Intervention de Catherine Colonna

Réunion du 6 juin 2023 à 17h00
Politique étrangère de la france en afrique — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous le savons tous : l'Afrique est une région « où se joue une partie de notre avenir commun ». Ce constat qu'avait fait le Président de la République, en 2017, devant les étudiants de l'université de Ouagadougou demeure résolument actuel.

Nous partons d'une réalité : l'Afrique subsaharienne compte aujourd'hui 1, 1 milliard d'habitants et, selon les Nations unies, sa population devrait doubler d'ici à 2050.

L'Afrique, c'est donc un dynamisme réel dans notre voisinage immédiat, avec ce que cela implique en termes tant de défis que d'opportunités.

Pour ce qui est des opportunités, je citerai les perspectives de développement, c'est-à-dire, au travers d'une participation toujours plus importante du continent dans l'économie mondiale, des marchés à consolider ou à investir pour nos entreprises. Il faut aussi compter avec une jeunesse dynamique, entreprenante, créative.

Du côté des défis, il faut évoquer tous les risques induits précisément par cette forte croissance démographique, dans un espace très exposé par ailleurs au changement climatique et à ses multiples et terribles conséquences.

Ce constat étant posé, nous devons faire face à des enjeux immenses qui concernent le développement, la transition climatique, le partage de la richesse, l'éducation ou encore la santé, lesquels entraînent de nombreuses conséquences sur les plans sécuritaire, sanitaire et migratoire.

Pour toutes ces raisons, et compte tenu de toutes ces réalités, nous avons bel et bien « un destin lié avec le continent africain », selon la formule employée le 27 février dernier par le Président de la République, qui disait aussi dans cette intervention : « Ce n'est ni une bonne ni une mauvaise nouvelle, c'est un fait. Et tout dépendra de ce que nous en faisons. »

On a trop souvent considéré, de ce côté-ci de la Méditerranée, que les relations entre la France et l'Afrique étaient un peu à l'image de celles de Montaigne et La Boétie : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. »

Nous avons trop longtemps pensé que nos relations allaient de soi, faisant comme si les Africains allaient toujours nous donner la préférence, dans une logique de réflexe immuable. Or rien n'est plus faux. Dans un monde sans cesse plus concurrentiel, cette attitude conduirait inévitablement à perdre en crédibilité, au moment précis où notre coopération commune n'a jamais été aussi souhaitable.

L'époque où certains considéraient l'Afrique comme le terrain d'une rivalité à somme nulle entre puissances est, en outre, totalement dépassée. Les pays africains ont depuis bien longtemps diversifié leurs partenaires, comme nous l'avons tous fait.

En somme, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la politique étrangère de la France en Afrique consiste à mettre fin définitivement à cette logique, à cette mentalité de l'évidence, pour mieux avancer ensemble main dans la main, en véritables partenaires. Nous avons pour cela de nombreux atouts qu'il nous faut faire valoir.

Il s'agit, tout d'abord, de l'intensité de nos liens humains, de cette langue française que nous partageons avec l'Afrique francophone, de ce million de Français de La Réunion et de Mayotte qui vivent en Afrique et dont nous voulons renforcer l'intégration régionale.

Ce sont, ensuite, nos diasporas, aussi bien les Français qui vivent en Afrique que les Africains qui vivent en France ; sans oublier, bien sûr, ces millions de nos compatriotes qui sont liés à ce continent.

Il y a, enfin, l'ambition de la France, laquelle entend donner la pleine mesure de ses moyens à son action.

Cette ambition se retrouve dans notre aide publique au développement (APD) qui est passée, entre 2017 et 2022 – je le rappelle – de 10 à 15 milliards d'euros par an. La France est ainsi devenue l'an dernier le quatrième bailleur mondial et le seul à avoir accru ses financements sur le continent africain, avec 5, 2 milliards d'euros de financements bilatéraux et multilatéraux destinés à l'Afrique. À Bruxelles, également, nous défendons la place de l'Afrique comme première région de la solidarité européenne.

À une échelle plus globale, le Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial des 22 et 23 juin prochain visera également à conjurer un risque de fracture grandissante entre le Nord et le Sud, en répondant aux besoins des pays en développement pour financer la transition écologique et la sortie de pauvreté.

Notre ambition est aussi celle que nous manifestons en soutenant les attentes de l'Afrique d'être mieux intégrée à la gouvernance mondiale. Nous sommes résolument favorables à une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, avec l'attribution d'un siège de membre permanent à un pays africain ainsi qu'une participation pleine et entière de l'Union africaine (UA) au G20.

Nous déployons notre ambition, par ailleurs, au travers de notre réseau culturel, grâce aux 28 Instituts français et 109 Alliances françaises présents dans la seule Afrique subsaharienne. Les 108 établissements scolaires affiliés à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) installés sur le continent africain sont un autre outil de rayonnement auprès des générations futures.

En France, nos universités accueillent un nombre toujours croissant d'étudiants africains. Ils étaient 150 000 en 2021, en augmentation de 40 % depuis 2017.

Notre ambition se déploie également sur le terrain économique.

À cet égard, il faut se méfier de certains faux-semblants. Les économies africaines s'étant largement mondialisées, nos parts de marché ont pu marquer le pas. Mais la croissance africaine a été telle que notre présence économique a augmenté en volume, de plus en plus de PME françaises se tournant vers le continent. En quinze ans, le nombre des filiales d'entreprises françaises en Afrique a doublé, de même que nos investissements. La France est aujourd'hui le deuxième investisseur étranger sur le continent.

Ces points sont trop peu souvent rappelés.

Notre réseau diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir cette dynamique, tout en défendant nos intérêts.

Enfin, notre ambition se déploie dans un dialogue continu et approfondi avec nos partenaires africains sur tous nos sujets d'intérêt commun, qui sont nombreux.

Au premier rang de ceux-ci figure, bien sûr, la lutte contre le changement climatique. En 2021, à la COP26 de Glasgow, nous avons été précurseurs en nous engageant dans le partenariat pour une transition énergétique juste (JETP) pour l'Afrique du Sud afin de faire sortir progressivement ce pays, dans lequel je me rendrai dans deux semaines, de sa dépendance au charbon.

Dès le début de la guerre russe en Ukraine, qui a très sévèrement aggravé l'insécurité alimentaire, nous nous sommes mobilisés pour soutenir les pays les plus vulnérables, notamment africains. Nous avons ainsi financé et facilité l'envoi de céréales et amélioré la sécurité alimentaire, en particulier via le transport récent de 20 000 tonnes d'engrais vers le Malawi. En Éthiopie, où je me suis également rendue, nous avons acheminé, avec l'aide de l'Allemagne, 26 000 tonnes de céréales destinées au Programme alimentaire mondial (PAM). Nous avons d'ailleurs doublé notre contribution à ce programme et travaillons au renforcement des systèmes alimentaires en Afrique.

La Russie, quant à elle, exerce un chantage constant sur la reconduction de l'initiative céréalière pour l'exportation via la mer Noire des céréales ukrainiennes.

Vous vous en doutez, la guerre en Ukraine est au cœur des discussions avec nos partenaires africains, pour en limiter les conséquences néfastes sur eux, mais aussi en soi. En effet, l'agression d'un pays souverain par son voisin est aussi une agression contre les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, notamment l'égalité souveraine et le respect de l'intégrité territoriale des États : sans le respect de ces principes, les États ne peuvent connaître ni paix ni stabilité. Nous faisons valoir cette position dans le monde entier, en particulier auprès de nos partenaires africains qui ne perçoivent pas suffisamment ce point de vue et considèrent que l'Europe est trop loin.

Dans notre dialogue avec ces partenaires, nous défendons sans relâche la nécessité de maintenir et d'accroître la pression sur la Russie pour faire en sorte que son agression échoue. En effet, l'avenir et la sécurité de toutes les nations souveraines sont bel et bien en jeu. Une agression qui serait récompensée ouvrirait la voie à d'autres, là ou ailleurs. Tous doivent en être conscients, car tous sont concernés.

Ce rappel est d'autant plus indispensable au moment où six chefs d'État du continent s'apprêtent à se rendre à Kiev et à Moscou, dans le cadre d'une initiative de paix dont les contours restent à dessiner. Rappelons-le, toute initiative doit s'appuyer sur le plein respect des principes fondamentaux de la Charte.

Plus généralement, et partout sur le continent, la France met sa diplomatie au service de la paix. C'est notamment le cas en Afrique de l'Ouest, où les pays du Sahel et du golfe de Guinée font toujours face à une importante menace terroriste. Je laisserai le soin au ministre des armées de revenir plus en détail sur les aspects militaires de notre action.

Au Soudan, nous sommes en contact avec les deux parties au conflit, ce qui nous a permis en avril dernier d'évacuer les Français désireux de quitter Khartoum ainsi que de très nombreux ressortissants étrangers. Nous devons aussi convaincre les belligérants de renouveler la trêve, de la rendre effective, et de rechercher une nécessaire solution politique.

Dans la région des Grands Lacs, notre diplomatie est aussi à la manœuvre pour soutenir le processus de paix.

Enfin, nous dialoguons en permanence sur les questions liées à l'État de droit – démocratie, lutte contre la peine de mort, égalité entre les femmes et les hommes, droits des personnes LGBT+, liberté d'expression – et, plus généralement, de l'ensemble des sujets sur lesquels la France a des positions à tenir. C'est ce que nous faisons partout dans le monde, que notre interlocuteur soit africain ou non.

L'autre grande clé de compréhension de notre politique étrangère en Afrique est à trouver dans cette volonté, clairement exprimée, « de bâtir une nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable », pour reprendre les mots du Président de la République. Nous entretenons des liens de ce type avec chacun des 54 pays du continent, dans le cadre de 54 relations bilatérales. Il y a non pas une, mais de nombreuses Afrique, un continent dans lequel nous avons 54 partenaires.

Tous ces pays ont leurs spécificités ; c'est la raison pour laquelle il ne faut pas réduire les relations franco-africaines à une seule situation, au prix de raccourcis et de simplifications – on en connaît beaucoup.

Se laisser prendre au piège de fausses paniques déclinistes ou s'enfermer dans des complexes qui n'ont pas lieu d'être, c'est ne pas être à la hauteur de ce qui se passe réellement et concrètement – soit, dans l'écrasante majorité des cas, des relations qui fonctionnent bien et portent leurs fruits.

Pour autant, et face à certains vents contraires, nous sommes déterminés.

Je pense en particulier à la diffusion de discours antifrançais dans certains pays d'Afrique francophone. Ces discours, dont nous devons comprendre l'origine, sont pour partie liés à l'héritage de l'Histoire, pour partie aux frustrations de la jeunesse, mais pour partie aussi à des entreprises hostiles et plus ou moins souterraines, en particulier venant de la Russie.

Face à chacune de ces causes, nous agissons résolument. C'est notamment le sens de notre présence sécuritaire en Afrique, dans une dynamique nettement plus partenariale – moins visible aussi. Je laisserai le ministre des armées détailler notre nouvelle posture.

C'est aussi le sens de la démarche entreprise auprès de certains pays où notre relation commune doit faire face à une mémoire troublée, à un « passé qui ne passe pas », parce que nous n'avons pas fourni assez tôt et assez résolument les efforts nécessaires attendus par nos partenaires africains.

Ce qui a été fait au Rwanda doit nous montrer la voie : les travaux menés par des historiens de nos deux pays ont permis à la France de regarder son Histoire en face, pour mieux construire une relation de confiance.

C'est également la voie que nous prenons au Cameroun depuis l'été dernier, avec l'installation récente d'une commission d'historiens et d'artistes français et camerounais.

Plus globalement, nous donnons un nouveau tournant à notre communication en l'orientant davantage vers la jeunesse, à laquelle nous voulons montrer la réalité concrète de notre coopération, parfois occultée par des déclarations inexactes.

J'ai aussi redonné à nos ambassades en Afrique les moyens de mener elles-mêmes, directement, de petits projets visibles et rapides au plus proche du terrain et des bénéficiaires. Il y va de notre influence. Je viens ainsi de lancer un Fonds Équipe France doté de 40 millions d'euros – ce montant peut paraître faible, mais pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, c'est beaucoup !

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