notamment l'occasion de revoir la cohérence d'ensemble du code de procédure pénale et de supprimer les trop nombreux renvois d'article à article, qui nuisent à son maniement.
Afin d'assurer l'excellence de la nouvelle architecture et des nouvelles écritures, un comité scientifique de suivi des travaux, composé de professionnels du droit de tous horizons (magistrats, personnels de greffe, avocats, professeurs de droit, représentants des services d'enquête…) est d'ores et déjà constitué et débutera ses travaux courant 2023.
Par ailleurs, afin d'assurer un parfait respect des conditions et des orientations fixées par l'article d'habilitation, une assemblée de parlementaires représentant tous les groupes des deux assemblées sera chargée de suivre et de valider les travaux ainsi que de préparer le débat parlementaire nécessaire à la ratification de l'ordonnance.
2.4.3.2. Des mesures de procédure pénale
Au-delà de cette réécriture du code de procédure pénale, qui est en soi un défi important, il s'agit de prévoir tout de suite des mesures qui visent tout à la fois à simplifier la procédure pénale, donc le travail des enquêteurs, avocats et magistrats, mais aussi à raccourcir les délais procéduraux et, enfin, à mieux garantir la présomption d'innocence.
Ainsi, il sera en premier lieu procédé à une nécessaire réforme du statut de témoin assisté, afin que ce dernier puisse bénéficier de nouveaux droits, dont celui d'un droit d'appel étendu. L'objectif recherché est que ce bénéfice de droits supplémentaires permette que ce statut soit préféré à celui de la mise en examen, parfois retenue uniquement afin d'étendre les droits de la défense.
En deuxième lieu, afin de limiter davantage le nombre d'informations judiciaires et de réserver ces dernières aux procédures criminelles ainsi qu'aux procédures délictuelles dont la complexité ou la gravité justifie le recours à l'information, les procureurs pourront utiliser plus largement la procédure dite de comparution à délai différé. Cela permettra de soumettre les mis en cause à des mesures de surveillance et de contrôle par le juge des libertés et de la détention, tout en poursuivant l'enquête pendant une durée maximale de 4 mois.
En troisième lieu, un nouveau dispositif doit permettre aux enquêteurs, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, de procéder à des perquisitions de nuit au domicile, aujourd'hui réservées à un champ très limité de la criminalité grave, pour les crimes de droit commun, notamment pour permettre la préservation des preuves et éviter un nouveau passage à l'acte.
En quatrième lieu, une nouvelle forme de mise en place de l'assignation à résidence sous surveillance électronique doit permettre de limiter le recours à la détention provisoire. Plutôt que de placer la personne sous le régime de la détention provisoire puis d'étudier l'éventualité d'une ARSE, le juge pourra désormais inverser l'approche en ordonnant immédiatement le placement sous ARSE tout en plaçant la personne sous un régime d'incarcération provisoire à la durée très limitée dans l'attente de la mise en place effective de cette mesure de sûreté.
En cinquième lieu, la procédure de comparution immédiate sera simplifiée, par exemple grâce à l'harmonisation des délais de renvoi.
En sixième lieu, le juge des libertés et de la détention sera désormais compétent pour statuer sur les demandes relatives aux modifications du contrôle judiciaire des personnes prévenues. Cela permettra d'alléger la procédure et de décharger le tribunal correctionnel.
En septième lieu, afin de faire gagner un temps précieux aux enquêteurs, il sera recouru chaque fois que nécessaire aux technologies de communication audiovisuelle pour l'exercice du droit à un examen médical et à l'assistance d'un interprète.
En huitième lieu, l'autorisation par un juge d'utiliser les micros, les caméras et les dispositifs de localisation intégrés aux matériels numériques utilisés par un ou plusieurs mis en cause permettra de réduire les difficultés liées à l'installation, souvent risquée et dangereuse pour les agents en charge de cette mission, de caméras et de micros à des fins de captation et d'enregistrements d'images ou de paroles prononcées ou de balises à des fins de localisation en temps réel.
Enfin, les dispositions sur le travail d'intérêt général seront modifiées, afin de favoriser le recours à cette peine.
2.4.3.3. Des dispositions au service de l'approfondissement des politiques pénales portées par le ministère
En parallèle des ambitions portées par le ministère de l'intérieur dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation de ce ministère (LOPMI) ou le projet de réforme de la police nationale, qui doivent permettre de renforcer les capacités des services d'enquête, afin de faire face aux crises ou aux menaces persistantes ou nouvelles de la délinquance, la refonte du code de procédure pénale, offrant des outils juridiques et numériques rénovés et renforcés, doit permettre le développement d'une justice pénale à la hauteur des attentes de nos concitoyens et de nos institutions.
Cette justice pénale, digne de ses missions dans un État démocratique, passe par la mise en œuvre des politiques pénales exposées dans la circulaire de politique pénale générale du garde des sceaux du 20 septembre 2022. Ces politiques pénales s'intègrent dans les politiques publiques prioritaires fixées par le Président de la République, avec le souci d'être cohérentes au niveau national tout en étant adaptées aux enjeux de chaque territoire.
La justice pénale justifie qu'une attention renouvelée soit portée sur les organisations judiciaires, en veillant notamment à la spécialisation de certaines d'entre elles et à l'articulation des différents échelons juridictionnels, pour traiter de manière efficiente tous les champs de la délinquance, notamment en matière de criminalité organisée, de cybercriminalité ou d'atteintes à l'environnement.
Une justice pénale de qualité impose en outre de développer le numérique au soutien de l'action des juridictions dans le pilotage ou le suivi des politiques pénales, leur animation et leur évaluation.
Elle impose tout autant des méthodes de travail plus efficientes dans la recherche de réponses plus globales portées avec les administrations et les autres services de l'État, les élus et les divers acteurs de la société civile, dans le champ de la prévention comme de la répression, en renforçant la qualité des prises en charge des victimes et des auteurs d'infractions.
La qualité de cette prise en charge oblige le ministère de la justice à mettre en œuvre une démarche répressive et protectrice des victimes et de la société, qui n'exclut pas la recherche concomitante d'une réflexion sur les faits commis par l'auteur pour prévenir la réitération et promouvoir une réelle réinsertion. Le ministère de la justice continuera ainsi de porter, comme il le fait depuis 2017, une approche moderne des peines dans laquelle la fermeté, au-delà de la détention pour les auteurs des faits les plus graves, est avant tout une réponse qui a du sens pour la société et les parties, et qui intervient dans des délais plus rapides. Promouvoir autant que possible les alternatives à l'incarcération, telles que la peine de travail d'intérêt général, afin de maîtriser la population carcérale et de garantir le respect des conditions de dignité des détenus, demeurera ainsi une priorité du ministère.
La justice pénale, attendue de nos concitoyens, doit être au service de priorités multiples, recouvrant des enjeux majeurs de protection de nos concitoyens. Parmi celles-ci figurent la lutte contre les violences intrafamiliales dont le poids dans les juridictions traduit les progrès, enregistrés ces dernières années, d'une politique tendant à favoriser la révélation des faits et l'accueil des victimes.
Une attention encore plus forte devra désormais être portée à une plus grande protection des enfants victimes. Il conviendra ainsi de déployer des mesures pour encore mieux les accompagner tout au long du processus pénal, grâce à la généralisation des Unités d'accueil pédiatriques enfant en danger (UAPED), l'intervention d'administrateurs ad hoc, la possibilité de recourir à un Chien d'assistance judiciaire et la mise en œuvre du programme enfant témoin (spécialement pour les procès d'assises) qui consiste à préparer l'enfant à la rencontre judiciaire, à lui faire découvrir la salle de l'audience et, donc, à lui permettre d'appréhender par avance les lieux dans lesquels il prendra la parole.
Parmi les autres politiques publiques que le ministère de la justice entend porter à un haut niveau d'engagement figurent la lutte contre la délinquance routière, ou celle contre les stupéfiants, l'action répressive dirigée contre la demande devant se conjuguer de manière forte contre les trafics et toutes les formes de criminalité, qui gravitent autour de l'activité des réseaux. Le renforcement du traitement judiciaire de la criminalité organisée, des filières d'immigration irrégulière, de la grande délinquance lucrative et de la corruption doit ainsi conduire à une montée en puissance des stratégies proactives au soutien d'une action coordonnée de l'ensemble des services de l'État.
Les prochaines années seront également marquées par une forte mobilisation contre le développement des phénomènes relevant de la cybercriminalité, qu'ils soient destinés à générer du profit ou à déstabiliser le fonctionnement des administrations à l'image des attaques dirigées contre les centres hospitaliers. Enfin, le ministère de la justice portera, sur le constat cette fois de l'urgence climatique et de la dégradation de notre patrimoine commun, une politique pénale novatrice et dynamique destinée à lutter efficacement contre les formes les plus diverses et les plus graves que peut revêtir la criminalité environnementale.
2.4.4
La lutte contre les violences intrafamiliales implique aujourd'hui de structurer l'organisation et le fonctionnement des tribunaux en la matière, pour garantir une action coordonnée, rapide et efficiente de tous les acteurs et partenaires judiciaires déjà pleinement engagés dans ce domaine.
L'objectif est donc de réunir au sein de ces pôles spécialisés en charge des violences intrafamiliales des équipes identifiées au parquet comme au siège. Cette organisation permettra également d'optimiser le traitement de ces affaires en assurant une mission permanente de recueil et de relais d'informations auprès de chaque service juridictionnel pouvant connaître de situations de violences intrafamiliales.
D'une part, en ce qui concerne le siège, le président du tribunal désignera un coordonnateur, des magistrats statutairement non spécialisés, mais également des juges pour enfants, juges aux affaires familiales et des juges de l'application des peines, qui recevront une formation spécifique et renforcée qui sera régulièrement actualisée, pour statuer utilement sur les dossiers de violences intrafamiliales au civil et au pénal. Ce pôle spécialisé au niveau du siège reposera lui aussi sur une équipe dédiée, assistée par des attachés de justice spécifiquement formés.
D'autre part, en ce qui concerne le parquet, le procureur de la République désignera un coordonnateur, des magistrats du parquet référents et des attachés de justice. Ce pôle spécialisé au niveau du parquet permettra l'organisation d'une permanence spécifique dès lors que le contentieux est suffisamment important en nombre. Il s'agira par ailleurs d'assurer l'évaluation croisée et le suivi particulier des situations à risque et des besoins en protection des victimes. Ce pôle spécialisé reposera lui aussi sur une équipe dédiée, assistée par des attachés de justice spécifiquement formés. Il pourra de plus s'appuyer sur un nouvel outil informatique, actuellement en cours de construction, permettant de favoriser le suivi transversal et pluridisciplinaire des situations à risque par la juridiction.
Enfin, l'organisation des tribunaux judiciaires en matière de lutte contre les violences intrafamiliales sera aussi renforcée par la création d'une instance de pilotage unique, au sein du pôle spécialisé, agrégeant notamment plusieurs dispositifs déjà pratiqués au niveau local (comités de pilotage TGD, cellules d'accompagnement des victimes de violences intrafamiliales, cellules dédiées au suivi des situations de violences conjugales au sein des juridictions). Ce comité de pilotage unique, dit « COPIL VIF », entend réunir l'ensemble des acteurs intervenant sur ce sujet (magistrats du siège et du parquet, services de police et de gendarmerie, associations de contrôle judiciaire, associations d'aide aux victimes, le SPIP, les référents violences conjugales de la préfecture…).
Cette instance permettra la systématisation et l'institutionnalisation des échanges au sein d'une instance unique de coordination et de partage d'informations. Le « COPIL VIF » sera plus spécifiquement défini par voie réglementaire, afin de préciser le cadre et la nature des échanges de cette instance, comme d'en définir les missions, l'organisation et le fonctionnement.
À court terme, en 2024, ce cadre unifié aura pour objectif de modéliser, pour chaque tribunal judiciaire, une organisation type en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, sans préjudice des initiatives des chefs de cour et de juridiction pour s'adapter aux spécificités et pratiques locales. Un tel dispositif permettra un réel décloisonnement entre les acteurs investis dans la lutte contre ces violences et une meilleure circulation de l'information, l'objectif étant de parvenir à une vision globale des situations et à une prise en charge plus efficace, en réunissant les différents dispositifs utiles, tout en respectant les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions. Il s'agit également de favoriser le partage d'informations entre les différents partenaires saisis d'une même situation, notamment pour le suivi des mesures particulières de protection des victimes (ordonnances de protection, téléphones « grave danger », bracelets anti-rapprochement).
2.5. La prise en charge des publics confiés à la justice
2.5.1. Favoriser la réinsertion des personnes placées sous main de justice
La diversification de l'offre pénitentiaire, permettant de favoriser les alternatives à l'incarcération et la réinsertion des personne placées sous main de justice, constitue un objectif prioritaire. À cette fin, les moyens humains des services pénitentiaires d'insertion et de probation continueront à être renforcés. Des méthodes de travail renouvelées avec les juridictions et les partenaires seront également mises en œuvre.
Les efforts engagés ces dernières années en faveur des aménagements de peine et des mesures alternatives à l'incarcération seront amplifiés. Il s'agit d'accentuer le dispositif de bilan socioprofessionnel pour les personnes incarcérées, de renforcer les prises en charge collectives des personnes suivies en milieu ouvert et d'encourager la mesure de placement extérieur. À cet égard, en complément de la revalorisation du tarif journalier intervenue le 1er janvier 2023, la plateforme aux placements extérieurs 360, qui sera très prochainement déployée, permettra de répertorier l'ensemble des places de placement extérieur et de faciliter la gestion de la mesure en lien avec la structure d'accueil, pour favoriser le prononcé de ce type d'aménagement de peine et, ainsi, mieux prévenir la récidive.
La prise en charge des auteurs de violences conjugales, également dans une volonté de meilleure prévention de la récidive, demeure un enjeu prioritaire. Le dispositif du contrôle judiciaire sous placement probatoire (CJPP), en cours de déploiement sur l'ensemble du territoire national, permet une éviction immédiate du domicile conjugal de l'auteur de violences et sa prise en charge pluridisciplinaire dans un hébergement adapté. Il constitue une alternative adaptée à la détention provisoire et la continuité de la prise en charge de l'auteur des violences peut être assurée au sein de la structure, dans le cadre d'une mesure de placement extérieur, après la condamnation. Le ministère de la justice s'est également engagé dans le développement d'un outil de réalité virtuelle de prise en charge des auteurs de violences conjugales (casque de réalité virtuelle). L'expérimentation, menée sur 4 sites depuis l'automne 2021, doit se poursuivre en 2023 sur 10 sites complémentaires, afin d'approfondir les premiers résultats issus de la recherche.
La réinsertion passe également par le développement des activités, du travail et de l'insertion professionnelle. La loi pour la confiance dans l'institution judiciaire a opéré un rapprochement de la réglementation du statut du détenu travailleur avec le droit commun du travail en créant un contrat d'emploi pénitentiaire de droit public avec des droits associés, qui emprunte les principales caractéristiques du contrat de travail, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à la détention. L'objectif est d'atteindre un taux de 50 % des personnes détenues en activité professionnelle rémunérée (travail et/ou formation professionnelle), alors que ce taux avoisine à l'heure actuelle 30 % pour le travail et 8 % pour la formation professionnelle. Les activités rémunérées en détention favorisent en effet l'emploi et la réinsertion à la libération. Dans ce but, les chefs d'entreprise seront encouragés à faire appel au travail pénitentiaire par la sous-traitance ou par l'implantation de leurs activités en détention.
L'agence nationale du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle (ATIGIP) sera porteuse d'ambitions fortes en matière d'accès au travail, par l'augmentation de l'offre de travaux d'intérêt général (TIG) via la plateforme dédiée TIG 360°, par la multiplication des dispositifs d'insertion par l'activité économique et par le développement de l'apprentissage en prison. Les efforts seront poursuivis en vue de développer la formation professionnelle en détention en lien avec l'institution de représentation des régions françaises Région de France, les exécutifs régionaux et le ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion. Le cadre normatif sera par ailleurs rénové.
Afin de développer la peine de travail d'intérêt général, la loi de programmation généralisera l'accueil des personnes effectuant un TIG au sein des sociétés commerciales de l'économie sociale et solidaire. Elle permettra également de poursuivre l'expérimentation de l'accueil de ces publics au sein des sociétés à mission.
L'offre pénitentiaire sera également développée qualitativement et quantitativement afin de favoriser les solutions alternatives à l'incarcération et de renforcer la prise en charge des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert. Dans ce cadre, une expérimentation permettra de confier, sous le pilotage du service pénitentiaire d'insertion et de probation et dans le respect d'un cahier des charges national défini par l'administration pénitentiaire, la mise en œuvre d'un certain nombre de stages et d'actions collectives aux associations, qui se verront valorisés à l'issue par la délivrance d'un label qualité.
Par ailleurs, à compter de 2025, seront construits trois nouveaux établissements pénitentiaires entièrement tournés vers le travail et la formation professionnelle, dénommés InSERRE (Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi) d'une capacité de 100 à 180 places chacun.
Enfin, les enjeux de réinsertion sociale et de prévention de la récidive sont pris en compte par le programme immobilier pénitentiaire qui favorise une meilleure prise en charge des personnes incarcérées durant leur parcours d'exécution de peine avec des espaces dédiés au travail, à l'enseignement à l'insertion et aux installations sportives notamment.
Ces axes prioritaires devraient permettre de favoriser le retour progressif à la vie libre des personnes détenues et de concourir ainsi à mieux lutter contre la récidive.
2.5.2. Une prise en charge des mineurs dans un objectif de lutte efficace contre la récidive
Conformément à l'engagement du Président de la République de développer tous les outils possibles permettant aux mineurs délinquants de s'emparer de leurs parcours d'insertion sociale, scolaire et professionnelle, un plan d'action ambitieux pour la protection judiciaire de la jeunesse a été adopté visant à rénover le dispositif d'insertion, à garantir une offre de prise en charge sur l'ensemble du territoire et à consolider les partenariats.
Dans ce cadre, un partenariat s'est noué sur tout le territoire national entre le ministère des armées et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) pour que les dispositifs créés par les armées à destination des jeunes publics en difficulté puissent bénéficier aux mineurs pris en charge par la PJJ. Il convient également de développer l'insertion par le sport. La DPJJ sera chargée de renforcer des actions dans le domaine sportif, en saisissant notamment l'occasion de la période de préparation des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, qui constitue non seulement un levier éducatif efficace mais aussi de cohésion nationale, citoyenne et d'insertion pour les jeunes.
Le ministère entend en outre développer les dispositifs partenariaux socio-éducatifs pour proposer des solutions aux adolescents dits « en situations complexes », c'est-à-dire dont le comportement a mis en échec des prises en charge antérieures.
Dans le même esprit, la DPJJ rénovera son dispositif de placement afin d'éviter les ruptures de parcours et mieux répondre aux besoins de l'autorité judiciaire.
Sera également mise en place une réserve de la protection judiciaire de la jeunesse, prévue par la loi de finances pour 2023, pour offrir la possibilité aux agents de continuer à servir leur administration et de poursuivre leur engagement au bénéfice des jeunes pris en charge et des professionnels. La réserve de la PJJ s'inscrit dans le cadre d'une politique renforcée d'accompagnement des professionnels et notamment des cadres sous la forme de mentorat, d'accompagnement à la prise de poste ou d'aide à l'élaboration des projets de service.
Un plan stratégique national 2023-2027 sera formalisé qui viendra détailler l'ensemble de ces mesures et renforcer l'inscription de la PJJ dans les politiques publiques locales.
2.6. Une volonté de rapprocher les citoyens de leur justice
2.6.1. L'accès au droit
Dans le prolongement de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire précitée, le ministère est déterminé à répondre aux attentes des citoyens et à restaurer la place de la justice au cœur de la cité.
En premier lieu, il s'agit de renforcer et de moderniser l'accès au droit.
La politique d'aide à l'accès au droit a été créée par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Depuis cette date, l'accès au droit n'a cessé d'évoluer, permettant ainsi à chaque citoyen d'avoir un accès plus facile au droit et à la justice.
Les 101 conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD) et les trois conseils d'accès au droit (CAD) sont chargés de recenser les besoins, de définir et de mettre en œuvre une politique locale, de dresser et de diffuser l'inventaire des actions menées.
Ils coordonnent par ailleurs les point-justice implantés sur leur territoire. Les point-justice, lieux d'accueil gratuits, permettent d'apporter cette information juridique aux citoyens. On en dénombre 2 000 (dont 148 maisons de justice et du droit (MJD) répartis sur l'ensemble du territoire national. Parmi ces point-justice, 1596 sont généralistes et 484 sont spécialisés pour un type de public (jeunes, détenus, étrangers, etc.).
L'information et la communication jouent un rôle central dans la capacité qu'ont les citoyens à saisir la justice. C'est la raison pour laquelle le ministère consacre des efforts particuliers pour « aller vers » les justiciables, mettre à leur disposition l'information dont ils ont besoin et promouvoir l'accès au droit (avec le numéro d'appel gratuit 30 39 depuis 2021).
Afin de poursuivre la démarche d'optimisation du maillage territorial des lieux d'accès au droit, il est prévu dès 2023 de :
– veiller à ce que les permanences d'accès au droit soient les plus nombreuses possible et permettent un maillage territorial de qualité, ajustées aux besoins du territoire ;
– multiplier les point-justice ou augmenter les plages d'ouverture ou le nombre d'intervenants ;
– diversifier les intervenants de l'accès au droit (notaires, conciliateurs de justice, délégués du Défenseur des droits…) ;
– renforcer les liens avec les France services en y implantant des point-justice.
Les projets nationaux relatifs à l'accès au droit sont les suivants :
– création du conseil de l'accès au droit (CAD) de Nouvelle-Calédonie ;
– création de quatre nouvelles maisons de justice et du droit (MJD) à Alès, Lesparre-Médoc, Limoux et Paris 13e ;
– maintien et renforcement des moyens des MJD (locaux adaptés, dispositifs de sécurité et moyens matériels, notamment informatiques, suffisants) ;
– modernisation de la communication visant à promouvoir la politique de l'aide à l'accès au droit ;
– mise en œuvre du logiciel applicatif « Ignimission » (outil de gestion de l'annuaire des point-justice) permettant de recenser un temps réel les point-justice et d'effectuer une collecte de données afin, notamment, d'établir des statistiques.
Le ministère de la justice entend également inscrire de plus en plus la politique de l'accès au droit dans une synergie avec les France services. 774 France services accueillent en leur sein un point-justice dans lequel une diversité d'intervenants y assure des permanences : avocats, notaires, commissaires de justice, associations, délégué du Défenseur des droits, conciliateurs de justice notamment. Ces professionnels sont rétribués par le ministère de la justice.
En second lieu, il s'agira de rendre la justice plus compréhensible pour les citoyens à travers une communication renforcée et accessible à tous.
La nécessité de rendre la justice plus lisible conduit le ministère à développer plusieurs actions convergentes : la diffusion en ligne de contenus pédagogiques, le renforcement de l'ergonomie du site ministériel justice.gouv.fr (2023), une participation d'envergure aux événements nationaux tels que les Journées européennes du patrimoine ou la Nuit du droit, une stratégie proactive de valorisation du patrimoine de la justice, des relations presse grand public, dont les procès filmés dans le cadre de l'article 1er de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, la production de supports audiovisuels (animation pour les réseaux sociaux, reportages…) qui peuvent être sponsorisés pour en assurer une plus large audience.
En prenant acte des conclusions des États généraux de la justice, le ministère de la justice a souhaité poursuivre son action en faveur de l'accès au droit des plus jeunes. Ainsi, en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale, un passeport Educdroit sera mis en place à destination des collégiens : il suivra les élèves tout au long de leurs études et leur permettra de garder une trace de leurs actions, de leurs rencontres et de leurs visites avec des professionnels du droit ou dans des lieux de la République liés à la justice.
Enfin, le projet national des « bonnes pratiques » permet d'identifier des démarches mises en œuvre par des services déconcentrés et les juridictions afin de répondre à un besoin local. Convaincu de la richesse de l'expérience de terrain, le ministère a en effet recensé les bonnes pratiques mises en œuvre au sein du ministère de la justice. Un site Intranet est destiné à les faire connaître et à les valoriser, pour favoriser leur mise en œuvre et en faire bénéficier le plus grand nombre. De mois en mois, il sera étoffé et enrichi.
2.6.2. Une aide juridictionnelle réformée et plus accessible
Depuis trois ans, le ministère a engagé une profonde réforme de l'aide juridictionnelle au travers de l'instauration du revenu fiscal de référence (RFR) comme critère d'éligibilité, de la création de l'aide juridictionnelle garantie permettant un accès plus facile et plus rapide en cas de procédures d'urgence et, enfin, en augmentant la rétribution des auxiliaires de justice. Le système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ) participe de manière significative à cette réforme.
Il s'inscrit dans une volonté de rapprocher les citoyens de leur justice en simplifiant et en dématérialisant de bout en bout le traitement de l'aide juridictionnelle. Concrètement, il se traduit par :
– la mise en place d'un site Internet permettant de simuler son éligibilité à l'aide juridictionnelle puis de déposer une demande et de suivre son traitement 24h/24 et 7j/7 depuis un ordinateur, une tablette ou un téléphone, ce qui évite les déplacements sur site et/ou les envois postaux ;
– la facilitation du remplissage des demandes numériques pour deux raisons principales. D'abord, environ 30 % du dossier est prérempli (le système interroge France Connect et la DGFIP dans la logique du principe « Dites-le-nous une fois »). Ensuite, en fonction des cases que la personne coche, les rubriques pertinentes s'affichent, les autres sont masquées ;
– depuis décembre 2022, le site Internet est totalement conforme aux exigences d'accessibilité numérique (100 % RG2A – Référentiel général d'amélioration de l'accessibilité) ;
– le justiciable bénéficie d'une visibilité sur l'état d'avancement du traitement de sa demande par le tribunal ainsi que d'un espace de gestion de son dossier lui permettant à tout moment de récupérer ses documents-clefs, dont sa décision d'aide juridictionnelle ;
– le dossier fait l'objet d'un traitement harmonisé au plan national et rapide. Une expérimentation permettant un traitement centralisé au niveau de la cour d'appel est en cours. L'objectif est d'accélérer le traitement des demandes d'aide juridictionnelle tout en maintenant une proximité avec le justiciable ;
– la mobilisation des personnes pouvant accompagner les personnes dans le dépôt et le suivi de leurs demandes : agents des maisons France services, membres d'associations d'aide aux victimes, écrivains publics ;
– la mise en place d'un bouton « je donne mon avis » sur le site Internet afin de recueillir le taux de satisfaction des usagers.
L'année 2023 verra la généralisation du SIAJ à l'ensemble des tribunaux judiciaires du territoire national. Cette généralisation permettra de déployer une campagne de communication destinée à développer la saisine en ligne de l'application par les justiciables. Cette saisine en ligne sera en outre facilitée par la mise en service de l'application mobile créée en 2023 (cf. 2.6.3) et la rénovation du site Justice.fr.
2.6.3. Une application mobile à destination du citoyen et un site internet rénové
Une application mobile à destination du citoyen sera déployée en 2023. Les objectifs de ce nouvel outil numérique, qui sera complémentaires des instruments de saisine en ligne disponibles sur le site justice.fr, sont de plusieurs ordres. Il s'agira tout d'abord de répondre aux besoins du public en lui permettant de bénéficier des services natifs des smartphones (la géolocalisation notamment). L'application permettra notamment d'accéder à des parcours utilisateurs de bout en bout entre plateformes interopérables : site web Justice.fr, application mobile, site web du casier B3, aide juridictionnelle. Il s'agit également de faciliter la navigation entre les différents points d'information : site institutionnel Justice.gouv.fr, Service-public.fr, annuaire des professionnels…
L'application doit également permettre de personnaliser la relation avec le ministère en disposant d'un accès en tous lieux et en tout temps. Enfin, l'application pour smartphone vise à rendre plus accessible la justice aux personnes en situation de handicap.
La première version de l'application permettra au public, dès le 2e trimestre 2023, de disposer d'une information adaptée à sa situation et d'identifier à qui s'adresser : fiches thématiques, renseignement sur les tribunaux (coordonnées, horaires, renseignements divers), d'accéder rapidement aux numéros d'urgence et à tous les numéros d'appel spécialisés, de géolocaliser les services à sa disposition (tribunal, cour d'appel, point justice, service d'aide aux victimes) et d'accéder à plusieurs simulateurs (aide juridictionnelle, pension alimentaire, saisie sur rémunération) et à tous les liens utiles vers les professionnels du droit.
Progressivement, par le biais d'une identification France Connect, l'accès sera possible à des services de saisine en ligne actuellement disponibles sur le site Justice.fr (demande d'aide juridictionnelle, demande de bulletin n° 3 du casier judiciaire, constitution de partie civile devant le tribunal correctionnel). L'application permettra également de fournir un service de notification aux justiciables et à ces derniers de donner leur avis en ligne.
Une fonctionnalité visant à permettre aux usagers et aux victimes d'avoir des téléconsultations avec des professionnels de l'accès au droit et de l'aide aux victimes est actuellement en cours d'élaboration et fera l'objet d'une expérimentation spécifique. Cette fonctionnalité a vocation à être, à terme, intégrée à l'application mobile du ministère.
En parallèle du développement de l'application, le site Justice.fr, qui porte le portail des justiciables et l'ensemble des outils de saisine en ligne de la justice, bénéficiera d'une modernisation de son interface et de son ergonomie.
2.6.4. Une attention renforcée aux victimes, notamment de violences intrafamiliales et sur mineurs
À titre liminaire, les droits des victimes seront étendus par l'élargissement des infractions recevables sans condition de ressources à la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, notamment pour les victimes de violences graves (avec une ITT de plus de 8 jours) dans un cadre intrafamilial (violences sur mineurs ou violences conjugales) et de violation de domicile. Cette nouvelle possibilité d'indemnisation sera néanmoins plafonnée.
Le ministère entend renforcer sa lutte contre les violences intrafamiliales. Les dispositifs comme le « Téléphone Grave Danger », le « Bracelet Anti -Rapprochement » ou encore les enquêtes EVVI (EValuation of VIctims, programme européen), destinées à établir un bilan précis de la situation de la victime pour lui venir en aide de la façon la plus pertinente, feront l'objet de nouveaux développements et d'un soutien renforcé. Magistrats, enquêteurs, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, agents des services pénitentiaires d'insertion et de probation et associations d'aide aux victimes sont en première ligne sur cette action concertée. Les actions de formation, notamment communes aux diverses professions, vont s'intensifier.
Les mineurs victimes feront l'objet d'une attention particulière avec la généralisation des Unités d'accueil pédiatriques enfant en danger (UAPED) dans tous les départements, l'intervention d'un administrateur ad hoc dans tous les dossiers qui le nécessitent, le développement d'actions de communication pour faire connaître les numéros spécifiques de signalement et d'aide ainsi que la mise en œuvre de modalités d'accompagnement particulières telles que les visites par les mineurs victimes des salles d'audience en amont des audiences criminelles, l'accompagnement des victimes par des chiens d'assistance judiciaire (cf. 2.4.3.2).
Enfin, le ministère de la justice poursuivra son action destinée à renforcer l'accessibilité des associations d'aide aux victimes, au sein des tribunaux (bureau d'aide aux victimes) comme à l'extérieur (soutien à la mise en œuvre de permanences dans les hôpitaux, commissariats, gendarmeries, mairies…) au plus proche des besoins des victimes.
Les États généraux de la justice ont établi un constat général de la situation de la justice en France et esquissé des pistes d'amélioration. Le présent rapport a désormais dressé le plan d'action qui accompagne la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice et qui repose sur une vision ambitieuse de la justice en France.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, plusieurs amendements portant sur le rapport annexé à l'article 1er recueillent l'accord de la commission des lois. Pour autant, ma collègue Agnès Canayer et moi-même avons souhaité émettre des avis défavorables, et ce pour plusieurs raisons.
Ces avis ne signifient pas nécessairement que nous soyons en désaccord sur le fond. Je pense en particulier aux amendements de Mélanie Vogel ou de Laurence Rossignol ayant trait aux violences intrafamiliales, sujet qui, comme vous le savez, mes chers collègues, me tient à cœur. D'ailleurs, certains de leurs amendements visent à insérer dans le rapport annexé des recommandations qu'Émilie Chandler et moi-même avons formulées dans notre rapport.
Reste que ce rapport annexé n'a aucune valeur normative. Par conséquent, y insérer un catalogue de mesures soit de faible portée soit sans lien manifeste avec le texte ne ferait que rendre plus confus un document qui, je vous demande pardon, monsieur le garde des sceaux, ne brille déjà pas par sa clarté.
Qui plus est, intégrer des recommandations issues de ce rapport parlementaire dans le rapport annexé n'a pas beaucoup de sens. J'espère surtout que le travail que ma collègue députée et moi avons fourni sera suivi – aujourd'hui, nous en avons, semble-t-il, quelques manifestations et des décrets sont en cours de rédaction. En effet, nombre de mesures relèvent volontairement, non de la loi, mais du domaine réglementaire, afin qu'elles puissent être mises en place plus rapidement – les femmes le méritent.
En conséquence, la commission n'a déposé aucun amendement lors de ses travaux préalables. De la même façon, elle n'a émis aucun avis favorable, sauf sur un amendement du Gouvernement qui lui semblait formuler un engagement qu'il lui appartiendra de suivre, et n'a déposé qu'un seul amendement lors de l'examen de ce texte en séance publique, amendement tendant à préciser la méthode de simplification de la procédure pénale. Une telle disposition est bien liée au texte, en ce qu'elle vise à préciser une orientation majeure de la politique du Gouvernement dans les cinq prochaines années.
C'est pourquoi la commission des lois émettra des avis défavorables sur la plupart des amendements portant sur le rapport annexé, y compris lorsqu'ils recueillaient notre accord sur le fond. En effet, certains des sujets abordés dans ces amendements doivent faire l'objet d'une réelle discussion dans le cadre de l'examen d'un véhicule dédié, ayant une portée normative : ils méritent mieux que des déclarations d'intention.
L'amendement n° 206, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 61
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
En ce qui concerne les avocats, la limitation à trois tentatives pour les candidats à l'examen du centre régional de formation professionnelle des avocats ne sera plus effective, afin de rendre l'accès à l'avocature autant accessible que celle à la magistrature.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Je commencerai par un point de méthode. Il me semble assez rare de connaître l'avis de la commission sur des amendements avant même que ceux-ci n'aient été présentés.
Qui plus est, dans la mesure où nous savons que cet avis est défavorable, en les défendant, leurs auteurs ne feront qu'alimenter inutilement les discussions. Or nombre des sujets abordés auraient mérité d'être débattus.
J'espère en tout cas que la commission ne se contentera pas d'un laconique « Défavorable ! », quand bien même le sort de ces amendements est déjà scellé. §
L'amendement n° 206 vise à mettre fin à la limitation à trois essais pour l'accès à la profession d'avocat. En effet, nous considérons que cette restriction n'est pas cohérente avec d'autres concours d'accès à des professions juridiques, notamment l'École nationale de la magistrature (ENM), qui, elle, ne fixe pas de limites quant au nombre de tentatives autorisées.
Nous soutenons donc qu'il est essentiel de garantir l'égalité des chances et l'accessibilité à la profession d'avocat. Par ailleurs, les candidats doivent pouvoir passer l'examen du centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) autant de fois qu'ils le souhaitent, sans que soit imposée de limitation. Il s'agit de favoriser une approche plus équitable, ouverte à tous, et de donner aux candidats la possibilité de s'améliorer, de se former et de persévérer dans leur parcours professionnel.
Cet amendement peut difficilement être adopté sans qu'ait été consultée la profession ni que soient connus les enjeux et l'impact véritable de ces dispositions.
Par ailleurs, ma chère collègue, vous comparez deux modalités très différentes : si l'accès à la profession d'avocat se fait par voie d'examen, l'accès à celle de magistrat se fait par concours.
Enfin, trois tentatives, ce n'est déjà pas si mal...
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Je fais miennes les explications de Mme la rapporteure.
Premièrement, l'accès à l'ENM se fait par concours, contrairement au CRFPA.
Deuxièmement, le Barreau a son mot à dire : il y va de la qualité du recrutement, c'est-à-dire de la qualité des futurs avocats.
Troisièmement, une telle limitation à trois tentatives ne relève pas d'une disposition législative. Elle est prévue par un décret du 27 novembre 1991, qui dispose que « nul ne peut se présenter plus de trois fois à cet examen ».
Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 161, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 176
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La mise en place d'un guichet en présentiel dans des proportions et répartitions géographiques adéquates, ainsi que d'un numéro de téléphone dirigeant la communication vers un agent devra aussi être mis à disposition des justiciables.
La parole est à M. Guy Benarroche.
Madame la rapporteure, j'entends bien ce que vous avez dit à propos du rapport annexé. Il n'en reste pas moins que de tels documents font désormais partie de l'arsenal – il n'est qu'à citer la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, dite Lopmi. Par conséquent, le droit d'amendement s'applique.
À partir du moment où l'on peut déposer des amendements sur les rapports annexés, bien plus, à partir du moment où certains d'entre eux peuvent être considérés comme acceptables, je ne comprends pas pourquoi on devrait les refuser a priori. Ce raisonnement m'échappe. Si le rapport annexé fait partie du projet de loi, on doit pouvoir l'amender et examiner les amendements déposés à cette fin, et non considérer d'emblée que ce document n'a pas de valeur.
Ainsi, un certain nombre d'amendements visent à apporter des améliorations au rapport annexé. De quoi s'agit-il, d'ailleurs ? Un rapport annexé est destiné à traduire une vision politique, laquelle donne une cohérence aux mesures législatives ou réglementaires qui sont prises. Par conséquent, en modifiant le rapport annexé, on peut changer de manière effective la façon dont seront prises un certain nombre de mesures, y compris d'ordre réglementaire. En tout cas, c'est à cela que cela devrait servir, puisque des rapports annexés figurent dans les textes – sauf à discuter de leur existence.
L'amendement n° 161 a trait à la numérisation. Bien entendu, et c'est une certitude absolue, les retours de terrain – j'étais à Grasse la semaine dernière – montrent bien que l'outil numérique a des avantages dans la chaîne pénale. En revanche, la vision selon laquelle une solution numérique globale serait un outil magique permettant de résoudre les difficultés des citoyens se heurte à une réalité très concrète : en France, un certain nombre de citoyens sont victimes d'illectronisme, ne peuvent utiliser facilement l'outil qui est mis à leur disposition et sont incapables d'avoir accès à cette technologie.
Comme le lien humain doit rester au cœur du service public, nous demandons, pour resserrer les liens de confiance et les échanges avec les citoyens, que le déploiement de l'application ne se fasse pas sans préciser en même temps que la possibilité de renouer le contact avec l'administration par un simple appel téléphonique…
… ou par un guichet unique physique. Le rapport annexé doit justement servir à cela.
Le rapport annexé est en quelque sorte la feuille de route du Gouvernement, comme l'a dit ma collègue. Il servira de fondement à notre contrôle, qui sera vigilant. Il convient donc qu'y figurent des actions sur lesquelles le Gouvernement s'est engagé. C'est la raison pour laquelle nous ne sommes favorables qu'aux amendements sur lesquels nous avons un engagement du Gouvernement.
L'illectronisme est une réalité qui touche de nombreuses populations, dans des secteurs très divers.
S'il est important qu'il y ait une transition numérique au sein du ministère de la justice, encore faut-il qu'elle soit efficace et qu'elle s'apparente à une véritable révolution. À mon sens, il ne faut pas multiplier les objectifs. Qui plus est, les justiciables pourront s'appuyer sur les point-justice, qui sont en train d'être développés, …
… comme sur les maisons de la justice et du droit, dans les maisons France Services, où des agents sont physiquement présents pour les accompagner dans leurs démarches.
Monsieur le sénateur, je sais que cette question vous tient à cœur. Nous avons déjà eu l'occasion d'en discuter longuement.
Il va de soi que le numérique est absolument indispensable pour faire entrer la justice dans l'ère moderne, la simplifier et faire en sorte qu'elle soit plus rapide. En même temps, on ne peut pas oublier tous ceux qui n'ont pas accès au numérique. On dit souvent que tout le monde a un portable, un ordinateur, or ce n'est pas vrai. Certains de nos compatriotes n'ont pas accès au numérique.
Il existe 2 080 point-justice – la mise en place de ces structures est l'une de mes fiertés. J'ai d'ailleurs demandé aux futurs magistrats, auditeurs de l'ENM, de se rendre dans ces lieux, afin d'y rencontrer les plus défavorisés de nos compatriotes. On compte en outre 148 maisons de la justice et du droit, ainsi que 264 services d'accueil unique du justiciable en juridiction. On parle bien là de présentiel.
J'ajoute que 96, 9 % de nos compatriotes se trouvent à moins de trente minutes d'un point-justice. En outre, et cela vous donnera un ordre d'idée, 900 000 à 990 000 personnes ont été reçues au sein du réseau de l'accès au droit : en d'autres termes, près d'un million de consultations en présentiel ont été assurées dans les différents lieux d'accueil offerts à nos concitoyens les plus démunis. Enfin, il existe un numéro d'accès au droit, le 3039, qui reçoit environ 500 appels par jour.
Par conséquent, cet amendement est déjà satisfait. C'est pourquoi le Gouvernement en demande le retrait ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Il s'agit tout autant d'une explication de vote que d'une demande de clarification concernant nos travaux.
Le rapport annexé est la « feuille de route du Gouvernement » – en tout cas du garde des sceaux, c'est dire sa valeur ! –, indiquait Mme la rapporteure tout à l'heure. C'est une absolue réalité.
Cette feuille de route, proposée par le garde des sceaux, doit recevoir l'approbation du Parlement. Est-ce à dire que les amendements que nous allons examiner ne peuvent être adoptés que si le Gouvernement y est favorable, puisqu'il s'agit de sa feuille de route ? Vous-même, en tant que rapporteur, avez souhaité insérer un amendement.
À quoi sert tout ce que nous sommes en train de faire, puisque, si j'ai bien compris, un amendement sur l'article annexé ne pourra être adopté que si le Gouvernement y est favorable ?
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 144, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéas 199 et 200
Rédiger ainsi ces alinéas :
S'agissant du patrimoine pénitentiaire, il s'agira de construire un projet de rénovation et d'entretien du parc existant en tenant compte des exigences d'amélioration des conditions de vie des personnes détenues, tout en engageant la rénovation énergétique.
Une réflexion sur l'architecture du parc carcéral sera menée, en faveur d'un développement des prisons ouvertes, tournée vers la prévention de la récidive par le biais de l'insertion.
La parole est à M. Guy Benarroche.
L'extension du parc carcéral et la sécurité des établissements de surveillance figurent toujours au premier rang des priorités budgétaires – je vous fais grâce des chiffres – ; or l'on sait que le coût de la prison est astronomique : construction, entretien, coût journalier des cellules et des détenus. Pour la seule année 2022, près d'un milliard d'euros d'investissement immobilier sont prévus, somme qui vient s'ajouter à la dette immobilière qui, échelonnée sur près de trente ans, s'élève à ce jour à près de 5 milliards d'euros.
Ce budget colossal n'a pourtant pas pour effet l'amélioration ou la rénovation des établissements insalubres et vétustes : les dépenses d'entretien du parc, pourtant limitées et insuffisantes, sont énormes. La vétusté des locaux carcéraux a valu à la France de multiples condamnations de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Je rappelle par exemple que, pour le seul établissement pénitentiaire de Nouméa, les travaux de rénovation sont estimés à 7 millions d'euros.
Cette politique de construction des prisons, menée et amplifiée depuis plusieurs dizaines d'années, n'a pas d'effet sur le taux de surpopulation carcérale. Ces nouvelles constructions en auront-elles d'ailleurs un ? On peut admettre qu'elles amélioreront au moins les conditions de détention, ce qui est déjà une bonne chose. Pour autant, feront-elles baisser considérablement le nombre de personnes détenues ? Ce n'est pas certain, puisque ces constructions s'accompagnent à la fois d'une répression accrue, c'est-à-dire de peines dont la durée augmente, et d'une inflation pénale – il n'y a qu'à voir ce qui a été mis en place ces dernières années par le biais de projets ou de propositions de loi.
La prison étant l'école de la délinquance, nous le savons, une réponse politique guidée par le tout carcéral ne permet pas d'apporter de réponses justes et efficaces aux défis de notre société.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
D'une part, la construction de places de prison, qui est un enjeu fort, se heurte à un nombre important d'obstacles – vous en avez cité certains, mon cher collègue –, lesquels sont accentués par certaines difficultés conjoncturelles. Certaines réformes, comme l'objectif du zéro artificialisation nette, que défend avec force notre assemblée, contraindront également le développement des prisons. Enfin, la rénovation énergétique des prisons, qui est d'ores et déjà prévue, est un autre enjeu.
D'autre part, la prévention de la récidive est déjà engagée, notamment par les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), dispositif permettant de temporiser sous un régime de semi-liberté. Le modèle de prisons ouvertes nous semble au contraire excessif.
Enfin, l'adoption de cet amendement reviendrait à supprimer du rapport annexé le programme de construction de 15 000 places de prison, auquel nous sommes très attachés.
Monsieur le sénateur, je connais votre engagement sur ces questions, au sujet desquelles nous nous sommes déjà souvent entretenus.
Je partage l'analyse de Mme la rapporteure. Nous mettons en place de nombreux SAS. À ce propos, je trouve que jamais un acronyme n'a été mieux choisi, les SAS – les structures d'accompagnement vers la sortie – étant des établissements pénitentiaires hybrides : ce sont des prisons mais aussi des endroits tournés vers l'extérieur. L'intitulé même de ce dispositif en dit long ! Ces établissements sont souvent situés au cœur des villes afin de permettre aux détenus de se réinsérer et d'avoir par exemple accès à un futur employeur. C'est pour moi très important. D'ailleurs, vous savez que j'ai développé le contrat d'emploi pénitentiaire.
Pour le reste, nous tenons bien sûr à l'objectif de création de 15 000 places de prison. Sans être le seul, c'est l'un des leviers permettant, d'une part, de mettre un terme aux conditions indignes de détention, d'autre part, d'assurer de bien meilleures conditions de travail au personnel pénitentiaire, ce qu'il ne faut jamais oublier.
Comme je l'ai indiqué précédemment, 130 millions d'euros ont été consacrés à la rénovation des établissements pénitentiaires : c'est le double du montant qui y a été consacré sous François Hollande. Nous en avons déjà rénové beaucoup. Lorsque j'étais avocat, j'ai connu l'époque où les détenus ne pouvaient prendre qu'une douche par semaine, et encore quand c'était possible. Aujourd'hui, des douches individuelles ont été installées dans chaque cellule. Les conditions de détention se sont donc nettement améliorées.
En plus des SAS que nous construisons, nous expérimentons trois prisons entièrement tournées vers le travail. Là encore, l'acronyme a été bien choisi : InSERRE, pour Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi.
En 2024, la moitié des cinquante nouveaux établissements pénitentiaires prévus auront été construits. Je dois en inaugurer dix d'ici à la fin de l'année.
Vous l'avez souligné, la construction de prisons est un levier.
Dans la mesure où le rapport annexé fixe une trajectoire, il nous semble qu'il aurait été bienvenu que figurent aussi un certain nombre d'autres leviers, notamment le développement des prisons en milieu ouvert. En effet, pour répondre à Mme la rapporteure, il existe ailleurs d'autres modèles carcéraux ; en France, on trouve la prison ouverte de Casabianda, en Corse, qui permet des incarcérations graduées selon le type de délinquance, le maintien des liens familiaux et la diversification des activités. Pour l'instant, aucune étude ne prouve qu'une incarcération en milieu ouvert soit moins efficace. En revanche, ce qui est sûr, c'est que cela coûte moins cher !
Il faut regarder ces questions de plus près et non pas se contenter de dire que les incarcérations en milieu ouvert ne marchent pas – on ne peut plus dire cela aujourd'hui. Je suis favorable à ce qu'une étude soit menée en ce sens et il me paraissait intéressant que cela figure dans les trajectoires du ministère de la justice.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 148, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 200
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Pour résorber la surpopulation carcérale, il est mis en place, à titre expérimental sur une durée de trois ans, un mécanisme de régulation carcérale sur l'ensemble du territoire, ayant pour objet de définir un taux de surpopulation carcérale dont le dépassement entraînerait la réunion des différents acteurs de la chaîne pénale. Ces derniers pourraient alors envisager des mesures de régulation lorsque les services de l'administration pénitentiaire ne sont plus en mesure de fonctionner sans affecter durablement la prise en charge des personnes détenues.
La parole est à M. Guy Benarroche.
Cet amendement vise à expérimenter à l'échelon national un mécanisme de régulation carcérale, qui a été défendu par Jean-Pierre Sueur lors de la discussion générale et sur lequel je ne reviens pas.
Cette proposition fait écho aux expérimentations locales mises en place dans les maisons d'arrêt de Varces, de Grenoble et aux Baumettes à Marseille. Ces expérimentations, qui reposent sur le volontariat de professionnels de la justice, doivent recevoir un soutien à l'échelle nationale. Ce mécanisme permet des pratiques collectives de régulation carcérale.
Nous aurions souhaité que cette expérimentation nationale figure dans le rapport annexé, car elle nous semble être un véritable outil de lutte contre la surpopulation carcérale, au même titre que d'autres dispositifs. Il faut utiliser tous les leviers.
Cet amendement a pour objet l'expérimentation d'un mécanisme de régulation carcérale, pour faire face à la surpopulation carcérale. Nous ne pensons pas que ce soit la bonne solution. La solution passe par la construction de places et il faut aller vite. Nous sommes donc favorables à ce que les peines soient exécutées dans de bonnes conditions, grâce à un nombre suffisant de places.
C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
Notre pays compte grosso modo un peu plus de 60 000 places de prison pour 73 000 détenus.
Si vous ne voulez plus de surpopulation carcérale, monsieur le sénateur, il faut donc libérer 13 000 détenus. Je le dis clairement : je ne le ferai pas, et ce pour tout un tas de raisons.
Tout d'abord, cela ferait le bonheur du sénateur Ravier
M. Thani Mohamed Soilihi sourit.
Je veux assumer une réponse pénale ferme. Je veux également rappeler – je vous remercie de me donner l'occasion de le faire – que le garde des sceaux ne peut pas fixer lui-même les peines, et que c'est très bien ainsi.
Ensuite, je précise que c'est en toute indépendance que la justice est plus sévère aujourd'hui qu'elle ne l'était autrefois, en dépit de ce que certains racontent.
En réalité, monsieur le sénateur Benarroche, je ne comprends pas bien le sens de votre mécanisme de régulation carcérale. Je l'ai du reste dit tout à l'heure au sénateur Sueur que je sais très attaché à la question des libertés individuelles.
En vérité, les acteurs judiciaires et la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) se réunissent déjà de manière régulière. Ils l'ont fait récemment à Bordeaux, mais aussi partout ailleurs.
La DAP joue son rôle en alertant sur l'existence d'un certain nombre de difficultés, celle notamment d'une surpopulation qui est évidemment anormale et préjudiciable à ce à quoi nous aspirons tous ici, c'est-à-dire des conditions de détention dignes. Tout le monde se souvient d'ailleurs que j'ai soutenu l'initiative du président François-Noël Buffet – je l'ai déjà dit ici.
Il est évident que nous souhaiterions tous faire disparaître la surpopulation carcérale. Cependant, permettez-moi de vous rappeler que, quand Nicole Belloubet a fait en sorte de libérer un certain nombre de détenus en fin de peine, à l'exclusion de certains condamnés pour des faits précis – vous vous souvenez tous de cette décision –, celle-ci a fait l'objet de vives critiques, alors même qu'il était question d'un véritable enjeu de santé publique.
Naturellement, j'ai soutenu la démarche de la ministre, à une époque où je n'étais pas moi-même membre du Gouvernement.
Aujourd'hui, que proposez-vous, monsieur le sénateur ? De mettre dehors un certain nombre de détenus ? Bien, mais comment allez-vous faire ?
Vous avez utilisé une très jolie expression en parlant de « seuil de criticité ». C'est aussi un bel affichage qui s'apparente presque à un excès sémantique : que préconisez-vous que les acteurs de la chaîne pénale fassent une fois qu'ils se seront réunis ? Sans compter que, je le répète, ils se réunissent déjà.
Surtout, ne pensez pas que les magistrats de ce pays n'évoquent pas ces sujets : de toute évidence, ils en parlent ! De même que la DAP leur expose immanquablement la réalité : les matelas au sol et toutes les choses de cette nature.
Je signale en outre que les travaux d'intérêt général (TIG) sont une façon de penser la peine autrement que par la seule systématisation de la prison. Le TIG est parfaitement utile chaque fois que c'est possible – j'y insiste, car cette précaution n'est pas inutile : « Chaque fois que c'est possible. » Voilà la raison pour laquelle nous l'encourageons.
Le seul levier dont nous disposons aujourd'hui, selon moi, pour faire cesser la surpopulation carcérale consiste à construire de nouveaux établissements pénitentiaires. Par un mécanisme ou un syllogisme assez singulier, certains affirment que plus nous en construirons, plus ils seront remplis… Dans ce cas, autant ne rien faire et laisser les choses en l'état !
Un dernier mot, madame la rapporteure, sur l'artificialisation des sols : je tiens à vous dire que nous disposons de tous les terrains dont nous avons besoin. §N'ayez aucune inquiétude : il aura fallu beaucoup de temps, mais nous avons les terrains sur lesquels nous construirons de nouvelles prisons.
On le voit bien, de cette discussion émergent deux visions très différentes : d'un côté, la vision exposée par Mme la rapporteure, qui insiste sur la nécessité d'une application plus systématique de peines de plus en plus lourdes, et qui ne s'intéresse qu'au milieu carcéral et à la construction de nouvelles prisons ; de l'autre, la vision du garde des sceaux qui n'est pas du tout la même – je l'ai bien compris –, puisqu'il promeut les TIG : je rappelle à cet égard que les débats autour de cette mesure ont soulevé de sérieuses difficultés ici même il y a encore peu de temps.
À partir du moment où il s'agit d'un rapport du ministère de la justice annexé au projet de loi et que vous proposez un certain nombre d'ouvertures, notamment l'exécution de mesures en milieu ouvert, les TIG et quelques autres solutions alternatives, il aurait été à la fois bienvenu et nécessaire, ne serait-ce que pour faire face à l'opportunisme, si je puis dire, de l'extrême droite, qui pourrait se saisir de ce prétexte, et à cette politique du « tout-carcéral » et de l'enfermement, qui n'est pas la vôtre, monsieur le garde des sceaux, mais qui est celle d'une majorité des membres de cette assemblée, de faire figurer d'autres leviers d'action – c'est de cela que je parle – dans le rapport annexé.
Je tiens à remercier M. Benarroche d'avoir déposé ces amendements : la surpopulation carcérale est un sujet qui me préoccupe énormément, tout comme il intéresse nombre de nos collègues, ainsi que beaucoup d'associations et d'organisations.
Sur un tel sujet, il n'est pas possible d'en rester au statu quo, car la question a investi l'espace public.
Nous devons par ailleurs nous féliciter des travaux d'anciens collègues sénateurs : je pense en particulier à Jean-René Lecerf ou à Jean-Jacques Hyest, qui ont conduit des réflexions et réalisé plusieurs travaux sur ce thème, en émettant un certain nombre de propositions.
J'ai du mal à entendre l'argument selon lequel on ne pourrait rien faire, faute de quoi le Rassemblement national se mettrait en colère.
Pardonnez-moi, monsieur le garde des sceaux, mais le combat contre le Rassemblement national se mène au niveau des idées, et non en évitant de faire ce qui le mettrait en colère ou en mouvement.
Mme Éliane Assassi . Ce n'est pas possible de dire ce genre de choses !
Mmes Laurence Rossignol et Mélanie Vogel ainsi que M. Joël Bigot applaudissent.
Madame la rapporteure, je veux bien que l'on construise 15 000 places de prison supplémentaires, mais nos prisons accueillent déjà 13 000 détenus de trop, que l'on se contentera dès lors de transférer. En réalité, la surpopulation carcérale ne cessera pas si nous ne prenons pas des mesures drastiques permettant de revenir sur un certain nombre de choses : je pense en particulier aux peines alternatives.
Monsieur le garde des sceaux, il s'agit là d'un vrai enjeu de société ! §À partir des excellents travaux réalisés, notamment ici au Sénat, je propose que l'on dresse un état des lieux de la situation, afin d'avancer : on ne peut pas en rester, je le répète, au statu quo actuel sur un tel sujet.
Il n'y a pas de statu quo : nous construisons des prisons !
Monsieur le garde des sceaux, vous m'avez tendu une perche en évoquant l'artificialisation des sols. Je vais en effet parler – et je ne suis pas hors sujet en le faisant – d'un sujet qui nous tient à cœur, le « zéro artificialisation nette », le ZAN.
Quel lien y a-t-il entre ce texte essentiel et la question, elle-même d'une extrême importance, que je souhaite aborder ?
Vous l'avez dit : vous avez trouvé – et c'est tant mieux – des terrains pour construire de nouvelles prisons. De fait, j'aurai une question subsidiaire, mais primordiale : sur le quota de quel acteur public seront donc imputés les hectares artificialisés en vue de la construction de ces prisons ?
Je vous interroge sur ce point, monsieur le ministre, mais ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas construire de nouveaux établissements pénitentiaires ! C'est un tout autre débat.
Est-ce l'État, puisque de tels projets relèvent de sa compétence, qui assumera cette artificialisation ? Sortira-t-il l'enveloppe foncière du quota qui sera imputé aux collectivités locales, sorte de quota de crise, somme toute assez limité quand on est appelé à construire des logements et à soutenir la réindustrialisation du pays.
Nous comptons sur vous, monsieur le garde des sceaux, pour convaincre votre collègue Christophe Béchu de raisonner, comme le Sénat le fait, avec sagesse et justesse.
Je suis quelque peu interloquée par notre discussion, et en particulier par vos réponses, monsieur le garde des sceaux et mesdames les rapporteures, car elles révèlent une vision assez binaire de la question.
Les choses ne sont pas aussi simples que vous nous les présentez : nous ne vous disons pas que, parce qu'il ne faut pas forcément créer de nouvelles places de prison, il faudrait relâcher des détenus. Compte tenu de votre trajectoire personnelle et de votre expérience, monsieur le garde des sceaux, vous savez très bien que les choses sont plus complexes.
Ce n'est pas simplement en construisant des prisons que nous résoudrons le problème. Le cas de l'Allemagne en est la preuve : le fait que notre voisin ait une population supérieure à celle de notre pays, tout en disposant de moins de places de prison et en comptant moins de détenus, ne signifie pas pour autant qu'on y trouve davantage de délinquants.
Quand on observe les chiffres sur une durée de vingt ans, on constate qu'après chacune des hausses du nombre de places de prison on a assisté à l'augmentation du nombre de mises sous écrou. Les travaux menés au Canada à ce sujet sont très intéressants.
On dit souvent que les politiques publiques – je m'intéresse beaucoup à leur analyse – ne visent pas tant à résoudre les problèmes qu'à répondre à la manière dont l'opinion les perçoit.
Il me semble que, sur cette question, nous tombons complètement dans ce travers : on crée des places de prison et on affirme que la solution consiste à enfermer les gens, parce qu'il y aurait un sentiment d'insécurité dans l'opinion publique.
Personne ne peut nier qu'il faut améliorer la condition des détenus. Nous le savons tous. Moi-même élue du département de la Gironde, je suis alertée chaque semaine des conditions de détention au centre pénitentiaire de Gradignan. D'ailleurs, vous vous y êtes rendu, monsieur le garde des sceaux : vous connaissez la situation.
Nous savons très bien qu'il y a des problèmes et qu'il faut construire des établissements dignes de ce nom. Mais, s'il vous plaît, n'ayez pas une approche binaire et ne nous expliquez pas qu'il n'y a qu'une seule méthode et une seule réponse : ce résumé n'est pas fidèle aux travaux qui ont été menés.
Il convient d'être un peu plus fin et mesuré : le milieu ouvert et les autres peines alternatives sont tout aussi importants que la construction de nouvelles prisons.
Enfin, n'oublions pas – je réagis à la remarque d'Agnès Canayer – que les peines doivent certes être exécutées, mais qu'il n'y a aucune peine à appliquer aux 40 % de détenus en détention provisoire.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez parlé d'une réponse pénale juste : j'ajouterai simplement qu'elle doit aussi être adaptée.
Nous avons tous ici visité des prisons et assisté à des séances de comparution immédiate au tribunal. Parfois, on se demande si les futurs détenus ont vraiment leur place en prison. On sait par exemple qu'un tiers des prévenus ne devraient pas être emprisonnés.
On devrait insister davantage sur la nécessité d'une éducation solide. Tout le monde n'a pas eu la chance que de bonnes fées se penchent sur son berceau. Certaines personnes naissent sous une mauvaise étoile, qui les guidera toute leur vie. Quelle société construire pour que ces individus soient pris en charge ? Il faut le faire, faute de quoi ils seront perdus à tout jamais, même ceux qui ont à peine plus de vingt ans.
Il faut leur donner accès à une éducation de qualité, avec des fondamentaux solides, et développer le secteur psychiatrique : certains détenus sont des patients, qui sont en prison, alors qu'ils n'ont rien à y faire.
Nous sommes tous catastrophés par la surpopulation carcérale, mais la prison est-elle vraiment toujours la bonne réponse ?
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 157 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 218
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce programme doit se baser sur les besoins dûment recensés au travers d'une évaluation du nombre de personnes en demande de prise en charge psychiatrique.
La parole est à M. Guy Benarroche.
J'en viens à un autre de nos sujets de préoccupation : nous demandons un rapport sur les aménagements de peine en fonction des pathologies des détenus.
Nous saluons évidemment les prémices du développement des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), mais nous regrettons, tout comme le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'en alarmait, que l'« on assiste à un déplacement de l'hôpital psychiatrique vers la prison ».
Depuis une vingtaine d'années, différentes études ont été menées par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) en matière de santé mentale en prison.
On a dressé à l'époque un constat assez alarmant, à savoir qu'un quart des détenus souffrent de troubles psychiatriques. Aujourd'hui, au moment où je vous parle, un suivi psychiatrique est préconisé pour la moitié des entrants en prison. Un sur deux !
Nous avons salué la création de nouvelles UHSA, mais nous souhaitons pouvoir en étudier le déploiement, pour nous assurer qu'il se fait bien à partir de besoins dûment recensés, au travers d'une évaluation du nombre de personnes en demande de prise en charge psychiatrique.
La commission est favorable à cet amendement.
Je tiens à souligner l'importance de cette évaluation préalable pour déterminer les moyens réels, en développement et en construction, nécessaires à la prise en charge de détenus souffrant de difficultés psychiatriques. Il s'agit d'un véritable enjeu – on parlait tout à l'heure des difficultés carcérales – : on sait que, pour certains détenus, l'enfermement s'ajoute à la maladie psychiatrique.
Il est nécessaire de prendre ces personnes en charge dans des unités aménagées, spécialement conçues à cet effet. C'est pourquoi nous pensons qu'il est vraiment bienvenu de mener une évaluation préalable, qui permettra de cibler les moyens sur les espaces et les lieux les plus adaptés.
Pour terminer, je souhaite à répondre à ce qu'a dit Mme de La Gontrie tout à l'heure : si nous retenons cet amendement, c'est parce qu'il est en phase avec une politique sur laquelle le Gouvernement s'est engagé, à savoir le développement des UHSA, et qu'il est donc conforme à la feuille de route que nous avons détaillée.
Il n'est pas nécessaire que le Gouvernement y soit favorable pour que cette mesure figure dans le rapport annexé au projet de loi.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie se montre dubitative.
Je partage totalement avec vous la nécessité de renforcer la prise en charge psychiatrique des détenus.
Nous avons déjà une idée assez précise des besoins, pour les recenser et les analyser finement.
Je dois également vous dire que nous avons récemment lancé deux études en santé mentale.
La première étude est l'œuvre de la Fédération de recherche en psychiatrie et santé mentale : elle précise, dans un rapport de décembre 2022, que les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes sortant de prison ont au moins un trouble psychiatrique ou lié à l'usage de stupéfiants.
La seconde est en cours et s'achèvera en 2024 : elle vise également à évaluer la santé mentale des personnes incarcérées en maison d'arrêt.
Avec François Braun, mon collègue ministre de la santé, je travaille pour adapter au mieux les besoins en moyens en matière de prise en charge psychiatrique des détenus.
C'est sur ce fondement que trois nouvelles UHSA seront prochainement construites en Île-de-France, en Normandie et en Occitanie, et que les établissements publics de santé mentale seront sécurisés, particulièrement en outre-mer.
Vous demandez une expertise, monsieur le sénateur, parce que vous souhaitez en savoir davantage : je le comprends, et votre requête est parfaitement légitime, mais une telle étude est déjà en cours.
Votre amendement étant, me semble-t-il, satisfait, je vous en demande le retrait.
Je n'entends pas abuser de mon temps de parole, mais je souhaite profiter de l'occasion pour répondre à Mme la sénatrice Françoise Gatel.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En premier lieu, sachez qu'en évoquant tout à l'heure l'artificialisation des sols j'adressais un petit clin d'œil à Mme la rapporteure Canayer.
Mme le rapporteur sourit.
En second lieu, je peux vous assurer que les prisons sont incluses dans les grands projets d'envergure – c'est une formule que vous connaissez –, dont les surfaces artificialisées ne sont pas comptabilisées au niveau de la commune, mais au niveau national, conformément aux engagements qui ont été pris par le Gouvernement devant l'Association des maires de France.
Mme Françoise Gatel manifeste son scepticisme.
J'ajoute, même si vous le savez sans doute déjà, que je travaille en parfaite intelligence avec le ministre Christophe Béchu.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 152, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 235
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Guy Benarroche.
On en revient à la question du numérique, mais cette fois-ci sous l'angle de son développement dans les prisons.
Nous pensons que, telle qu'elle est exprimée dans la feuille de route, sans autre précision, la généralisation du numérique pourrait nuire à la réinsertion et à la qualité des relations sociales, notamment celles que nouent les surveillants pénitentiaires avec les détenus.
En cherchant à déployer le numérique en détention, notamment à travers la réservation des parloirs par voie informatique ou la mise en place d'un certain nombre de formations par visioconférence, et même si cela peut ne pas paraître totalement absurde en soi, on contribue à diminuer les contacts humains et à isoler des populations vulnérables – nous sommes en milieu carcéral.
Les personnes vulnérables, qui n'ont pas la possibilité d'utiliser l'outil informatique, sont d'ailleurs plus nombreuses en prison qu'en dehors de celles-ci, de par la composition sociologique des détenus.
En raison du développement des outils informatiques en milieu carcéral, l'intervention des surveillants pénitentiaires se fera plus rare, mais progressivement de plus en plus conflictuelle.
Aujourd'hui, ces surveillants jouent un rôle bien différent : nous craignons que la généralisation du tout-numérique à l'intérieur des prisons n'entraîne inéluctablement une réduction des interactions entre personnels pénitentiaires et prisonniers. Ces échanges ne seront plus naturels et ne prendront plus que la forme de conflits.
Vous proposez de supprimer toute la politique de numérisation des services pénitentiaires.
Or, mon cher collègue, les caméras-piétons et toute la modernisation des services d'information sont très attendus par les personnels pénitentiaires, comme par les détenus eux-mêmes, qui y voient une garantie de leur sécurité à l'intérieur des établissements pénitentiaires.
Par ailleurs, pour les familles des personnes détenues, pouvoir réserver un parloir à distance constitue une avancée.
La suppression de toute numérisation des services pénitentiaires ne constitue ni une bonne réponse ni une bonne solution à envisager.
Avis défavorable.
Monsieur le sénateur, au fond, vous nous dites que plus de numérique, c'est moins d'humain.
En réalité, cette position est assez paradoxale parce que, tout à l'heure, vous vous inquiétiez du sort de ceux qui n'ont pas forcément accès à l'informatique, soit qu'ils n'aient pas d'ordinateur, soit qu'ils n'aient pas la possibilité d'aller davantage vers le numérique.
Permettez-moi de vous dire tout d'abord que le numérique en détention réduit la fracture numérique. Ensuite, je rappelle que non seulement 70 % des visiteurs utilisent aujourd'hui le mode de réservation en ligne, mais qu'ils en sont très satisfaits. Il n'y a en effet rien de plus simple que de réserver une date et un horaire de parloir.
À l'inverse de vos propos, je distingue d'autres fonctionnalités utiles, qui seront bientôt mises en œuvre à la maison d'arrêt de Dijon et au centre de détention de Melun.
Je vais vous les présenter brièvement.
Je pense d'abord à la possibilité pour les détenus de bénéficier d'un enseignement en ligne, ce qui n'est tout de même pas si mal, du moins selon moi.
Sachez aussi que les détenus auront la possibilité d'obtenir des réponses à leurs demandes de la part de l'administration – ce n'est pas mal non plus.
Autre avancée, la possibilité pour les personnes incarcérées d'acheter des produits de la vie courante – ce que l'on appelle la « cantine » – de manière beaucoup plus rapide.
Le numérique en détention n'a pas vocation à supprimer les liens entre le personnel pénitentiaire et les personnes détenues, bien au contraire. D'après moi, le fait d'obtenir une réponse plus rapide de l'administration, de disposer plus rapidement d'un tube de dentifrice et de ne plus avoir de problème pour obtenir un rendez-vous avec sa famille au parloir favorise la mise en place de relations apaisées.
Par conséquent, monsieur le sénateur, je suis défavorable à votre amendement, bien qu'il parte, je le sais, d'un très bon sentiment.
Ce sont les détenus eux-mêmes qui demandent un meilleur accès au numérique. Cet accès est surtout un moyen pour eux de préparer leur réinsertion.
En prison, les personnes se plaignent de leur éloignement du numérique ; ils nous disent tous que plus ils y auront accès, mieux cela vaudra.
Si l'on se doit d'être extrêmement prudent pour ce qui est de l'accès des enfants au numérique – vous connaissez mon combat personnel contre les écrans –, ce dont la Suède est en train de se convaincre puisqu'elle revient sur la généralisation des ressources numériques chez les petits enfants et à l'école primaire, il faut en revanche penser le déploiement du numérique en prison.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 205, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 266
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il convient de réformer en entièreté les décrets dits Magendie.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
La nécessité de réformer les décrets Magendie a fait consensus lors des États généraux de la justice.
S'agissant des avocats, tant le Conseil national des barreaux (CNB) que la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris réclament une réforme, voire pour certains, une abrogation des décrets.
Notre groupe a décidé de se faire le relais de cette prise de position à travers un amendement que je qualifierai bien évidemment, puisque nous débattons de décrets, « d'appel ».
Le décret Magendie, malgré les objectifs de célérité et d'efficacité de la procédure d'appel qu'il cherchait à atteindre, a créé plusieurs problèmes et accentué les délais de traitement des affaires, notamment en provoquant un engorgement des affaires en cours, ce qui a engendré une accumulation des dossiers en attente.
Le délai impératif imposé par ce décret, sanctionné par la caducité de la déclaration d'appel ou l'irrecevabilité des conclusions, a contribué à cette situation.
La charge de travail des magistrats et des greffes s'est alourdie. Ils doivent désormais veiller au respect d'une multitude de délais, demander de justifier de significations et organiser de nombreuses audiences d'incident et de de déféré.
Cette surcharge de travail a eu des conséquences non négligeables sur la qualité des décisions rendues, en l'occurrence une dégradation de celles-ci.
Les avocats ont également été affectés par ces réformes : ils doivent travailler dans des délais courts, en se jouant à la fois des contraintes liées au manque de ressources et de délais stricts, assortis de sanctions rigoureuses.
Cette précipitation peut nuire à la qualité de leur travail et réduire leur capacité à se préparer correctement.
Notre amendement vise à concrétiser la réforme de ces décrets, afin de contribuer à l'amélioration de la procédure d'appel : nous souhaitons réduire les délais trop restreints, alléger la charge de travail des magistrats et des avocats et garantir ainsi des décisions de meilleure qualité.
Nous partageons tout à fait votre constat, madame la sénatrice, et nous reconnaissons la nécessité de réviser ces décrets Magendie.
Comme vous l'avez expliqué, il existe un consensus sur le sujet. Le ministre s'est du reste engagé à procéder à cette révision.
On nous avait promis la parution d'un certain nombre de projets de décret avant l'examen de ce projet de loi. L'un d'entre eux nous est parvenu à midi, ce qui laisse penser qu'un premier décret est sur le point d'être publié.
Monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous nous dire quand le projet de décret sera adopté ?
Quoi qu'il en soit, je demande le retrait de cet amendement, car j'estime qu'il est satisfait. À défaut, j'y serai défavorable.
Madame la sénatrice, preuve est faite que nous avons été vraiment attentifs à ce que nous racontait l'écosystème.
Les avocats ne voulaient plus du décret Magendie pour tout un tas de raisons.
D'abord, ils avaient le sentiment qu'il avait créé un certain nombre de chausse-trapes, si j'ose dire, qui constituaient une entrave à la procédure. Les magistrats l'ont en outre accusé d'un certain nombre de maux.
Vous l'avez rappelé tout à l'heure, il fallait faire bouger le décret Magendie à l'unisson, le modifier, ce que nous sommes en train de faire. Vous aurez naturellement connaissance du calendrier de cette révision dans le détail.
Le CNB a travaillé à ces modifications avec la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), de même que la Conférence nationale des premiers présidents a bien sûr été consultée, ce qui est logique.
La réflexion est en cours et le contenu du décret sera très prochainement modifié.
Dès lors qu'il s'agit d'un décret, je vous demande de retirer votre amendement, madame la sénatrice ; à défaut, je me verrai dans l'obligation d'y être défavorable.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 205 rectifié, présenté par Mme Marie-Pierre de La Gontrie, et dont le libellé est strictement identique à celui de l'amendement n° 205.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Si j'ai repris cet amendement, c'est que quelque chose m'a m'échappé au niveau du calendrier du garde des sceaux.
Le 25 novembre 2022, vous indiquiez lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris que, la semaine suivante, vous présenteriez une réforme de l'ordre de la procédure civile et de la procédure pénale, notamment celle du décret Magendie.
L'autre jour, je vous ai vu à la télévision… D'ailleurs, il faut que je vous dise, monsieur le garde des sceaux, que je suis tellement contente de vous voir que, parfois, je vous regarde à la télévision, même quand vous vous exprimez à l'Assemblée nationale !
Rires.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . Nous allons compter ensemble, comme vous l'avez fait au cours des débats sur la constitutionnalisation du droit à l''IVG : de novembre à juin, cela fait sept mois.
M. le garde des sceaux lève les yeux au ciel.
C'est pourquoi je me suis permis de reprendre l'amendement : quand vous annoncez une mesure, cette dernière n'est pas toujours exactement mise en œuvre dans le délai indiqué.
Dans le cas d'espèce, vous aviez promis de nous transmettre le nouveau décret ; or ce n'est pas le cas…
Mais ce n'est pas de ces décrets que j'ai parlé !
D'abord, sachez que je suis ravi d'apprendre que vous me suivez à la télévision, et que vous le faites par plaisir.
Rires.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ah ! Madame la sénatrice, vous allez me faire rosir…
Mêmes mouvements.
Pour le reste, je n'ai aucun souvenir d'avoir évoqué la finalisation de ces décrets la semaine suivant le 25 novembre 2022. Laissez-moi quelques instants pour vérifier ce point
M. le garde des sceaux relit ses notes.
Comment voulez-vous que je modifie le décret Magendie la nuit pendant que vous regardez la télé ?
Nouveaux rires.
L'amendement n° 205 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 276, présenté par Mme Canayer, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 298 à 303
Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :
Ce travail nécessaire, réclamé par l'ensemble des acteurs et observateurs du monde judiciaire, comporte deux aspects indissociables qui doivent être conduits conjointement : d'une part, une clarification des dispositions existantes du code et la refonte de son plan et, d'autre part, la simplification des procédures.
Cette simplification doit permettre leur sécurisation juridique, la recherche d'une plus grande efficacité, l'allégement de contraintes formelles pesant sur les acteurs, le respect des garanties des droits de la défense et la réduction des délais de jugement.
Un comité scientifique composé de professionnels du droit de tous horizons (magistrats, personnels de greffe, avocats, professeurs de droit, représentants des services d'enquête...) sera chargé de formuler les propositions de clarification du code de procédure pénale qui serviront de base à l'ordonnance de recodification à droit constant prévue par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice. Il débutera ses travaux courant 2023.
Ce comité formulera par ailleurs des propositions de simplification répondant aux objectifs fixés ci-dessus.
Un comité composé de parlementaires représentant tous les groupes politiques des deux assemblées sera chargé d'assurer le suivi de ces travaux. Lui seront présentés tous les trois mois l'état de leur avancement et les propositions de clarification et de simplification préconisées par le comité scientifique.
2.4.3.2. De nouvelles mesures de procédure pénale limitées et cohérentes
Dans l'attente des conclusions des travaux de clarification et de simplification de la procédure pénale, les nouvelles dispositions dans ce domaine seront limitées afin d'assurer la plus grande stabilité pour les praticiens et citoyens.
La parole est à Mme le rapporteur.
Si la réécriture des décrets Magendie est un travail complexe, la simplification du code de procédure pénale l'est tout autant. Nous aborderons lors de l'examen de l'article 2 la question de l'habilitation pour réécrire à droit constant la partie législative de ce code.
Toutefois, nous avons souhaité inscrire dans le rapport annexé une méthode pour engager dans sa feuille de route le Gouvernement sur la voie de cette véritable simplification des procédures pénales : cette dernière devra se faire en parallèle de la clarification du code de procédure pénale préalable à l'ordonnance de recodification, pour laquelle le Gouvernement sollicite une habilitation.
Cette simplification doit permettre la sécurisation juridique, la recherche d'une plus grande efficacité, l'allégement du poids des contraintes formelles, le respect des garanties des droits de la défense et la réduction des délais de jugement.
Un comité scientifique composé de professionnels du droit de tous horizons sera chargé de formuler des propositions de clarification du code qui serviront de base à cette ordonnance de recodification à droit constant prévue à l'article 2, qui lui-même vise à engager la simplification attendue.
En effet, le comité devra, en parallèle et après ce travail de clarification, proposer des simplifications attendues de tous ; un autre comité composé de parlementaires, représentant tous les groupes politiques des deux assemblées, sera chargé d'assurer le suivi des travaux qui lui seront présentés tous les trois mois pour que l'objectif puisse véritablement être atteint.
En parallèle, nous souhaitons que les travaux de réforme du code de procédure pénale pendant cette période soient limités pour assurer une stabilité attendue par tous les acteurs du monde de la justice.
L'amendement n° 159, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 299
Insérer un alinéa ainsi rédigé
Dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement faisant le bilan de l'utilisation des comparutions immédiates. Ce rapport analyse plus largement les types de peines prononcées, les recours aux peines alternatives à la prison, les taux de recours.
La parole est à M. Guy Benarroche.
L'objet de cet amendement n'a absolument rien à voir avec celui de l'amendement précédent, bien qu'ils fassent tous deux l'objet d'une discussion commune : il vise à demander la remise d'un rapport au Parlement pour dresser le bilan de l'utilisation de la comparution immédiate.
Il est indéniable que le développement des audiences en comparution immédiate s'est fondé sur une réflexion – bienvenue – relative au temps judiciaire, mais elle ne s'est pas attardée du tout sur les conséquences en matière d'incarcération. Dans un certain nombre d'avis qu'ils ont émis, certains organismes, par exemple l'Observatoire international des prisons (OIP), indiquent que le développement de procédures de jugement rapide, en particulier la comparution immédiate, est pourvoyeur dans l'immédiat d'un plus grand nombre d'incarcérations et aboutit à un taux plus important de peines de prison ferme et à des peines plus longues.
Pour l'instant, rien ne démontre si c'est le cas ou non. En tout cas, ce qui est certain, c'est qu'il y aurait un rapport mécanique entre la multiplication des procédures de comparution immédiate et la hausse du nombre de personnes incarcérées.
Comme nous cherchons à résoudre le problème de la « surincarcération » avec de nombreuses solutions, dont la création de places de prison supplémentaires, il ne serait pas inutile de faire une étude sur les rapports directs entre, d'une part, les procédures rapides, dont la comparution immédiate, et, d'autre part, le nombre d'incarcérations, la longueur et le type des peines prononcées.
L'avis sera défavorable : s'agissant d'une demande de rapport, notre position est constante.
De plus, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) publie chaque année des rapports de politique pénale, remis par les procureurs généraux et par les procureurs de la République. Le rapport annuel du ministère public répond à la demande des auteurs de l'amendement.
S'agissant de l'amendement qu'a défendu Mme la rapporteure, je trouve qu'il est excellent. J'y suis naturellement favorable parce qu'il permet tout simplement de préciser les choses.
J'ai toujours affirmé que la méthode que nous choisissions pour clarifier un certain nombre de règles était essentielle. Je pense à tous ces articles – il y en a une centaine dans le code de procédure pénale – qui renvoient à d'autres articles qui renvoient à d'autres articles et à d'autres articles…
Il ne s'agit évidemment pas de toucher au sens ni aux équilibres : nous légiférerons à droit constant. Un certain nombre de contrôles existent déjà, je les ai rappelés tout à l'heure. Voilà ce qui sera de nature à rassurer, une nouvelle fois, le Sénat, qui est légitimement soucieux sur ces questions. J'ai en mémoire cette vieille publicité : « La confiance n'exclut pas le contrôle »…
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Et pierre qui roule n'amasse pas mousse…
Sourires.
Ce n'est pas moi qui ai commencé, monsieur le sénateur.
J'ai fini : je sais terminer un propos.
S'agissant de l'autre amendement, j'y suis défavorable, vous l'imaginiez sans doute.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Au sujet de l'amendement défendu par la rapporteure concernant l'organisation des travaux de recodification du code de procédure pénale, ce qui est important – j'espère que c'est bien comme cela qu'il faut entendre le propos tenu à l'instant par le garde des sceaux – c'est la phrase : « Lui seront présentés tous les trois mois l'état de leur avancement et les propositions de clarification et de simplification […]. »
Nous aurons largement l'occasion de débattre tout à l'heure lors de l'examen de l'article 2 de la question de l'habilitation donnée au Gouvernement de recodifier par ordonnance. « La confiance n'exclut pas le contrôle » ? Je ne sais pas s'il y a confiance, mais nous aurons donc l'occasion à l'article 2 de démontrer que nous souhaitons un contrôle – je ne me prononce pas sur la question de la confiance.
Nous sommes favorables à cet amendement, mais nous souhaitons qu'il se traduise effectivement par des engagements forts de la part du Gouvernement afin de respecter l'ensemble des dispositions qui y sont prévues.
L'amendement est adopté.
En conséquence, l'amendement n° 159 n'a plus d'objet.
L'amendement n° 158, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 304
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
Il est institué dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, un comité d'évaluation de l'inflation des normes pénales.
Ce comité comprend deux députés et deux sénateurs, respectivement désignés par le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat.
Sa composition, ses missions et ses modalités de fonctionnement sont précisées par décret.
Il établit un rapport public au plus tard dans les dix-huit mois suivant l'entrée en vigueur de la présente loi. Ce rapport établit un constat précis de l'inflation pénale, de ses conséquences et formule des préconisations visant à améliorer la construction normative dans sa qualité et dans sa quantité.
Il formule aussi des évaluations et prévisions liées à de possibles dépénalisations.
La parole est à M. Guy Benarroche.
J'ai eu le plaisir, il y a quelques mois, de travailler avec Mme la rapporteure Agnès Canayer dans le cadre du comité d'évaluation des cours criminelles départementales. Ce comité, mis en place par le Sénat, a permis d'avoir, sur un sujet important un dialogue, une réflexion et des échanges sur un temps long avec une diversité d'acteurs impliqués. Ce temps de réflexion a permis d'établir des constats circonstanciés, de formuler des propositions et de tracer des pistes d'amélioration faisant consensus. Ce comité d'évaluation a donc eu des résultats positifs.
Au travers de cet amendement, nous proposons d'instituer un autre comité d'évaluation, chargé quant à lui de l'évaluation de l'inflation des normes pénales et de ses effets.
Sa composition serait fixée par décret, étant entendu qu'il comprendrait des parlementaires.
Il nous semble important, pour les raisons que nous avons développées au sujet du numérique et en cohérence avec les solutions en milieu ouvert que nous proposons, d'arriver à un moment donné à étudier correctement la possibilité de certaines dépénalisations. On travaille, on réfléchit – j'ai eu l'occasion, monsieur le garde des sceaux, de m'en entretenir avec vous – à des propositions en ce sens.
Après une évaluation de ce qui pourrait être dépénalisé et au vu des conséquences des pénalisations à outrance qui sont l'objet de plusieurs projets ou de propositions de loi qui ont été votés ces derniers temps, cette piste nous paraît pouvoir faire avancer d'une manière consensuelle tous les acteurs et l'écosystème, pour reprendre le mot que vous avez employé tout à l'heure, monsieur le garde des sceaux.
En effet, monsieur Benarroche, nous aimons les comités d'évaluation parce que nous aimons l'évaluation des politiques publiques pour avoir une vision de la réalité de leur déploiement.
Votre idée, pensons-nous, est d'autant plus bonne qu'elle correspond exactement à ce que nous proposions au travers de l'amendement que nous venons d'adopter. En effet, puisqu'il y aura de toute façon un comité scientifique et un comité parlementaire de suivi, nous évaluerons naturellement l'inflation des normes en matière pénale. Votre amendement est donc redondant. C'est pourquoi je vous propose son retrait ; à défaut, l'avis sera défavorable.
On a un Parlement démocratiquement élu qui dispose de tous les pouvoirs pour vérifier s'il y a inflation normative ou non. Personnellement, je refuse cet effacement du Parlement au profit d'instances sans légitimité et qui doublonneront avec l'action du Parlement sans aucune plus-value. Avis défavorable.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie simule le geste d'un violoniste – Mme Laurence Rossignol rit.
La légitimité du comité d'évaluation proviendrait d'un vote du Parlement : le premier serait donc tout aussi légitime que le second. Toutefois, je fais tout à fait confiance à la rapporteure : si dans l'amendement qui a été voté à l'instant figure effectivement la création d'un comité de suivi et d'évaluation, c'est parfait. Je retire mon amendement.
L'amendement n° 158 est retiré.
L'amendement n° 146, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
I – Alinéa 310, deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
II. – Après l'alinéa 310
Insérer sept alinéas ainsi rédigés :
Le Gouvernement s'engage à mener une politique de déflation carcérale, qui prenne en compte les différents facteurs de l'inflation pénale et replace la privation de liberté en tant que « peine de dernier recours ».
Une telle politique implique :
- la dépénalisation de certains types de délits, en confiant leur prise en charge à des autorités administratives sanitaires (comme la consommation de stupéfiants) ;
- la limitation des possibilités de recours à la détention provisoire dès le placement initial, et la réduction de sa durée ;
- une stricte limitation du champ d'application des procédures de jugement rapide ;
- une meilleure prise en compte du principe de l'individualisation des peines ;
- une révision de l'échelle des peines qui allie réduction du recours aux longues peines et remplacement des courtes peines de prison par des mesures non carcérales, en particulier par des mesures de probation en milieu ouvert.
La parole est à M. Guy Benarroche.
Parmi les facteurs concourant à une augmentation massive de la population carcérale – je m'excuse d'être aussi monomaniaque – figurent les orientations de politique pénale de plus en plus répressives, comme je viens de l'indiquer, et le phénomène d'inflation pénale avec la pénalisation d'un nombre important de comportements du fait de la création de nouveaux délits systématiquement assortis de peines d'emprisonnement ou du fait de l'aggravation de peines d'emprisonnement qui existent déjà.
Ces derniers mois, plus d'une dizaine de textes de loi pénalisant de nouveaux comportements et durcissant les peines encourues ont été présentés et discutés au Parlement. Cette politique contribue à banaliser l'incarcération, comme si elle était la seule solution, alors que cette peine devrait être réservée aux délits et aux crimes les plus graves.
La politique du « tout-carcéral » a montré ses limites ; je ne redonnerai pas les chiffres concernant la surpopulation, dont nous parlions. Notre groupe milite pour une meilleure individualisation des peines et pour une réponse pénale graduée, en évitant le plus possible l'incarcération en cas de courtes peines et en privilégiant pour ces dernières des mesures non carcérales, notamment par des mesures de probation en milieu ouvert.
Nous n'avons pas du tout la même vision sur les moyens de limiter la surpopulation carcérale – nous en avons déjà débattu – et a fortiori sur la dépénalisation de certains délits comme la consommation de stupéfiants, qui pour nous n'est pas un bon moyen de régulation et n'est donc pas acceptable. L'avis est défavorable.
Monsieur le sénateur Benarroche, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice tend à favoriser les alternatives à l'incarcération. D'un taux d'aménagement qui était ab initio de 3 %, elle a permis de passer désormais à 16 %. On a favorisé le développement du travail d'intérêt général avec une plateforme, TIG 360°, à laquelle les avocats ont accès, de même que les magistrats. J'ai connu l'époque où ces derniers prononçaient un TIG sans savoir s'il y en avait un de disponible.
Des TIG sont spécialement prévus pour ceux qui travaillent déjà, avec des aménagements possibles le week-end ; d'autres prennent en considération la mobilité de celui qui vient d'être condamné. Pourtant, je l'ai dit, ces travaux sont de moins en moins utilisés. Je demande dans toutes les circulaires que je prends qu'ils le soient davantage en précisant toujours – la précision est importante, évidemment – chaque fois que cela est possible.
Dans le cadre de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, loi que j'ai défendue, j'ai créé la libération sous contrainte de plein droit pour limiter les sorties sèches de prison.
Vous parlez de limiter les possibilités de recours à la détention provisoire. Les dernières lois que je viens d'évoquer et l'article 3 du présent projet, que nous évoquerons dans un instant, comportent des dispositions qui vont dans ce sens puisque nous souhaitons développer l'assignation à résidence sous surveillance électronique.
Dans la dernière circulaire de politique pénale que j'ai prise, le 20 septembre 2022, j'ai demandé que l'ensemble – je dis bien « l'ensemble » – de ces mécanismes soient totalement investis pour qu'ils puissent véritablement porter leurs fruits.
Je ne voulais pas aller au-delà : je suis radicalement opposé à la dépénalisation de la consommation de produits stupéfiants. C'est un très long débat que nous avons déjà eu tous les deux, mais il mériterait ici de longs, de très longs développements. Des événements et affaires récents me confortent dans mon idée. Je suis donc évidemment défavorable à votre amendement, monsieur le sénateur.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 240, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 317, première phrase
Après le mot :
intrafamiliales
insérer les mots :
, opérationnels au plus tard au 1er janvier 2024,
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
C'est un amendement vraiment très gentil… Il a pour objet les pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences familiales. Comme cela a été souligné tout à l'heure, l'idée n'est pas la révolution du siècle, néanmoins elle va dans la bonne direction.
Cela dit, il y a quelque chose qui est un peu gênant dans le projet qui nous est présenté : même si les pôles ne sont pas suffisants – l'amendement suivant me laissera l'opportunité de dérouler ce que je pense pouvoir être fait au-delà – il n'y a pas de date pour leur entrée en vigueur. C'est pourquoi je propose de les rendre opérationnels au 1er janvier 2024 au plus tard.
Cet amendement, d'après ce que j'ai compris, correspond à la volonté du Gouvernement. La commission émet donc un avis favorable.
Le Gouvernement émet un avis de sagesse bienveillante. Nous avons tous évidemment envie que ces pôles se mettent en place au plus vite parce qu'ils sont susceptibles d'apporter de véritables améliorations.
Je le répète : l'idée m'a été présentée dans le cadre d'un rapport qui mérite toute notre admiration parce qu'il est complet, précédé d'un grand nombre d'auditions.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie simule à nouveau le geste du violoniste.
Je partage donc votre avis, madame la sénatrice Vogel : je souhaite moi aussi que les pôles soient mis en place le plus vite possible, même s'il faut d'abord recruter et former, ce qui prend un peu de temps. Je m'engage à ce que les textes soient présentés rapidement devant le Parlement et j'espère que nous obtiendrons une approbation massive, voire unanime, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.
L'amendement est adopté.
L'amendement n° 241, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 321
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Dans la continuité de la volonté de mieux coordonner et d'accélérer les démarches, des centres d'aide aux victimes de violences intrafamiliales seront expérimentés dans sept départements, dont deux d'outre-mer permettant à toute victime d'effectuer les premières démarches juridiques, médicales et administratives et garantissant, le cas échéant, une protection aux victimes, co-victimes et témoins. À ces fins, ces centres permettront de déposer plainte, de demander une ordonnance de protection et de réaliser un examen médical. Par ailleurs, le centre d'aide propose un accompagnement psychologique aux victimes et, le cas échéant, aux co-victimes et témoins. Si la victime demande une ordonnance de protection, elle se voit automatiquement proposer une place d'hébergement d'urgence.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Comme vous, monsieur le garde des sceaux, je me suis rendue en Espagne pour visiter une des juridictions spécialisées qui ont été mises en place afin de protéger les victimes de violences fondées sur le genre. Personnellement, je suis convaincue par cet outil, pour diverses raisons.
Un de leurs avantages est qu'elles comprennent des magistrats et des avocats qui sont formés aux violences de genre, ce qui permet de mieux traiter ces questions, de mieux comprendre quelles en sont les logiques et de mieux traiter et sanctionner les crimes.
Autre avantage, outre cette logique des pôles qu'on retrouve dans votre projet, c'est l'existence d'un vrai guichet unique, qui permet de regrouper au même endroit des magistrats, des avocats, mais aussi des travailleurs sociaux, des assistants sociaux et des psychologues. Cela permet d'éviter d'avoir à faire l'ensemble des démarches séparément : aller à la police, puis aller au tribunal, puis aller chez l'assistante sociale, puis tenter de trouver un logement, puis essayer de savoir si on a droit à une aide, etc. Là, tout se passe au même endroit, l'ensemble des professionnels se parlent, traitent à la fois des victimes directes et des enfants, dans un processus spécialisé qui permet que les enfants n'aient pas à éventuellement témoigner plusieurs fois devant le père violent.
C'est ce que je propose dans cet amendement : s'inspirer réellement du modèle espagnol au-delà des simples pôles, créer un véritable guichet unique qui rassemble l'ensemble des professionnels formés et qui permette que les victimes soient réellement mieux prises en charge.
Votre amendement, tel que j'en perçois le sens, présente, me semble-t-il, une ambition un peu plus réduite et – j'allais vous dire – satisfaite puisque nous avons en France les Maisons des femmes. Celle qu'a montée Ghada Hatem dans le 93 est à cet égard formidable ; elle a déjà commencé à essaimer et doit continuer à le faire. En effet, j'ai entendu la Première ministre le 8 mars dernier annoncer qu'il y en aurait une par département, où l'on pourra porter plainte directement, collecter les preuves et recevoir une assistance psychologique.
Elles ne relèvent pas du tribunal spécialisé tel que vous avez pu le voir en Espagne et tel que je l'ai vu moi-même à Madrid. Toutefois, je pense qu'il vous a aussi été expliqué dans la capitale espagnole que le tribunal en question était une réalité dans les grandes villes, mais, dès qu'il s'agissait de juridictions plus réduites, que le principe était celui des pôles spécialisés que nous proposons.
De fait, en France, 50 % des féminicides ont lieu en milieu rural, donc plutôt dans de petites juridictions, d'où notre choix d'aller vers les pôles spécialisés, ce qui n'empêchera pas à terme, pourquoi pas, d'aller vers une intégration de ces différentes entités. Pour l'instant, faisons avec les moyens du bord pour aller vite et agir tout de suite.
Nous demandons donc le retrait de l'amendement parce qu'il est satisfait par la proposition d'avoir une Maison des femmes dans chaque département. À défaut, l'avis sera défavorable.
Les unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped) sont des lieux qui regroupent médecins, psychologues et forces de sécurité intérieure pour entendre les enfants au travers de dispositifs extrêmement ingénieux et pour que les intéressés se sentent le moins mal possible. On en trouve un par département.
Dans cet esprit, vous avez rappelé, madame la rapporteure, les déclarations qui ont été faites au sujet des Maisons des femmes par Mme la Première ministre. Nous étions ensemble, d'ailleurs, à Bobigny. Ayant été reçus à la Maison présente dans cette ville, nous avons pu constater à quel point la structure était utile pour toutes les raisons que vous avez rappelées dans votre intervention, madame Vogel. J'ai moi-même signé au mois de mai dernier une convention nationale interministérielle à Bobigny, justement ; nous avons signé avec le réseau Maisons des femmes pour promouvoir ces structures pluridisciplinaires.
Aussi, je pense que votre amendement est satisfait et je vous invite, madame la sénatrice, à le retirer. À défaut, l'avis sera défavorable.
La proposition de Mélanie Vogel n'est pas contradictoire avec l'existence de ces Maisons des femmes ; je ne suis pas sûre qu'il s'agisse exactement de la même chose, ce que vous savez bien, madame la rapporteure.
Tout d'abord, les Maisons des femmes sont en cours de déploiement : on est loin d'en compter une par département. En outre, elles s'appuient le plus souvent sur des structures hospitalières, cependant que les centres d'aide aux victimes de violences intrafamiliales que Mélanie Vogel propose d'expérimenter ne seront pas systématiquement en lien avec des structures médicalisés.
Un petit détail sur lequel personne n'a rebondi est le fait que, dans ces centres, les femmes se verraient automatiquement proposer une place d'hébergement d'urgence. À ma connaissance, ce n'est pas encore une des fonctions qui ont été attribuées aux Maisons des femmes.
Pour bien connaître la première d'entre elles et parce que je suis quelque peu le développement de quelques-unes, je peux témoigner que ces Maisons ne seront pas toutes pareilles et duplicables à l'identique.
Avoir deux types de structures me paraît donc être plutôt une bonne chose parce qu'il y a des départements dans lesquels l'offre de soins ne permettra pas d'adosser une Maison des femmes telle qu'on les connaît.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 160, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 329
1° Deuxième phrase
Après le mot :
détention
insérer les mots :
ainsi que vers une juste rémunération et création du statut de détenu travailleur
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La réflexion de la rénovation du cadre normatif devra prendre en compte les nécessaires évolutions attendues en matière de conditions de travail, d'exercice des droits sociaux collectifs, ou du bénéfice de droits sociaux individuels comme ceux liés aux cotisations retraites et aux arrêts maladie.
La parole est à M. Guy Benarroche.
Le travail est l'un des moteurs de la réinsertion des détenus, mais l'exercice de cette activité en détention reste problématique malgré un certain nombre d'avancées récentes et au-delà des contraintes liées au milieu carcéral.
Sur la question de la rémunération, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe a récemment conclu à la non-conformité de la situation française avec le droit à une rémunération décente pour les personnes détenues, le paiement à la pièce, officiellement interdit, ayant toujours cours dans certains lieux.
Dans les ateliers de production, le minimum légal est de 45 % du Smic, mais lorsque l'activité de travail concerne le bon fonctionnement de la prison, comme le nettoyage ou la cuisine, il oscille entre 20 % et 33 % du Smic.
Les avancées sur les droits sociaux de la loi du 22 décembre 2021 ne sont que partielles et l'absence à la fois de modalité de saisie de l'inspection du travail et de possibilité de s'organiser collectivement fait des détenus des travailleurs à part.
J'ajouterai à cela que j'avais déjà eu l'occasion, monsieur le garde des sceaux, de vous parler de ce sujet. Le droit du travail ne doit pas s'arrêter aux portes des lieux de détention. Le travail constitue un facteur essentiel d'intégration sociale et l'un des combats que vous portez et revendiquez, d'ailleurs, au sein du Gouvernement. Nous vous demandons donc de mener ce combat pour tous, avec nous, y compris pour les détenus.
C'est un avis défavorable. Le contrat d'emploi pénitentiaire a été créé lors de l'adoption de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, c'est-à-dire relativement récemment. On n'a donc pas pu en mesurer totalement les effets.
Par conséquent, les évolutions que vous proposez sont peut-être à envisager, mais ultérieurement, lorsqu'un bilan de cette loi aura pu être dressé.
Au surplus, je vous indiquerai que le Sénat n'était pas spécialement favorable au contrat d'emploi et que les entreprises ne l'étaient pas toujours non plus. Laissons donc les choses se faire avant d'aller au-delà de cette première avancée.
Je suis d'autant plus défavorable à cet amendement, monsieur le sénateur, que le contrat d'emploi pénitentiaire qui a été voté il y a assez peu de temps, comme cela vient d'être rappelé, réforme considérablement, et en profondeur – je pèse mes mots –, le statut de détenu travailleur.
En premier lieu, les détenus bénéficient depuis lors d'un véritable contrat de travail de droit public, ce qui n'existait pas autrefois. Ils ne sont plus payés à la pièce : la pratique a totalement disparu. La France fixe des minimums de rémunération qui sont parmi les plus élevés : 5, 15 euros de l'heure contre 1, 50 euro en Allemagne, 1, 73 euro en Belgique et 2, 80 euros aux Pays-Bas.
Avec ce salaire, le détenu est tenu de rembourser ses victimes. Ce contrat d'emploi pénitentiaire est donc au moins triplement vertueux. D'abord, il y a sûrement à la clé un travail ou une formation, ce qui va dans le bon sens pour une réinsertion et pour l'absence de récidive. Ensuite, c'est intéressant pour les patrons : il y a un intérêt économique, mais également un engagement citoyen qui est fort. C'est enfin intéressant pour les victimes.
En second lieu, le détenu a un certain nombre de droits sociaux : assurance chômage, assurance vieillesse, ouverture de droits en matière d'accident de travail, etc. Tout cela n'existait pas autrefois. Il s'agit donc là d'améliorations.
Je pense que le travail est un des leviers qui permettent de lutter sérieusement contre la récidive.
Le sens de l'effort n'est pas un sens interdit, ni en prison ni ailleurs. Avec ce contrat d'emploi pénitentiaire, nous ferons venir de plus en plus de patrons dans les établissements pénitentiaires pour fournir du travail.
Pour vous donner des chiffres, dans les années 2000, 50 % des détenus travaillaient. Quand je suis arrivée à la Chancellerie, tel était le cas pour seulement 20 % d'entre eux, soit 30 points de moins. Aujourd'hui, plus de 30 % des détenus travaillent, alors même que la population carcérale a augmenté au cours des dernières années. Le nombre de détenus travaillant a donc nettement augmenté, ce qui me paraît aller dans le bon sens. En effet, quelqu'un qui travaille dispose d'un petit pécule et se forme. Par ailleurs, il est souvent embauché par l'entreprise qui l'employait en tant que détenu.
Il faut tout faire pour éviter les sorties sèches ; c'est le gage d'un moins grand nombre de récidives. Sans doute pouvons-nous tous être d'accord sur ce point.
Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : nous sommes bien entendu favorables au contrat que vous avez mis en place. Nous l'avons d'ailleurs défendu dans cette assemblée, Mme la rapporteure l'a rappelé tout à l'heure, alors même que la majorité du Sénat n'y était pas très favorable.
Nous approuvons et soutenons ce qui a été fait dans ce domaine, et continuerons à le faire. Par cet amendement, il s'agit simplement de prévoir un certain nombre d'aménagements supplémentaires visant à améliorer ce contrat. Nous partageons totalement ce que vous venez dire s'agissant de la réinsertion par le travail.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 242, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 360
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
– adaptation de la possibilité de déposer plainte, y compris une pré-plainte en ligne, aux Français établis hors de France.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Cet amendement vise à garantir le dépôt des pré-plaintes en ligne depuis l'étranger, notamment pour les Françaises vivant à l'étranger.
On compte environ 3 millions de ressortissantes et de ressortissants français à l'étranger, donc environ 1, 5 million de femmes. Or les conditions de vie des Françaises de l'étranger créent une concentration de tous les risques susceptibles d'engendrer des violences conjugales : isolement, dépendance financière et matérielle, dans la mesure où un certain nombre d'entre elles partent pour accompagner leur conjoint qui poursuit sa carrière professionnelle à l'étranger.
Les femmes victimes de violences se retrouvent ainsi dans un pays dont elles ne maîtrisent pas la langue, parfois sans ressources financières, parfois avec des enfants. Elles sont le plus souvent confrontées à un système juridique qu'elles ne maîtrisent pas.
En outre, certaines d'entre elles vivent dans des pays où le traitement pénal des violences conjugales est moins bon qu'en France, voire inexistant.
Parfois, elles ne peuvent pas porter plainte. Quand elles peuvent le faire, elles souhaitent également déposer leur plainte auprès des juridictions françaises, parce qu'elles sont françaises et que l'auteur des crimes est également français. Il s'agit de faire en sorte que l'auteur soit condamné, que ces violences soient recensées et qu'elles puissent bénéficier de l'assistance sociale octroyée par les autorités consulaires.
Il est extrêmement difficile de porter plainte quand on est à l'étranger. J'en ai fait moi-même l'expérience récemment, après avoir été contactée par des compatriotes qui se trouvaient dans une telle situation.
Cet amendement a donc pour objet de garantir aux Français qui se trouvent à l'étranger la faculté de porter plainte en ligne.
Bien évidemment, nous comprenons tout à fait l'intérêt qu'il y a, pour des Français résidant à l'étranger, à porter plainte.
Toutefois, nous n'avons pas bien compris la finalité de cet amendement, ma chère collègue. En effet, a priori, les plaintes en provenance de l'étranger relèvent du tribunal judiciaire de Paris et se font par écrit.
Or la pré-plainte permet d'obtenir un rendez-vous, afin de ne pas attendre dans le commissariat. Je ne comprends donc pas bien la difficulté rencontrée ni la finalité de cette adaptation que vous demandez.
Telle est la raison pour laquelle nous demandons le retrait de cet amendement. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
Je me tourne, sur cette question, vers M. le garde des sceaux, ne voyant pas où se trouve la difficulté.
À vrai dire, je ne comprends pas non plus la plus-value d'une pré-plainte déposée en ligne depuis l'étranger.
Par ailleurs, la loi du 25 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur permet à toute victime d'une infraction pénale de déposer plainte. Les dispositions seront précisées dans le cadre d'un décret, qui sera pris très prochainement.
Je vous demande donc, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer cet amendement.
Permettez-moi de vous expliquer à quoi sert le dispositif qui est proposé.
Il s'agit d'aider les Françaises vivant à l'étranger à porter plainte. J'ai récemment été confrontée au cas d'une ressortissante qui, après avoir manqué de se faire tuer par son conjoint, a voulu porter plainte en France.
Comment procède-t-on ? On va sur internet, on tape « violences conjugales », puis « porter plainte en France ».
Mme Mélanie Vogel prend son portable et fait la recherche.
Or la première chose qu'on vous demande est votre code postal. Quand on est à l'étranger, la démarche s'arrête là. Je demande donc simplement que le cas des Françaises se trouvant à l'étranger soit prévu, afin qu'elles puissent accéder à ce service.
Une telle disposition n'est sans doute pas d'ordre législatif, je l'entends. Je veux bien retirer l'amendement, si M. le garde des sceaux m'assure qu'on pourra, de l'étranger, accéder aux services proposés par internet, et notamment à la messagerie instantanée avec la police ou la gendarmerie.
Il n'est naturellement pas question de laisser des victimes se trouvant à l'étranger sans réponse, si tel est le sens de votre amendement.
Le ministère de l'intérieur prépare des décrets, notamment sur la question de la plainte par télécommunication audiovisuelle.
À ma connaissance, les Français se trouvant à l'étranger ne sont pas exclus de ce dispositif. Cela étant dit, cela mérite vérification, dans la mesure où vous posez une vraie question.
Je m'engage donc à me rapprocher du ministère de l'intérieur et de vous faire parvenir une réponse très rapide sur cette question. Il n'est pas question de laisser des victimes sur le côté.
D'ailleurs, vous l'avez constaté, la question indispensable du déplacement des victimes à l'étranger est traitée dans le cadre de ce texte.
Rassurez-vous, nous nous mettons en lien avec le ministère de l'intérieur et nous vous donnons très rapidement une réponse, au cours des débats, puisque nous nous apprêtons à passer une partie de la semaine ensemble, pour examiner ce texte.
L'amendement n° 242 est retiré.
L'amendement n° 139, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 367
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le Gouvernement s'engage en outre à poursuivre la revalorisation de l'aide juridictionnelle et, dans le contexte de la création de la contribution pour la justice économique, à ouvrir cette aide aux personnes morales.
La parole est à M. Guy Benarroche.
Le rapport annexé comporte une partie relative à la transformation de l'aide juridictionnelle, afin que celle-ci devienne plus accessible.
En revanche, la revalorisation de cette aide n'est pas traitée. Aujourd'hui, la prise en charge totale des frais de justice s'applique à un revenu fiscal annuel inférieur à 11 200 euros, soit 938, 50 euros par mois. Nombreux sont ceux qui ont un revenu légèrement supérieur, bien que très inférieur au seuil acceptable. Bien qu'ils aient besoin d'une aide juridictionnelle, ils n'en bénéficient pas aujourd'hui.
Le manque de moyens aboutit, vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux, à dissuader un certain nombre de personnes à s'engager dans une procédure, alors qu'ils le souhaiteraient.
En 2020, le rapport de la mission Perben relative à l'avenir de la profession d'avocat soulignait que le budget de l'aide juridictionnelle français se situait dans la moyenne basse de l'Union européenne et devait être rehaussé.
Même si nous saluons la progression de 4, 2 % des crédits budgétaires consacrés à l'aide juridictionnelle dans la loi de finances pour 2023, il faut encore aller de l'avant concernant sa revalorisation.
Par ailleurs, nous devons donner les moyens à nos concitoyens d'être égaux. Ainsi, l'aide juridictionnelle doit être ouverte aux personnes morales les plus fragiles économiquement, afin de ne pas entraver l'accès à la justice des petites et moyennes entreprises, auxquelles nous devons donner les moyens de se défendre, alors qu'elles sont naissantes ou en situation difficile.
Nous pensons qu'il s'agit là d'un sujet important. La présentation qui en a été faite au travers de cet amendement est relativement large.
Concernant la revalorisation de l'aide juridictionnelle, vous vous êtes engagé, monsieur le garde des sceaux, concernant les modes alternatifs de règlement des différends (Mard). Nous la demandons pour les violences intrafamiliales (VIF) et dans le cadre des tribunaux de commerce, comme l'ont préconisé le rapport Perben et les États généraux de la justice.
Certes, de telles dispositions relèvent de la loi de finances. Toutefois, il convient d'y réfléchir, et votre réponse nous permettra de progresser sur cette question. Telle est la raison pour laquelle la commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
Permettez-moi de vous rappeler ce que nous avons fait en matière d'aide juridictionnelle.
S'agissant des dépenses, nous sommes passés de 342, 4 millions d'euros en 2017 à 629, 8 millions d'euros en 2022, ce qui représente une augmentation de plus de 80 %. C'est énorme !
Une telle augmentation est notamment due à la hausse du montant de l'unité de valeur, qui a dépassé en 2022, pour la première fois, son niveau d'origine en valeur réelle, c'est-à-dire corrigée de l'inflation.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 140, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 369
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les demandes et suivis concernant le traitement de l'aide juridictionnelle par envoi postal ou auprès d'un guichet seront toutefois maintenus ;
La parole est à M. Guy Benarroche.
Cet amendement concerne le traitement – et non pas la revalorisation – de l'aide juridictionnelle.
La dématérialisation et l'objectif du zéro papier font l'objet, dans le rapport annexé, d'une partie importante.
Il s'agirait, et je le comprends très bien, de rapprocher les citoyens de leur justice. Je ne le nie pas, pour un certain nombre d'entre eux, tel sera le cas. La dématérialisation a des effets positifs, qui sont indéniables : praticité, centralisation de l'information, gain de coût et de temps. Simplement, elle a un certain nombre de limites, liées à l'illectronisme, qui touche tout de même 13 % de la population, ce qui n'est pas rien.
Le procédé de dématérialisation de l'aide juridictionnelle risque d'avoir comme conséquence d'exclure les individus les plus vulnérables, qui sont les plus touchés par l'illettrisme numérique et qui sont pourtant les plus concernés par l'aide juridictionnelle. Je pense aux personnes porteuses de handicap, aux personnes âgées, aux migrants, aux personnes éloignées et aux personnes en grande précarité.
Ainsi, pour les personnes susceptibles de demander l'aide juridictionnelle, la dématérialisation constitue un réel danger, parce qu'elle ne garantira plus leur accès au droit. Au contraire, elle amplifiera l'exclusion de ces populations, qui sont déjà en marge.
Le Défenseure des droits, dans son rapport de février 2022, intitulé Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, pointait du doigt la détérioration de la qualité des services et, surtout, l'inégalité d'accès entre les usagers face aux procédures dématérialisées.
La commission est défavorable à cet amendement. Nous avons déjà débattu du numérique, et le rapport annexé ne prévoit qu'une possibilité supplémentaire. Il ne s'agit en aucun cas de supprimer quoi que ce soit ! Il n'est pas opportun de prévoir que ce qui n'est pas supprimé existe encore.
Monsieur le sénateur Guy Benarroche, bien entendu, des personnels resteront chargés d'accueillir les justiciables, dans les points-justice ou les services d'accueil unique du justiciable (Sauj).
Personne n'est rejeté, chacun est accueilli comme il se doit, et c'est bien le moins, lorsqu'il n'a pas accès au numérique ou lorsqu'il ne possède pas de téléphone portable. Aucune juridiction ne demande aux personnes précaires de sortir, sans lui donner le renseignement qu'il sollicite ! Cela n'existe pas !
Le numérique permet tout de même d'aller beaucoup plus vite. On a maintenant des réponses en quelques heures, alors qu'il fallait parfois compter des mois autrefois. Et 90 % des juridictions peuvent répondre par voie dématérialisée.
J'ai souhaité qu'on mette la justice – mais pas toute la justice, je vais vous dire pourquoi – à portée de doigt, de façon à ce qu'elle soit plus proche de nos concitoyens. Sur justice.fr, dont je vous suggère de nouveau de télécharger l'application, monsieur le sénateur, vous pouvez savoir immédiatement si vous êtes admissible au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Vous me répondrez que tout le monde n'a pas de portable ! Certes, mais si vous souhaitez renseigner quelqu'un qui est dans la précarité, vous pouvez le faire, même dans la rue.
Il existe également d'autres applications, dont je fais ici, et je m'en excuse, la publicité. Ces dernières ont d'ores et déjà été téléchargées des milliers de fois. Fort heureusement, les décisions de justice ne sont pas encore rendues par portable ! On n'enlèvera jamais l'humain. C'est votre préoccupation, mais aussi la mienne.
Sur la question de l'aide juridictionnelle, on ne peut pas dire que le numérique n'a pas fait considérablement avancer les choses ; il les a rendues plus simples. Pour autant, de nombreux personnels sont à la disposition des plus précaires pour les renseigner et les guider.
Je l'ai dit tout à l'heure, mais je le redis : les futurs magistrats, qui vont dans les points-justice, sont au contact des plus précaires pour leur donner les premières informations dont ils ont besoin.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
Monsieur le garde des sceaux, je partage ce que vous venez de dire sur la numérisation et les applications et n'ai jamais dit le contraire. Les gens comme nous – quoique cela puisse s'avérer compliqué pour moi, et pas seulement ! – avons les outils et la capacité de recourir au numérique. Nous sommes également entourés de personnes aidantes, si nous sommes un peu trop âgés pour maîtriser totalement ces techniques.
Mais c'est parmi les personnes qui sont naturellement demandeurs de l'aide juridictionnelle que l'on compte également en plus grand nombre celles qui souffrent d'illectronisme, lesquelles représentent déjà 13 % de la population.
Madame la rapporteure et vous-même êtes très optimistes en pensant que ces personnes trouveront des endroits pour les aider à moins de cinquante kilomètres de chez eux.
Il n'est pas évident pour tout un chacun de parcourir cinquante kilomètres, mais c'est un autre sujet…
Pour ma part, j'ai été confronté, pour un certain nombre de personnes que j'ai dû aider, à des problèmes liés à la dématérialisation d'un certain nombre d'administrations. Je peux vous garantir qu'ils n'ont pas trouvé des guichets ouverts avec des personnes pour leur répondre !
Comme ils n'ont pas non plus la possibilité d'utiliser une ligne téléphonique ou d'envoyer un courrier à une adresse précise pour effectuer des formalités, dans un certain nombre de cas, les situations ne seraient pas réglées sans la bonne volonté soit du personnel administratif soit d'associations de bénévoles.
Il ne me paraîtrait donc pas absurde de préciser, dans le rapport, que l'on continue à développer la possibilité d'avoir des contacts humains, y compris téléphoniques.
Il est bien sûr essentiel que tous les justiciables aient accès à la justice. Nous le devons à tous, du plus puissant jusqu'au plus modeste.
Vous l'avez oublié, il existe des points-justice forains, qui se déplacent, ainsi que des audiences foraines, que j'ai recréées, pour celles qui avaient disparu.
Vous évoquiez en effet tout à l'heure les difficultés de mobilité de certains justiciables. Je l'entends. Or la justice se déplace, notamment vers les plus démunis. C'est une réalité.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 109, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Harribey et MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte et Marie, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 376
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Enfin, le ministère examinera d'une part la possibilité de revaloriser l'indemnité d'aide juridictionnelle pour les avocats et les commissaires de justice concernant les actes relatifs à l'ordonnance de protection prévue par l'article 515-9 du code de procédure civile.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Cet amendement et celui qui suit, même s'ils ne portent pas sur le même sujet, sont inspirés des préconisations de votre rapport, madame la rapporteure.
Je suis beaucoup plus opportuniste que vous lorsqu'il s'agit de présenter un amendement ! En effet, les véhicules législatifs ne sont pas si fréquents. Certains, comme celui-ci, sont des TGV, tandis que d'autres s'arrêtent longuement en gare, à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Lorsqu'un train semble performant, je monte dedans avec mes amendements. Je vous suggère de faire de même, c'est la meilleure chose qui puisse arriver à vos recommandations !
J'imagine par ailleurs que celles-ci ne déplaisent pas à M. le garde des sceaux, si j'en crois tout le bien qu'il a dit de votre rapport. Pour ma part, j'ai cru comprendre qu'il adhérait à vos recommandations.
L'amendement n° 109 vise simplement à revaloriser l'indemnité d'aide juridictionnelle pour les avocats et les commissaires de justice concernant les actes relatifs aux ordonnances de protection, toujours plus nombreux. Vous l'avez constaté, certains avocats sont spécialisés dans la défense des femmes victimes de violences. Ils agissent presque pro bono !
Par cet amendement, nous prévoyons donc que le ministre examine la possibilité de revaloriser l'indemnité d'aide juridictionnelle pour ces avocats.
Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai également l'amendement n° 110.
J'appelle donc en discussion l'amendement n° 110, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :
Après l'alinéa 382
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Une fonctionnalité visant à permettre aux victimes d'être informées en temps réel de l'avancée de leur procédure sera également mise en place.
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Cet amendement, qui reprend également une recommandation du rapport de Mme Vérien, vise à prévoir une fonctionnalité permettant aux victimes d'être informées en temps réel de l'avancée de leur procédure. Mme la rapporteure devrait défendre cet amendement mieux que moi…
La commission est défavorable à ces deux amendements. Par principe, je n'inclus pas un rapport dans un autre rapport !
L'amendement n° 109 relève de la loi de finances, et il faudra bien évidemment mener ce combat dans ce cadre. Introduire une telle mesure dans ce rapport annexé n'aurait aucun effet ! Je reste attentive à cette question. Pour autant, nous avons refusé d'insérer les dispositions du rapport « plan rouge VIF » dans le rapport annexé.
Madame la sénatrice, vous montez dans le train qui se présente. Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable, sans vouloir paraphraser l'immense Romain Gary.
Ce n'est pas osé ! C'est simplement un aimable clin d'œil…
Dans le cas d'une ordonnance de protection, l'aide juridictionnelle est garantie si l'avocat est commis d'office. Sa rétribution est fixée à seize unités de valeur.
Ce n'est peut-être pas assez, mais, pour le moment, nous sommes défavorables à l'amendement n° 109.
Je suis favorable à 90 % des positions de Mme la rapporteure. Mais laissez-moi une petite marge de liberté !
S'agissant de l'amendement n° 110, j'en demande le retrait, dans la mesure où nous sommes en train de travailler sur cette question, qui est une excellente idée.
Mme Laurence Rossignol. Je retire l'amendement n° 110, car je fais confiance au garde des sceaux. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'étonne. –
Ah ! sur des travées des groupes Les Républicains et UC.
La confiance est à géométrie variable !
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire, Gold et Guiol, Mme Pantel et MM. Roux et Guérini, est ainsi libellé :
Alinéa 383
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ces améliorations s'accompagneront de mesures visant à pallier les risques d'exclusion numérique.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
Le rapport annexé à ce projet de loi nous informe de la mise en place d'une application mobile à destination du citoyen et d'un site internet rénové. C'est une bonne chose pour permettre le développement du service public de la justice et faciliter son accès. Personne ne s'y oppose, même si nous ne sommes pas certains qu'il s'agisse d'une priorité pour nos juridictions et les justiciables.
Surtout, ces mesures ne doivent pas participer de la fracture numérique qui s'institue depuis plusieurs années. Le groupe du RDSE alerte sur ce risque régulièrement. Je pense en particulier au rapport qu'avait rendu notre collègue Raymond Vall.
Il avait très bien souligné que, parallèlement à l'exclusion numérique diffuse que constitue l'illectronisme, il existe des exclusions numériques propres à certains publics tels que les personnes en situation de handicap, mais aussi les personnes sans abri, les personnes privées de liberté, ou encore les migrants.
L'objet de cet amendement est donc d'indiquer que les innovations numériques liées au service public de la justice devront être accompagnées par des dispositifs luttant contre l'illectronisme.
Comme sur les amendements déposés par M. Benarroche sur ce sujet, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Nous n'allons pas reprocher au ministère de la justice de s'engager enfin dans la voie informatique ! En outre, nous le savons, le nombre de points-justice est en train de se développer. Je ne crois donc pas que l'accompagnement des personnes soit oublié.
C'est une question absolument essentielle que vous soulevez, monsieur Requier. Elle a d'ailleurs quelques points communs avec la question posée par votre collègue, M. Benarroche : comment les personnes qui, pour de multiples raisons, n'ont pas accès aux technologies nouvelles peuvent-elles bénéficier d'une aide en matière judiciaire ou autre ?
Je ferai donc ici la même réponse que précédemment. Notre pays compte 2 080 points-justice, dont 148 maisons de la justice et du droit ainsi que 264 services d'accueil unique du justiciable. Plus de 900 000 personnes ont été reçues en 2022 au sein des 743 042 permanences qui sont assurées au sein du réseau d'accès « droit et justice ».
Vous comprendrez donc, monsieur le président Requier, que le ministère de la justice s'intéresse à ceux de nos compatriotes qui n'ont pas accès aux nouveaux dispositifs numériques. Oui, c'est un sujet essentiel et nous sommes très vigilants sur ces questions.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 243, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 385
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
De plus, la déconjugalisation des allocations familiales pour les personnes victimes de violences conjugales sera expérimentée dans huit départements, dont deux d'outre-mer, pour une durée de cinq ans.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Cet amendement vise à expérimenter la déconjugalisation des aides familiales pour les victimes de violences conjugales.
À titre personnel, je suis favorable à la déconjugalisation, qu'il s'agisse des impôts, des allocations familiales ou des aides sociales en général. Mais ici, le périmètre est beaucoup plus restreint puisqu'il s'agit simplement d'une expérimentation sur les victimes de violences conjugales.
On le sait, la peur de ne pas pouvoir être indépendante financièrement est une cause importante d'absence de départ du domicile lorsque l'on se sent en danger. En raison de la manière dont sont calculées les allocations, faute d'avoir officiellement accompli un certain nombre de démarches, certaines femmes n'ont aucune garantie de pouvoir continuer à percevoir les allocations familiales dont elles bénéficient.
Je propose donc d'expérimenter ce que donnerait en matière de mise en sécurité des victimes de violences conjugales une déconjugalisation des allocations familiales dans huit départements, donc deux d'outre-mer.
Avis défavorable, car on ne mesure pas du tout aujourd'hui la faisabilité d'une telle expérimentation.
Cela étant, nous avons récemment voté une proposition de loi déposée par Valérie Létard afin de mieux accompagner les femmes victimes de violences conjugales, notamment en développant davantage le soutien qui leur est apporté par les caisses d'allocations familiales. C'est une piste à creuser, mais en l'état je ne pense pas que nous soyons prêts à nous engager sur cette voie.
Tout à fait, il s'agit d'une mesure intéressante, qu'il convient d'étudier.
Certes, cela se travaille, mais pour l'instant nous ne sommes pas prêts.
Je vous rappelle, par ailleurs, qu'une telle prescription ne peut pas relever de la seule loi organique compte tenu des autres politiques publiques en jeu.
De plus, le Pack nouveau départ, en cours d'expérimentation, permet aussi de régler dans l'urgence un certain nombre de difficultés, notamment financières.
Oui, cette idée est extrêmement intéressante, mais en l'état je demande le retrait de cet amendement.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 244, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 386, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Toute femme victime de violences conjugales qui en fait la demande se verra proposer une place d'hébergement ou de logement temporaire.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Cet amendement, comme l'amendement précédent, concerne les victimes de violences conjugales. Il s'agit d'établir que « toutes femme victime de violences conjugales qui en fait la demande se verra proposer une place d'hébergement ou de logement temporaire ».
Nous avons évoqué l'Espagne tout à l'heure. S'il y a dans ce pays trois fois moins de féminicides qu'en France, c'est bien sûr parce que le pays s'est doté de juridictions spécialisées, mais c'est aussi parce que l'Espagne s'est donné les moyens de mettre sur pied un système d'offre de logements très performant en faveur des femmes victimes de violences. Les statistiques le montrent, les féminicides interviennent très souvent dans les jours qui suivent le signalement. L'accès rapide à une offre d'hébergement permet donc d'éviter le passage à l'acte et de faire chuter drastiquement le nombre de morts.
Si l'Espagne arrive à proposer aux victimes de violences conjugales des logements dont le conjoint ne peut avoir l'adresse, nous devrions pouvoir y arriver également. Ces places sauvent des vies. Je sais que des places additionnelles étaient prévues pour 2022. Combien en avons-nous créé exactement, il serait intéressant de le savoir ? Quoi qu'il en soit, au-delà de tous les outils proposés, voilà une mesure absolument essentielle, qui pourrait éviter un certain nombre de décès.
Cette mesure semble utile, mais la commission a émis un avis défavorable pour ne pas noyer le rapport.
Objectivement, de nombreuses mesures sont mises en œuvre aujourd'hui, y compris d'ailleurs en ruralité. Plusieurs villages de l'Yonne ont mis à disposition des logements, gérés par l'association France Victimes, pour accueillir des familles ou des femmes seules. Il est vrai que le secret de l'adresse est plus compliqué à préserver, mais l'idée est surtout que la femme et les enfants puissent demeurer à leur domicile et d'éloigner le conjoint violent, à charge pour lui de payer un nouveau loyer : après tout, il n'avait qu'à mesurer la portée de ses actes !
Effectivement, l'ordonnance de protection permet d'attribuer le domicile conjugal à la victime. Par ailleurs, cet amendement a un certain nombre d'implications qui mettent en cause d'autres politiques publiques. Nous examinons là un texte qui concerne la justice.
Vous avez évoqué l'Espagne, qui est toujours citée comme une référence. Cependant, madame la sénatrice, vous m'accorderez que l'Espagne a pris la mesure de ces phénomènes insupportables bien avant nous puisque les premiers textes fondateurs ont été votés en 2004. Pendant un certain temps, le nombre des crimes est resté stable, puis le pays a enregistré une décroissance des féminicides. Aujourd'hui, l'Espagne est de nouveau bloquée sur un plateau.
En France, les premières grandes mesures mises en place sont plus récentes, qu'il s'agisse du Grenelle contre les violences conjugales, des bracelets anti-rapprochement (BAR) ou des téléphones grave danger. Tout cela est développé aujourd'hui massivement. Je pense aussi aux ordonnances d'éloignement, ainsi qu'à l'hébergement des victimes ou des auteurs de violences. Ces mesures ont été prises de manière très consensuelle : nous ne travaillons pas les uns contre les autres, car il s'agit de sujets tout à fait transpartisans.
Quoi qu'il en soit, je me méfie des comparaisons. Les Espagnols ont commencé à lutter bien avant nous contre les violences intrafamiliales. Pour autant, à l'heure actuelle, nous faisons bien mieux qu'eux en termes de bracelets anti- rapprochement. Ils sont mis à la disposition de toutes les juridictions, comme d'ailleurs les téléphones grave danger, qui permettent d'éviter beaucoup d'infractions, car les forces de sécurité intérieure interviennent de plus en plus fréquemment.
Nous allons d'ailleurs prochainement mettre en place un bracelet anti-rapprochement de nouvelle génération, que j'appelle 5G, beaucoup plus opérationnel. Nous étions déjà passés d'un bracelet anti-rapprochement à un autre, car le premier système ne fonctionnait pas bien. J'étais intervenu auprès des opérateurs : quitte à proposer un bracelet, autant qu'il fonctionne, bien évidemment !
En tout état de cause, nous franchissons peu à peu des étapes qui nous permettent de progresser. L'Espagne a pris effectivement conscience du problème bien avant nous et s'en est saisie à bras-le-corps, avec des résultats qui ne sont pas comparables aux nôtres en termes d'investissement. Mais aujourd'hui, nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons réalisé ensemble – il faut s'en féliciter –, car il s'agit de sujets sur lesquels nous nous retrouvons.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 245, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 386, après la deuxième phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Le stock des bracelets anti-rapprochement sera considérablement augmenté pour garantir que ce dispositif pourra être utilisé à chaque fois que les circonstances l'exigent.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Cet amendement, monsieur le ministre, fait écho à vos propos sur les bracelets anti-rapprochement puisqu'il vise à garantir la disponibilité en quantité suffisante de bracelets anti-rapprochement.
Au lendemain d'un féminicide à Mérignac par un homme qui ne portait pas de bracelet, la presse avait révélé l'inégale répartition des bracelets anti-rapprochement entre les juridictions. Le nombre de bracelets est-il suffisant sur tout le territoire ? Sont-ils inégalement répartis ? Quoi qu'il en soit, certaines personnes qui doivent en porter n'en ont pas.
Cet amendement vise donc à augmenter les stocks de bracelets anti-rapprochement. Si nous n'en avons pas besoin et que les difficultés rencontrées sont d'une autre nature, je serai attentive à vos éclaircissements. Il semble néanmoins y avoir un problème, ce qui s'accompagne de conséquences dramatiques.
Si certaines personnes ne portent pas de bracelet, ce peut être par manque de prescription en ce sens. Il peut donc s'agir d'une erreur initiale du juge, qui n'a pas pensé à la sortie de prison.
En outre, le port d'un bracelet anti-rapprochement peut ne pas être prononcé par des magistrats, car il existe des dysfonctionnements. Nous espérons que cette difficulté sera surmontée grâce à l'arrivée des bracelets de nouvelle génération.
À Paris, par exemple, on n'ordonne quasiment pas le port de bracelets anti-rapprochement, je crois qu'il n'y en a que deux en circulation, et ce pour une raison toute simple : si le porteur du bracelet passe en métro sous l'endroit où se trouve la victime, le dispositif se déclenche de manière intempestive.
À la campagne, le problème était tout autre. À Sens, par exemple, commune que je connais bien, il y a la ville centre et la campagne autour : on peut donc utiliser des bracelets anti-rapprochement puisque les anciens conjoints ne vivent pas au même endroit. En revanche, ils travaillent au même endroit. Nous sommes là aussi confrontés à des déclenchements inopinés en raison de possibles rapprochements.
Il faut donc encore parfaire le dispositif. J'espérais que les Espagnols m'expliqueraient comment ils étaient parvenus à affiner cet outil, mais en réalité ils n'ont pas totalement réussi à le faire. Nous attendons beaucoup des bracelets nouvelle génération pour définir des périmètres plus étroits et éviter ainsi les déclenchements intempestifs, comme à Paris, l'idée étant de pouvoir recourir plus largement au port d'un bracelet anti-rapprochement.
A priori, madame la sénatrice, nous ne manquons pas de bracelets. Lors du dernier projet de loi de finances, nous avons pris des mesures pour augmenter le stock. Objectivement, ce dernier est suffisant. Nous avons également voté des mesures pour parfaire techniquement le système. J'espère que le nouveau système fonctionnera de manière plus efficace.
En l'état, j'émets un avis défavorable.
Dans les juridictions, tout le monde connaît le BAR et le téléphone grave danger. À la suite d'une affaire absolument dramatique, j'avais rédigé une circulaire, qualifiée par certains de comminatoire, dans laquelle je précisais que les BAR n'avaient pas vocation à rester dans les tiroirs. Je le redis aujourd'hui : le bracelet anti-rapprochement n'a pas vocation à rester dans les tiroirs !
Je veux également vous rassurer pleinement, madame la sénatrice. En France, nous n'avons développé les bracelets anti-rapprochement qu'à partir du 24 septembre 2020, alors que, comme je vous l'ai indiqué il y a quelques instants, la première législation en Espagne date de 2004. Certes, nous avions fait d'autres choses avant, bien sûr, mais, quoi qu'il en soit, 1 020 dispositifs sont aujourd'hui actifs. Nous n'avons, je vous le garantis de la manière la plus forte, aucune difficulté quant au stock disponible. Le volume total de matériel ne cesse d'augmenter ; il sera porté en 2024 à 2 500 équipements. S'il en fallait davantage, nous en mettrions d'autres à disposition des juridictions.
Par ailleurs, les BAR de dernière génération bénéficieront d'une meilleure connectivité et d'une meilleure autonomie, avec des batteries plus ergonomiques. Ces unités mobiles s'apparenteront à des smartphones.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 111, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 386
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
De plus, le ministère entend examiner la possibilité de prévoir l'indemnisation de l'avocat assistant une victime de violences intrafamiliales dans le cadre de l'enquête, et ce dès le dépôt de plainte.
La parole est à Mme Laurence Harribey.
Dans la droite ligne de l'amendement que nous avons présenté tout à l'heure, cet amendement est fortement inspiré du rapport « plan rouge VIF », qui recommande l'indemnisation de l'avocat assistant une victime de violences intrafamiliales dans le cadre de l'enquête, et ce dès le dépôt de plainte. Il s'agit de la recommandation 22 de ce rapport.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 246, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 387
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le numéro national d'écoute des victimes de violences 39 19 est un dispositif essentiel qui constitue souvent un premier point de contact qui permet la libération de la parole, informe la victime de ces droits et, le cas échéant, l'oriente vers les acteurs proposant un accompagnement spécifique de la victime. Son opération ne peut faire l'objet d'un appel d'offres de marché public.
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Tout le monde s'en souvient, lorsqu'un appel d'offres avait été publié il y a deux ans pour le numéro d'urgence 39 19, une grande inquiétude avait saisi l'ensemble des associations féministes, y compris celles qui s'occupent aujourd'hui de l'organisation du centre d'appels. Cette opération avait finalement été arrêtée et le 39 19 n'avait pas été soumis à un appel d'offres.
Pour autant, les associations craignent qu'un jour ou l'autre l'idée ne soit relancée. Il s'agit donc de préciser clairement que l'opération du numéro 39 19 ne peut faire l'objet d'un appel d'offres de marché public. Il importe à la fois de garantir et de pérenniser le service fourni aujourd'hui aux victimes.
Pour continuer sur ma petite obsession des Françaises de l'étranger, j'ai une petite requête à vous adresser, monsieur le garde des sceaux. Le 39 19 est un numéro gratuit que l'on ne peut pas appeler de l'étranger. Il serait techniquement assez simple de mettre en place un numéro public, gratuit de l'étranger. Seriez-vous disposé à le faire ?
Certains services de l'État affirmaient qu'il fallait passer par un marché public pour renouveler la ligne 39 19. Ils n'avaient pas pris conscience que le 39 19 appartenait à l'association qui gérait ce numéro. Il était donc tout à fait possible de s'écarter de l'appel d'offres de marché public par lequel ils voulaient faire passer le renouvellement de la ligne. Cette décision fait à présent jurisprudence. J'émets donc un avis défavorable.
Même avis, pour les mêmes raisons. Quant à la ligne permettant à une victime d'appeler depuis l'étranger, cela fait partie des points que nous étudions.
L'article 1 er est adopté.
L'amendement n° 32, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi qui comporte l'état d'avancement de la programmation immobilière, pénitentiaire et judiciaire.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
J'appelle donc en discussion les trois amendements suivants.
L'amendement n° 33, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi qui comporte l'état d'avancement du plan de transformation numérique du ministère de la justice pour les années 2023-2027.
L'amendement n° 34, présenté par Mmes de La Gontrie, Harribey et Rossignol, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi et du plan d'action qui l'accompagne s'agissant du renforcement et de la modernisation de l'accès au droit, le traitement de l'aide juridictionnelle et l'attention renforcée aux droits des victimes, notamment de violences intrafamiliales et sur mineurs.
L'amendement n° 57, présenté par Mmes de La Gontrie, Harribey et Rossignol, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'état d'avancement de l'installation des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales. Ce rapport précise en particulier les effets relatifs à la création des pôles spécialisés sur le traitement judiciaire de ces violences, la prise en charge de leur auteur et l'accompagnement des victimes.
Les possibilités de l'évolution des pôles spécialisés vers la création d'une juridiction spécialisée en charge des violences sexuelles, intrafamiliales et conjugales, compétente pour juger les faits de viol, d'inceste et d'agressions sexuelles, d'outrage sexiste, de harcèlement, de recours à la prostitution, des violences physiques, sexuelles et morales commises au sein du couple ou sur un enfant de la cellule familiale sont également analysées.
Veuillez poursuivre, chère collègue.
L'amendement n° 32 vise à demander chaque année au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement sur l'exécution de la présente loi qui comporte l'état d'avancement de la programmation immobilière, pénitentiaire et judiciaire.
L'amendement n° 33 vise à demander un rapport sur l'état d'avancement du plan de transformation numérique, développé dans le rapport annexé.
L'amendement n° 34 vise à demander un rapport sur le traitement de l'aide juridictionnelle et le droit des victimes, notamment de violences intrafamiliales et sur mineurs.
Quant à l'amendement n° 57, il vise à demander un rapport sur l'état d'avancement de l'installation des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales.
Vous savez quel est le sort, au Sénat, des demandes de rapport, sachant qu'il s'agit de sujets que nous examinons au moment de l'examen du projet de loi de finances. Sous seront évidemment attentifs à ces évolutions à ce moment-là. Avis défavorable.
Bien que l'on sente à quel point vous y croyez, je ne vous décevrai pas trop, madame la sénatrice, en vous disant que je suis quadruplement défavorable à ces amendements.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
TITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES À LA SIMPLIFICATION ET À LA MODERNISATION DE LA PROCÉDURE PÉNALE
Chapitre Ier
Habilitation relative à la réécriture du code de procédure pénale
Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder par voie d'ordonnance à la réécriture de la partie législative du code de procédure pénale afin d'en clarifier la rédaction et le plan, ainsi qu'à la modification de toute autre disposition de nature législative nécessitée par cette réécriture.
Cette nouvelle codification porte sur les dispositions en vigueur à la date de publication de l'ordonnance et, le cas échéant, sur les dispositions publiées mais non encore entrées en vigueur à cette date. Elle est effectuée à droit constant sous réserve des modifications nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes, harmoniser l'état du droit, remédier aux éventuelles erreurs ou omissions, abroger les dispositions obsolètes ou devenues sans objet et procéder aux adaptations terminologiques utiles, notamment pour revoir les dispositions dont la formulation peut paraître remettre en cause la présomption d'innocence.
L'ordonnance est prise dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la publication de la présente loi.
L'ordonnance entre en vigueur au plus tôt un an après sa publication.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance.
L'amendement n° 208, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gérard Lahellec.
Par cet amendement, nous souhaitons exprimer nos réserves quant à l'habilitation accordée au Gouvernement pour prendre, par voie d'ordonnance, des mesures de clarification du code de procédure pénale.
En effet, nous considérons que cette habilitation manque d'encadrement. Nous estimons qu'il est nécessaire d'aborder la rédaction d'un nouveau code de procédure pénale avec rigueur, temps et contrôle. Cette tâche complexe demande une analyse approfondie, la prise en compte des différentes implications juridiques, ainsi que l'écoute des experts et des acteurs du système judiciaire.
Une approche précipitée ou insuffisamment réfléchie pourrait entraîner des lacunes ou des erreurs dans le nouveau code, compromettant ainsi son efficacité et sa cohérence.
Aussi, nous considérons que le délai d'entrée en vigueur d'un an, tel qu'énoncé dans l'habilitation, est insuffisant. Les acteurs du système judiciaire, comme les magistrats, les avocats et les autres praticiens, auront besoin de temps pour s'adapter aux nouvelles règles et se former adéquatement.
Nous voilà parvenus au débat sur la simplification du code de procédure pénale. L'article 2 vise à donner une habilitation pour réécrire à droit constant le code de procédure pénale, dans un délai de deux ans.
Une telle habilitation est nécessaire, car la clarification du code de procédure pénale constitue un énorme travail. Ce code compte 2 400 articles. Nous devons ramener son volume entre 280 et 300 articles. Par ailleurs, 100 articles renvoient à d'autres articles. Bref, le processus est très complexe. La vraie question de fond, dont nous débattrons, est d'ailleurs de savoir ce qu'est le droit constant et jusqu'où il est possible d'aller dans un tel cadre, car un certain nombre de réformes – je pense notamment aux nullités – modifieront forcément le droit.
Certes, habituellement, le Sénat n'apprécie pas de procéder par habilitation, car il n'aime pas transmettre sa compétence à légiférer au gouvernement. Néanmoins, les travaux de codification sont toujours fastidieux : on l'a vu avec le code des douanes, le code pénitentiaire ou le code de la justice pénale des mineurs. La clarification du code de procédure pénale constitue un travail technique, qui a demandé la mise en place d'un comité scientifique. Ce dernier formulera des propositions.
Nous souhaitons que ces propositions aillent au-delà d'une simple clarification, car nous appelons de nos vœux une véritable simplification du droit, avec une réforme de fond.
La logique aurait voulu que l'on se pose d'abord des questions de fond avant de clarifier le code de procédure pénale : que veut-on pour le parquet, que veut-on pour la procédure, que veut-on en matière d'unification des enquêtes, etc. ?
Le Gouvernement a opté pour la procédure inverse, dont acte. Mais nous ne pouvons pas nous contenter de l'étape de l'habilitation. C'est pourquoi nous avons modifié l'article 2 afin de permettre au Parlement de se saisir des dispositions de l'ordonnance. Cette procédure doit aller jusqu'à une vraie simplification, qui est attendue par tous, pour une plus grande sécurité juridique. Voilà pourquoi la commission est défavorable à la suppression de cet article, même si, sur le fond, nous n'aimons pas habilitations à légiférer par ordonnance et, ce faisant, perdre notre compétence.
Monsieur le sénateur Lahellec, je comprends vos interrogations, mais il sera possible au Parlement de contrôler le processus et de s'assurer in fine que le Gouvernement a bien respecté le champ de l'habilitation accordée. La confiance – dans ma parole – n'exclut pas le contrôle !
Il y a, par ailleurs, le Conseil d'État. Or ce dernier, dans son avis, ne dit rien sur la question du droit constant.
De plus, entre l'habilitation et la ratification, les travaux du comité scientifique seront suivis par le comité parlementaire, que j'ai évoqué tout à l'heure dans mon propos liminaire. Pourquoi, d'ailleurs, un comité scientifique ? Parce qu'il s'agit en réalité d'un travail absolument titanesque. Si nous ne nous y attelons pas maintenant, dans vingt ans il ne sera toujours pas fait !
Parler de clarification n'est pas si simple que cela en a l'air. C'est même très compliqué. S'il me fallait vous présenter un texte clarifié, le projet de loi comprendrait 2 000 articles. Laissons ce comité scientifique, composé de professionnels du droit – universitaires, magistrats, hauts magistrats, avocats, personnels des forces de sécurité intérieure, gendarmes et policiers, représentants de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) –, travailler, d'autant que les parlementaires effectueront leur contrôle au fil de l'eau.
Par ailleurs, l'ordonnance sera aussi soumise à la Commission supérieure de codification, dont le sénateur Richard en fait partie. Il s'agit d'un contrôle supplémentaire. Il n'y a donc aucun risque.
De plus, monsieur le sénateur, j'ai envie de vous dire que je n'avais pas d'autre possibilité que de procéder ainsi.
Vous dites, madame la rapporteure, que, en quelque sorte, nous mettons la charrue avant les bœufs, parce que vous auriez préféré avoir le texte finalisé avant de le confier à un comité scientifique. Mais il faut deux ans pour simplifier… ou pour clarifier ! Au reste, je ne saisis pas très bien la nuance sémantique entre ces deux termes, monsieur Bonnecarrère : quand on clarifie, on simplifie.
M. Philippe Bonnecarrère exprime son désaccord.
En 1959, notre code de procédure pénale était fin comme ceci
M. le garde des sceaux écarte légèrement son pouce et son index.
et aujourd'hui il est épais comme cela !
M. le garde des sceaux décuple l'écart entre ses deux doigts.
Il ne s'agit en aucun cas de bouleverser les équilibres ni de changer les règles, je le répète et je m'y engage. L'un de vous a parlé de fusion des cadres d'enquête, par exemple, mais voilà qui ne serait ni de la simplification ni de la clarification ! Cela conduirait à un autre code de procédure pénale, avec d'autres règles. Ce n'est absolument pas cela que nous voulons faire.
Je sais que vous vous inquiétez, monsieur Lahellec, et je sais que les parlementaires sont légitimement soucieux de leurs prérogatives, mais n'ayez aucune crainte : cela se fera avec vous, de façon transparente, et vous pourrez tout à fait suivre le cours des travaux. Les forces de sécurité intérieure, les magistrats, les avocats ont besoin d'un code de procédure pénale clarifié, mais, aussi, la clarification engendrant la simplification, simplifié, si vous m'autorisez l'emploi des deux termes, monsieur Bonnecarrère…
Sourires.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 210, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Cette codification à droit constant s'oppose à ce que soit réalisée une modification du fond des matières législatives codifiées.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
L'article 2 traite d'un sujet important, lourd, sur lequel nous avons beaucoup réfléchi, du moins autant qu'il était possible dans les délais qui nous étaient impartis…
L'ensemble du Sénat s'accorde à reconnaître la nécessité de réécrire le code de procédure pénale, afin de le rendre lisible, au moins par les professionnels. C'est un travail de titan, avez-vous dit, monsieur le garde des sceaux, et nous avons la même appréciation.
Par ailleurs, votre article d'habilitation est, je dois le dire, plutôt bien rédigé : il est complet, précis. Il mérite toutefois quelques améliorations et c'est l'objet de cet amendement, au travers duquel nous souhaitons préciser la notion de droit constant. Au passage, je rends par avance hommage aux professionnels qui vont recodifier ce code à droit constant…
Je souhaite donc préciser les contours de cette contrainte en recourant à la formule employée par le juge constitutionnel dans une décision du 16 décembre 1999, qui précisait que « le principe de la codification à droit constant […] s'oppose à ce que soit réalisée une modification du fond des matières législatives codifiées ». Telle est la phrase que nous proposons d'introduire dans le texte pour définir les limites de la notion de droit constant. L'habilitation ne ferait qu'y gagner.
Je félicite Mme de La Gontrie pour ses efforts ; nous avons eu de nombreux échanges pour tâcher de mieux encadrer cette habilitation.
Sur le fond, on voit bien que la notion de réécriture « à droit constant » soulève un certain nombre de questions, notamment un débat sémantique entre clarification et simplification ; c'est avant tout une clarification, puisqu'il s'agit de réécrire le plan, mais avec des incidences, puisque, dès lors que l'on restructure un raisonnement juridique, cela débouche sur des réformes.
Malheureusement, la notion de « modification du fond » n'est pas tellement plus claire…
Sans doute, mais elle n'est pas plus claire pour le cas d'espèce. Elle s'oppose à la modification de la forme, mais une telle modification aura forcément des incidences sur le fond.
En tout état de cause, cela n'apporte pas de garantie supplémentaire. Avis défavorable.
Je pense la même chose, madame la sénatrice : c'est une mention superfétatoire.
En outre, je rappelle que l'étude d'impact précise que « la codification à droit constant s'oppose à ce que soit réalisée une modification du fond des matières législatives codifiées ».
Je ne reprendrai pas le contenu de ma réponse à M. le sénateur Bonnecarrère, à qui j'ai oublié de préciser que votre commission des lois avait déjà pris des précautions supplémentaires, essentielles.
Cet ajout n'apportant rien, je suis défavorable à cet amendement.
La distinction entre simplification et clarification relève-t-elle d'un débat de pure sémantique ? Bien sûr que non ! Ce sont deux notions complémentaires.
Mme le rapporteur affirme que l'on a mis la charrue avant les bœufs, mais il est exact que, si l'on s'engage dans une réforme profonde et une simplification de la procédure pénale, on n'obtiendra jamais la lisibilité attendue ou bien on l'aura très tardivement.
Au contraire, si l'on ne fait que de la mise en forme, si l'on ne cherche que la lisibilité, cela prendra deux ans, à l'issue desquels nos magistrats, nos policiers et nos gendarmes devront s'adapter à une nouvelle numérotation et à une nouvelle organisation, mais on n'obtiendra jamais la simplification.
Ce qui est proposé, au travers de la rédaction de la commission des lois, c'est de pouvoir mener ces deux démarches. Une réécriture « à droit constant » garantit une meilleure lisibilité, mais, en parallèle – je n'ose pas dire « en même temps » –, le comité scientifique ainsi que les parlementaires supervisant les travaux au nom des groupes devront mener une réflexion sur la simplification. À mesure que la lisibilité s'améliorera, vous pourrez pointer du doigt les différentes difficultés qui apparaîtront. Ceux qui travailleront à la simplification devront tenir compte de la nouvelle architecture mise en place dans le travail d'amélioration de la lisibilité.
Ce sont donc deux sujets complémentaires, ce n'est pas une distinction sémantique. Ces deux démarches doivent être menées de front afin qu'il n'y ait pas « tromperie » sur la qualité du travail, si vous me permettez cette formule : nos policiers, nos gendarmes, nos magistrats ressentiraient quelque agacement s'ils s'apercevaient que la simplification annoncée n'est pas effective…
Je veux faire ici état d'une modeste expérience de codification, puisque j'ai l'honneur de représenter la Haute Assemblée depuis une douzaine d'années au sein de la Commission supérieure de codification.
Quand on procède à la refonte d'un code, surtout quand on constate son caractère défectueux dû aux ajouts successifs, la première grande opération consiste à réécrire son plan, c'est-à-dire à classer les matières dans un ordre cohérent. J'estime, à première vue, compte tenu de la masse à traiter, que ce travail devrait prendre environ une année.
Une fois que le plan est réalisé, il reste le travail de détail, consistant à vérifier la qualité – qui me semble perfectible en l'espèce, monsieur le garde des sceaux – de la rédaction d'un grand nombre de dispositions de ce code, dont certaines sont par exemple répétitives, pour me limiter à ce seul défaut.
Dès lors que l'on fera la remise en état, article par article, des diverses matières, on pourra détecter des points exigeant une réforme de fond. C'est la seule façon d'opérer. Ensuite, on finira le travail avec les dispositions restées en vigueur et ne nécessitant que la modification de rédaction qui est autorisée à droit constant, et il faudra intégrer au projet de loi de ratification les propositions de modifications de fond.
Tout cela justifie la solution adoptée par la commission, celle d'un délai entre la publication de l'ordonnance et son entrée en vigueur par ratification, qui sera décidée au travers d'une loi incluant les modifications de fond.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 35, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni de celles des commissions chargées des affaires européennes, il est constitué, dans chacune des deux assemblées du Parlement, un comité de suivi composé à parité d'hommes et de femmes représentant tous les groupes politiques, chargé de suivre, de proposer les mesures de simplification de la procédure pénale, et préparer le débat parlementaire nécessaire à la ratification de l'ordonnance de réécriture de la partie législative du code de procédure pénale.
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Cet amendement vise à prévoir, au sein de chaque assemblée, la constitution d'un comité de suivi de cette recodification. Nous avons bien compris qu'il y aurait un comité scientifique, mais quid du Parlement ?
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Et cela correspond à mon engagement !
Avis défavorable.
L'amendement n'est pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 115, présenté par Mme Devésa, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer le mot :
vingt-quatre
par le mot :
douze
La parole est à Mme Brigitte Devésa.
Un des grands défis auxquels, selon le Gouvernement, la justice française est confrontée et que le présent projet de loi est censé relever est celui de l'efficacité : plus d'efficacité et de rapidité pour les décisions de justice, mais aussi pour les actes administratifs.
Par principe, les ordonnances doivent être publiées deux fois plus vite. Cet amendement se justifie donc par son texte même.
L'amendement n° 168, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer le mot :
vingt-quatre
par le mot :
dix-huit
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Au travers de cet amendement, nous proposons de diminuer le délai dont disposera le Gouvernement pour élaborer ces ordonnances, mais en vertu d'un raisonnement différent de celui de notre collègue Brigitte Devésa.
Nous proposons de nous inspirer du mécanisme utilisé lors de la recodification du code du travail, en 2005, lorsque le ministre délégué au travail était Gérard Larcher : le délai octroyé étant trop court, une nouvelle habilitation avait dû être demandée pour le prolonger.
Pourquoi cette proposition ? Parce que ce mécanisme permettra au Parlement d'être pleinement informé de l'avancement des travaux et de vérifier s'il est suffisamment conforme aux orientations proposées pour autoriser la prolongation de l'habilitation et laisser le travail aller à son terme. Il s'agirait donc d'une habilitation en deux temps, ce qui permettrait au Parlement de conserver, autant que faire se peut, la main sur le processus de rédaction des ordonnances.
J'entends bien les différentes raisons motivant le raccourcissement du délai de rédaction. Cela aurait pu en effet constituer une solution pour contrôler que le travail de clarification et de simplification est mené à son terme.
Néanmoins, dix-huit mois, c'est très court.
Et redemander une habilitation alourdira le processus.
Je préfère pour ma part avoir le temps de débattre lors de la ratification, qui arrivera six mois plus tard, et d'engager le travail d'amélioration de l'efficacité et de contrôle de la simplification.
Douze mois, c'est encore pire : il est impossible de mener ce travail titanesque dans un délai si court, on l'a dit.
Il faut travailler vite, mais il faut aussi travailler bien. C'est un travail de longue haleine, une tâche titanesque.
Tous ceux que j'ai rencontrés pour préparer ce texte ont souligné l'ampleur de la tâche et M. le sénateur Richard, un fin connaisseur en la matière, le confirme. Tout cela me conforte dans l'idée que nous aurons besoin de vingt-quatre mois.
Les deux amendements vont dans le même sens, mais n'ont pas le même fondement, je l'ai bien compris. Néanmoins, je suis défavorable aux deux propositions, il faut que les choses se fassent à leur rythme. L'exigence est celle de la qualité.
J'écoute ce débat avec une grande attention et avec beaucoup d'intérêt, et je trouve quelque peu étrange que, depuis des années, tout le monde s'insurge contre la complexité du code de procédure pénale, mais que rien ne bouge.
Il est maintenant proposé que l'on avance sur ce sujet, mais dix-huit mois représentent tout de même une certaine durée et, pendant celle-ci, les parlementaires peuvent être associés et suivre les travaux.
Cela donnera le sentiment que le Parlement a fait son travail ; ce sera d'ailleurs plus qu'un sentiment, ce sera la réalité !
Depuis 2008, la Constitution dispose que la ratification des ordonnances est expresse. C'est beau, c'est généreux, mais, dans la plupart des cas, cela ne s'applique pas : dès que l'ordonnance est publiée, elle est effective. C'est un véritable problème.
J'entends bien, monsieur le garde des sceaux, que vous ayez pris l'engagement de soumettre au Parlement le texte, qui sera imposant, pour ratification expresse.
Mais j'insiste sur la nécessité de respecter cet engagement, sans quoi tout le débat que nous avons, sur le maintien à l'identique du fond du texte avec plus ou moins d'adaptations et d'arrangements, est nul, car nous ne pourrions pas nous saisir de ce texte.
Ce que ces amendements tendent à proposer, pour garantir que le Parlement soit effectivement consulté sur le travail principal et sur le résultat, me paraît opportun, car il y aura forcément des modifications de fond. Forme et fond ne peuvent jamais être totalement dissociés.
Je veux faire état, à propos de la question de la durée, de toutes mes expériences de codification des dernières années : le temps d'examen des textes recodifiés ou nouvellement codifiés par le Conseil d'État est au minium de trois mois. Une ordonnance est un texte écrit par le Conseil d'État. Quand je considère la masse que représentera le code réécrit, j'imagine que le Conseil d'État indiquera qu'il ne peut garantir la sécurité juridique du code qu'avec un délai d'au minimum quatre mois.
C'est, entre autres, pour cette raison que le délai comprimé de dix-huit mois n'est pas réaliste.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
Au deuxième alinéa de l'article 367 du code de procédure pénale, après le mot : « criminelle », sont insérés les mots : « ou s'il comparaît détenu devant la cour d'assises ». –
Adopté.
Chapitre II
Dispositions améliorant le déroulement de la procédure pénale
Section 1
Dispositions relatives à l'enquête, à l'instruction, au jugement et à l'exécution des peines
L'amendement n° 15 rectifié ter, présenté par Mmes Herzog et Saint-Pé, M. Folliot, Mme Dindar, MM. Delcros, B. Fournier, Genet, Moga et Duffourg, Mme Jacquemet et M. Henno, est ainsi libellé :
Avant l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 4° de l'article 61-1 du code de procédure pénale est complété par les mots : « et du droit de disposer d'une copie certifiée conforme du procès-verbal, délivrée par l'autorité d'enquête dans le cadre de l'audition ou de la confrontation ».
La parole est à M. Alain Duffourg.
Il s'agit de modifier l'article 61-1 du code de procédure pénale pour que les personnes entendues aient une copie du procès-verbal délivrée par l'autorité d'enquête ; les enquêteurs en ont d'ailleurs déjà la possibilité aujourd'hui.
Si vous me le permettez, monsieur le président, je présenterai en même temps l'amendement n° 16 rectifié ter.
J'appelle donc en discussion l'amendement n° 16 rectifié ter, présenté par Mmes Herzog et Saint-Pé, M. Folliot, Mme Dindar, MM. Delcros, B. Fournier, Genet, Duffourg et Moga, Mme Jacquemet et M. Henno, et ainsi libellé :
Avant l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le troisième alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Après chaque interrogatoire, confrontation et reconstitution, après qu'elle en a été informée verbalement, une copie du procès-verbal est immédiatement délivrée par tout moyen à la personne entendue. »
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
Cet amendement va dans le sens du précédent : il s'agit de prévoir la possibilité, pour chaque partie, de disposer d'une copie du procès-verbal des interrogatoires, confrontations et reconstitutions.
Ces amendements sont inspirés par une proposition de loi de Mme Herzog, déposée en juillet dernier.
L'amendement n° 15 rectifié ter tend à donner à toute personne entendue par la police ou soumise à confrontation le droit d'obtenir copie de son procès-verbal.
Cela ne soulève pas de difficulté technique, mais cela risque de compromettre la préservation du secret de l'enquête et de conduire à la divulgation de certains éléments de l'audition.
Il en est de même avec l'amendement n° 16 rectifié ter, qui porte à peu près sur le même sujet.
La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
Même avis, pour les mêmes raisons.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 267, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Avant l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 230-8 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Aux première, sixième, huitième, neuvième et dixième phrases du premier alinéa, après chaque occurrence du mot : « mention », sont insérés les mots : « interdisant l'accès dans le cadre d'une enquête administrative » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« S'agissant des décisions rendues par une cour d'appel, le procureur général territorialement compétent dispose des mêmes prérogatives que le procureur de la République. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
Le fichier de traitement d'antécédents judiciaires est essentiel au bon fonctionnement de la justice et aux échanges entre les services d'enquête et l'autorité judiciaire. Le présent amendement vise à en améliorer la gestion.
D'une part, il tend à prévoir la possibilité, pour les procureurs généraux, de modifier le fichier à la place des procureurs de la République pour ce qui a trait aux décisions prises par les cours d'appel, afin de privilégier l'échelon le plus proche de la décision.
D'autre part, il vise à clarifier la notion de « mention » figurant à l'article 230-8 du code de procédure pénale. Ce terme est peu lisible, parce que l'article peut viser à la fois les mentions du casier judiciaire et les mentions de restriction d'accès à certaines données dans le fichier de traitement d'antécédents judiciaires. Il s'agit ainsi de préciser que la mention inscrite dans le traitement d'antécédents judiciaires porte sur l'accessibilité des données, qui reste possible pour l'autorité judiciaire, mais qui n'est pas possible dans un cadre administratif.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Voilà un bel exemple de clarification complexe du code de procédure pénale…
Sourires.
Je l'avoue, je n'ai pas tout compris, mais je ne peux que soutenir cette volonté de clarification du code de procédure pénale ; cela montre l'ampleur de la tâche qui vous incombe, monsieur le garde des sceaux…
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
L'amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 3.
Mes chers collègues, nous avons examiné 41 amendements au cours de la journée ; il en reste 215.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
L'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq,
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la politique étrangère de la France en Afrique.
La parole est à Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous le savons tous : l'Afrique est une région « où se joue une partie de notre avenir commun ». Ce constat qu'avait fait le Président de la République, en 2017, devant les étudiants de l'université de Ouagadougou demeure résolument actuel.
Nous partons d'une réalité : l'Afrique subsaharienne compte aujourd'hui 1, 1 milliard d'habitants et, selon les Nations unies, sa population devrait doubler d'ici à 2050.
L'Afrique, c'est donc un dynamisme réel dans notre voisinage immédiat, avec ce que cela implique en termes tant de défis que d'opportunités.
Pour ce qui est des opportunités, je citerai les perspectives de développement, c'est-à-dire, au travers d'une participation toujours plus importante du continent dans l'économie mondiale, des marchés à consolider ou à investir pour nos entreprises. Il faut aussi compter avec une jeunesse dynamique, entreprenante, créative.
Du côté des défis, il faut évoquer tous les risques induits précisément par cette forte croissance démographique, dans un espace très exposé par ailleurs au changement climatique et à ses multiples et terribles conséquences.
Ce constat étant posé, nous devons faire face à des enjeux immenses qui concernent le développement, la transition climatique, le partage de la richesse, l'éducation ou encore la santé, lesquels entraînent de nombreuses conséquences sur les plans sécuritaire, sanitaire et migratoire.
Pour toutes ces raisons, et compte tenu de toutes ces réalités, nous avons bel et bien « un destin lié avec le continent africain », selon la formule employée le 27 février dernier par le Président de la République, qui disait aussi dans cette intervention : « Ce n'est ni une bonne ni une mauvaise nouvelle, c'est un fait. Et tout dépendra de ce que nous en faisons. »
On a trop souvent considéré, de ce côté-ci de la Méditerranée, que les relations entre la France et l'Afrique étaient un peu à l'image de celles de Montaigne et La Boétie : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. »
Nous avons trop longtemps pensé que nos relations allaient de soi, faisant comme si les Africains allaient toujours nous donner la préférence, dans une logique de réflexe immuable. Or rien n'est plus faux. Dans un monde sans cesse plus concurrentiel, cette attitude conduirait inévitablement à perdre en crédibilité, au moment précis où notre coopération commune n'a jamais été aussi souhaitable.
L'époque où certains considéraient l'Afrique comme le terrain d'une rivalité à somme nulle entre puissances est, en outre, totalement dépassée. Les pays africains ont depuis bien longtemps diversifié leurs partenaires, comme nous l'avons tous fait.
En somme, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la politique étrangère de la France en Afrique consiste à mettre fin définitivement à cette logique, à cette mentalité de l'évidence, pour mieux avancer ensemble main dans la main, en véritables partenaires. Nous avons pour cela de nombreux atouts qu'il nous faut faire valoir.
Il s'agit, tout d'abord, de l'intensité de nos liens humains, de cette langue française que nous partageons avec l'Afrique francophone, de ce million de Français de La Réunion et de Mayotte qui vivent en Afrique et dont nous voulons renforcer l'intégration régionale.
Ce sont, ensuite, nos diasporas, aussi bien les Français qui vivent en Afrique que les Africains qui vivent en France ; sans oublier, bien sûr, ces millions de nos compatriotes qui sont liés à ce continent.
Il y a, enfin, l'ambition de la France, laquelle entend donner la pleine mesure de ses moyens à son action.
Cette ambition se retrouve dans notre aide publique au développement (APD) qui est passée, entre 2017 et 2022 – je le rappelle – de 10 à 15 milliards d'euros par an. La France est ainsi devenue l'an dernier le quatrième bailleur mondial et le seul à avoir accru ses financements sur le continent africain, avec 5, 2 milliards d'euros de financements bilatéraux et multilatéraux destinés à l'Afrique. À Bruxelles, également, nous défendons la place de l'Afrique comme première région de la solidarité européenne.
À une échelle plus globale, le Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial des 22 et 23 juin prochain visera également à conjurer un risque de fracture grandissante entre le Nord et le Sud, en répondant aux besoins des pays en développement pour financer la transition écologique et la sortie de pauvreté.
Notre ambition est aussi celle que nous manifestons en soutenant les attentes de l'Afrique d'être mieux intégrée à la gouvernance mondiale. Nous sommes résolument favorables à une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, avec l'attribution d'un siège de membre permanent à un pays africain ainsi qu'une participation pleine et entière de l'Union africaine (UA) au G20.
Nous déployons notre ambition, par ailleurs, au travers de notre réseau culturel, grâce aux 28 Instituts français et 109 Alliances françaises présents dans la seule Afrique subsaharienne. Les 108 établissements scolaires affiliés à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) installés sur le continent africain sont un autre outil de rayonnement auprès des générations futures.
En France, nos universités accueillent un nombre toujours croissant d'étudiants africains. Ils étaient 150 000 en 2021, en augmentation de 40 % depuis 2017.
Notre ambition se déploie également sur le terrain économique.
À cet égard, il faut se méfier de certains faux-semblants. Les économies africaines s'étant largement mondialisées, nos parts de marché ont pu marquer le pas. Mais la croissance africaine a été telle que notre présence économique a augmenté en volume, de plus en plus de PME françaises se tournant vers le continent. En quinze ans, le nombre des filiales d'entreprises françaises en Afrique a doublé, de même que nos investissements. La France est aujourd'hui le deuxième investisseur étranger sur le continent.
Ces points sont trop peu souvent rappelés.
Notre réseau diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir cette dynamique, tout en défendant nos intérêts.
Enfin, notre ambition se déploie dans un dialogue continu et approfondi avec nos partenaires africains sur tous nos sujets d'intérêt commun, qui sont nombreux.
Au premier rang de ceux-ci figure, bien sûr, la lutte contre le changement climatique. En 2021, à la COP26 de Glasgow, nous avons été précurseurs en nous engageant dans le partenariat pour une transition énergétique juste (JETP) pour l'Afrique du Sud afin de faire sortir progressivement ce pays, dans lequel je me rendrai dans deux semaines, de sa dépendance au charbon.
Dès le début de la guerre russe en Ukraine, qui a très sévèrement aggravé l'insécurité alimentaire, nous nous sommes mobilisés pour soutenir les pays les plus vulnérables, notamment africains. Nous avons ainsi financé et facilité l'envoi de céréales et amélioré la sécurité alimentaire, en particulier via le transport récent de 20 000 tonnes d'engrais vers le Malawi. En Éthiopie, où je me suis également rendue, nous avons acheminé, avec l'aide de l'Allemagne, 26 000 tonnes de céréales destinées au Programme alimentaire mondial (PAM). Nous avons d'ailleurs doublé notre contribution à ce programme et travaillons au renforcement des systèmes alimentaires en Afrique.
La Russie, quant à elle, exerce un chantage constant sur la reconduction de l'initiative céréalière pour l'exportation via la mer Noire des céréales ukrainiennes.
Vous vous en doutez, la guerre en Ukraine est au cœur des discussions avec nos partenaires africains, pour en limiter les conséquences néfastes sur eux, mais aussi en soi. En effet, l'agression d'un pays souverain par son voisin est aussi une agression contre les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, notamment l'égalité souveraine et le respect de l'intégrité territoriale des États : sans le respect de ces principes, les États ne peuvent connaître ni paix ni stabilité. Nous faisons valoir cette position dans le monde entier, en particulier auprès de nos partenaires africains qui ne perçoivent pas suffisamment ce point de vue et considèrent que l'Europe est trop loin.
Dans notre dialogue avec ces partenaires, nous défendons sans relâche la nécessité de maintenir et d'accroître la pression sur la Russie pour faire en sorte que son agression échoue. En effet, l'avenir et la sécurité de toutes les nations souveraines sont bel et bien en jeu. Une agression qui serait récompensée ouvrirait la voie à d'autres, là ou ailleurs. Tous doivent en être conscients, car tous sont concernés.
Ce rappel est d'autant plus indispensable au moment où six chefs d'État du continent s'apprêtent à se rendre à Kiev et à Moscou, dans le cadre d'une initiative de paix dont les contours restent à dessiner. Rappelons-le, toute initiative doit s'appuyer sur le plein respect des principes fondamentaux de la Charte.
Plus généralement, et partout sur le continent, la France met sa diplomatie au service de la paix. C'est notamment le cas en Afrique de l'Ouest, où les pays du Sahel et du golfe de Guinée font toujours face à une importante menace terroriste. Je laisserai le soin au ministre des armées de revenir plus en détail sur les aspects militaires de notre action.
Au Soudan, nous sommes en contact avec les deux parties au conflit, ce qui nous a permis en avril dernier d'évacuer les Français désireux de quitter Khartoum ainsi que de très nombreux ressortissants étrangers. Nous devons aussi convaincre les belligérants de renouveler la trêve, de la rendre effective, et de rechercher une nécessaire solution politique.
Dans la région des Grands Lacs, notre diplomatie est aussi à la manœuvre pour soutenir le processus de paix.
Enfin, nous dialoguons en permanence sur les questions liées à l'État de droit – démocratie, lutte contre la peine de mort, égalité entre les femmes et les hommes, droits des personnes LGBT+, liberté d'expression – et, plus généralement, de l'ensemble des sujets sur lesquels la France a des positions à tenir. C'est ce que nous faisons partout dans le monde, que notre interlocuteur soit africain ou non.
L'autre grande clé de compréhension de notre politique étrangère en Afrique est à trouver dans cette volonté, clairement exprimée, « de bâtir une nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable », pour reprendre les mots du Président de la République. Nous entretenons des liens de ce type avec chacun des 54 pays du continent, dans le cadre de 54 relations bilatérales. Il y a non pas une, mais de nombreuses Afrique, un continent dans lequel nous avons 54 partenaires.
Tous ces pays ont leurs spécificités ; c'est la raison pour laquelle il ne faut pas réduire les relations franco-africaines à une seule situation, au prix de raccourcis et de simplifications – on en connaît beaucoup.
Se laisser prendre au piège de fausses paniques déclinistes ou s'enfermer dans des complexes qui n'ont pas lieu d'être, c'est ne pas être à la hauteur de ce qui se passe réellement et concrètement – soit, dans l'écrasante majorité des cas, des relations qui fonctionnent bien et portent leurs fruits.
Pour autant, et face à certains vents contraires, nous sommes déterminés.
Je pense en particulier à la diffusion de discours antifrançais dans certains pays d'Afrique francophone. Ces discours, dont nous devons comprendre l'origine, sont pour partie liés à l'héritage de l'Histoire, pour partie aux frustrations de la jeunesse, mais pour partie aussi à des entreprises hostiles et plus ou moins souterraines, en particulier venant de la Russie.
Face à chacune de ces causes, nous agissons résolument. C'est notamment le sens de notre présence sécuritaire en Afrique, dans une dynamique nettement plus partenariale – moins visible aussi. Je laisserai le ministre des armées détailler notre nouvelle posture.
C'est aussi le sens de la démarche entreprise auprès de certains pays où notre relation commune doit faire face à une mémoire troublée, à un « passé qui ne passe pas », parce que nous n'avons pas fourni assez tôt et assez résolument les efforts nécessaires attendus par nos partenaires africains.
Ce qui a été fait au Rwanda doit nous montrer la voie : les travaux menés par des historiens de nos deux pays ont permis à la France de regarder son Histoire en face, pour mieux construire une relation de confiance.
C'est également la voie que nous prenons au Cameroun depuis l'été dernier, avec l'installation récente d'une commission d'historiens et d'artistes français et camerounais.
Plus globalement, nous donnons un nouveau tournant à notre communication en l'orientant davantage vers la jeunesse, à laquelle nous voulons montrer la réalité concrète de notre coopération, parfois occultée par des déclarations inexactes.
J'ai aussi redonné à nos ambassades en Afrique les moyens de mener elles-mêmes, directement, de petits projets visibles et rapides au plus proche du terrain et des bénéficiaires. Il y va de notre influence. Je viens ainsi de lancer un Fonds Équipe France doté de 40 millions d'euros – ce montant peut paraître faible, mais pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, c'est beaucoup !
Son objet est de permettre à nos ambassades de monter des projets à haute valeur politique.
J'ai également lancé en début d'année un fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel, de 20 millions d'euros, afin que nos ambassades en Afrique puissent soutenir directement les acteurs des industries culturelles et créatives, avec lesquels nous avons tant à faire et qui ont tant à nous apprendre.
Ces deux fonds sont complémentaires avec l'action plus structurante et de long terme que mène l'Agence française de développement (AFD).
Sur le plan culturel, après la saison Africa 2020, nous inaugurerons bientôt à Paris une Maison des mondes africains, afin de faire rayonner les cultures et les créations africaines en France, de mettre en valeur nos diasporas et de faire la démonstration que la France et ses partenaires africains sont plus forts et plus influents lorsqu'ils s'unissent. Cette intimité culturelle entre la France et l'Afrique nous permet aussi de rayonner dans le monde entier. Partout dans le monde, nos Instituts programment des artistes africains ou des créations franco-africaines, souvent avec un très grand succès.
Plus que jamais, nous travaillons avec les acteurs de la société civile, les artistes, les entrepreneurs et les intellectuels du continent. La Fondation de l'innovation pour la démocratie, lancée en octobre dernier avec Achille Mbembe, que je rencontrerai bientôt en Afrique du Sud, entend ainsi mettre en réseau celles et ceux qui inventent chaque jour les nouvelles formes de vie démocratique sur le continent, et tout cela sans donner de leçons, avec humilité et conviction. Nous devons les aider et nous appuyer sur eux.
Enfin, face au défi des manipulations de l'information par des puissances déstabilisatrices – j'en ai déjà cité une –, nous nous dotons des moyens d'agir.
J'ai augmenté les moyens du ministère en matière de communication et de rayonnement, et ce mouvement a vocation à se poursuivre. Nous avons ainsi mis en place des dispositifs de veille, de détection des manœuvres hostiles et de riposte, en particulier sur les réseaux sociaux. Nous soutenons en parallèle les fact checkers – pardon pour ce franglais ! – et les écosystèmes médiatiques africains afin qu'existe sur le continent une presse de qualité et professionnelle.
J'ai demandé à nos ambassadeurs d'adopter une communication plus visible et plus offensive. Nous avons également mené un travail de refonte de la communication de tous nos opérateurs pour qu'il n'y ait, sur le terrain, qu'un seul drapeau et qu'une seule équipe France.
Avant de passer la parole au ministre des armées, je veux clore mon propos en insistant une dernière fois sur l'un des principaux atouts du continent : sa jeunesse.
Cette jeunesse exigeante, entreprenante, fière et totalement ouverte sur le monde ne veut pas qu'on lui dise ce qui est bon, ou non, pour elle. Elle souhaite non pas que l'on agisse à sa place, mais simplement que l'on investisse dans ses projets dans un esprit de partenariat gagnant-gagnant.
Cette jeunesse, qui ressemble tellement à la nôtre, nous lance un défi : celui de nous renouveler et de changer notre manière de faire. Nous entendons cette demande. Je puis vous assurer que tous nos diplomates en Afrique font vivre, avec conviction et enthousiasme, le programme de transformation que nous avons lancé. C'est ainsi que la France restera un partenaire proche, pertinent et fiable de ce continent appelé à occuper une position centrale dans les équilibres du monde de demain.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviendrai plus précisément sur la situation sécuritaire et, par là même, sur la question de la présence militaire française sur le continent africain.
Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères l'a dit, l'Afrique étant un continent, les situations sécuritaires et d'organisation de nos forces armées sont aussi diverses que nous y avons de partenaires.
Je commencerai par évoquer cinq points, avant de laisser la place au débat puis de répondre à vos interrogations, commentaires et réflexions.
Premier point : en étant quelque peu schématique, voire caricatural, on peut au fond distinguer deux grandes périodes depuis le début des années 2000.
Tout d'abord, de 2000 à 2010, de nombreuses interventions françaises ont été menées sur fond de culture d'interposition, ou de missions de maintien de la paix dans le cadre des Nations unies. La plus connue est l'opération Licorne de participation des forces armées françaises au maintien de la paix en Côte d'Ivoire. Pour le dire vite, il y en a eu d'autres...
Ensuite, la période de 2010 à 2020 a été marquée par la lutte contre les groupes armés terroristes au travers des opérations Serval puis Barkhane au Sahel, décidées par le Président de la République François Hollande, notamment à la demande de notre partenaire malien. Les groupes ciblés, qui pouvaient avoir des ramifications sur le sol européen, faisaient aussi peser des menaces plus endogènes – j'y reviendrai.
Je tiens à dire que les missions Serval et Barkhane sont des succès militaires, contrairement à ce que j'entends dire ici ou là. Ces interventions des armées françaises ont certes pu avoir des limites politiques, mais, sur le terrain tactique et militaire, elles ont été marquées par le sceau du succès. Que celles et ceux qui disent le contraire démontrent la véracité de leurs propos ! Leur narratif me semble d'ailleurs en contradiction avec le sacrifice de nos cinquante-trois soldats qui sont tombés au Sahel – neuf lors de l'opération Serval ; un soldat lors de l'opération Épervier, ce que l'on oublie trop souvent ; quarante-trois durant Barkhane.
Permettez-moi, monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir une pensée particulière pour ces soldats, leurs familles et l'ensemble de ceux qui ont été blessés dans le cadre de ces opérations. L'armée française est une armée d'emploi qui prend sa part de risques, c'est le moins que l'on puisse dire. En l'occurrence, ces missions se sont soldées par un succès, même si elles furent douloureuses.
Au fil du temps, nous avons fini par nous substituer aux différents pays qui nous avaient demandé, pour certains, d'intervenir. J'y reviendrai, pour en tirer un certain nombre de conclusions.
Deuxième point : les menaces évoluent, changent. Cela, Paris doit le comprendre.
Je suis frappé de constater à la lecture de nombreux commentaires, y compris dans la presse, à quel point la menace terroriste a fondamentalement évolué. Parfois plus fragmentée, elle n'en est pas moins dangereuse dans la mesure où elle se balkanise et devient plus diffuse sur l'ensemble de la zone. Elle est aussi plus endogène, plus tribale et plus compliquée à détecter et à renseigner.
Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères a dit très justement que le continent africain s'était ouvert, pour le meilleur comme pour le pire. Il s'est ouvert à un certain nombre de diversifications, et donc à des influences légitimes. En tant qu'États souverains, ces pays ont choisi de diversifier leurs partenariats et de faire jouer une forme de mise en concurrence sur les questions économiques, mais aussi, parfois, sur les sujets sécuritaires, et notamment de développement capacitaire en matière d'équipements militaires.
La France doit donc relever le défi suivant : être davantage attractive pour ces partenaires anciens avec lesquels elle entretient une relation que l'on pourrait qualifier d'affective. Pour autant, notre manière d'interagir avec d'autres compétiteurs a parfois été très déceptive.
D'autres influences sont plus malvenues, sur fond de compétition économique et d'initiatives sécuritaires ou informationnelles. On ne peut pas ne pas citer, à cet égard, le compétiteur stratégique russe et le groupe Wagner.
Le troisième point que j'évoquerai ne fait jamais l'objet, à Paris, d'une réflexion, pas plus dans les cercles politiques et intellectuels que dans les think tank diplomatiques ou institutionnels : le continent africain est soumis à la tension entre les modèles dits « autoritaires », d'un côté, et de démocratie libérale, de l'autre. Tel était le cas au Mali.
Cette question se pose lorsqu'il y a des juntes militaires : on reproche presque à Paris leur arrivée dans un pays, et lorsque la France essaie d'intervenir, on lui reproche une forme d'ingérence ou une manière de faire en Afrique de la politique « à l'ancienne », c'est-à-dire en intervenant dans les processus démocratiques ou non démocratiques.
Je soumets à la Haute Assemblée cet élément de réflexion qui concerne les forces armées et d'autres services relevant de ma tutelle : il faut certes renseigner et détecter – j'ai répondu à plusieurs questions sur ces sujets dans le cadre de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) –, mais, au-delà du domaine militaire et de celui du renseignement, il convient aussi de mener un combat politique pour défendre les valeurs de la démocratie.
Pour citer Tocqueville et les grandes valeurs liées à la liberté, il faut se demander si un modèle convient ou ne convient pas. Plusieurs continents sont confrontés à cette question et l'Afrique n'y fait pas exception.
J'en viens à un autre aspect important : qu'en est-il de notre présence militaire ? Là encore, un certain nombre de commentaires que l'on peut lire dans la presse ne sont pas d'une grande exactitude.
Il existe trois familles de bases militaires, qui correspondent à différentes missions.
La première famille est située dans le « duo » Sénégal-Gabon. Il s'agit de bases ayant des éléments prépositionnés depuis l'indépendance de ces pays et la conclusion des premiers traités de défense. Ces pôles de coopération permettent l'accès à des infrastructures – souvent civiles, rarement militaires – qui peuvent être utilisées à des fins militaires, et proposent de nombreuses formations à ces partenaires ainsi qu'à d'autres pays situés à proximité.
C'est encore plus vrai, d'ailleurs, pour les éléments français positionnés au Gabon : huit ou neuf pays voisins peuvent profiter des offres de formation que nous organisons là-bas.
Ce sont plutôt de longs séjours. Dans ces bases, il n'y a pratiquement aucun armement, si ce n'est pour organiser la formation. Au Sénégal, au Gabon, il doit y avoir un ou deux véhicules de l'avant blindés au maximum.
La deuxième famille est constituée par les bases opérationnelles. Je pense aux forces prépositionnées en Côte d'Ivoire, à Abidjan et Port-Bouët, et bien évidemment à la base de Djibouti.
Port-Bouët regroupe 950 personnes et Djibouti, 1700 personnes. Djibouti est une base pour l'Afrique de l'Est, comme on l'a vu avec l'opération Sagittaire et l'évacuation de nos ressortissants à Khartoum. C'est aussi une base de sécurité pour le partenaire djiboutien, avec des accords de défense et des clauses de sécurité. C'est enfin une base très largement ouverte sur l'Indopacifique, avec sa dimension navale et les enjeux de sécurité à Ormuz, Bab el-Mandeb et dans l'ensemble de l'océan Indien. De ce point de vue, elle est connectée à nos éléments positionnés aux Émirats arabes unis et aux forces armées de la zone sud de l'océan Indien (Faszoi) à Mayotte et à La Réunion. Djibouti est donc à la fois tournée vers l'Afrique et vers l'ensemble de la zone Indopacifique.
Ces deux bases opérationnelles sont importantes non seulement par leur empreinte, mais aussi par le fait qu'elles sont de véritables points d'appui au combat.
À la différence des forces positionnées au Gabon et au Sénégal, les forces présentes sur ces bases peuvent être engagées à la demande du Président de la République, en fonction des accords de défense signés avec les différents pays et des nécessités de la lutte contre le terrorisme.
La troisième famille de bases regroupe des positionnements organisés sur le régime des opérations extérieures, aux côtés des forces locales. Elles sont situées dans deux immenses pays, dont la sécurité et la stabilité nous importent : le Tchad et le Niger.
Ceux des sénateurs qui se sont rendus récemment au Niger ont pu y observer au mieux l'offre française rénovée en matière d'appui au combat. Nous soutenons le partenaire nigérien, sans nous substituer à celui-ci. Nous n'engageons un certain nombre de missions qu'à la demande des autorités nigériennes, dans un dialogue sécuritaire, militaire, politique et diplomatique, et nous commençons à voir des résultats probants sur le terrain.
Dans la région de Tillabéri, par exemple, seuls 33 % de la surface agricole étaient exploitables en raison de la présence de groupes terroristes armés. Après plusieurs mois d'opérations des forces militaires françaises et nigériennes, ce taux est passé à 65 %. Cela démontre l'efficacité des missions menées, dans une certaine forme de discrétion, voire même d'indifférence à Paris.
Le Niger est pourtant engagé dans un combat très courageux contre les groupes armés terroristes. C'est aussi grâce à ce pays que nous avons réussi le redéploiement des éléments de Barkhane, voilà un an. Ce pays joue plus globalement un rôle très important dans la stabilité de l'ensemble de la zone sahélo-saharienne. Il faut donc parler du Niger en saluant les efforts du président Bazoum et de son armée.
Cinquième point, la mise à jour de la présence militaire française, annoncée par le Président de la République voilà plusieurs mois, se fera selon certains points de doctrine que je souhaite clarifier devant la Haute Assemblée.
Face à la guerre informationnelle menée par certains de nos concurrents, une des conditions de notre succès sera d'apprendre de nos échecs et d'en tirer des leçons, sans se comporter en inspecteurs des travaux finis, mais en regardant lucidement ce qu'a été la fin de Barkhane. Nous ne devons plus nous substituer aux États souverains africains dans la lutte contre le terrorisme. Notre présence doit répondre à une demande d'aide ; nous pouvons offrir un soutien, mais nous ne devons pas agir à la place de ces États. À défaut, cette situation nous expose et ne donne pas satisfaction à la l'issue de la mission, tant sur le plan militaire, diplomatique que politique.
Cela signifie également que le besoin de France sur le terrain militaire doit être exprimé de manière claire, comme pour tout autre État souverain, et dans le respect de cette souveraineté. Il est important de demander aux pays partenaires ce qu'ils veulent et d'expliciter ce que nous sommes prêts à faire. Si cela fonctionne au Niger ou à Djibouti, c'est parce qu'il y a beaucoup d'écoute et d'attention accordées à l'expression des besoins de ces partenaires. C'est un chemin que nous devons également emprunter dans les autres pays où nous avons des forces ; ce travail est en cours, que ce soit au Sénégal, au Gabon ou dans la République centrafricaine.
Nous devons aussi réfléchir à la taille de nos empreintes militaires. Le temps est révolu où nous pouvions accepter des situations peu efficaces. Au Sénégal, par exemple, nous n'avons pas une seule base, mais sept ou huit empreintes militaires françaises dans l'agglomération de Dakar, ce qui n'est pas satisfaisant pour nos forces armées.
Les installations militaires françaises sont ouvertes à notre partenaire sénégalais pour des formations. Il serait donc judicieux de passer à une forme de cogestion, pas pour l'intégralité de la base française, mais pour certains éléments. Lorsque vous êtes engagé dans un partenariat de formation, vous développez déjà une forte intimité stratégique et vous établissez une relation de confiance très avancée avec le partenaire. Nous devons donc nous efforcer de moderniser la gestion de nos empreintes militaires, sans hésiter à innover.
C'est un point clef, sur lequel des progrès sont réalisés. Si l'on examine de près l'ensemble des empreintes, on constate qu'elles ne sont pas comparables les unes aux autres : les éléments français au Gabon ou au Sénégal sont déjà très ouverts sur la ville, avec des associations, des crèches et des écoles parfois situées en plein milieu des camps militaires ; par contraste, le camp de Port-Bouët à Abidjan est une grande caserne située à l'extérieur de la ville, donnant l'impression d'être très déconnectée de la vie quotidienne ivoirienne.
Les maires ou les élus municipaux ici présents savent que l'on ne peut plus dissocier une emprise militaire de son environnement civil. C'est l'une des principales conclusions que nous avons tirées de ce qui se passe actuellement en Afrique. D'autres partenaires et alliés l'ont déjà compris, il n'y a aucune raison pour que nous prenions du retard sur cette question.
Il est désormais nécessaire de proposer un catalogue de formations à jour. Nous nous sommes parfois trop satisfaits de nous-mêmes et de l'offre de formation que nous avions produite. Ce que nous faisions était de qualité, mais avait tendance à mal vieillir : alors que nous offrions des formations classiques, robustes et efficaces, d'autres partenaires ou pays, tels que la Turquie, Israël et parfois l'Algérie, ont commencé à proposer des formations sur de nouveaux segments, comme la lutte anti-drones, la maîtrise des drones, l'initiation à la cyberguerre ou à la guerre électronique. C'est l'un des éléments qui me conduira à prendre des décisions organisationnelles différentes pour nos forces prépositionnées.
Plutôt que de longs séjours, avec des métiers fixes ou statiques, nous devrions opter pour des séjours plus courts de compagnies ou de bataillons de militaires français, parfois pour une durée d'un mois, deux mois, voire trois mois, avec la participation de réservistes.
L'objectif est de proposer une offre de formations beaucoup plus large, incluant parfois des fonctions simples, comme le désarmement d'engins explosifs improvisés, la protection individuelle ou le combat d'infanterie classique, mais aussi des sujets à plus forte valeur ajoutée. Si nous n'y prenons garde, nous pourrions prendre du retard en ce domaine – pour être honnête, nous en avons déjà pris !
Enfin, nous devons rouvrir nos écoles militaires pour officiers et sous-officiers – j'insiste particulièrement sur ces derniers – sur le territoire national. La fin du service militaire et l'avènement de notre armée de métier étaient des évolutions positives. Toutefois, en raison des différentes réductions budgétaires que le ministère de la défense ou les armées ont connues au fil du temps, les stagiaires des pays amis et partenaires d'Afrique ont été de moins en moins nombreux dans les écoles de Saint-Cyr Coëtquidan et de Salon-de-Provence ainsi qu'à l'École navale ou à Polytechique – pour ne citer que ces écoles d'officiers. Dans les années 1980 ou 1990, nous accueillions parfois plusieurs dizaines de jeunes aspirants et sous-lieutenants issus des armées africaines, nous n'en avons plus qu'un, deux ou trois par cohorte. Si nous voulons parler d'influence, cela ne suffit pas. C'est pourquoi j'ai demandé que nos écoles soient rouvertes, avec pour objectif d'accueillir chaque année 600 stagiaires provenant des pays d'Afrique d'ici à 2030. Cette proposition suscite une forte adhésion de la part de nos partenaires.
Enfin, il est essentiel de réfléchir au capacitaire, aux équipements et à l'armement. Notre base industrielle et technologique de défense (BITD), avec toutes ses qualités reconnues, a pris de bonnes habitudes en matière d'exportation d'armes avec de grands contrats vers de grands pays, ce qui est une bonne chose.
Toutefois, il est indéniable que les armées des pays partenaires réalisent également d'importants efforts budgétaires pour monter en puissance. L'armée sénégalaise, l'armée ivoirienne, par exemple, n'ont plus rien à voir avec ce qu'elles étaient voilà dix ou quinze ans. Or leurs besoins en équipement et en capacités sont toujours présents. Et nos industriels ont parfois pu décourager certaines armées de pays amis, jugeant les contrats trop peu importants. La nature ayant horreur du vide, ce sont nos concurrents qui ont pris la place…
Il y a une réflexion clef à mener avec la direction générale de l'armement (DGA), avec la BITD et avec le monde bancaire, notamment la Banque publique d'investissement (BPI), afin de trouver des solutions pour tous ces pays et leur permettre de continuer à monter en puissance. Nous devons être présents pour les aider dans leurs efforts, ce qui passe également par les équipements.
Un autre point que nous devrons aborder lors des discussions sur le projet de loi de programmation militaire est la nécessité de renforcer notre réseau d'attachés de défense. La ministre a évoqué le renforcement du réseau diplomatique, mais son propos doit s'appliquer aussi aux attachés de défense et aux attachés d'armement. Savez-vous qu'aucune ambassade en Afrique ne dispose actuellement d'un attaché d'armement de la DGA ? C'est évidemment un non-sens.
Nous devons accroître aussi nos capacités expéditionnaires. Nous l'avons vu avec l'opération Sagittaire, notamment lors de l'évacuation de Khartoum, mais aussi dans d'autres opérations. Cela soulève la question de la cohérence et de la masse. Avoir un grand nombre d'A400M, c'est bien, mais encore faut-il qu'ils soient et opérationnels et dotés d'une interopérabilité avec les forces spéciales. Nous avons de nouvelles perspectives de contrats opérationnels en matière expéditionnaire à l'avenir, ce qui nous permettra d'être beaucoup plus agiles dans notre approche.
La question du renseignement, que je n'aborderai pas ici, car elle a été traitée au sein de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), est évidemment un sujet clef, notamment dans la lutte contre le terrorisme.
Parmi les axes d'effort, j'ai beaucoup parlé des pays francophones, car c'était la directive qui m'avait été donnée pour éclairer le Sénat sur la manœuvre en cours concernant les bases. J'ai donc fait ce choix éditorial, si je puis dire, pour vous éclairer complètement sur ce sujet. Il est clair que les questions de sécurité et de défense concernent également à l'Afrique lusophone et anglophone, où nombre d'États sont aussi confrontés à la lutte contre le terrorisme.
La situation du Mozambique, par exemple, nous intéresse directement en raison de notre proximité géographique. Il y a également l'Angola, où le Président de la République s'est rendu récemment. Je ne vais pas citer tous les pays concernés.
Dans certains d'entre eux, nous n'avons pas de forces, mais des perspectives de renouvellement ou de renforcement des accords de défense, ainsi que des perspectives en matière de capacité.
Je tiens à rappeler à la Haute Assemblée que nous avons signé un contrat pour une offre satellitaire avec l'Angola en matière de renseignement. Cela peut sembler peu intuitif de prime abord, mais cet accord montre bien que si nous sommes compétitifs, nous sommes également capables d'aider nos partenaires sur de nouveaux segments technologiques.
Enfin, je souligne que l'esprit de Takuba demeure parmi nos partenaires européens. Parfois, les questions relatives à l'Europe de la défense méritent d'être traitées avec prudence, en dehors de l'Otan et des cercles d'intervention classiques. Grâce aux compétences de l'armée française, nous avons réussi à entraîner de nombreux partenaires européens dans des opérations expéditionnaires, et de nombreux pays européens ont également compris l'intérêt d'aider les pays africains dans leur lutte contre le terrorisme. Il est important que nous puissions maintenir vivant cet esprit de Takuba, car il constitue une véritable avancée.
Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC.
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour le groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours des soixante dernières années, la relation que nous entretenons avec les pays africains a rythmé comme nulle autre la vie de notre pays, de sa diplomatie, de sa coopération, de ses armées. Elle est le reflet d'une longue histoire commune, qui porte ses indéniables parts d'ombre, auxquelles il faut savoir se confronter, mais qui fut aussi brillante d'engagements sincères, d'amitiés profondes et de réalisations admirables.
Cette relation si singulière, chaque Président de la République a voulu lui imprimer sa marque, lui donner un nouvel élan, une nouvelle perspective ou une nouvelle méthode. L'actuel chef de l'État ne fait pas exception à cette règle, lui qui ambitionnait en 2017 à Ouagadougou d'écrire une « nouvelle relation d'amitié » avec le continent africain. Et pourtant, nous voilà en 2023 confrontés à cette question qui s'impose chaque jour avec davantage de force : la France et l'Afrique partagent un passé, mais partagent-elles encore un avenir ?
Le cœur, presque autant que la raison, m'incite à y répondre sans ambages par l'affirmative. Mais le fait même de formuler cette interrogation impose de procéder à une évaluation lucide et sans concession de la situation.
Vous l'avez rappelé, la France reste sur le continent africain un acteur clef dans un grand nombre de domaines. Mais depuis vingt ans, sa présence et son influence s'y font de plus en plus relatives. Dans ce laps de temps, ses parts de marché ont fondu de moitié. Depuis 2007, la Chine l'a remplacée comme premier exportateur vers le continent africain. Depuis 2017, elle a perdu son statut de premier fournisseur européen au profit de l'Allemagne. Et depuis l'année dernière, elle n'est même plus le premier partenaire commercial d'aucun des pays du Maghreb.
Les épisodes de tension se sont multipliés en Afrique subsaharienne, mais aussi en Afrique du Nord, où le principal résultat du rapprochement tenté avec l'Algérie est pour l'heure une prise de distance de notre allié marocain.
Le rayonnement de la culture française s'estompe également. En 2018, 59 % des300 millions de locuteurs français dans le monde étaient africains.
Pourtant, des pays francophones comme le Rwanda, le Togo ou le Gabon ont fait le choix de rejoindre le Commonwealth voire, pour certains, d'adopter l'anglais comme langue officielle ou comme langue d'enseignement. Le Maroc et l'Algérie envisageraient de s'engager sur une voie similaire.
Et si la France reste le premier pays de destination des étudiants africains, sa capacité à attirer les futures élites du continent pour les former est malheureusement en net recul par rapport à d'autres destinations.
Surtout, nous devons désormais faire face au mur de ce que l'on appelle le sentiment anti-français. Certes, nous pourrions être tentés de le relativiser, de n'y voir qu'un effet de loupe créé par quelques milliers d'activistes ou de désinformateurs aux motivations douteuses. Ce serait une erreur, car le phénomène est devenu incontournable. Il a joué un rôle majeur dans le départ contraint de nos armées du Mali, du Burkina Faso ou de République centrafricaine.
Le constat est cruel : malgré l'engagement remarquable de nos militaires contre le terrorisme islamiste et le sacrifice de cinquante-trois d'entre eux, dont le souvenir est présent dans tous nos cœurs, jamais la France n'a été, dans ces pays comme dans d'autres, aussi critiquée et, parfois, rejetée.
Ce ressentiment plonge bien sûr ses racines dans la colonisation et dans certains errements de la période post-coloniale. Mais il tient aussi au fait que, tout simplement, l'Afrique a profondément changé.
Il y avait 275 millions d'Africains en 1960. Ils sont aujourd'hui 1, 2 milliard, dont plus de la moitié a moins de 25 ans. Une véritable bascule générationnelle s'est opérée, distendant nos liens diplomatiques, militaires et culturels.
Les nouvelles générations, les nouvelles élites africaines, au cœur de l'essor économique du continent, sont aussi celles de la globalisation. Le monde, désormais, se presse à la porte de l'Afrique. Les pays africains multiplient les partenariats – ce qui est bien normal – loin de toute relation exclusive. Cette réalité, et les attentes qui en découlent concernant la relation avec la France, sans doute ne les avons-nous pas suffisamment observées ni intégrées.
Ne soyons pas non plus naïfs : certains de nos compétiteurs stratégiques font tout pour nous évincer et cherchent pour cela à accroître le sentiment anti-français. Dans ce domaine, l'affaire du prétendu charnier de Gossi nous a une nouvelle fois montré que tous les coups contre la France étaient permis.
Alors, comment réagir à cette nouvelle donne ?
Naturellement, nous devons entendre les reproches qui nous sont faits, les plus fondés comme les plus injustes, et y répondre non seulement par les mots, mais aussi par les actes. Cela ne signifie en aucun cas que nous devrions les intérioriser au point qu'ils guident à chaque instant notre attitude vis-à-vis de l'Afrique et des Africains. Comment, en effet, présenter une image attractive de notre pays si, finalement, nous acceptons en notre for intérieur qu'il soit dévalorisé ? Refusons donc le discours de ceux qui, dans le passé, ne voudraient voir qu'un passif. N'endossons pas la rhétorique de ceux qui mettent la France en accusation permanente et pour qui elle aura toujours tort, quoi qu'elle dise ou quoi qu'elle fasse.
Assumons par ailleurs franchement la promotion de nos intérêts : oui, la France a des intérêts en Afrique ! Ceux-ci ne résident pas, comme certains voudraient le faire croire, dans une domination économique fantasmée à travers le franc CFA ou dans une exploitation supposément prédatrice des ressources minières. Nos véritables intérêts sont ailleurs, mes chers collègues.
Sur le plan sécuritaire, nous avons intérêt à ce qu'il y ait moins de crises sur le continent, car tout conflit peut générer des effets négatifs de l'autre côté de la Méditerranée allant de la prolifération des armes au terrorisme, en passant par l'immigration irrégulière.
Sur le plan des équilibres internationaux, nous souhaitons nous fonder sur nos liens anciens avec certains pays africains pour continuer à appuyer mutuellement nos positions au sein des instances internationales.
Sur le plan économique, enfin, il est évident que, comme le reste du monde, nous avons intérêt à ce que l'Afrique continue de s'affirmer comme un relais d'innovation et de prospérité.
Mais pour œuvrer efficacement sur tous ces plans, il nous faut avant tout restaurer les moyens de notre influence. La revue nationale stratégique de novembre 2022 a justement fait de cette dimension une nouvelle fonction stratégique – si je voulais faire de l'ironie, je dirais qu'il était temps de redécouvrir que la diplomatie consiste à avoir de l'influence !
Sourires.
Plus sérieusement, la cohérence de notre action dans ce domaine interroge parfois, tant le hiatus est important entre des ambitions affichées et le sort que nous réservons à notre propre diplomatie : avec une réforme qui nie ses spécificités et son savoir-faire et des moyens drastiquement réduits depuis trente ans, la situation est inquiétante – même si je reconnais, madame la ministre, que vous avez stoppé cette hémorragie.
Combien d'agents sont aujourd'hui affectés à la veille et à la diffusion d'informations au sein de chacun de nos postes diplomatiques ? Dans les pays d'Afrique de l'Ouest, une poignée ; parfois seulement un stagiaire. Les effectifs des services de coopération et d'action culturelle, quant à eux, se réduisent année après année.
A contrario, les crédits consacrés à l'aide au développement ont beaucoup augmenté. Tant mieux ! C'est non seulement conforme aux engagements internationaux de la France, mais c'est surtout essentiel.
Je regrette cependant que, malgré nos appels répétés, la commission d'évaluation des politiques de soutien au développement, prévue par la loi d'orientation du 4 août 2021 n'ait toujours pas entamé ses travaux et n'ait d'ailleurs pas même été constituée.
Quand elle le sera, elle constatera sans doute qu'il est indispensable de recentrer notre politique de solidarité internationale autour de quelques priorités fondamentales, que nous martelons en commission. Nourrir, soigner, éduquer : voilà les domaines où notre aide est la plus attendue, où elle peut porter ses meilleurs fruits ! Bien sûr, notre action peut, et doit, être conduite dans le respect du climat et de la bonne gouvernance, mais c'est bien dans ces dimensions vitales pour les populations qu'elle aura le plus d'impact.
Trop longtemps, notre aide au développement a fonctionné en vase clos, sans voir que nos partenaires, eux, font preuve d'une approche beaucoup plus intégrée.
Notre assistance technique, qui a longtemps été un formidable levier d'influence et d'exportation de notre savoir-faire, est devenue extrêmement réduite. L'organisme allemand, la Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), réalise un chiffre d'affaires de 3, 7 milliards d'euros et emploie 23 600 personnes. Pour Expertise France, c'est 339 millions d'euros et 1 400 personnes.
Il faut en outre reprendre le contrôle de notre aide multilatérale à l'Afrique. Plus de la moitié des contributions du Royaume-Uni, plus du tiers des contributions allemandes aux organismes multilatéraux sont fléchés vers leurs propres priorités d'action. Pour nous, cette proportion n'est que de 1 %. Quelle perte d'influence par rapport à nos partenaires !
Il faut compléter cette approche en incitant et en accompagnant bien davantage nos entreprises à s'implanter, à investir et à commercer avec le continent. Car c'est aussi comme cela que nous répondrons aux préoccupations des Africains, souvent d'ordre économique.
Enfin, reste la question centrale, structurante, de notre coopération militaire. Une opération comme Barkhane, malgré ses succès indéniables, que vous avez eu raison de souligner, monsieur le ministre, constitue peut-être une anomalie par sa durée particulièrement longue. Faute de progrès sur la solution politique, la France s'est trouvée exposée en première ligne pendant des années, vulnérable face à la propagande des Russes, de Wagner et de tous ceux qui ont intérêt à notre départ.
Pourtant, cette opération a aussi enclenché des partenariats utiles. Ainsi, au Niger, nos forces collaborent efficacement, sous commandement nigérien, à la lutte contre les groupes terroristes. Ces coopérations doivent être poursuivies, car elles permettent à nos partenaires de monter en puissance. Dans son discours de février dernier, le Président de la République a proposé de les inscrire dans le cadre d'un « nouveau partenariat sécuritaire ». Certains axes dégagés à cette occasion nous semblent de bon sens.
Je partage ainsi la volonté de mieux répondre aux demandes ponctuelles de nos partenaires. Je pense, par exemple, à l'appui au renseignement, où nous pouvons apporter notre connaissance et notre capacité de surveillance des groupes djihadistes qui tentent de s'infiltrer dans le nord de la Côte d'Ivoire, du Bénin ou du Togo.
Je souscris aussi au constat selon lequel nous ne vaincrons pas les terroristes à la place des pays concernés. Tout appui opérationnel doit donc rester ponctuel, discret et efficace.
Concernant nos bases militaires, monsieur le ministre, vous connaissez ma position et celle de la commission. Ces bases sont essentielles et la récente opération Sagittaire, brillamment conduite à partir de Djibouti pour évacuer nos ressortissants présents au Soudan, en est une nouvelle preuve. Nos compétiteurs stratégiques sont d'ailleurs eux aussi convaincus de cette importance, notamment la Chine qui, après celle de Djibouti, cherche à ouvrir une base dans le golfe de Guinée.
Je ne suis pas hostile à ce que nous travaillions d'une manière différente, en cherchant à tenir compte du contexte local de chaque base pour mieux nous y adapter. Toutefois, s'agissant d'un outil militaire, je souligne que ces bases sont aussi l'expression de notre souveraineté, laquelle, par définition, ne se partage pas.
Naturellement, il appartient aux États hôtes, et à eux seuls, de décider s'ils acceptent ou non leur présence. Cependant, l'annonce d'une « cogestion » me pose problème sur les plans conceptuel et opérationnel : dans ce cadre, serions-nous toujours capables, demain, de lancer dans l'urgence une opération telle que Sagittaire ?
Madame la ministre, monsieur le ministre, nous sommes à un moment charnière de notre relation avec le continent africain. Ce débat a pour but de vous amener à préciser vos priorités. Soyons objectifs : rien n'est plus acquis dans le nouvel environnement ultra-concurrentiel où de nombreux pays, y compris nos partenaires européens, tentent de gagner de nouvelles positions.
Si nous voulons continuer à jouer un rôle de premier plan, il nous faudra tirer les leçons, parfois douloureuses, de ces vingt dernières années et de nos quelques échecs. Sur tous les plans, nous devrons nous adapter, nous battre, nous remettre en question parfois, mais aussi savoir nous montrer fiers de ce que la France a accompli en Afrique.
La palette des outils à notre disposition est large. Il faut désormais les mettre en cohérence autour du cap clair et cohérent qui leur fait encore défaut, et avec un seul mot d'ordre : parions sur l'Afrique et parions sur la France !
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et INDEP.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste était favorable à ce débat sur la politique de la France en Afrique, mais nous l'aurions souhaité sous une autre forme que cet échange extrêmement formel, qui ne nous permet pas d'exercer pleinement notre rôle de parlementaire.
Il intervient dans un contexte particulièrement douloureux de déclin relatif de l'influence de la France sur le continent africain, marqué par le rejet spectaculaire de notre présence militaire au Mali et au Burkina Faso. Pour beaucoup, c'est apparu comme un révélateur, mais nous savons que les causes sont bien plus lointaines.
Alors que, dans les années 1990, le continent était abandonné, il est désormais courtisé par de nombreux pays : la Russie, bien sûr, et la Chine, depuis plus longtemps, sans oublier les États-Unis, le Japon, la Turquie ou les Émirats arabes unis.
Tous ont développé leur appétit à l'égard de l'Afrique ; tous sont nos compétiteurs. Nous avons perdu nos liens privilégiés exclusifs avec les États africains. Il est temps que nos relations deviennent ordinaires et ne soient plus marquées du sceau de la singularité.
Alors que la hiérarchie du monde change, l'Afrique veut être considérée comme un acteur de plein droit sur la scène internationale. C'est un défi géopolitique majeur que le président Macron a pointé du doigt et qu'il convient de traduire dans les faits.
Au fil des ans, la société civile africaine a changé. La jeunesse, qui n'a pas connu les combats pour l'indépendance, trouve dans le sentiment anticolonial un chemin alternatif vers l'émancipation. Une partie d'entre elle s'est même fortement radicalisée. On assiste au développement d'un panafricanisme partisan d'une rupture franche avec l'Occident vieillissant, qui continue pourtant à vouloir imposer son ordre mondial. Ce conflit avec l'Ouest permet de réhabiliter les groupes djihadistes auprès des populations et la Russie en fait son miel !
L'Afrique prend ses distances avec la France, qui a perdu sa position privilégiée. Mais pourquoi l'aurait-elle gardé, puisqu'elle ne se distingue pas, ne développe pas une diplomatie originale, des liens nouveaux, équilibrés et respectueux ?
Certes, le Président de la République proclame la fin de la « Françafrique », qui ne concerne que l'Afrique francophone, mais cela n'est pas nouveau : depuis George Pompidou, tous ses prédécesseurs l'ont fait avant lui. Pourtant, nous avons continué à surfer sur nos relations anciennes, basées sur notre histoire coloniale, empreintes de corruption et de clientélisme, de double langage et d'arrogance.
Du fait de l'importance du continent africain et de son affirmation sur la scène internationale, la France ne peut se passer d'une politique à l'égard de l'Afrique, mais elle doit changer d'approche.
Le 27 février dernier, Emmanuel Macron a prononcé un discours qui se voulait fondateur. Nous attendions donc qu'il clarifie les nouvelles orientations de sa politique dans un contexte pour le moins tendu. Au lieu de cela, son intervention s'est plutôt inscrite dans la continuité, restant floue sur beaucoup de points. En tout état de cause, elle ne constitue pas les prémices d'une nouvelle politique africaine.
Sur le plan militaire, je tiens à rendre hommage à l'engagement de nos soldats lors des opérations Serval et Barkhane. Vous avez raison, monsieur le ministre, ils ont remporté de vrais succès, mais nous n'avons pas réussi à enrayer l'implantation des groupes djihadistes. On nous a reproché, dans le cadre de véritables campagnes d'exploitation politique, d'avoir saisi cette occasion pour asseoir un peu plus notre présence militaire.
De nombreuses fois alertée par notre commission, la ministre des armées de l'époque misait sur l'arrivée de nos partenaires européens au sein de Takuba… On ne peut pas dire que ce fut une réussite ! En tout cas, je ne le vois pas ainsi.
M. Sébastien Lecornu, ministre, manifeste son désaccord.
À mon sens, l'Union européenne a montré sa faiblesse à cet égard. Or si elle ne veut pas être la grande perdante de la compétition qui s'est engagée, en Méditerranée comme sur le continent africain, elle doit s'impliquer davantage dans cette zone particulièrement instable, en s'abstenant de considérer ce continent comme un libre-service, une réserve de richesses et de matières premières rares ou comme une menace devant laquelle il faudrait se barricader.
Nous ne sommes plus le gendarme de l'Afrique. Ce temps est révolu, il nous faut changer de modèle. Le Président de la République l'a affirmé : l'influence de la France ne se mesurera plus au nombre de nos opérations militaires ni à celui de nos bases. Il préconise la réduction de l'empreinte directe de nos armées au profit d'un soutien aux forces de sécurité de la région. Vous avez d'ailleurs insisté sur ce sujet, monsieur le ministre.
Cela signifie-t-il que nous entrons dans une phase de repli ? Allons-nous continuer de nous mobiliser contre le djihadisme, qui touche désormais des pays qui avaient su s'en prémunir jusque-là, comme le Mozambique ?
Dans le domaine de l'aide au développement, Emmanuel Macron a aussi fait des annonces.
Sur le fond, nous avons compris que la notion d'aide au développement était dorénavant à proscrire. Selon un proverbe africain, la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. Aussi, il nous invite à passer d'une logique d'aide à une logique d'investissement solidaire et partenarial. Mais là encore, il s'agit d'une rhétorique déjà ancienne. Les Africains ont malheureusement l'habitude de ces déclarations non suivies d'effets.
Si les annonces présidentielles confirment la mobilisation de la France en faveur de la solidarité internationale, notamment sur les droits humains, sur le climat, la santé, l'éducation, la jeunesse ou l'égalité femme-homme, nous regrettons que l'eau et l'assainissement n'aient pas été cités, alors qu'il s'agit d'une priorité sectorielle inscrite dans la loi du 4 août 2021.
Les organisations de la société civile sont les grandes oubliées des priorités esquissées par le Président de la République. Je pense bien évidemment aux ONG françaises, mais aussi aux ONG des pays partenaires, qui, par leur proximité et leur engagement auprès des populations, jouent un rôle majeur. Nous devons en faire des partenaires privilégiés de notre politique.
S'il a rappelé les efforts financiers engagés par la France jusqu'en 2022, le Président de la République a éludé la trajectoire des financements. Les engagements de la France sont pourtant clairs sur ce sujet et inscrits dans la loi du 4 août 2021, qui affiche une trajectoire visant à allouer 0, 7 % de notre revenu national brut (RNB) à l'aide publique au développement à l'horizon 2025. Ce débat a été tranché, cette trajectoire doit être maintenue !
Enfin, il nous manque toujours cet outil d'évaluation de nos politiques publiques d'aide au développement prévu par la loi. Voilà deux ans que la commission d'évaluation aurait dû être mise en place ! Pourquoi tant de tergiversations ? Nous vous rappelons que le Sénat a adopté le rattachement de la commission d'évaluation à la Cour des comptes.
Dans la stratégie 3D – défense, diplomatie, développement – que le Gouvernement a théorisée et qui a échoué selon moi, l'appareil militaire de défense et le développement étaient étroitement liés à la diplomatie. À cet égard, je m'interroge : la diplomatie française a-t-elle fait preuve de naïveté ou d'aveuglement ? Avons-nous sous-estimé la puissance du ressentiment et de la rancune que ces pays nourrissent à notre encontre, surtout quand l'histoire est convoquée par une propagande hostile ? Je ne le crois pas.
Je pense plutôt que notre logiciel politico-diplomatique est ancien et obsolète. On fait de la diplomatie comme on en faisait voilà quelques décennies, à l'époque où la France faisait et défaisait les régimes en place et qu'elle en avait les moyens financiers et humains.
La France a oublié que l'Afrique des gouvernants n'est pas forcément celle des peuples. De plus, depuis quelques années, les moyens alloués à la diplomatie française sont trop faibles comparés à ceux des autres pays. Même si notre réseau diplomatique sur ce continent n'est pas le plus mal loti, nos petites ambassades sont contraintes de fonctionner en « couteaux suisses ». Ainsi, au Sahel, la présence de la France a été bien plus militaire que diplomatique.
La réforme du corps diplomatique qu'Emmanuel Macron a dévoilée en avril 2022 n'a pas apaisé nos inquiétudes. Elle n'apporte de fait aucune amélioration.
Nous craignons même, au contraire, qu'elle ne fragilise l'appareil diplomatique français, ce qui reviendrait à affaiblir le rayonnement de la France. C'est une situation inquiétante au moment où nous avons besoin de diplomates aguerris et compétents, auxquels je tiens à rendre hommage.
Le Président de la République a essayé d'ouvrir d'autres voies de dialogue lors du sommet Afrique-France de Montpellier, auquel j'ai assisté.
Ce fut un très bel événement, mais qu'en reste-t-il ? Un observatoire de la démocratie ! À quoi sert cette initiative ? La démocratie ne se décrète pas en laboratoire : elle est portée par un mouvement populaire, elle est le fruit d'un engagement politique. Emmanuel Macron a voulu une démarche moderniste, mais a proposé un schéma suranné et à contresens.
De la même manière, alors que le franc CFA fait l'objet de débats passionnés depuis des décennies, une annonce des présidents Ouattara et Macron, venue d'en haut, sans processus de consultation ni des autres chefs d'État ni des populations, ne peut que faire débat. Une décision imposée est toujours une décision suspecte. À quoi sert de vouloir imposer nos modèles clefs en main ?
Il suffit de soutenir une gouvernance respectueuse des droits humains sans imposer un agenda démocratique irréaliste. Le chef de l'État a insisté sur la démocratie et la liberté dans son discours de l'Élysée du 27 février. Il s'est certes rendu en Afrique à de nombreuses reprises depuis son élection, mais souvent dans les pays les moins démocratiques du continent, qui abritent les plus anciens autocrates ou leurs dynasties.
Il semble que la realpolitik le rattrape toujours. Nous ne lui reprochons pas de pratiquer cet exercice, afin de maintenir l'influence de la France, car nous mesurons combien la tâche est difficile. Ce que nous condamnons, c'est le double langage. Ainsi, quand la France accepte le pouvoir militaire au Tchad, mais le condamne au Mali, notre pays perd toute crédibilité. Nous ne pouvons défendre des valeurs à géométrie variable.
Nous devons aussi nous montrer plus attentifs aux tragédies qui touchent le continent : crimes de guerre, crimes contre l'humanité, en Éthiopie, au Soudan ou en République démocratique du Congo (RDC).
Les pénuries alimentaires constituent autant de tragédies. En raison du réchauffement climatique, elles frappaient déjà les régions de la Corne de l'Afrique. La situation s'est aggravée en raison de la non-livraison de céréales à bas prix en provenance d'Europe de l'Est sans que ni l'Union européenne ni la France ne soient en mesure de prendre le relais, du moins à court terme, pour faire face à la disette – mais peut-être sommes-nous en train d'y remédier.
En République centrafricaine ou au Burkina Faso, le chantage alimentaire constitue même l'un des facteurs déterminants de la montée d'influence de la Russie.
Ces crises alimentaires vont immanquablement déboucher sur une nouvelle crise migratoire. Madame la ministre, monsieur le ministre, sachez que, lors du débat sur l'immigration, nous veillerons à ce que notre politique de développement ne soit pas assujettie aux enjeux de politique intérieure. Allez dire au ministre Darmanin que sa politique restrictive des visas a coupé les liens indéfectibles avec les Africains, particulièrement les jeunes.
La politique de la France en Afrique est illisible et blessante. Blessante, car chaque fois que la France s'exprime, elle fait preuve d'un certain paternalisme et de condescendance, empreints de maladresses et de propos déplacés qui alimentent le sentiment anti-français tant auprès des gouvernants que des populations, fatiguées de ces remarques désobligeantes.
Les maladresses se multiplient et les incompréhensions demeurent. Nous avons pourtant un atout formidable avec l'espace francophone, qui peut être un excellent vecteur de réconciliation. Vous l'avez évoqué, madame la ministre, mais les gouvernements successifs ne l'ont jamais assez utilisé.
Il est temps de procéder à des évolutions dans notre dialogue avec l'Afrique, plus exactement avec les Afriques, même si je me suis plutôt penchée sur l'espace francophone, comme vous, monsieur le ministre, car c'est là que nous avons un lourd héritage à régler. À défaut, le continent entier risque de glisser vers une forme de chaos, dont la Russie et la Chine tireront immanquablement les bénéfices en pillant l'ensemble des ressources.
Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et INDEP.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur les ministres, mes chers collègues, pour comprendre l'Afrique, encore faut-il la connaître. Je m'y suis rendu à cinquante-sept reprises depuis 2015 et elle m'étonne à chaque fois.
Je commencerai par trois anecdotes.
Tout d'abord, celle de cet entrepreneur français, qui a subi un vol dans sa société. Il se rend à la police. On le renvoie vers la dame aux balais, qui lui communique un nom après avoir utilisé deux balais croisés. Après vérification sur sa vidéosurveillance, il découvre qu'elle a raison.
Que dire de ce compatriote qui croit son portefeuille volé à son domicile ? Affolée, une personne à son service part précipitamment chez le marabout, qui lui révèle que le portefeuille est à la vue de tous et que personne ne le voit. Elle rentre avec le message du marabout. Le portefeuille est retrouvé, une heure plus tard, oublié près de la piscine.
Ou encore ce consul général, qui fait venir chaque année un coupeur de pluie pour s'assurer de célébrer le 14 juillet au sec. Après deux heures de réception, le coupeur de pluie lui demande s'il peut partir ; dès son départ, la pluie se met à tomber sur le consulat.
Les esprits cartésiens seront dubitatifs !
M. Olivier Cadic . Notre consul général ne se fait pas rembourser la prestation par le Quai d'Orsay…
Mme la ministre s'en amuse.
Olivier Leloustre, conseiller des Français de l'étranger, établi depuis vingt ans en Afrique, m'a confié qu'il se refusait à expliquer l'Afrique à quelqu'un qui n'y avait pas déjà vécu au moins cinq ans.
On aborde souvent à tort la stratégie française en Afrique au travers d'un seul prisme. C'est une erreur, car il n'y a pas une, mais des Afriques. Chacune a des problématiques bien distinctes, même si certaines se recoupent.
Emmanuel Macron a visité vingt-cinq pays de ce continent depuis sa première élection en mai 2017, ce qui fait de lui le dirigeant ayant le plus d'engagements diplomatiques avec les nations africaines.
Pourtant, sur le continent africain, et plus particulièrement en Afrique de l'Ouest et au Sahel, on nous répète que le sentiment anti-français ne cesse de croître.
Et si c'était une fake news sciemment entretenue, illustrant la guerre hybride livrée à la France pour nous affaiblir ? Nous nous fions trop aux réseaux sociaux animés par les activistes. Aujourd'hui, les gens les plus crédibles aux yeux de la population sont ceux qui parlent le plus, non ceux qui disent la vérité.
Le mea culpa permanent sur notre passé, sur lequel de soi-disant experts se répandent, est ressenti comme une faiblesse sur ce continent. De grandes entreprises françaises sont l'objet de violentes attaques de la part de représentants d'ONG soutenues par leurs concurrents.
Nous avons peut-être perdu une bataille dans la guerre informationnelle l'an dernier au Sahel, mais nous n'avons pas perdu la guerre. Vous avez raison, monsieur le ministre : les militaires de l'opération Barkhane ont été irréprochables. Ils sont notre fierté.
Anti-Français, les Africains ? Expliquez-moi pourquoi les demandes d'inscription pour étudier en France battent des records. L'Algérie en est à 53 000 ; elle dépasse pour la première fois le nombre de demandes marocaines, qui est d'environ 30 000. Au Togo, après une hausse de 73 % sur la période 2016-2021 et de 68% en 2022, une augmentation de près de 40 % est déjà enregistrée cette année. Un ministre togolais m'a confié que les Togolais de France renvoyaient plus d'argent au Togo que ce que nous leur apportons en aide au développement.
Pourquoi donc se détourneraient-ils de nous ?
Dans beaucoup de pays, il m'a été dit : « Je ressens une envie de France ! ». Un Camerounais m'a avoué ce week-end : « Lorsque nous avons le partage de la langue, la proximité est plus forte. Dans notre inconscient, la France est la plus proche. Les liens sont forts. »
Nos compatriotes installés en Afrique m'ont tous assuré qu'ils ne se sentaient pas menacés en tant que Français. En revanche, il est vrai que nous sommes confrontés à une guerre hybride menée contre l'influence de la France et ses intérêts économiques. Avec quelques euros, on paie un journalier aussi bien pour travailler que pour manifester avec un drapeau russe devant l'ambassade de France.
Le sentiment « anti-politique française », tout comme le sentiment « anti-intérêts français », n'est pas seulement alimenté par les puissances étrangères et leurs « proxy ». Dans plusieurs pays, des personnes surfent sur du néonationalisme, faisant de la France le bouc émissaire idéal pour expliquer leurs difficultés et s'imposer politiquement. Ma collègue Carlotti a parlé des apôtres du panafricanisme. Mais qui sont derrière aux ?
Ces mouvements populistes gagnent en visibilité. Lorsqu'ils s'imposent, ils se jettent dans les bras de la Russie, de la Chine, de l'Iran et consorts. On le voit au Burkina Faso ou au Mali.
Ils trouvent un écho auprès des acteurs économiques locaux, qui en profitent pour faire du « dégagisme » à l'encontre de nos entreprises et participer ainsi à la prédation sur leurs activités.
Récemment, la filiale de la brasserie Castel en République centrafricaine a été attaquée à coup de cocktails Molotov. On suspecte Wagner. De nouvelles menaces planent sur cet industriel français emblématique en Afrique, qui a fait de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) une marque de fabrique qui fait honneur à notre pays.
Monsieur le ministre, avec l'annonce du retrait de troupes françaises du continent, comment allez-vous défendre nos intérêts économiques et nos entreprises quand ils seront directement attaqués ? Comment justifiez-vous ce retrait, alors que l'on observe une militarisation accrue de la Chine pour consolider ses liens diplomatiques et commerciaux avec le continent ?
Le retrait de Barkhane a fait les affaires des groupes terroristes au Sahel. Beaucoup s'en rendent compte dans les pays avoisinants en voyant la menace progresser.
Pour la première fois depuis dix-sept ans, le chef d'état-major algérien s'est rendu en France. Il faut savoir que 93 % des ressources algériennes proviennent du Sud algérien. Comment les Algériens analysent-ils la situation sécuritaire au Sahel et envisagent-ils une coopération militaire ?
Le terrorisme islamiste en Afrique est le visage du crime international organisé, structuré, à l'image des gangs criminels que j'ai observés en Amérique latine. Il se drape dans un militantisme religieux pour légitimer les recrutements.
Au Brésil, des milices ont été créées pour protéger des quartiers et lutter contre les gangs. Les habitants doivent alors se plier aux règles de la milice et échangent leur liberté contre de la sécurité. En Afrique, certains pays font appel à la milice Wagner, qui se paie sur les ressources du pays, à l'instar d'une milice mafieuse.
Contrairement à ce que certains prétendent, la France n'abandonne pas l'Afrique.
Voilà six mois, j'ai visité l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme, près d'Abidjan. Ce centre d'excellence est destiné à appuyer les pays africains dans leur effort. Le modèle de gouvernance de l'Académie franco-ivoirienne est un exemple pour la nouvelle posture de la France surs ce continent. J'en profite pour saluer la réunion, le 11 mai dernier, du premier conseil d'administration international, avec les Australiens, les Canadiens, les Hollandais et les Américains. Le modèle interministériel retenu pour l'Académie doit avoir valeur d'exemple en Afrique. Il permet d'éviter que l'armée ne porte seule l'antiterrorisme, avec les risques de dérapages sur les populations civiles que cela implique.
Ce modèle est innovant et mérite d'être mieux connu. Combien de pays africains se sont-ils déclarés intéressés par cette initiative ?
Madame la ministre, la gestion de l'attribution des visas par la France est une cause de frustration observée dans de nombreux pays africains. Cela conduit à des décisions défavorables à la France.
Par exemple, certaines entreprises ont préféré se fournir en matériel venant d'un autre pays que la France, de peur de se voir refuser des visas pour une entrée sur le territoire français et de ne pas pouvoir faire former leurs personnels de manière satisfaisante. Quelles décisions sont prises pour améliorer notre politique d'attribution de visas, perçue parfois comme vexatoire ?
Par ailleurs, il apparaît fondamental d'aider les pays de ce continent à s'organiser dans le domaine de la santé.
Pour faire face à la pénurie, le sang est acheté auprès de donneurs. Contaminé, hépatique, il est inutilisable à 60 %. Concernant les médicaments, afin de lutter contre les produits contrefaits et d'aider les industriels à servir le continent, pourriez-vous encourager la création d'une agence africaine du médicament ?
La France incarne les valeurs démocratiques. À cet égard, j'ai personnellement été attristé par le renversement du président Roch Kaboré, un an après sa réélection, sans que nous n'intervenions pour protéger cette démocratie.
Le Somaliland est un État de la Corne de l'Afrique qui a déclaré son indépendance en 1991, à l'issue de la guerre civile avec la Somalie, pays en proie à des conflits depuis plus de trente ans. Ce dernier a des liens revendiqués avec la Russie, comme le montre la visite récente du ministre somalien des affaires étrangères à Moscou.
Depuis son indépendance, le Somaliland a su garantir une stabilité politique à ses citoyens, avec l'élection d'un président et de deux chambres au suffrage universel. Cinq présidents se sont succédé à la tête du pays depuis son indépendance. Allons-nous évoluer sur la question d'une prise en compte officielle du Somaliland pour favoriser son développement ou allons-nous continuer à nous limiter aux relations avec Mogadiscio ?
La France, comme nos partenaires africains, a besoin d'une ligne claire, fondée sur le respect mutuel. Cessons de chercher à nous faire aimer ; concentrons-nous sur nos intérêts en faisant valoir nos atouts pour nous faire désirer.
Un membre du parlement togolais, l'honorable Alipui, l'a résumé ainsi, hier, devant moi à Lomé : « Plutôt que pour Plus de France, optez pour Mieux de France ».
Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, aucune relation internationale n'est aussi complexe et importante pour notre pays et notre continent que celle qui nous unit à l'Afrique.
La politique étrangère de la France envers le continent africain se trouve à la croisée des chemins, oscillant entre les promesses d'une coopération fructueuse et les traces tenaces de son passé néocolonial. Comme le disait Albert Camus, l'amitié n'exige rien en échange, elle grandit librement dans le terreau des valeurs communes.
Le groupe RDPI se félicite des résultats de la récente tournée du Président de la République en Afrique, durant laquelle il s'est rendu au Gabon, en Angola, ainsi qu'en République démocratique du Congo et au Congo-Brazzaville, à cheval sur les mois de février et mars. Celle-ci a été marquée par des déclarations importantes et des actions concrètes de la part de notre pays.
À titre d'illustration, les programmes de développement durable, les actions en faveur de la gouvernance démocratique et les efforts pour soutenir l'autonomie africaine témoignent d'un désir de réinventer notre relation.
Lors de son discours prononcé au Gabon, le Président de la République a affirmé que l'ère de la Françafrique était révolue. Cette déclaration reflète la volonté de la France de rompre avec certaines pratiques du passé et de promouvoir un partenariat équilibré et transparent avec les pays de ce continent. Il s'agit d'un vrai tournant dans cette relation.
Après ce tour d'horizon de nos valeurs, il faut souligner les principaux défis que ces pays doivent relever.
Il y a d'abord l'environnement. Nous appuyons les mesures prises en faveur de la protection des forêts tropicales et primaires en Afrique, pour laquelle la France a investi 100 millions d'euros. Lors du sommet des forêts à Libreville, le 2 mars dernier, Emmanuel Macron a rappelé les engagements pris lors de la COP 15 à Montréal et de la COP 26 à Glasgow pour inverser le cours de la déforestation et protéger 30 % de la nature d'ici à 2030.
Ce format de sommet pourrait être annuel. Soyons attentifs à la signature d'un nouveau pacte financier Sud-Nord lors des travaux prévus à Paris ce mois-ci et au lancement de certificats de biodiversité d'ici à la fin de l'année, avant la COP2 28 à Dubaï, où les premiers contrats pays pour la conservation positive pourraient être signés.
Ensuite, il y a le développement économique, qui n'est possible que dans un environnement sain. À l'occasion de sa déclaration à Luanda, le Président de la République a souligné l'importance de la diversification de l'économie angolaise et de la souveraineté alimentaire. La France encourage le renforcement des partenariats en mettant l'accent sur la formation professionnelle, sur le développement de filières agricoles et agroalimentaires ainsi que sur la modernisation des infrastructures dans les secteurs de l'eau, de l'énergie et des transports, notamment dans le cadre du programme Choose Africa 2. Nous devons maintenant observer les résultats concrets, tels que la création d'usines et de fermes.
Enfin, il y a les enjeux sécuritaires, qui sont encore au cœur des préoccupations.
Ainsi en est-il de la piraterie, qui sévit depuis 2005 autour de la Corne de l'Afrique. Malgré une mobilisation internationale sans précédent, ce fléau demeure une menace pour le transport maritime. Selon la Banque mondiale, les rançons ont rapporté entre 339 millions et 413 millions de dollars aux pirates et à leurs commanditaires entre 2005 et 2012. Toutefois, en 2021 et 2022, le nombre d'actes de piraterie et de brigandage maritime a diminué de façon significative au niveau mondial, avec une baisse de 15 % par rapport à 2020, selon le MICA Center, pour Maritime Information Cooperation & Awareness Center, basé à Brest. Face à la persistance du phénomène, quelle stratégie adopter ? La présence des bâtiments militaires de l'Otan a permis une diminution notable des actes de piraterie, mais les eaux africaines présentent encore des dangers.
Passons à l'influence grandissante de la Russie et de la Chine en Afrique. Nous devons reconnaître que la présence et l'influence de la France sur ce continent ne sont plus ce qu'elles étaient, et ce depuis une quinzaine d'années. Nous avons été témoins, en mai 2022, des slogans anti-français scandés devant notre ambassade à Pretoria, où des drapeaux tricolores ont été brûlés. C'est le reflet d'un sentiment anti-occidental croissant en Afrique. Nous devons y répondre.
Ainsi, la diplomatie française a opéré un changement de posture et s'est réarmée en communiquant davantage, en renouvelant ses partenariats, en menant des actions accrues en direction de la jeunesse et en tissant des liens solides avec la diaspora française à l'étranger.
La Chine et la Russie tentent de remplir les espaces vides que nous avons laissés. La Chine, grâce à des investissements massifs, se concentre sur la côte est de l'Afrique, tandis que la Russie, avec une présence plus marquée en Afrique francophone et au Sahel, profite de la fin de l'opération Barkhane.
Comme cela est clairement réaffirmé à l'article 4 de la loi de programmation militaire, la réduction de la présence militaire française ne signifie ni retrait ni désengagement, mais plutôt adaptation aux évolutions des menaces et aux besoins des pays partenaires. Chaque pays africain doit renforcer sa propre autonomie sécuritaire. Aucune ancienne base Barkhane ne sera fermée, mais toutes seront destinées à former plus de militaires des pays concernés.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, il ne s'agit en rien d'un recul de la France dans ces pays. C'est une manière d'être présent différemment.
Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.
S'agissant d'États souverains, notre présence correspond à ce qu'ils veulent. Les bases évoquées par le Président de la République ont été mises en place par des accords de défense entre deux États souverains. À cet égard, il a été demandé au ministère des armées de conduire une réflexion sur le Tchad, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et le Gabon.
Par ailleurs, le Bénin, qui semble devenir le nouveau nid du djihadisme, …
… pourrait être en train de suivre le chemin du Mali et du Burkina Faso, qui se sont tournés vers la Russie à la suite de manifestations contre la force Barkhane.
Madame la ministre, monsieur le ministre, quelle réponse constructive la France peut-elle imaginer pour préserver ses liens historiques, tout en respectant la souveraineté et les aspirations de ces nations africaines ?
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.
La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la déclaration du Gouvernement sur la politique de la France en Afrique, dont nous débattons ce soir, s'inscrit dans la droite ligne du discours du chef de l'État du 27 février dernier au cours duquel il a proclamé que la France devait refuser d'entrer dans une logique de compétition, qu'il fallait tourner la page de l'économie de rente et qu'il convenait d'entrer dans une logique partenariale d'investissement solidaire.
Le problème, c'est que tous les fondamentaux dépassés de nos rapports économiques avec l'Afrique, qui sapent depuis tant d'années le développement de ces pays comme la confiance dans cette relation, sont maintenus, au mépris de tous les nouveaux enjeux du XXIe siècle.
Alors que les pays africains cherchent, par exemple, à financer leur développement, nous continuons de faire l'éloge de la pseudo-réforme unilatérale du franc CFA, qui laisse en l'état les instruments de la domination monétaire en vigueur et qui n'a constitué en vérité qu'une OPA hostile visant à tuer dans l'œuf le projet de monnaie ouest-africaine de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, ou Cédéao.
L'Afrique continue de parler de souveraineté monétaire, mais quand j'ai interrogé le Gouvernement sur le stock d'or de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), toujours détenu à 81 % à la Banque de France, ou sur la publication d'une annexe mentionnée à la convention de garantie entre la BCEAO et la République française, on m'a répondu : « Circulez ! Il n'y a rien à voir. »
Nous parlons d'être un partenaire d'avenir du développement en Afrique, mais nous ne portons pas le fer contre l'organisation du commerce international et la nature des échanges franco-africains qui l'entravent : traités de libre-échange foncièrement inégaux, démantèlement des services publics et des embryons d'État social dans ces pays, course au moins-disant fiscal, nivellement par le bas de la protection des travailleurs, politiques de prédation et maxi-bénéfices des multinationales, qui agissent sur place en toute impunité.
Si l'Afrique subsaharienne ne représente qu'environ 2 % de notre commerce extérieur, les parts de marché sont concentrées dans les mains de quelques grands groupes qui font des affaires avec un taux de profit indécent en complicité avec des élites extraverties et corrompues et au détriment d'une très grande majorité des Africains.
J'ai souvent dénoncé des exemples caricaturaux comme la surfacturation par des groupes français du train urbain d'Abidjan ou les profits accumulés par le groupe Bolloré dans les ports ouest-africains avant d'en partir sans égard pour les pays concernés.
Le coût pour les peuples africains du maintien de tels rapports économiques est exorbitant ; il se nomme grande pauvreté, sous-alimentation, maladies endémiques, insécurité, corruption des élites, migrations forcées. La jeunesse africaine ne veut plus de tout cela !
Quand allons-nous comprendre que le rejet de la politique française trouve ici ses racines profondes et qu'il ne peut être réduit au succès d'influences russes, turques, chinoises ou de qui sais-je encore ? Quand tirerons-nous vraiment les leçons des dizaines d'interventions militaires françaises en Afrique, dont la dernière, Barkhane, est en vérité un échec politique lourd de conséquences.
Notre politique reste à mille lieues des exigences populaires dans les pays africains en faveur d'une vraie souveraineté, d'une deuxième indépendance comme ils disent, exigences qu'ils expriment concrètement de plus en plus souvent.
Vous ne comblerez pas ce fossé en lançant un média de propagande pour vanter les mérites de la politique française, n'en déplaise à ceux qui, au Gouvernement et parmi nos collègues, évoquent abondamment la lutte d'influence pour tout expliquer. La seule manière de combattre efficacement les fake news et les propagandes hostiles est la mise en cohérence entre les paroles et les actes de la politique française en Afrique.
Si nous écoutions vraiment les jeunesses africaines, si la France changeait réellement de politique pour respecter la soif de liberté, de souveraineté, de développement choisi, alors nous aurions tous à y gagner, ici et là-bas. L'agenda des objectifs d'un développement durable maîtrisé par les Africains eux-mêmes est la clef d'un véritable avenir de paix et de justice, sur lequel refonder nos relations.
L'Afrique a d'abord besoin de financements massifs et de création monétaire.
La France doit cesser de mettre sous dépendance la zone du franc CFA et agir au plan international pour changer radicalement les règles d'attribution des droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI. Au-delà d'une redistribution des DTS non utilisés par les pays riches, qui se fait actuellement au compte-gouttes – et c'est nouveau –, une réforme des conditions d'émission des DTS devrait favoriser les critères de lutte contre la pauvreté et le financement à grande échelle de la transition économique et écologique du continent africain. Nous pourrions ainsi aider réellement les pays africains comme nous l'avons déjà proposé.
Soyons attentifs à ce qui se passe ! Je constate que les Brics – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – ne restent pas inertes. Si nous continuons comme nous le faisons, nous passerons une fois de plus à côté des besoins d'aujourd'hui.
Dans le domaine fiscal, nous constatons que, si les recettes fiscales représentent en moyenne 34 % du PIB dans les pays de l'OCDE, elles sont deux fois moins importantes dans les pays en développement, notamment en Afrique. Ce n'est pas un hasard.
Les pays africains ont besoin de nouvelles recettes fiscales. Nous devrions y consacrer des efforts, en cohérence avec la réalisation des objectifs contenus dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, que la France a ratifié. C'est au nom de ce Pacte que nous renouvelons notre proposition de flécher au moins 10 % de l'aide publique au développement (APD) vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux de ces pays pour leur donner les moyens budgétaires d'un développement endogène.
J'entends souvent dire ici « L'Afrique est notre avenir », mais elle est d'abord l'avenir des Africains. C'est par là que tout doit commencer ; c'est avec les Africains, partenaires enfin respectés, que nous devons surmonter les défis communs en matière sociale, climatique et environnementale.
La France pourrait ainsi passer d'une politique de conquêtes abruptes et inopérantes de parts de marché à trop court terme, d'une politique de VRP pour des ventes d'armes et des systèmes de sécurité, d'une stigmatisation hypocrite des migrations, alors que ce sont les politiques que nous promouvons qui les provoquent, à une autre logique de rapports mutuellement avantageux, de coopérations repensées, en appui aux choix propres de ces pays pour un développement endogène.
Nous devrions encourager l'industrialisation indispensable de ces pays. Nous devrions encourager le retour à une agroécologie vivrière, qui a largement fait ses preuves, y compris au Sahel, plutôt que de soumettre les pays africains à des accords commerciaux qui déstructurent leurs filières agricoles et de pêche.
Enfin, si nous comprenions l'impasse de nos aventures militaires à répétition, nous prendrions un tournant concernant les bases militaires permanentes, en allant le plus rapidement possible vers leur suppression.
Soyons lucides et honnêtes ! L'exercice par la France de ce pan important de la souveraineté des pays africains a globalement produit des résultats très médiocres. Dire cela n'est pas renoncer à toute coopération militaire avec les pays africains, mais c'est accepter le refus de ces pays d'être dans une relation exclusive de dépendance en matière militaire comme dans tous les autres domaines.
Il faut accepter qu'ils aient une pluralité de partenaires stratégiques. À défaut, nous précipiterons une évolution que nous dénoncerons alors peut-être avec véhémence.
Oui, madame la ministre, monsieur le ministre, c'est dans tous les domaines qu'il faut changer de logiciel en Afrique.
Je reconnais y être un peu allé à la serpe ! §
Nous devons changer résolument de logiciel. C'est ce que nous ne cessons de proposer et ce que ne cesseront désormais de nous rappeler les peuples africains. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Marie-Arlette Carlotti et Gisèle Jourda, ainsi que MM. Mickaël Vallet et Guillaume Gontard, applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 15 juillet 1959, le général de Gaulle ouvrait ici même la première session du Sénat de la Communauté qui réunissait 284 sénateurs, dont 98 représentaient douze pays africains. Le futur chef d'État du Sénégal siégeait ainsi dans cet hémicycle. À peine un an plus tard, au printemps 1960, la fin prématurée de la Communauté nous renvoie au discours du général de Gaulle : « La grande chance de la paix et de la civilisation, c'est que les hommes, les enfants de l'humanité qui disposent des moyens voulus, apportent leur aide à cette humanité tout entière. »
Soixante ans plus tard, nous souhaitons entretenir un lien d'estime et d'attachement réciproque avec le continent africain. Nous tentons, au mieux de nos capacités, de contribuer à apporter notre aide, lorsqu'elle est souhaitée, pour résoudre les crises que ces pays rencontrent.
Plus de la moitié de l'aide publique au développement de la France est consacrée au continent africain. La coopération décentralisée des collectivités locales françaises participe à construire des infrastructures – des puits, des routes, des écoles, des dispensaires… – afin d'améliorer le quotidien des populations. Ce faisant, nous contribuons à réduire la pauvreté et ses conséquences conflictuelles.
Notre engagement ne s'arrête pas là.
Nous participons depuis de nombreuses années à des missions de maintien de la paix. La France a notamment répondu présente en 2013, lorsqu'elle a été appelée pour empêcher les djihadistes de prendre Bamako. Cinquante-trois soldats français ont péri au Sahel lors de ces opérations. Je veux leur rendre hommage ce soir, avec une pensée pour leurs familles et leurs camarades.
Malgré la force et la constance de notre engagement, notre pays fait l'objet depuis environ une décennie de campagnes de propagande destinées à attiser la haine à notre égard. La Russie comptant parmi les meilleures spécialistes de la désinformation, nous n'avons pas été surpris de voir la milice Wagner intervenir en Centrafrique, puis au Mali.
La France, encore davantage depuis le Brexit, assume un rôle moteur dans les opérations de maintien de la paix lancées par l'Union européenne. Nous ne pouvons cependant être les seuls à supporter cette charge. Assez modérément soutenu tant par les gouvernements locaux que par nos partenaires européens, notre pays a progressivement réduit son engagement en Afrique.
Force est cependant de constater que la prolifération de mouvements islamistes, l'intervention de la milice russe et le piège de la dette chinoise ouvrent de sérieux motifs d'inquiétude.
Avec la croissance démographique et le dérèglement climatique en toile de fond, l'Afrique est exposée au risque de graves crises. D'ailleurs, nous assistons aujourd'hui à une véritable crise des institutions dans certains États africains. Les récents événements au Soudan confirment cette triste perspective, tout comme la famine qui menace la Corne de l'Afrique.
Plutôt que de préparer l'avenir, beaucoup ont malheureusement été détournés de la réalité par une idée qui continue de faire couler beaucoup d'encre : la Françafrique, bouc émissaire de tous les maux. Ce comportement trouble une appréciation correcte des faits politiques, couvrant par des mensonges l'incapacité de dirigeants à répondre aux attentes de leur peuple, le pouvoir se concentrant entre les mains d'un Président ou d'une junte, qui use et abuse de son pouvoir.
Les faits sont cependant bien éloignés des thèses imaginées par des agitateurs sur les deux rives de la Méditerranée. La raison en est simple : l'ensemble du continent africain représente environ 5 % du commerce extérieur français en 2022. Ce chiffre fait voler en éclats le fantasme de l'eldorado.
Le premier partenaire commercial de l'Afrique est désormais la Chine. Le poids de la France ne cesse de s'amenuiser à mesure que d'autres puissances prennent leur essor. C'est une réalité à laquelle nous devons nous adapter.
Cette réalité est aussi composée de nouvelles amitiés. Ainsi, tout comme l'Afrique du Sud, l'Algérie ne cache plus sa proximité avec Moscou : elle a mené des exercices militaires avec l'armée de Poutine et refuse dans le même temps de délivrer des laissez-passer consulaires, nécessaires au retour des Algériens expulsés par la France. Elle n'est pas la seule à s'être égarée. Après plusieurs putschs, le Mali s'enfonce dans la crise, préférant répondre par la force aux carences de son État.
Ce ne sont là que quelques exemples. Ils sont autant de signes d'une tendance qui voit l'influence occidentale refluer sur le continent africain. Nous n'avons pas les mêmes valeurs que la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping. Les gouvernements africains sont libres de nouer de nouveaux partenariats. Libres, et donc responsables. Il leur reviendra d'assumer l'ensemble des conséquences qui en découleront.
Dans cette nouvelle configuration, il est nécessaire d'ajuster la politique étrangère de la France. Faut-il continuer nos efforts, en poursuivant les mêmes orientations avec la même intensité ? En avons-nous encore les moyens ? Éprouvées par la crise de la covid, nos finances publiques sont dans un état préoccupant et d'ores et déjà mobilisées par le retour de la guerre en Europe.
L'invasion russe de l'Ukraine a fait prendre conscience aux Européens de la nécessité de prendre en main leur propre sécurité. Les efforts budgétaires consentis par les gouvernements du continent sont importants et visent à préparer nos armées à des engagements de haute intensité.
Avec des moyens limités, la concertation avec nos partenaires européens est encore plus nécessaire. La France sait depuis longtemps qu'il est dans l'intérêt de l'Union européenne de se préoccuper du devenir du continent africain. Certains États membres doivent encore être convaincus.
La population africaine, qui compte aujourd'hui plus de 1 milliard d'individus, pourrait passer à 2, 4 milliards d'ici à 2050. Dans le même temps, l'accroissement de population peut intensifier la gravité des crises dont celles qui ne trouvent pas de solutions locales génèrent des déplacements de population qui, eux, concernent directement l'Europe.
Le groupe Les Indépendants considère que les ambitions de la politique étrangère de la France en Afrique doivent être proportionnées aux moyens dont nous disposons. À cet effet, nous saluons la décision du Président de la République relative à la cogérance de bases militaires avec les pays dont nous partageons les objectifs.
Il conviendrait également de repenser notre relation avec l'Afrique en matière sécuritaire, migratoire et économique et de retrouver des instances de dialogue et d'échange, à l'instar de l'Union pour la Méditerranée.
Il nous apparaît ensuite nécessaire de concentrer nos efforts sur les pays qui partagent nos valeurs et se montrent solidaires. Rappelons que sept pays, dont l'Érythrée et le Mali, ont refusé à l'ONU de condamner l'agression russe en Ukraine.
Nous n'avons pas que des amis parmi les dirigeants africains. Dans la nouvelle configuration, il nous semble qu'il est important d'investir en faveur de nos alliés, en veillant à ne pas renforcer nos adversaires. Cela implique une stricte sélection des pays et des projets auxquels nous consacrons notre aide, qu'il s'agisse de la vie de nos soldats ou des milliards d'euros de l'aide publique.
Également libre et indépendante, la France doit agir au mieux de ses intérêts, au travers de deux axes essentiels : la réciprocité et une entente cordiale. §
M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Applaudissements sur des travées du groupe SER.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Afrique est le continent de tous les défis : climatique, démographique et économique. Il est aussi celui de tous les enjeux, pour ne pas dire de toutes les convoitises. L'intérêt de la Chine et de la Russie a permis de sortir l'Afrique de son face-à-face avec l'Europe, mais à quel prix ?
Concernant la Chine, la masse d'argent qu'elle a déversée sur de nombreux pays africains a créé une relation asymétrique qui n'a pas forcément apporté le développement attendu, bien que Pékin prétende depuis deux ans ouvrir une nouvelle ère pour une relation financière plus soutenable avec ses partenaires.
La Russie, quant à elle, y mène également sa stratégie d'influence, avec des moyens peu conventionnels si l'on songe au travail de sape mené par le groupe privé Wagner sur le thème de l'Occident décadent et toujours avide de domination. C'est peu subtil, mais, quels qu'en soient les moyens, cette stratégie est payante pour Moscou, puisque plusieurs pays africains se sont abstenus de voter les résolutions condamnant l'agression russe en Ukraine. L'abstention du Gabon sur le dernier texte, porté par Paris, est assez éclairante.
Face à cela, que peut l'Europe et que peut la France, qui traîne derrière elle le poids de l'histoire coloniale, des difficiles mouvements de libération et de la politique du pré carré qu'elle a installée dans les années 1960 ? On connaît les conséquences de cette histoire : dans certains pays, les relations avec la France demeurent, hélas, passionnées ou traumatiques.
Pourtant, depuis bien longtemps, sans renier une mémoire commune ni les réparations qui en découlent, nos présidents successifs ont appelé à regarder l'avenir plutôt que le passé.
De son discours à l'université de Ouagadougou jusqu'à ses récentes déclarations dans le cadre de sa dernière tournée diplomatique dans quatre pays africains, le président Macron n'a cessé de souligner la fin de la Françafrique et la nécessité de refonder une relation équilibrée. Comment ne pas partager cette volonté ?
Par la force des événements, il ne reste heureusement plus grand-chose de la Françafrique ; la fin du franc CFA en est, en quelque sorte, le témoignage symbolique.
Aujourd'hui, mes chers collègues, quelle page ouvrir avec l'Afrique pour construire une nouvelle ère dans le contexte géopolitique que j'ai évoqué au début de mon propos, ainsi qu'au regard des grands défis que nous ne pouvons affronter qu'ensemble ?
Il me semble que la première règle consisterait à toujours demander à nos partenaires ce qu'ils attendent de nous. Il faut bien sûr pour cela que la relation soit franche et sincère. Je le conçois, ce n'est pas aisé. Le président Macky Sall ne s'est-il pas servi du sentiment anti-français pour mieux justifier son maintien infini à la tête du Sénégal ?
L'instabilité politique peut aussi rendre nos bonnes intentions compliquées. Nous l'avons vécu au Mali : la France, directement appelée en 2013 par Bamako pour stopper l'avancée des groupes armés islamistes, a été priée de partir neuf ans plus tard par la junte installée au pouvoir.
De notre côté, sur le plan diplomatique, il faut clairement éviter tout geste qui pourrait apparaître comme un adoubement de tel ou tel dirigeant, tant certains États sont encore politiquement très fragiles et versatiles.
Sur le plan sociétal, je crois qu'il ne faut pas surestimer le rayonnement de la France, même si le français, langue de culture, pour reprendre les mots de Léopold Sédar Senghor, est encore bien vivace grâce aux instruments de la francophonie.
Restons humbles et, grâce à des échanges mutuels dépoussiérés des vieux démons, essayons d'orienter toutes nos politiques de coopération sous l'angle de la coproduction. C'est sans doute ce qu'attendent les nouvelles générations, qui veulent prendre en main leur propre développement et qui ont, à notre égard, des aspirations égalitaires plus prégnantes.
Cela est aussi vrai sur le plan militaire : nos accords de coopération doivent mettre davantage l'accent sur les aides à la formation et sur l'équipement des armées locales. L'envoi de troupes doit être le dernier recours ou doit se fondre dans une alliance équilibrée.
Cela ne doit pas empêcher pour autant le maintien de nos bases militaires essentielles à notre stratégie de défense, ainsi que l'échange de renseignements avec nos partenaires africains. Nous avons en partage des enjeux sécuritaires, dont la lutte contre l'infatigable terrorisme islamiste.
Madame la ministre, monsieur le ministre, je crois que c'est bien le sens de la volonté du chef de l'État qui a souhaité, lors de sa dernière allocution du 14 juillet, une offre militaire française rénovée en Afrique. Le groupe du RDSE partage en tout cas le principe d'une présence partenariale plus discrète et, de préférence et autant que possible, dans un cadre multilatéral.
Concernant la coopération économique, là encore, il faut se demander quels sont aujourd'hui les besoins de nos partenaires. « L'Afrique ne doit pas être seulement un pourvoyeur de matières premières », comme l'a très récemment rappelé Azali Assoumani, président en exercice de l'Union africaine.
L'indice d'industrialisation de l'Afrique publié l'année dernière par la Banque africaine de développement indiquait que les économies les plus industrialisées d'Afrique étaient celles qui avaient produit le plus d'efforts pour s'éloigner de la dépendance aux industries extractives et se tourner vers des secteurs à plus haute valeur ajoutée. Dans ces conditions, les entreprises françaises, en particulier les PME, ont tout intérêt à prendre ce virage et à investir dans ce sens.
Les pays anglophones, avec lesquels nous n'avons pas d'antécédents, si je puis dire, doivent aussi retenir un peu plus l'attention des investisseurs français.
Enfin, mes chers collègues, parce que l'Afrique est aux portes de l'Europe, nous devons aussi maintenir un lien fort avec plusieurs de ces pays pour la gestion des flux migratoires. L'explosion démographique du continent nous invite à regarder cette question avec ouverture, car rien n'arrêtera ce mouvement.
À cet égard, au-delà de nos accords bilatéraux sur le problème migratoire, il revient à l'Union européenne de travailler au plus proche avec les institutions régionales africaines pour rendre plus effective l'approche globale qu'elle a adoptée en 2005 et qui est basée sur trois axes : la promotion de la mobilité et de la migration légale ; la prévention et la lutte contre l'immigration clandestine ; l'optimisation du lien entre migration et développement.
Gardons aussi à l'esprit que l'Afrique ne doit pas être privée de ses talents, indispensables à son développement. L'immigration choisie a ses limites. Il est temps de penser notre coopération dans une logique de gagnant-gagnant.
Mes chers collègues, il est évident que la France doit écrire un nouveau récit avec le continent africain et faire la démonstration de son utilité, car notre pays a une expertise et des valeurs nécessaires à la défense des intérêts de l'Afrique, dont certains sont aussi les nôtres.
La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 novembre 2022, le Président de la République a annoncé la fin de l'opération Barkhane, près de dix ans après le déploiement de l'armée française au Mali. Dix ans de présence au Sahel et un seul vote du Parlement, en 2013...
Depuis, malgré les évolutions militaires considérables qu'ont connues les différentes opérations au Sahel, pas une seule fois le Parlement n'a pu exprimer son avis. Toutes les décisions ont été prises de manière unilatérale au sommet de l'État, même si vous nous avez fait la grâce d'un débat sur la possibilité d'un retrait français du Mali en février 2022 et que vous nous faites la grâce de celui-ci. La politique africaine de la France demeure une chasse gardée du pouvoir exécutif.
Cela n'est pas gage d'efficacité, puisqu'il est délicat de trouver une quelconque satisfaction au bilan de la décennie écoulée. Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, force est de constater que jamais la position de la France en Afrique n'a paru si précaire.
En préambule, quel bilan pouvons-nous tirer de l'opération Barkhane ? Je voudrais tout d'abord, au nom du groupe écologiste, renouveler mes pensées pour les cinquante-neuf militaires morts au Sahel depuis 2013, leurs familles et leurs proches. La reconnaissance de la Nation est éternelle.
Nos forces armées se sont déployées au Mali en 2013 avec l'objectif d'empêcher une progression de la menace djihadiste. Si, selon Emmanuel Macron, l'opération Barkhane n'est pas un échec, nous pouvons tous ici convenir du fait que la menace djihadiste est loin d'être éradiquée. Alors que les djihadistes avaient reculé en 2014, ils sont aujourd'hui bien présents dans le nord et le centre du Mali, mais aussi au Burkina Faso, au Niger ou encore en Côte d'Ivoire.
Les situations politiques des pays concernés par l'opération Barkhane sont préoccupantes. Après plusieurs coups d'État récents, le Mali et le Burkina Faso sont aujourd'hui sous l'emprise de juntes militaires. Nous le craignions : sans solution politique pérenne, les opérations militaires ont peu de chance d'aboutir à une situation stable.
Depuis notre retrait du Mali en 2022 et du Burkina Faso en 2023, les djihadistes s'engouffrent dans le vide laissé par nos forces armées. L'opération Barkhane montre clairement les limites d'une intervention extérieure purement militaire, sans aucune vision de sortie de crise.
La situation chaotique de ces pays et de bien d'autres en Afrique, couplée avec un sentiment anti-français de plus en plus prégnant, ouvre la voie à l'influence russe, en particulier à la milice Wagner, aujourd'hui présente dans dix-sept pays africains.
La relation étroite de la France avec le continent africain s'est abîmée. Le sentiment anti-français a progressé à grande vitesse ces dernières décennies. Mais pourquoi ? La présence croissante de puissances étrangères cherchant à instrumentaliser le rejet de la France l'explique, mais seulement en partie.
C'est notamment le manque important de transparence des opérations militaires françaises qui est mis en cause. Comment les peuples et gouvernements africains peuvent-ils nous faire confiance, quand nous prenons des décisions sur l'avenir de leur pays sans leur consentement ?
Ce modèle d'intervention militaire paternaliste, qui n'associe pas ou peu à la décision les gouvernements des pays théâtres des opérations, a montré toutes ses limites. Une nouvelle fois, il paraît impensable d'envoyer à l'avenir nos troupes dans des pays sans débouchés politiques tangibles ou sans association étroite et sur la durée avec les pouvoirs politiques en place.
Nous devons absolument être plus transparents sur nos actions et reconnaître nos bavures et erreurs, comme le dramatique bombardement d'un mariage le 3 janvier 2021 au Mali.
Les peuples africains reprochent également à la France une indignation à géométrie variable concernant leurs dirigeants selon leur degré de coopération avec Paris. Ils le font à raison ! Pourquoi dénoncer, à juste titre, la dictature militaire au Mali, mais soutenir ldriss Deby, président du Tchad pendant trente ans, puis son fils, placé au pouvoir après la mort de son père ? Le respect de la volonté des peuples et des droits humains doit être notre boussole.
Alors que les effectifs de l'armée française sont réorientés vers le Niger et le Tchad, là où demeurent certains intérêts stratégiques vitaux, comme la fourniture d'uranium pour nos centrales nucléaires, il est plus que clair que nous devons bâtir un nouveau type de coopération avec le continent africain.
Les accords de défense comme les partenariats économiques doivent être conclus dans l'intérêt des peuples, tout en prenant garde à ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures des pays.
En parallèle, il nous faut continuer de soutenir le développement du continent et renforcer notre solidarité avec les pays les plus pauvres, notamment via notre aide publique au développement. Si des efforts notables ont été effectués depuis le vote de la loi de programmation voilà deux ans, nous rappelons avec force la nécessité de contribuer au développement par des dons directs et non par des prêts. Ces derniers conduisent à donner la priorité à des pays à revenus intermédiaires plutôt qu'aux pays pauvres.
L'aide apportée par notre pays doit être beaucoup plus ciblée et localisée. Garantir la sécurité et la subsistance des populations, au travers de réseaux locaux, est une autre manière de lutter contre le terrorisme, qui bien souvent assoit son influence en subvenant aux besoins des habitants.
Nous devons à l'Afrique ce juste retour, car notre dette envers ce continent est immense, mais nous devons aussi l'accompagner dans un développement qui doit immédiatement être durable.
Il faut davantage conditionner les aides versées au respect des droits humains, démocratiques, sociaux et écologiques, notamment les droits des femmes et ceux des peuples autochtones.
Nous demandons enfin que l'aide si opportunément accordée aux réfugiés ukrainiens sur notre sol intègre nos comptes sociaux et ne soit plus comptabilisée comme un effort d'aide publique au développement.
Au-delà de l'APD, il est nécessaire d'annuler les dettes de certains pays africains, notamment celles qui ont été contractées par des dictatures dans le seul but d'enrichir le clan au pouvoir ou d'engager des actions allant à l'encontre de l'intérêt général.
Tout cela est indispensable pour anticiper les futures décennies. Nous le savons, les pays les plus pauvres, ceux du Sud, vont subir et subissent déjà les conséquences les plus graves du réchauffement climatique.
Sommes-nous prêts à accueillir les futurs réfugiés climatiques, qui arriveront par millions en Europe ? Nous peinons déjà à accueillir dignement les réfugiés qui entrent sur notre sol. Durcir les politiques migratoires déjà en vigueur ne sera d'aucun secours face à de tels mouvements de populations.
Par ailleurs, allons-nous continuer à laisser des entreprises françaises mener des projets climaticides ? Je pense notamment au nouvel oléoduc de Total, en Ouganda et en Tanzanie, qui émettra 379 millions de tonnes équivalent CO2 en vingt-cinq ans, soit l'équivalent de 216, 5 millions de liaisons aériennes Paris-New York ? Les scientifiques sont pourtant clairs : si l'on veut atteindre l'objectif de zéro émission nette en 2050, plus aucun projet fossile n'est possible !
En plus du risque climatique avéré, les ONG dénoncent déjà plusieurs cas de violation des droits humains par Total en Ouganda et en Tanzanie. J'en conclus qu'il est plus que temps de renforcer l'application de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, voire de la muscler en transformant le devoir de vigilance en obligation de vigilance, avec une responsabilité accrue des entreprises et des opérateurs publics intervenant à l'étranger.
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous d'accord sur le constat : la politique africaine de la France est à un tournant. C'est l'occasion d'adopter une tout autre attitude vis-à-vis des peuples africains et de faire primer le respect mutuel et la coopération pour accompagner le développement social et écologique du continent africain.
Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.
La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le discours de Ouagadougou en 2017, le sommet Afrique-France en 2021 et la tournée en Afrique centrale en 2023, nous avons remarqué que le Président de la République était très engagé publiquement dans la politique étrangère de la France en Afrique. Par votre déclaration de ce jour, vous nous confirmez l'importance de cette question pour l'exécutif.
Néanmoins, malgré cet investissement de votre temps, de notre argent et de nos coopérants civils et militaires, depuis plusieurs années, la défiance s'accentue, la francophobie progresse et nous perdons en influence sur tout le continent africain, pourtant le plus francophone de tous.
De cela, vous êtes en partie responsables. En relayant le postulat culpabilisateur qui repose sur le mythe du pillage colonial, vous sabordez les efforts concertés de notre politique d'influence. Ce n'est pas le cas des autres puissances coloniales, qui ne pratiquent pas cette autoflagellation. J'en veux pour preuve le fait que nos anciennes colonies, toujours francophones, du Togo et du Gabon ont rejoint le Commonwealth en 2022 ! La France doit cesser de se désigner elle-même comme bouc émissaire ; ce masochisme injustifié ne saurait servir de base à une relation fructueuse entre la France et les pays africains.
Une deuxième erreur consiste à vouloir exporter la démocratie comme une recette universellement transposable. Nous avons vu ce que cela a donné, par le passé, en Libye ou ailleurs : chaos aggravé chez eux, chaos importé chez nous.
Votre troisième erreur, c'est d'avoir refusé de faire de la politique, en vous cantonnant à des partenariats avec le monde de la culture et la jeunesse, avec la société civile comme seul horizon. Par idéalisme, vous renoncez à faire de la France une grande puissance. De plus, vous faites croire que notre recul militaire est un choix, alors qu'il est majoritairement contraint par les États africains, qui nous mettent dehors.
La quatrième erreur, c'est refuser d'adjoindre à l'aide publique au développement une injonction de puissance et une exigence de réciprocité, sans lesquelles nous subissons une double peine, financière et migratoire.
La cinquième erreur, c'est la suppression du corps diplomatique. Elle sonne la fin d'une tradition africaine au sein du Quai d'Orsay : c'est la perte d'un réseau, d'un savoir-faire et de connaissances acquises durant de nombreuses décennies. On a vu les conséquences de négociations improvisées par le pouvoir politique : nous sommes en froid avec tous les pays du Maghreb, virés du Sahel, fâchés avec l'Afrique centrale.
Dans le même temps, toutes les grandes puissances s'implantent massivement et durablement en Afrique : la Chine, l'Iran, la Russie, la Turquie, les pays du Golfe… Au Gabon, 70 % de la deuxième plus grande forêt du monde après l'Amazonie appartient aux Chinois. Pendant que Wagner s'occupe du militaire, Pékin s'affaire à la coopération économique.
Enfin, avec le départ de la force Barkhane, nous avons perdu la main dans la lutte menée en amont contre l'immigration illégale et le terrorisme islamiste. Aujourd'hui, le président tunisien parle de grand remplacement ; avec l'Algérie et le Maroc, il contrôle désormais le robinet d'une déferlante migratoire qui enfle chaque année un peu plus. Au vu de l'explosion démographique du continent africain, il y a une impérieuse nécessité de stabilité politique et de développement économique en Afrique, mais aussi de fermeté en Europe : il faut lutter contre les trafics d'êtres humains, qui deviennent un marché juteux, au même titre que les trafics de drogue, qui s'intensifient du sud vers le nord.
En conclusion, pour faire écho aux propos pertinents de M. Cambon, je vous rappelle, madame la ministre, monsieur le ministre, que parier sur l'Afrique, c'est commencer par parier sur la puissance de la France !
Je veux avant tout, mesdames, messieurs les sénateurs, remercier chacun d'entre vous pour vos interventions.
Je relève en premier lieu que nous faisons souvent un constat partagé sur les enjeux et les défis que représente notre relation avec le continent africain, les pays africains dans leur évolution. Le constat est également partagé, me semble-t-il, quant à la nécessité de continuer nous-mêmes à évoluer, à transformer notre approche.
Monsieur Cambon, je ne saurai vous répondre que par quelques remarques partielles, tant les points que vous avez abordés ont été nombreux. Je voudrais d'abord revenir brièvement après vous sur les relations commerciales. J'avais tenu à rappeler, par précaution, que l'Afrique avait diversifié ses partenariats commerciaux, comme nous-mêmes d'ailleurs, mais il n'en reste pas moins que notre présence économique y est plus forte qu'auparavant, que nos exportations vers l'Afrique ont progressé. Volumes et parts de marché sont deux choses différentes, chacun peut retenir ce qui lui semble le plus pertinent ; je ne vous fais donc aucun reproche en la matière.
Je veux revenir plus longuement sur l'expression souvent entendue, et que je crois largement trompeuse, de « sentiment anti-français ». Je souhaiterais que l'on soit plus précautionneux dans l'emploi de cette expression, parce qu'elle implique des choses qui n'existent pas, comme vous l'avez d'ailleurs souligné, monsieur Cadic. Il faut distinguer, me semble-t-il, le discours anti-français du sentiment anti-français. Ce que nous voyons souvent, c'est un discours anti-français, qui ne se répand pas tout seul, comme je l'ai déjà dit. Ce discours a certes joué un rôle majeur dans le basculement du Mali et dans celui, peut-être, du Burkina Faso, mais il ne faut pas confondre discours et sentiment.
C'est bien le recours à Wagner par les autorités de fait de la République centrafricaine et du Mali, autorités issues de coups d'État, qui entraîne la diffusion d'un discours anti-français. En d'autres termes, ce n'est pas le sentiment anti-français qui fait partir la France, c'est plutôt l'arrivée de Wagner, convié par des putschistes, comme disait le ministre des armées, qui fait venir la prédation, les exactions et le discours anti-français. Nous avons donc décidé de réagir, de nous réarmer – les moyens sont en augmentation –, mais aussi de dénoncer ces manipulations de l'information.
Monsieur Cambon, vous avez aussi déclaré que nous devions assumer nos intérêts, de façon honnête, respectueuse et décomplexée, d'égal à égal, comme on le fait partout dans le monde ; je crois pouvoir vous soutenir parfaitement.
Je partage aussi le constat que vous faites en matière d'influence. Nous augmentons les crédits employés à faire face à ces nouveaux enjeux, en particulier les crédits de communication et d'influence, notamment au travers des services de coopération et d'action culturelle (Scac).
Par ailleurs, vous avez pris connaissance des annonces faites par le Président de la République après la réunion du Conseil présidentiel du développement : nous avons décidé d'augmenter nos capacités d'expertise technique, à hauteur de plusieurs centaines d'équivalents temps plein (ETP) d'ici à 2027.
Je veux à présent revenir sur certains des points évoqués par Mme Carlotti, et d'abord sur la trajectoire de l'aide publique au développement. Oui, madame la sénatrice, la loi du 4 août 2021 fixe des niveaux à cette aide, vous le savez mieux que moi, mais elle ne le fait que jusqu'à cette année ; pour la suite, elle fixe des objectifs : ce n'est pas la même chose, car un objectif n'est pas impératif.
Par ailleurs, je dois à nouveau faire remarquer que notre APD a augmenté en volume – je ne connais pas d'autre pays qui ait augmenté en volume son aide à l'Afrique – et que, d'une façon plus générale, la France a augmenté de 50 % son aide publique au développement entre 2017 et 2022. Le volume de l'APD continue d'augmenter.
Je vous remercie, madame Carlotti, pour les éloges que vous rendez à nos diplomates – j'y suis sensible, vous le savez bien –, mais je ne crois nullement que notre action diplomatique soit affaiblie alors que le Président de la République décide d'augmenter les moyens du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi que le nombre de ses emplois. Cette année, pour la première fois après trente ans de déclin, il est décidé d'en augmenter les moyens budgétaires, et ce sur une trajectoire pluriannuelle, nous menant jusqu'à 2027.
Pour le reste, madame la sénatrice, non seulement nous n'avons pas la nostalgie du passé, ou de relations exclusives, mais notre relation a changé dans les faits : nous sommes des partenaires, nous sommes respectueux de ceux que nous avons sur le continent africain, nous assumons nos intérêts et nous nous tournons vers les défis communs, les grands défis globaux tels que le climat, la sécurité alimentaire, et tant d'autres encore.
Monsieur Cadic, vous avez évoqué l'influence de la désinformation ; je n'y reviens pas, mais c'est un point important.
Quant à la politique des visas, elle est menée, selon le décret d'attributions du ministre de l'intérieur, par le ministère de l'intérieur conjointement avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Gérald Darmanin et moi-même avons encore tenu un comité de pilotage tout récemment, ce qui nous a permis de constater que, si la politique des visas permet de protéger nos intérêts à de nombreux égards, elle permet aussi de renforcer l'attractivité de notre pays, point que nous avons développé l'un et l'autre en confiant à M. Ermelin la rédaction d'un rapport dont j'espère que vous pourrez bientôt prendre connaissance, rédigé avec l'appui des deux inspections générales du ministère de l'intérieur et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous suivrons ses recommandations et nous augmenterons les moyens humains dans nos consulats.
Merci, monsieur le sénateur, d'avoir mentionné l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Le ministre des armées en parlerait mieux que moi, mais je dirai simplement que cela traduit, en Côte-d'Ivoire, notre volonté de renforcer les capacités de nos partenaires.
Madame Duranton, je vous suis reconnaissante d'avoir souligné – tout le monde ne l'a pas fait – la rénovation de nos relations avec le continent africain, en employant le terme de « virage ».
Il faut aussi rappeler, comme vous l'avez fait, l'intensité du travail diplomatique que nous menons avec les pays africains pour relever les défis communs. Nous l'avons fait, par exemple, avec le One Forest Summit qui s'est tenu au Gabon tout récemment ; nous le ferons encore les 22 et 23 juin avec le sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial. Merci de reconnaître ces efforts : c'est un processus constant, qui doit se poursuivre. Nous allons aussi continuer de nous réarmer, selon l'expression consacrée, pour accroître nos capacités d'influence. Il y a encore beaucoup à faire, nous le savons, mais nous y sommes déterminés.
Monsieur Laurent, je regrette sincèrement d'être en désaccord avec vous sur un certain nombre de points. Ainsi du franc CFA, à propos duquel vos affirmations me paraissent inexactes : si nous garantissons toujours la parité avec l'euro, à la demande des pays concernés, l'obligation de centralisation des réserves de change a en revanche disparu. Il faut le savoir et en prendre note pour mettre son logiciel au goût du jour, si vous me permettez l'expression.
Je suis aussi en désaccord avec vos propos sur nos entreprises : le nombre de filiales d'entreprises françaises a augmenté et non pas diminué. Il n'y a pas que le grand capital – vous n'avez certes pas prononcé l'expression – qui soit présent en Afrique.
Nous avons au moins un point d'accord, monsieur Laurent : oui, les pays africains sont nombreux à avoir besoin d'un financement accru. C'est d'ailleurs l'un des objets du sommet des 22 et 23 juin que de permettre un nouveau pacte financier mondial. Vous verrez notamment la France y plaider pour une augmentation des droits de tirages spéciaux, augmentation qu'elle a elle-même pratiquée, puisque nous avons tenu nos engagements en 2021 et mobilisé plus de 4 milliards de dollars de DTS pour les pays vulnérables.
M. Guiol a évoqué la Russie et la Chine. À ce propos, je ferai simplement remarquer que la Chine sera présente au sommet des 22 et 23 juin, représentée par son Premier ministre, soit un niveau élevé de représentation, ce qui nous permettra de débattre aussi de la question de la dette.
Enfin, je veux apporter une réponse très partielle à M. Gontard sur deux sujets qu'il a évoqués. Au Tchad, monsieur le sénateur, nous ne soutenons aucun régime : comme tous les pays de la région, nous soutenons une transition dont nous souhaitons qu'elle mène à des élections. Quant à l'Ouganda, je dois vous rappeler que, si Total est en activité ou a des projets dans un certain nombre de pays africains, il ne reçoit pas pour autant de financements de l'État. La France n'apporte pas non plus de garanties aux actions de sociétés privées commerciales.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Olivier Cadic et André Guiol applaudissent également.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux avant tout vous remercier pour l'organisation de ce débat. Ce qui me frappe, depuis un an que j'occupe les fonctions de ministre des armées, c'est que, malheureusement, les questions africaines occupent désormais trop peu de place dans le débat démocratique global.
Dès lors, le présent débat, même s'il est tenu nuitamment, quoiqu'avec une représentation proportionnée de l'ensemble des groupes politiques, nous permet tout de même de les y réinscrire, pour notre opinion publique, pour la presse, mais aussi, on le sait, pour nos partenaires africains, qui regardent évidemment ces débats. §Je le dis et je le pense sincèrement !
C'est pourquoi vous êtes présents ce soir, et je m'en félicite. En tout cas, c'est bien volontiers que nous répondons à vos diverses interpellations.
Mme Colonna a tout dit ; je ne ferai que réagir sur quelques points qui m'ont marqué dans les différentes interventions.
À première écoute, tous les orateurs posent un constat similaire. De fait, ce n'est pas le constat qui est le plus difficile à établir, surtout quand l'histoire est faite et terminée – je pense notamment aux affaires militaires et aux sujets liés à l'opération Barkhane. En revanche, quand on creuse un peu, on s'aperçoit quand même que les conclusions de chacun sont très différentes quant à l'approche que devrait adopter la politique française en Afrique.
Cette divergence de vues est d'ailleurs saine pour la démocratie : si M. Gontard s'interroge sur la confiscation du débat politique, parlementaire, sur ces sujets, pour ma part, je considère qu'il doit avoir lieu. Je sors d'ailleurs de deux semaines de débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de programmation militaire, et il m'a semblé intéressant de constater à quel point un certain nombre de formations politiques manquent de cohérence avec leur histoire, voire parfois avec des prises de position récentes, que ce soit sur l'Europe, sur l'Otan, sur la relation franco-allemande, ou encore sur l'aide à l'Ukraine.
Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.
Mais si, mesdames, messieurs les sénateurs : après quinze jours passés au Palais-Bourbon, je peux vous assurer que beaucoup de formations politiques sont très désaxées entre elles, y compris au sein d'alliances électorales récentes.
Je trouve donc intéressant d'avoir ce débat. Sur la question africaine, nous ne nous y dérobons pas. Le cardinal de Retz aurait dit que l'on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment ; je pense au contraire qu'il est sain de le faire. Cela m'amène à ma première remarque.
Madame Carlotti, je vous remercie pour l'ensemble du tableau que vous avez dressé, mais je vous trouve un peu dure envers la force Takuba. Peut-être a-t-on manqué d'ambition, mais je ne pense pas que cela ait raté, si je puis le dire avec mes propres mots et en toute spontanéité. Dire « raté » signifierait que les partenaires européens n'ont pas été au rendez-vous. C'est faux : ils ont répondu présents. Nos partenaires européens actuels, y compris des pays qui n'avaient pas l'habitude d'engager leurs forces en opérations extérieures, des pays dont les parlements avaient toujours refusé de tels engagements, l'ont permis cette fois et sont aujourd'hui satisfaits de l'avoir fait. Ils ressentent même une forme de fierté que d'avoir contribué à cette force. Ou bien serait-ce que le groupe socialiste ne croit plus à l'Union européenne en la matière ? §
Je dis juste que Takuba, de ce point de vue, a fonctionné. C'est aussi le cas si l'on en examine les résultats de près – je suis prêt à y revenir devant votre commission des affaires étrangères, si vous m'y invitez. Ainsi d'opérations militaires très précises menées avec le timbre de Takuba contre des groupes terroristes armés : le chef d'état-major des armées pourra vous expliquer lors d'une prochain audition que ces opérations ont bien fonctionné.
Au-delà de Takuba, il existe d'autres missions européennes qui n'ont pas été abordées dans la discussion. L'opération Atalante mérite pourtant d'être mentionnée au cours d'un débat de trois heures ! Certes, on n'a pas le temps de tout traiter, mais il n'est pas de trop de parler de piraterie, de liberté d'accès maritime ou encore de pêche illégale, dont on sait que c'est un enjeu majeur dans le golfe de Guinée comme à l'approche de la Somalie. Évidemment, ces sujets croisent parfois ceux liés au terrorisme, tandis que sur d'autres routes de navigation commerciale, c'est malheureusement Wagner qui peut être rencontré.
On s'en tient toujours à une approche militaire très terrestre, mais je crois qu'on a tort d'oublier les coopérations et missions maritimes. Je confesse bien volontiers que j'en suis le premier coupable, puisque je n'en ai pas fait mention à la tribune lors de ma première intervention. Mme Duranton y a certes fait allusion ; précisons cependant que ce n'est plus une mission de l'Otan : cette opération est désormais portée par l'Union européenne, et la France y contribue grandement.
Pour le coup, si l'on veut être à l'écoute des pays africains, il est clair que leurs besoins en matière maritime sont croissants ; or les Européens, dont les agendas de sécurité se concentrent en miroir sur la mer Méditerranée et le détroit de Gibraltar, peuvent particulièrement y être intéressés. C'est donc selon moi un bon thème de coopération.
Certes, je suis un furieux séguiniste, et j'ai une forme de prudence par rapport à un certain nombre de coopérations européennes, mais je dois bien avouer qu'il faut faire vivre l'envie de faire que l'on voit dans Takuba et que l'on retrouve dans Atalante.
Le deuxième point qui me frappe à l'issue de ce débat – que Mme Colonna et moi-même considérons comme un point d'étape dans la réarticulation de la présence française en Afrique – c'est qu'aucun orateur n'est d'accord sur les missions que l'on doit donner à nos bases.
Tout d'abord, Pierre Laurent veut les fermer, tout en expliquant qu'il faut être à l'écoute et respecter la souveraineté des pays concernés. Dès lors, que faire lorsque les pays en question demandent à ce que les bases prépositionnées restent ouvertes et continuent d'accomplir leurs missions ? Faut-il tout de même les fermer ?
Vous avez vous-même dit, monsieur le sénateur, que vous aviez taillé à la serpe ; je me permets donc de relever cette contradiction. Vous voyez bien que les choses sont plus complexes : dire « fermons les bases » est certes pratique, mais nonobstant son caractère hâtif, cette décision ne couvrirait pas l'ensemble des besoins.
À l'inverse, d'autres orateurs, dont Olivier Cadic, souhaiteraient confier à nos bases des missions comparables à celles des forces de sécurité intérieure des pays qui nous accueillent. Monsieur le sénateur, je sais que vous relayez les préoccupations que vous entendez sur le terrain, mais nos bases militaires sont présentes pour remplir des missions régaliennes, prévues par des accords de défense. Elles ne sauraient intervenir au quotidien pour protéger des intérêts économiques. Ce type d'attaques relève de la sécurité privée ou des forces de sécurité intérieure.
Il est donc intéressant de constater, sans tomber dans la caricature, l'étendue du spectre des réflexions que nous devons mener, entre une fermeture pure et simple des bases, comme le suggère M. Laurent, et un plus grand interventionnisme, pour répondre à la diminution de l'empreinte française, comme le réclament ceux qui considèrent que nos intérêts économiques risquent d'être davantage attaqués dans les pays concernés. Voilà les deux positions les plus antagonistes qui ont été exprimées ce soir.
Cela mérite peut-être que nous y revenions en commission ou à une autre occasion, car nous ne devons pas nous méprendre sur le rôle de nos bases. Si nous sommes en mesure de mener une opération Sagittaire depuis la base de Djibouti, comme nous l'avons récemment démontré, ce serait mentir à l'opinion publique et à nos compétiteurs que de faire croire que l'on peut faire de même depuis notre base au Sénégal. C'est aussi faux aujourd'hui qu'il y a cinq ou dix ans. Les éléments français au Sénégal font seulement de la formation ; ils ne peuvent remplir les mêmes missions que leurs homologues basés à Djibouti ou à Abidjan.
Depuis que le Président de la République m'a donné mandat pour réarticuler la présence française en Afrique, je me suis aperçu que de nombreux connaisseurs des sujets militaires faisaient passer une base pour une autre. Or la base projetée de Niamey, au Niger, par exemple, ne répond pas aux mêmes besoins militaires et au même contrat opérationnel que nos bases au Gabon ou au Sénégal.
J'ai commencé par ces dernières, car elles représentent un héritage de bases dont les fonctions sont non pas de combattre, mais uniquement de former. Au reste, pour dire les choses franchement, ces fonctions de formation semblent un peu passéistes, tout du moins insatisfaisantes compte tenu des besoins réels des forces armées des pays en question.
Voilà un point important, sur lequel j'aimerais, si le président Cambon m'y autorise, revenir devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Les choses doivent être claires, car si nous entretenons un flou, nous participons au narratif anti-français. Faire croire qu'une base au Sénégal peut permettre d'y entretenir des intérêts politiques et intérieurs, comme on le lit parfois dans la presse, c'est mentir !
Le troisième point que je soulèverai est dans la même veine. Vous êtes nombreux à avoir appelé au respect d'une véritable souveraineté des États africains avec lesquels nous entretenons des relations militaires, sécuritaires, économiques et diplomatiques. Je partage bien sûr cet avis ; personne dans cet hémicycle n'oserait appeler à ce que nous malmenions ou bafouions la souveraineté des autres pays.
Pour autant, votre lecture de ce qui s'est passé au Mali est pour le moins unilatérale. Vous portez un regard très expéditionnaire en considérant, en substance, que nous nous sommes fait mettre dehors, etc. Que fallait-il faire ? Il y a ceux qui disent que nous sommes restés trop longtemps et que nous aurions dû partir avant de nous faire mettre dehors – pourquoi pas ! Il est toujours plus facile de le décréter après coup… Après tout, d'autres pays et d'autres armées n'ont pris aucun risque ; dès lors, il est certain qu'on ne leur fait aucun reproche.
Pour ma part, je vous appelle à faire preuve d'une forme de solidarité en soutenant politiquement l'action de nos armées. On ne peut, d'un côté, dire qu'elles ont été remarquables et rendre hommage aux soldats et, de l'autre, ne pas assumer, rétrospectivement, le portage politique.
Je citerai de nouveau le président Hollande : il lui a fallu du courage pour engager les forces armées, à la demande de notre partenaire malien, et pour expliquer à l'opinion publique pourquoi il fallait le faire. C'est notre honneur de renoncer à toute forme de clivage politique sur cette question et d'assumer le bilan des décisions qui ont été prises à l'époque.
Des orateurs ont expliqué que le vide laissé par nos militaires avait appelé d'autres compétiteurs. Cela signifie-t-il qu'il fallait rester, contre l'avis même de la junte malienne ? Fallait-il entrer en conflit ouvert avec cette dernière et les forces armées maliennes ? Franchement, la question est plus complexe.
Au fond, lorsqu'un pays nous demande de l'aide, nous devons assumer de lui répondre oui ou non. En l'occurrence, je salue une fois de plus la décision du président Hollande d'avoir dit oui, même si je note que les interventions de certains suggèrent, en creux, qu'ils n'auraient pas fait le même choix. Or une fois que l'on a dit oui, on ne sait pas toujours où cela nous mènera. Parfois, des événements politiques internes imprévus ont lieu, démocratiques ou non, et n'effacent pas pour autant le risque terroriste.
Voilà un autre point sur lequel nous ne sommes pas assez revenus ce soir, bien que chacun l'ait mentionné : le terrorisme a changé de nature. Il est devenu endogène et perle de plus en plus. Il est, en quelque sorte, moins homothétique qu'en 2013 et les années suivantes. Aussi nécessite-t-il, par définition, un traitement militaire d'une autre nature.
Sur la question de la vraie souveraineté, du rôle de Barkhane et d'un manque d'accompagnement politique à la fin du conflit, je réponds qu'il faut être deux ! Cela ne veut pas dire qu'il faut faire à la place de, ou à côté de, sans tirer les conclusions de ce qui se passe.
Je le dis, car il est facile de faire des procès. Si personne n'a fait le procès des forces armées dans cet hémicycle, d'autres l'ont fait ces quinze derniers jours dans un autre hémicycle plus proche de la Seine.
Sur le volet politique, ce n'est pas une affaire d'ETP et de moyens financiers accordés au Quai d'Orsay. À un moment donné, si la junte malienne préfère Wagner aux forces armées de la République française, c'est peut-être non pas la faute de Paris, mais tout simplement celle de la junte malienne. Je pense qu'on peut dire les choses aussi simplement. Et ce n'est pas forcément donner un bon point au Président de la République et à son gouvernement que de le concéder : il s'agit tout simplement de défendre les intérêts de la France. Cela semble plein de bon sens, mais cela va mieux en le disant.
Je retiendrai qu'il faut une approche plus transparente des missions qui seront confiées à nos bases à l'avenir. Pour ma part, je continuerai de discuter avec mes homologues des pays concernés. Un mouvement est lancé dans plusieurs bases et avance bien, notamment pour proposer de nouveaux catalogues de formations. Je pense que, dès les prochaines cohortes qui sortiront de nos écoles, nous serons capables d'accueillir de nouveau, sur le territoire national, de nombreux élèves officiers ou sous-officiers venant de pays africains.
Nous sommes en train de prendre du retard sur les questions spatiales, sur le cyber ou sur les drones. Aussi devons-nous désormais mettre les bouchées doubles pour accompagner les armées de nos partenaires.
L'ensemble de ces sujets forment un agenda d'influence par le concret, à la fois pour lutter contre le terrorisme et pour honorer notre parole, que nous avons parfois donnée voilà plusieurs décennies, par des accords de défense. Je reste persuadé que l'honneur de la France, c'est de respecter la parole donnée. §
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère de la France en Afrique.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 7 juin 2023 :
À quinze heures :
Questions d'actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Proposition de loi maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs (procédure accélérée ; texte n° 667, 2022-2023) ;
Suite du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (procédure accélérée ; texte de la commission n° 661, 2022-2023) et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (procédure accélérée ; texte de la commission n° 662, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à minuit.