Séance en hémicycle du 6 juin 2023 à 17h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La séance est reprise.

Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l'examen des amendements portant sur le rapport annexé.

Introduction

La justice est tout à la fois de grands principes qui fondent la République et la démocratie mais aussi un service public, certes spécifique, qui doit répondre aux exigences d'efficacité et de modernisation.

Annoncée par la Première ministre lors de son discours de politique générale du 6 juillet 2022 au Parlement, la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice vise notamment à doter l'institution judiciaire des ressources à la hauteur des exigences de ses missions et de l'ambition commune qu'elle porte.

Nourri des conclusions des États généraux de la justice formalisées dans le rapport remis le 8 juillet 2022 au Président de la République mais aussi des réflexions et convictions portées par le ministère de la justice, ce texte apporte des réponses opérationnelles et concrètes pour bâtir la justice de demain.

Riche d'une vaste consultation, ayant permis de recueillir près d'un million de contributions de citoyens et d'acteurs et partenaires de la justice, le rapport du comité des États généraux de la justice a dressé le constat d'une justice sous tension, parfois en difficulté pour remplir pleinement son rôle.

Afin de rehausser ses capacités, les moyens alloués à l'institution judiciaire seront largement accrus, poursuivant l'augmentation du budget de la mission « Justice » déjà amorcée lors du précédent quinquennat. Cet effort budgétaire sans précédent, dont la trajectoire est inscrite dans le projet de loi, vise à répondre aux attentes fortes des citoyens et des professionnels de la justice.

Au-delà d'une augmentation des ressources, le projet de loi d'orientation et de programmation a pour ambition d'accompagner une réforme profonde de la justice, plus rapide notamment dans ses délais de jugement, plus protectrice et efficace, plus proche et exigeante.

1. Un état des lieux détaillé issu de l'exercice inédit des États généraux de la justice

1.1. Un exercice inédit ayant associé l'ensemble des parties prenantes du service public de la justice

1.1.1. La consultation des citoyens et des professionnels de la justice

Lancée par le Président de la République le 18 octobre 2021 à Poitiers, en présence de citoyens, d'élus, de professionnels de justice, de magistrats, de greffiers, d'avocats, de notaires, de commissaires de justice, de mandataires judiciaires, de surveillants pénitentiaires, d'étudiants, ou encore des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et des forces de sécurité intérieure, la consultation menée marque une ouverture inédite de l'institution judiciaire.

Son lancement a été l'occasion pour le Président de la République de rappeler le premier enjeu des États généraux : la « restauration du pacte civique entre la Nation et la justice ».

Un comité composé de personnalités indépendantes et transpartisanes a été constitué dès le début du processus afin de donner l'impulsion nécessaire à la conduite de cette réflexion d'envergure, sous la présidence de Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d'État.

Une première phase, qui a consisté en une large consultation des citoyens et des professionnels de justice, a eu pour ambition de dresser un état de la situation de la justice en France et de formuler des propositions concrètes pour la mettre au cœur du débat public.

Ainsi, une consultation publique « Parlons justice » a été ouverte en ligne. Des rencontres et des consultations des usagers de la justice ont eu lieu dans toute la France.

L'ensemble des professionnels de justice, des magistrats, des professions du droit mais également de citoyens se sont vus offrir l'occasion de s'exprimer et de formuler des propositions concrètes d'amélioration du fonctionnement de l'institution judiciaire. Ces échanges ont eu lieu dans le cadre d'auditions, de visites sur site, de contributions écrites, de près de 250 débats organisés sur l'ensemble du territoire. Des réunions territoriales ont également été organisées, en particulier dans des juridictions et des établissements de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.

La consultation a été complétée par l'expertise de sept groupes de travail, constitués autour de magistrats, d'agents du ministère de la justice et de partenaires, qui ont couvert les problématiques des justices civile, pénale, de protection, économique et commerciale, de la pénitentiaire et de la réinsertion, du pilotage des organisations ainsi que des missions et des statuts. Chacun de ces ateliers a établi un état des lieux précis et remis des propositions dans son champ d'expertise.

1.1.2. La convergence et la synthèse des propositions par un comité indépendant

À la fin du mois de janvier 2022, le croisement des propositions des acteurs mobilisés a constitué un moment clé pour cette démarche participative. Rassemblant 12 citoyens, 12 magistrats et agents du ministère ainsi que 12 partenaires de la justice, cet atelier de convergence a eu pour mission de prioriser les propositions ayant émergé.

Le comité Sauvé a remis son rapport au Président de la République le 8 juillet 2022.

Signe de l'ambition démocratique de la démarche, la synthèse des contributions, de même que les conclusions de l'atelier de convergence et les conclusions des groupes de travail ont été mises en ligne avec le rapport final sur le site internet du ministère de la justice.

1.1.3. Un travail de concertation mené par le garde des sceaux

À la suite de la remise du rapport, le garde des sceaux, ministre de la justice, a ouvert, le 18 juillet 2022, une très large concertation sur ces préconisations. Ont été associés le Premier président de la Cour de cassation et le Procureur général près ladite Cour, les membres du Conseil supérieur de la magistrature, les quatre conférences des chefs de cour et de juridiction, toutes les professions du droit, les syndicats, les forces de sécurité intérieure, mais également des citoyens « grands témoins », afin de recueillir leurs observations sur le rapport et ses annexes. Le garde des sceaux a renouvelé cet exercice avec les mêmes acteurs à la rentrée de septembre 2022.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ont également été invités à prendre part à ces échanges, s'agissant de leurs périmètres respectifs.

1.2. Un appel à agir en faveur de l'institution judiciaire

1.2.1. Une justice en proie à des difficultés d'accessibilité et de délais

Les consultations ont fait émerger le besoin d'un renforcement de la culture juridique de l'ensemble des citoyens, comme partie intégrante de l'éducation à la citoyenneté. Chacun a besoin de comprendre les fondamentaux du fonctionnement de l'institution judiciaire, qu'il y soit confronté à titre personnel ou simplement pour décoder les informations reçues des médias.

Surtout, elles ont mis en évidence un système judiciaire qui souffre encore de délais considérés comme trop longs par les professionnels de la justice comme par les citoyens.

Focus : les délais moyens

En 2021, le délai moyen de traitement d'une affaire civile s'établissait à 9, 9 mois devant les tribunaux judiciaires, 15, 7 mois devant les cours d'appel, 16, 3 mois devant les conseils de prud'hommes et 10 mois devant les tribunaux de commerce.

En 2021, au pénal toutes condamnations confondues (crimes et délits), le délai de traitement se maintient depuis 2012 à environ 13 mois, ce délai n'intégrant pas les délais d'enquête de police qui ne dépendent pas du ministère de la justice.

Pour les convocations par officier de police judiciaire devant le tribunal correctionnel (COPJ), le délai de traitement (entre la convocation et le jugement au fond) était en 2021 de 11, 9 mois, 35 % des COPJ étant jugées dans un délai inférieur à 6 mois.

Le délai moyen de traitement en correctionnelle est, quant à lui, de 10, 4 mois en 2021.

Le délai de traitement par les parquets des auteurs poursuivis est assez court (3, 9 mois en moyenne), avec un délai raccourci en cas de poursuites devant une juridiction pour mineurs (1, 8 mois), et prolongé lorsque l'affaire est transmise au juge d'instruction (9, 3 mois).

L'objectif-cible en matière civile est de parvenir à un délai moyen de traitement à 13, 5 mois fin 2023 et à 11, 5 mois fin 2027.

En matière pénale, le délai moyen global visé de décision devant le TC (de la saisine du parquet à la décision au fond) et devant le JE/TPE (de la saisine du parquet au jugement sur la culpabilité) est de 10, 4 mois fin 2023 et 8, 5 mois fin 2027.

1.2.2. Une justice civile et commerciale au cœur des attentes des citoyens

Représentant 60 % de l'activité judiciaire, la justice civile est confrontée à une impérieuse nécessité de maintenir le traitement des affaires dans des délais raisonnables, y compris pour les procédures longues, et alors qu'elle est déjà organisée, notamment au travers des procédures sur requêtes et en référé, pour faire face à l'urgence. Le déficit d'attractivité des fonctions civiles complique encore davantage le traitement des affaires civiles.

Or, ainsi que mis en évidence par le groupe de travail sur la justice civile, au-delà de son importance comptable, la justice civile assure la cohésion sociale, car elle permet d'apaiser les litiges entre nos concitoyens et participe au développement socio-économique du pays.

La justice commerciale, organisée, quant à elle, autour des tribunaux de commerce, fait l'objet d'une organisation jugée insuffisamment unifiée et lisible par l'ensemble des acteurs. Il est à noter toutefois que ce constat fait suite au double mouvement à l'œuvre ces dernières années de spécialisation accrue du contentieux commercial et des procédures collectives et de recherche de proximité pour le justiciable, qui nécessite une prise en charge spécifique.

1.2.3. Une justice pénale insuffisamment lisible

La procédure pénale est devenue de plus en plus complexe et difficile à appréhender, tant pour les professionnels du droit que pour les justiciables. Le code de procédure pénale a fait l'objet d'une inflation normative sans précédent depuis son entrée en vigueur en 1959, passant de 800 à plus de 2 400 articles, en accélération depuis 2008, sous l'effet conjugué de l'adoption de nouvelles politiques pénales, de la transposition de dispositions supranationales ou de la prise en compte de décisions jurisprudentielles. Cette évolution génère une incohérence du plan d'ensemble du code, qui ne respecte pas la chronologie de la procédure pénale : ainsi, les règles applicables lors de l'enquête ou de l'instruction sont, par exemple, dispersées dans au moins six parties distinctes du code. Un tel éclatement des dispositions conduit également à des redondances nuisant à la lisibilité d'ensemble de la procédure pénale et à la sécurité juridique.

En outre, certaines dispositions en matière pénale ont besoin d'évoluer pour être davantage en phase avec les besoins des praticiens et les attentes des citoyens. À ce titre, la réforme des peines (« bloc peines »), entrée en vigueur le 24 mars 2020 dans un contexte marqué par la crise sanitaire, a fait l'objet d'une appropriation inégale : alors que les aménagements ab initio ou la libération sous contrainte sont de plus en plus usitées par les services judiciaires et pénitentiaires, la peine de travail d'intérêt général devrait davantage être valorisée notamment au stade post sentenciel nonobstant les améliorations apportées pour son prononcé.

1.2.4. Une politique carcérale au cœur des attentions

Dans le contexte de surpopulation carcérale, les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires français, en particulier dans les maisons d'arrêt, font l'objet d'une attention soutenue du ministère de la justice par des mesures tant juridiques que structurelles. Par ailleurs, il faut répondre au déficit préoccupant d'attractivité et de fidélisation des personnels pénitentiaires, par la revalorisation des métiers et la formation des agents.

2. Un plan d'action pour la justice

2.1. Des moyens accrus et une organisation rénovée

2.1.1. L'augmentation soutenue et régulière des moyens dédiés à la justice

Inscrite dans la présente loi de programmation, la progression des crédits, de 21 % à l'horizon 2027 par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, traduit de manière concrète la priorité réaffirmée par le Gouvernement accordée au renforcement et à la modernisation de la justice.

Ainsi, sur deux quinquennats, en prenant en compte la loi précédente de programmation pluriannuelle, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le budget du ministère aura augmenté de 60 %, pour atteindre près de 11 milliards d'euros en 2027.

En cumulé sur le quinquennat, 7, 5 milliards de crédits supplémentaires seront alloués au service public de la justice sur ce quinquennat, par rapport au niveau de 2022.

CRÉDITS DE PAIEMENT

hors compte d'affectation spéciale « Pensions »

2022 (pour mémoire)

Budget du ministère de la justice, en millions d'euros

Cet effort sur les moyens financiers se décline également sur les moyens humains avec la programmation du recrutement sans précédent de 10 000 emplois supplémentaires d'ici 2027, dont 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et un nombre substantiel d'assistants du magistrat. Également, sont compris dans les 10 000 emplois, les 605 équivalents temps plein recrutés en gestion 2022 au titre de la justice de proximité. En 5 ans, autant de magistrats auront été recrutés que sur les 20 dernières années.

Disposer d'une trajectoire budgétaire sécurisée sur cinq ans permettra au ministère de la justice de conduire résolument les investissements d'ampleur indispensables, tant dans les domaines immobilier, informatique ou organisationnel, qu'en matière de ressources humaines, pour évoluer vers un service public davantage attentif aux besoins des justiciables qu'il accueille et plus respectueux encore des personnes qui lui sont confiées.

La mise en œuvre de ces objectifs fixés par la loi fera l'objet d'un suivi en exécution.

Une clause de revoyure interviendra dans le cadre du PLF 2025 s'agissant des dépenses d'investissements immobiliers.

À cet effet, dans les conditions fixées par l'article 15 modifié de loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances et dans le respect de l'enveloppe de ressources prévue au titre de la période 2023-2027, le ministère de la justice pourra bénéficier de la reconduction d'une année sur l'autre des moyens immobiliers programmés n'ayant pas été consommés, qui seront donc sanctuarisés.

Cette garantie ira de pair avec un suivi étroit de l'avancement de la programmation immobilière pénitentiaire et judiciaire, décrit plus bas.

2.1.2. Des métiers de la justice revalorisés

2.1.2.1 Le renforcement de l'attractivité des métiers

Revaloriser les métiers pour les rendre attractifs et favoriser leur fidélisation nécessite de tenir compte du niveau de rémunération d'emplois comparables dans la fonction publique et de revaloriser en conséquence les rémunérations des différentes professions : magistrats judiciaires, greffiers, personnels de direction, éducateurs, personnels d'insertion et de probation, surveillants pénitentiaires, cadres et personnels administratifs et techniques…

Les voies de recrutement dans la magistrature seront simplifiées pour les professionnels du droit. De même, seront facilités les recrutements des magistrats à titre temporaire qui viennent compléter les équipes juridictionnelles.

S'agissant des greffiers, la toujours plus grande technicité de leurs fonctions et du niveau de diplômes détenu par les recrutés implique une attention particulière pour renforcer l'attractivité de ce métier et offrir des parcours de carrières valorisants. Le budget 2023 comporte ainsi une mesure catégorielle de revalorisation indiciaire des greffiers, avec une entrée en vigueur au 1er octobre 2023 pour un coût de 1, 75 M € en 2023 (7 M € en année pleine). Elle s'accompagnera d'une politique volontariste pérenne de convergence et de revalorisation indemnitaire des fonctions.

Pour ce qui concerne les métiers des filières en tension, comme le numérique, le ministère a engagé un travail visant, d'une part, à identifier les compétences stratégiques mais également les risques liés à la perte de compétences clés et, d'autre part, à mobiliser et à adapter ses actions en matière de gestion des ressources humaines pour pouvoir continuer à recruter et fidéliser ces compétences rares.

Pour tous ces métiers, la rémunération est un élément essentiel de l'attractivité du ministère et de la fidélisation de ses agents. Elle permet de reconnaître les fonctions occupées et la valeur professionnelle des agents, individuelle et collective.

La politique indemnitaire sera régulièrement ajustée afin de tenir compte de l'évolution des missions et des conditions d'exercice des fonctions des agents, en cohérence avec les orientations interministérielles qui seraient données.

2.1.2.2 Une politique dynamique de recrutements

Face aux enjeux massifs de recrutements sur les différents métiers de la justice, le ministère va poursuivre l'engagement d'une action forte de communication sur ses métiers, le sens du travail en son sein et les valeurs spécifiques de la justice. Il s'inscrit également dans le travail interministériel de valorisation de la « marque employeur » de l'État qu'il décline sur différents supports de communication ou leviers d'action, notamment ceux accessibles par les jeunes générations.

Par ailleurs, les nouvelles possibilités de recrutement, de mobilité et d'évolution dans les parcours professionnels ouvertes par la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique doivent également permettre de répondre aux besoins en compétences du ministère. Le recrutement par la voie de l'apprentissage sera encouragé. Le recrutement de personnes en situation de handicap constituera également un levier pertinent de recrutement pour répondre aux enjeux ministériels.

Enfin, le ministère de la justice engagera une action pour conserver les compétences qu'elle a su accueillir dans le cadre de la mise en place de la justice de proximité ou de la lutte contre les violences intrafamiliales. Ainsi, les agents contractuels A, B et C recrutés dans ce cadre se verront proposer, s'ils exercent toujours leurs fonctions et sans qu'ils aient besoin de recandidater, un contrat à durée indéterminée conformément aux dispositions de la loi de transformation de la fonction publique. C'est un enjeu essentiel pour permettre à ces agents d'œuvrer durablement dans les juridictions compte tenu de l'apport essentiel qu'ils ont constitué depuis 2020.

2.1.2.3 L'adaptation des compétences

Dans le cadre d'une méthode ministérielle harmonisée, chaque direction du ministère définira l'évolution des différents métiers et des compétences dont elle a besoin sur les cinq prochaines années pour l'ensemble des métiers, spécifiques et communs, de tous niveaux.

La démarche de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences devra s'appuyer sur cette connaissance de l'évolution des métiers mais également sur son système d'information des ressources humaines (SIRH) qui sera enrichi de nouvelles fonctionnalités. Des investissements seront ainsi réalisés pour doter le SIRH d'un module de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC).

L'adaptation des compétences aux besoins évolutifs des emplois mobilise l'appareil de formation. À cet égard, l'École nationale de la magistrature va renforcer sa formation en termes de management (cf. 2.1.5).

S'agissant des métiers pénitentiaires, une politique ambitieuse de formation initiale et continue permettra de répondre à la diversification des missions (lutte contre les violences et les phénomènes de radicalisation, missions extérieures et de sécurité publique, développement de la surveillance électronique, missions de réinsertion et de prévention de la récidive…). Cette politique se matérialisera par un nouveau plan de formation pour l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP), ainsi que par des plans locaux de formation dans les unités de recrutement, formation et qualifications (URFQ) des directions interrégionales et la création de centres de formation continue (CFC).

De même, l'accent sera mis sur la formation relative à la prise en charge des mineurs non accompagnés, afin d'acquérir ou de développer les savoir-faire des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse sur la prise en charge de ces jeunes, en application du code de justice pénale des mineurs.

Enfin, le réseau ministériel de conseillers mobilité carrière sera renforcé afin de personnaliser l'accompagnement des agents dans leur parcours professionnel.

2.1.2.4. L'attention aux parcours professionnels des cadres

Le ministère a entrepris un chantier visant à reconnaître les emplois de cadres supérieurs à responsabilité territoriale du ministère en élaborant un statut ministériel de ces emplois s'inscrivant dans le cadre général des emplois de direction de l'État, particulièrement de ceux de l'administration territoriale de l'État. À compter de 2023, ce statut ministériel d'emploi de direction permettra de fluidifier les parcours des cadres entre les directions et avec les autres employeurs publics et d'attirer des compétences nouvelles.

Afin d'identifier les cadres du ministère qui pourraient être appelés à occuper les emplois à responsabilité au sein du ministère ou dans le champ interministériel, des revues systématiques de cadres sont mises en œuvre tous les deux ans.

La revue des cadres facilite également l'accès des femmes aux postes à responsabilité. Toutes les mesures d'accompagnement des femmes pour briser le plafond de verre sont mises en place, tutorat, mentorat, coaching, formation…

Enfin, le ministère met en œuvre la réforme de l'encadrement supérieur, en lien avec la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur. Dans ce cadre, un accompagnement individualisé et spécifique aux cadres supérieurs sera mis en place pour encourager le développement de leurs compétences (coaching, formations…) et les aider à construire leur projet professionnel. Un dispositif d'évaluation des compétences et des réalisations, adapté aux cadres supérieurs, sera également mis en place. À cet effet, une instance collégiale ministérielle prévue par l'ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de l'État sera constituée.

2.1.2.5 Les spécificités des outre-mer prises en compte

La politique de ressources humaines du ministère est adaptée pour faire face aux enjeux spécifiques des outre-mer tout en tenant compte de la différence de contexte de ces territoires.

Elle prévoit :

– l'accompagnement préalable des candidats à une mobilité outre-mer (entretiens préalables systématiques) et la facilitation de leur déménagement ;

– des dispositifs permettant des recrutements locaux par concours dans les territoires où l'attractivité est insuffisante dans le respect des obligations liées à la prise en compte du centre d'intérêts matériels et moraux (CIMM) dans les règles de mobilité ;

– l'amélioration des mesures d'action sociale, notamment en matière de logement ;

– l'accompagnement au retour des agents et la valorisation de l'expérience acquise en outre-mer (priorité de mutation, choix de postes préférentiel, valorisation pour l'avancement…) ;

– la construction de parcours professionnels ministériels, interministériels, voire interfonctions publiques pour les agents qui souhaitent faire toute ou une partie de leur carrière dans un territoire ultramarin.

Le ministère s'attache à adapter la mise en œuvre des mobilités pour faciliter l'application, d'une part, du critère légal de priorité de mutation lié au centre des intérêts matériels et moraux des agents originaires des outre-mer et, d'autre part, du critère de priorité de mutation subsidiaire, prévu par les lignes directrices de gestion mobilité du ministère, pour le retour des agents qui le souhaitent après 3 ans de service outre-mer.

2.1.3. L'attention à l'action sociale, à une politique de ressources humaines exemplaire et à la qualité de vie au travail

2 1.3.1. Une politique d'action sociale renforcée

La politique ministérielle d'action sociale sera poursuivie avec l'objectif de contribuer davantage à l'attractivité du ministère et à la fidélisation de ses agents. Elle sera adaptée aux besoins des agents en articulation étroite avec les directions d'emploi, dans le cadre d'un dialogue social approfondi avec les organisations syndicales au sein du Conseil national de l'action sociale (CNAS).

À cette fin, l'effort dans le domaine du logement sera prioritaire, les réservations de logement se feront dans les zones des recrutements à intervenir dans les cinq ans, au bénéfice des agents comme les surveillants pénitentiaires et les adjoints administratifs. En raison de la pression immobilière, une enveloppe est consacrée à de nouvelles réservations de logements, particulièrement en Île-de-France, mais également dans les zones tendues identifiées (PACA, Rhône-Alpes, Lille Métropole), zones d'accueil importantes d'agents primo-recrutés. Le travail de prospection et de conventionnement réalisé auprès des organismes de logement social à proximité de nouvelles ou de récentes structures du ministère, par exemple au Millénaire et bientôt en Guyane, sera poursuivi.

Le ministère s'attache également à mobiliser des réserves foncières, sur son propre patrimoine notamment, mais également par un travail de proximité avec les collectivités territoriales intéressées, pour faciliter la construction de logements intermédiaires ou de droit commun.

Le ministère met également en place un portail unique recensant toutes les offres de logement et comprenant des conseils personnalisés aux agents.

En complément de ces mesures, l'accession à la propriété est aidée. Le dispositif de prêt bonifié mis en place sera renforcé.

L'effort réalisé en matière de petite enfance sera également intensifié, particulièrement dans les grandes agglomérations. La spécificité des horaires effectués par une partie des personnels du ministère de la justice, notamment les personnels pénitentiaires travaillant en détention, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et une partie des magistrats et des fonctionnaires des services judiciaires conduit le ministère à prioriser la mise en place de dispositifs permettant aux personnels concernés à la fois de faire garder leurs enfants et de bénéficier d'aides leur permettant de compenser financièrement une partie du surcoût des prestations de garde en horaires atypiques. Depuis novembre 2012, le dispositif de type chèque emploi service universel « horaires atypiques du ministère de la justice » mis en place répond à un réel besoin et demeure.

Soucieux de permettre aux familles de concilier plus aisément vie familiale et vie professionnelle, le ministère souhaite développer son offre d'accueil de la petite enfance en structures collectives afin de faciliter la réussite de l'installation des agents recrutés ou mutés, et d'accompagner la mobilité professionnelle.

Le développement de prestations existantes sera poursuivi. D'une part, le contrat enfance jeunesse entre le ministère de la justice, la caisse d'allocations familiales et la municipalité de Fleury-Mérogis, qui permet la réservation annuelle de places en crèche à destination des agents ayant des horaires atypiques, peut être étendu à d'autres localités. D'autre part, la réservation de berceaux pour les enfants d'agents du ministère est une priorité sur les cinq années à venir, particulièrement en Île-de-France.

Protéger ses agents contre les accidents de la vie, en désignant un organisme chargé de leur protection sociale complémentaire, constitue le choix réalisé par le ministère pour une nouvelle période de sept ans à compter de 2017.

L'offre de référence s'adresse à tous les personnels du ministère de la justice, ainsi qu'à leur conjoint ou personne assimilée et à leurs enfants. Elle propose des contrats solidaires en termes intergénérationnels, familiaux et de revenus sur la base d'une tarification modérée à hauteur des transferts financiers effectués par le ministère.

Le ministère mettra en œuvre les nouvelles mesures qui ont été et sont négociées dans le cadre interfonctions publiques avec les partenaires sociaux en matière de renforcement de la protection sociale complémentaire des agents publics. En 2022, un forfait a été versé à chaque agent pour l'aider à financer sa protection sociale. Un accord est prévu avec les organisations syndicales, pour une mise en œuvre à l'horizon de la fin de l'année 2024.

2.1.3.2 Une politique des ressources humaines exemplaire en matière de responsabilité sociale

Le ministère a construit une politique volontariste en matière d'égalité professionnelle par la signature d'un accord relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes le 20 janvier 2020 par la majorité des organisations syndicales. Cet accord, support d'un plan d'action ministériel porteur de 60 mesures, emporte une révision des pratiques de ressources humaines, en les évaluant et en les améliorant, tant dans le domaine des rémunérations, de la durée et de l'organisation du travail, de la formation, des promotions et des conditions de travail. Une renégociation de l'accord est prévue en 2023 pour la mise en œuvre d'un plan sur l'horizon 2024 à 2026.

Un plan d'action ministériel pour la diversité et de lutte contre les discriminations, notamment dans le recrutement et dans le déroulement de la carrière, est également en place.

Un dispositif de signalement des actes de violence, de discriminations, de harcèlements et d'agissements sexistes à destination de tous les agents afin de garantir une liberté et une fluidité de la parole est également déployé depuis 2022 et jusqu'en 2026. Il est confié à un organe extérieur au ministère, les agents s'appropriant progressivement cette nouvelle protection. Une convention pluriannuelle a été conclue avec l'association FLAG ! en septembre 2021 afin de sensibiliser les agents du ministère à l'occasion d'événements et de conseiller en tant que de besoin les agents concernés.

Ces politiques reposent sur un réseau de référents dans toutes les directions, au nombre de 102, qui mettent en place des actions concrètes sur tous les territoires et dans tous les réseaux professionnels.

Le ministère a obtenu en décembre 2021, pour 4 ans, le label Alliance, c'est-à-dire le double label égalité femmes/hommes et diversité. Il reconnaît l'engagement du ministère dans ces deux politiques de gestion des ressources humaines, son volontarisme et la qualité des actions conduites.

En 2023, le ministre de la justice va renforcer sa politique ministérielle dans le domaine du handicap et des emplois réservés et l'inscrire dans une vision pluriannuelle. Elle vise à respecter l'objectif d'un taux d'emploi de 6 % des effectifs rémunérés du ministère et à favoriser, au-delà du recrutement de personnes en situation de handicap, leur maintien en fonction et leur déroulement de carrière sans discrimination. Elle s'appuie sur le maillage du réseau des référents handicap et sur un partenariat renforcé avec le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique et sur des partenariats avec des associations spécialisées.

Le collège de déontologie du ministère a été installé solennellement le 6 mars 2020 et des correspondants déontologues ont été désignés dans chacune des directions. Le ministère communiquera davantage sur ce dispositif afin d'en assurer sa promotion et d'organiser un véritable travail en réseau. Le dispositif de recueil des alertes a été mis en place et confié au collège de déontologie. Le ministère assure la formation de ses agents sur ces thèmes, en commençant par les cadres.

Dans la droite ligne de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, le ministère a mis en place des référents laïcité et promeut une formation obligatoire aux exigences du principe de laïcité pour tout agent public. Depuis 2022, chaque nouvel entrant suit une formation à la laïcité. En 2025, l'ensemble des agents du ministère seront formés à la laïcité. Un dispositif de conseil aux agents en matière de respect du principe de laïcité est également en place.

La prévention des violences faites aux agents constitue un chantier prioritaire. Dans la continuité des travaux conduits en comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériel, deux circulaires rappellent les modalités de mise en œuvre du droit à la protection fonctionnelle ainsi que les différents textes applicables et les mesures de prévention et de réparation mises en place. La charte de prévention des violences signée le 18 novembre 2021 par le ministre et des organisations syndicales majoritaires est mise en œuvre.

Un plan ministériel de santé au travail est en place pour la période 2022 à 2024. Il prévoit, d'une part, un renforcement et une coordination efficace des réseaux (médecins de prévention, infirmiers en santé au travail, travailleurs sociaux, psychologues du travail, référents SST, Handicap/QVT) avec, comme objectif principal, l'harmonisation des pratiques métiers et, d'autre part, la professionnalisation continue des acteurs intervenant dans le champ de la prévention (assistants et conseillers de prévention, formation des présidents et des membres des instances du dialogue social) ainsi que des chefs de service, sur la base d'une meilleure connaissance des risques et l'élaboration d'outils méthodologiques partagés, accompagnés d'actions de formation dédiées.

Parmi les axes privilégiés en matière de santé, d'hygiène et de sécurité au travail à l'horizon 2027 dans un contexte de démographie médicale sous tension, la priorité va à l'effort de fidélisation des médecins de prévention en poste et à l'attractivité du ministère pour en recruter de nouveaux (appui administratif, amélioration des conditions d'accueil, mise aux normes des cabinets médicaux, poursuite du conventionnement avec des services interentreprises) ainsi qu'au recrutement d'infirmières en santé au travail et la constitution d'équipes pluridisciplinaires.

2.1.3.3. La négociation d'un accord-cadre sur la qualité de vie au travail

Une négociation en vue de la signature d'un accord-cadre portant sur la qualité de vie au travail sera ouverte en 2023 avec les organisations syndicales représentatives du ministère.

Conçu et négocié avec les organisations syndicales, cet accord-cadre pourra utilement s'appuyer sur les travaux qui sont conduits en lien avec l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT). Il fixera des principes généraux en matière de qualité de vie au travail portant sur l'ensemble des services du ministère de la justice et sera décliné en plans d'action opérationnels dans les directions à réseau territorial et au niveau pertinent. Seront ainsi mises en œuvre des actions concrètes sur le terrain, des expérimentations, la diffusion de bonnes pratiques ministérielles ou de conduites par des employeurs autres, publics et privés…

L'amélioration de la qualité de vie au travail repose notamment sur plusieurs objectifs stratégiques et actions concrètes en matière d'accompagnement des agents par les services des ressources humaines apportant un appui personnalisé, d'adaptation des pratiques managériales, de santé et la sécurité au travail, de relation au travail et la conciliation vie professionnelle et vie privée.

2.1.4. Une organisation administrative des services judiciaires garantissant la déconcentration de certaines décisions et amélioration du pilotage

Les fortes attentes en matière d'une organisation administrative des services judiciaires au plus proche des besoins des juridictions, relayées par les États généraux de la justice, conduisent à proposer une plus grande déconcentration de certains actes de gestion associée à une réforme de l'organisation administrative du réseau judiciaire. Cette réforme porte exclusivement sur le champ administratif et n'a pas d'impact sur la carte judiciaire des cours d'appel et des juridictions.

Les ressources humaines, le pilotage budgétaire et le contrôle interne ainsi que la gestion de l'immobilier, des besoins en équipement numérique et des achats sont des matières pour lesquelles une organisation moins centralisée de la prise de décision et de la gestion permettrait non seulement de responsabiliser les acteurs locaux mais également de mieux prendre en compte la spécificité des territoires.

À compter de 2024 et progressivement, les pouvoirs de gestion des chefs de cour pour certains actes dans ces matières seront ainsi renforcés afin de gagner en subsidiarité, sous réserve d'études d'impact préalables.

Cette déconcentration s'accompagnera d'un renforcement des compétences budgétaires et de gestion des cours d'appel disposant d'un budget opérationnel de programme (BOP) de façon à rationaliser l'emploi des crédits et à définir des politiques cohérentes de gestion. Une réforme organisationnelle sera conduite en ce sens au cours de l'année 2023 avec comme objectif une mise en œuvre au 1er janvier 2024.

Enfin, la déconcentration sera également mise en place à l'échelle des tribunaux judiciaires qui, outre l'attribution d'un budget de proximité, bénéficieront de compétences dans certaines matières, notamment immobilières ou informatiques.

La réflexion ainsi engagée sera gage d'une plus grande efficacité et permettra de clarifier la répartition des compétences au service des juridictions entre le secrétariat général et la direction des services judiciaires.

2.1.5. L'équipe autour du magistrat institutionnalisée, pérennisée et renforcée

À l'issue des réflexions menées dans le cadre des États généraux de la justice et du rapport de Dominique Lottin sur la « Structuration des équipes juridictionnelles pluridisciplinaires autour des magistrats », il est devenu impératif de structurer l'équipe juridictionnelle au sein des juridictions. Fort des recrutements déjà réalisés et des actions entreprises dans les juridictions, il s'agit de systématiser la mise en place d'une équipe de collaborateurs autour des magistrats en la modélisant afin de clarifier les missions de chacun.

Il convient ainsi de mieux distinguer, d'un côté, l'assistance procédurale renforcée et l'accueil du justiciable qui relèvent du cœur des missions des greffiers, de l'autre, l'aide à la décision, le soutien à l'activité administrative des chefs de juridiction et l'assistance à la mise en place des politiques publiques qui relèvent des assistants juridictionnels (aujourd'hui constitués des assistants de justice, des assistants spécialisés, des juristes assistants et des chefs de cabinet).

Le magistrat est recentré sur ses missions juridictionnelles et dispose d'une équipe juridictionnelle pluridisciplinaire à ses côtés. Une fonction d'assistance auprès des magistrats est ainsi créée, l'attaché de justice qui peut être fonctionnaire ou contractuel, et se substitue aux actuels juristes assistants. Le champ d'intervention de ces nouveaux attachés de justice est élargi par rapport aux juristes assistants. Le magistrat, véritable chef d'équipe, est davantage formé, dès sa prise de fonction, à l'animation d'équipe et les différents agents nommés dans les fonctions d'attachés de justice bénéficient d'une formation dispensée par l'École nationale de la magistrature.

Les attachés de justice bénéficient d'une passerelle simplifiée vers la magistrature, permettant ainsi de constituer de véritables viviers venant renforcer l'autorité judiciaire.

Les assistants spécialisés seront également reconnus par le code de l'organisation judiciaire pour étendre à la matière civile le statut reconnu en matière pénale.

En parallèle de la création de cette fonction, un travail sera mené en 2023 afin de structurer et de modéliser les équipes juridictionnelles au sein des juridictions permettant de mieux prendre en compte l'impact de cette équipe sur l'activité juridictionnelle et d'assurer une mise en œuvre harmonisée sur l'ensemble du territoire.

2.1.6. Des brigades de soutien en outre-mer

Afin de répondre aux difficultés des juridictions d'outre-mer les plus concernées par un déficit structurel d'activité des personnels, une expérimentation de brigades de soutien est mise en œuvre à Cayenne et à Mamoudzou visant à renforcer ces juridictions à compter de 2023.

Les renforts prévus pour une durée de 6 mois doivent permettre l'amélioration rapide du fonctionnement de la justice sur ces territoires. Ce dispositif n'a pas vocation à devenir un mode de gestion pérenne de ces juridictions. Il se donne pour objectif d'assurer un renfort ponctuel permettant aux juridictions de surmonter des difficultés dans l'attente d'une réponse plus pérenne. À l'issue de leur participation aux brigades, les agents et les magistrats bénéficient d'un retour sur leurs fonctions précédentes.

Ce dispositif est complémentaire de celui de l'accompagnement RH renforcé, qui prévoit depuis 2021 que l'exercice réussi d'un poste durant au moins 3 ans dans ces juridictions (et certaines autres) permette le retour sur un poste priorisé.

2.2. Une transformation numérique accélérée

Dans sa communication à la commission des finances du Sénat de janvier 2022, la Cour des comptes constate que, compte tenu du retard considérable préexistant au lancement du plan, le premier plan de transformation numérique (2017-2022) a essentiellement « répondu à la nécessité de rattraper le retard numérique du ministère ». Si le « premier axe stratégique du plan, relatif aux infrastructures a permis de doter le ministère d'équipements individuels performants et d'un système moderne de visioconférence », ainsi que de lui faire bénéficier « d'une amélioration des réseaux et de la téléphonie », le deuxième axe du plan relatif aux applicatifs a connu des résultats beaucoup plus inégaux, en raison notamment d'un défaut de hiérarchisation des projets et d'une gouvernance insuffisante. Si un important travail de réorganisation du service du numérique et de la gouvernance du numérique au sein du ministère a été engagé dès le début de l'année 2021, les États généraux de la justice ont souligné le caractère insatisfaisant des outils numériques mis à disposition des juridictions.

Pour prendre en compte ces attentes et dans un objectif de fiabilité du système d'information, un nouveau plan de transformation numérique a été conçu au cours de l'année 2022. Ce plan de transformation numérique pour les années 2023-2027 répond à huit objectifs stratégiques :

1 – Redresser le patrimoine fonctionnel et technique du ministère de la justice (améliorer le réseau, résorber la dette technique, poursuivre la modernisation des applications et équipements en associant les personnels) ;

2 – Faire émerger une architecture ouverte et évolutive (créer un cadre de cohérence partagé et respecté, un système d'information modulaire et découplé, des référentiels de données transverses) ;

3 – Construire un socle système d'information flexible, sécurisé et résilient ;

4 – Mettre la valeur de la donnée au cœur des réflexions (open data, aide à la décision, qualité et gouvernance de la donnée) ;

5 – Aligner progressivement les compétences et les pratiques sur l'état de l'art (articulation du cadre juridique et du développement du numérique, nouvelle méthode de réalisation des produits numériques, tournée vers l'utilisateur, internalisation des ressources et compétences clés) ;

6 – Optimiser les services aux utilisateurs (numériser les flux de travail et faciliter la manipulation par les acteurs, identité numérique, chaîne de soutien modernisée, environnement de travail numérique de l'agent) ;

7 – Prendre en compte les exigences de sécurité dans la conception et dans tout le cycle de vie des produits numériques (nouvelle organisation de la sécurité des systèmes d'information et protection des données) ;

8 – Déployer et faire vivre une gouvernance permettant de soutenir les activités du numérique.

2.2.1. Un plan numérique de soutien immédiat aux juridictions

La première mesure vise le déploiement de techniciens informatiques de proximité (TIP) en juridiction. Il s'agit de déployer 100 techniciens informatiques dans les tribunaux dès 2023, en attendant une seconde vague de recrutement en 2024, afin d'offrir à toutes les juridictions un point d'entrée unique pour le traitement des incidents numériques en juridiction et de professionnaliser la chaîne de soutien de premier niveau, en lien direct avec le réseau déconcentré du secrétariat général.

Le service du numérique améliorera, en deuxième lieu, en 2023 la normalisation des équipements réseaux en juridiction et débutera la connexion au réseau interministériel de l'État (RIE 2), afin de stabiliser les accès réseau en juridiction et d'augmenter substantiellement les débits.

La troisième mesure a pour objet la mise à niveau du parc informatique en juridiction. Cette action programmée sur 2023 permettra d'établir un schéma type des équipements nécessaires en juridiction (ultraportables, doubles écrans, smartphones, visioconférences, copieurs, scanners…), de remettre à niveau la dotation des sites sous-équipés et d'en définir la fréquence de renouvellement.

La quatrième mesure concerne la mise en place d'audits à 360° dans les juridictions en crise. Le service du numérique a élaboré une méthode de soutien exceptionnel aux sites judiciaires connaissant une répétition d'incidents numériques. Ces opérations coordonnées impliqueront les services déconcentrés du secrétariat général et des services judiciaires (et permettront durant plusieurs semaines un audit numérique de l'ensemble d'une juridiction). Les premiers audits 360° se dérouleront au sein des tribunaux judiciaires de Bordeaux et de Bobigny.

2.2.2. Un grand chantier de dématérialisation intégrale : le projet « zéro papier 2027 »

Le plan de transformation numérique intègre un axe stratégique ministériel de dématérialisation : le projet « zéro papier ». Il devra permettre à l'ensemble des agents de la justice de travailler de façon dématérialisée, en administration centrale comme en juridiction ou en service déconcentré, à l'horizon 2027. Si la procédure pénale numérique a été un levier important de la dématérialisation lors du premier plan de transformation, il convient désormais de capitaliser sur ce savoir-faire, de bénéficier de la maturité numérique des outils applicatifs socles, en matière de signature électronique, de gestion de documents, d'échanges de fichiers et de procédures, de travail collaboratif, et d'étendre cette dématérialisation à l'ensemble des champs d'activité du ministère, tant en matière civile qu'administrative.

Dès 2023, des avancées majeures en matière de dématérialisation sont prévues.

S'agissant de la dématérialisation pénale, le premier semestre 2023 verra la généralisation de la signature électronique pénale à tous les tribunaux. Par ailleurs, le programme Procédure pénale numérique permettra en 2023 l'enregistrement automatique dans les tribunaux d'une part importante des procédures nativement numériques transmises aux tribunaux (plus de 60 % du total des procédures nativement numériques à fin 2023).

S'agissant de la dématérialisation civile, le développement d'une gestion électronique des documents (GED) transverse et d'un bureau de signature électronique générique, adossé sur l'application SIGNA, permettra la mise à disposition d'un outil de signature électronique pour toutes les juridictions avant la fin de l'année 2023.

2.2.3. Le renforcement du socle technique du système d'information

Le plan de transformation numérique vise une refonte en profondeur du socle technique et la stabilisation de l'accès aux applications. Cette refonte concerne notamment le passage sur le cloud de toutes les applications du ministère et la suppression progressive des serveurs locaux et l'augmentation massive des débits grâce au raccordement au Réseau interministériel de l'État (RIE) 2 de tous les sites du ministère.

Par ailleurs, le ministère de la justice intensifiera son effort pour assurer la conformité de son système d'information aux réglementations relatives à la protection des données personnelles et aux exigences de sécurité numérique de l'État.

2.2.4. Une nouvelle organisation de conduite des projets applicatifs au sein du ministère

Afin d'améliorer la rapidité et la qualité de la production des applications informatiques au sein du ministère, le plan de transformation numérique renforce la cohérence des feuilles de route applicative et l'architecture cible du système d'information.

Il prévoit une amélioration du pilotage des grands programmes en mode projet. Il s'agit de tirer les leçons des difficultés et des réussites constatées en la matière, ainsi que des recommandations de la direction interministérielle du numérique (DINUM) : généralisation du pilotage en mode projet, relation de plus grande proximité avec les utilisateurs sur les sites déconcentrés avec un recours accru aux expérimentations, développement de projets plus courts sur des périmètres plus limités avec des jalons mieux identifiés, développement d'une architecture SI ouverte, modulaire, systématisant le recours aux API (application programming interface ou « interface de programmation d'application »), démarche qui a été identifiée comme l'un des axes majeurs de la refondation de Cassiopée.

Le développement des petits projets applicatifs en mode incubateur ou start-up d'État sera largement soutenu.

Enfin, le rôle de coordination, de soutien et de gouvernance du secrétariat général sera renforcé afin d'assurer une meilleure coordination des feuilles de route applicatives des directions et d'aider à la montée en compétence des responsables de projets et au recrutement de directeurs de projet. À cette fin, il sera créé au sein du secrétariat général une cellule de soutien aux maîtrises d'ouvrage métier. Un travail de modélisation des organisations de conduite de projet sera engagé et un dispositif d'appui des directions de projet pour mieux piloter les relations avec les prestataires informatiques sera mis en place. Enfin, le ministère de la justice entend renforcer encore l'accompagnement de la conduite des projets, avec l'appui de la DINUM s'agissant des projets les plus structurants.

2.2.5. La poursuite d'une feuille de route applicative ambitieuse

Le ministère accentuera le développement en son sein de grands projets communs fonctionnels transversaux, destinés à soutenir le développement de l'ensemble des projets applicatifs (cloud, signature électronique, archivage électronique, identité numérique, renouvellement de la solution éditique, valorisation de la donnée).

Dans le cadre d'une gouvernance renforcée, les projets applicatifs portés par le ministère seront intensifiés, particulièrement en matière de numérisation et de dématérialisation, de communication électronique, d'aide à la décision et de pilotage des organisations. Les interconnexions applicatives, qui permettent de limiter le travail de ressaisie et de sécuriser la gestion de la donnée seront priorisées, et une attention particulière continuera d'être apportée aux outils d'échange d'information avec les partenaires des juridictions et des sites déconcentrés du ministère, ainsi qu'avec les justiciables.

Cette priorisation s'illustrera dans le soutien aux principaux projets et programmes applicatifs du ministère, arbitrés chaque année lors du comité stratégique de la transformation numérique (CSTN).

La procédure pénale numérique poursuivra sa feuille de route ambitieuse en matière de dématérialisation native des 4 millions de procédures pénales transmises chaque année aux juridictions par les services enquêteurs et les administrations spécialisés. Ses travaux intégreront les liens croissants avec les nombreux outils techniques développés ces dernières années en matière pénale, ainsi qu'avec l'application métier centrale en matière pénale, Cassiopée, qui verra se poursuivre le travail de refondation engagé en 2022, à travers des chantiers à la fois circonscrits et structurants (valorisation de la donnée à travers les API, refonte éditique, modernisation ergonomique et fonctionnelle).

Le projet Portalis, profondément réorganisé en 2022, fusionnera progressivement les nombreux applicatifs de la chaîne civile pour offrir un outil unique et moderne aux magistrats et aux greffiers des juridictions.

Plusieurs projets d'envergure en matière d'exécution des peines et de prise en charge des personnes placées sous main de justice connaîtront des avancées majeures : SAGEO (nouveau dispositif de télécommunication pour les personnels de surveillance), le NED (numérique en détention), GENESIS et PRISME, qui permettent la gestion des personnes incarcérées ou suivies en milieu ouvert et, enfin, ATIGIP 360, qui désigne les plateformes d'accès au travail d'intérêt général, à l'insertion professionnelle et aux placements extérieurs développés par l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP).

La modernisation du Casier judiciaire national, engagée depuis plusieurs années, sera achevée avec l'aboutissement des projets ASTREA et Ecris TCN.

L'application PARCOURS, dont une première version a été déployée, permettra de centraliser et d'unifier le suivi des mineurs confiés à la protection judiciaire de la jeunesse, en lien avec les juridictions.

Deux outils majeurs pour renforcer les capacités de suivi des auteurs d'infraction seront développés. L'application SISPOPP constituera l'instrument privilégié des parquets dans le suivi et le pilotage des politiques pénales prioritaires, au premier rang desquelles les violences intrafamiliales. Le ministère de la justice contribuera également au développement du FPVIF (fichier des auteurs de violences intrafamiliales) avec le ministère de l'intérieur. Les JIRS seront par ailleurs dotées d'un fichier de suivi et de recoupement des procédures, destiné à renforcer la lutte contre la criminalité organisée. Enfin, Justice.fr, une application pour smartphone à destination des justiciables, sera créée dès 2023, en lien avec la modernisation du portail internet du justiciable (cf. 2.6).

2.3. Des outils, équipements et moyens immobiliers au service de la justice

2.3.1. Une politique immobilière à la hauteur des enjeux du ministère de la justice

2.3.1.1 L'immobilier judiciaire

Le parc judiciaire est aujourd'hui saturé sous l'effet des augmentations successives d'effectifs depuis une dizaine d'années, représentant environ 10 % d'effectifs supplémentaires, alors que la surface du parc restait stable autour de 2, 1 millions de m². Il convient en conséquence et compte tenu de la nouvelle augmentation des effectifs prévue, de poursuivre le programme de restructuration et d'extension engagé dans le cadre de schémas directeurs immobiliers locaux, dont les plus sensibles ont déjà été menés ou engagés. En raison du temps long de l'immobilier, lorsque les emprises immobilières actuelles ne sont pas en mesure d'intégrer tout ou partie des augmentations d'effectifs qui arriveront rapidement, de nouvelles prises bail pourront répondre dans un premier temps et temporairement aux besoins immobiliers complémentaires pour les accueillir.

Ce programme immobilier permettra d'accueillir les nouveaux effectifs dans des configurations prenant en compte les nouveaux modes de travail et les orientations gouvernementales en matière de sobriété immobilière mais également d'accroître les capacités d'accueil du public, notamment en salle d'audience, pour permettre l'augmentation de l'activité attendue.

Les priorités de l'immobilier judiciaire pour 2023-2027 sont donc les suivantes :

– garantir la pérennité et le bon fonctionnement technique du patrimoine par la mise en œuvre d'un programme de gros entretien renouvellement qui prend en compte la sécurité et la sûreté des personnes et des biens, des mises aux normes réglementaires et d'accessibilité ;

– améliorer la situation des juridictions sur le plan fonctionnel et absorber l'augmentation actuelle et future des effectifs. Une attention particulière est accordée au traitement des archives et des scellés ainsi qu'à leur externalisation ;

– mettre en œuvre les objectifs gouvernementaux en matière de transition écologique des bâtiments de l'État ;

– dans la continuité du déploiement de l'augmentation des débits (ADD), et afin de parfaire ce déploiement jusqu'aux équipements terminaux, poursuivre la mise en œuvre de la rénovation des câblages, dans le cadre du plan de transformation numérique ministériel qui doit permettre de répondre à des besoins nouveaux dans l'exercice de la justice, notamment la retransmission vidéo sur différentes salles d'audience pour des procès hors normes, l'expérimentation de la web radio, les perspectives ouvertes par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire autorisant sous conditions l'enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences, etc. ;

– mettre en œuvre des solutions pérennes pour l'accueil des procès hors normes et pour la généralisation des cours criminelles départementales.

En 2023 et en 2024, la programmation judiciaire (avec l'indication de la date prévisionnelle de mise en chantier) concernera notamment les opérations suivantes :

– la construction d'un palais de justice à Lille (en cours), Saint-Benoît (La Réunion, 2023) ;

– la réhabilitation d'un bâtiment pour reloger des juridictions à Mâcon (2024), Valenciennes (2024), etc. ;

– la restructuration et l'extension des palais de justice à Bayonne (2024), Évry (2024), Nancy (cour d'appel, 2023), Nantes (2024), Nanterre (2024), Niort (2023), Versailles (cour d'appel, 2023), etc. ;

– la restructuration de palais de justice accompagnée de l'installation complémentaire de juridictions dans des sites à acquérir à Arras (2024), Fort-de-France (2025), Toulouse (2024 – 2027), etc. ;

– la restructuration des palais de justice d'Alençon (2024), de Bourges (en cours), de Carcassonne (2023), de Chaumont (2024), de Montargis (2024), de Paris (Île de la Cité, 2022-2024-2027), etc. ;

– l'externalisation de service au tribunal de Paris (2024), une réflexion concernant l'aménagement d'une salle pérenne des « grands procès » à Paris, la construction de centres d'archivage et de stockage de scellés en Île-de-France, en région lyonnaise et toulousaine.

Les opérations relatives aux territoires d'outre-mer feront l'objet d'une attention particulière tout au long de la programmation.

Il est prévu le lancement ou la poursuite de schémas directeurs immobiliers pour intégrer notamment les augmentations des effectifs sur 22 sites (Angers, Auxerre, Bar-le-Duc, Béthune, Boulogne-sur-Mer, Brest, Cahors, Cholet, Dax, Grenoble, La Rochelle, Orléans, Mende, Metz, Narbonne, Nice, Nouvelle-Calédonie, Orléans, Rouen, Saverne, Valence/Romans et tribunal judiciaire de Versailles) afin de fiabiliser le besoin avant le lancement d'une opération immobilière, et en vue de préparer la programmation du quinquennat suivant.

Enfin, un programme de rénovation thermique est engagé dont certains chantiers sont d'ores et déjà lancés dans le cadre notamment du plan de relance (Nanterre, Île de la Cité…) et dont le financement devra être articulé avec la planification écologique définie au plan interministériel.

2.3.1.2 L'immobilier pénitentiaire

S'agissant du patrimoine pénitentiaire, il s'agira de poursuivre et de finaliser la construction de nouveaux établissements dans le cadre du programme de construction de 15 000 nouvelles places de prison, tout en engageant la rénovation énergétique et en poursuivant la réhabilitation du parc existant.

La création de 15 000 places supplémentaires sur la période 2018-2027 permettra de résorber la surpopulation carcérale, qui dégrade fortement la prise en charge des personnes détenues et les conditions de travail des personnels pénitentiaires.

La résorption de la suroccupation des détentions est indispensable pour rendre effectif l'objectif de réinsertion sociale de la peine privative de liberté en permettant la mise en œuvre d'activités, d'améliorer la prise en charge sanitaire et psychologique des personnes détenues et de restaurer l'attractivité du métier de surveillant. Elle doit aussi permettre de garantir la dignité des conditions de détention, d'améliorer la sécurité et de mieux lutter contre la radicalisation violente.

Les projections de population pénale à dix ans ont permis de territorialiser les nouvelles implantations de maisons d'arrêt. Le calibrage intègre en outre l'impact de la réforme pénale, notamment la réduction du recours à la détention provisoire et la limitation des peines d'emprisonnement de courte durée.

L'administration pénitentiaire comptera, à l'issue du programme 15 000, près de 40 000 places construites depuis moins de 30 ans. Ce plan doit permettre d'atteindre un taux d'encellulement individuel de 80 % sur la totalité des établissements du parc, contre 40, 4 % aujourd'hui.

Une partie de ces nouvelles places sont créées au sein des nouvelles structures d'accompagnement vers la sortie. Ces dernières, rattachées à des établissements existants, permettent l'exécution de courtes peines, traditionnellement effectuées en maison d'arrêt, au sein d'un environnement plus favorable à la préparation de la réinsertion sociale, notamment grâce à des principes de vie quotidienne fondés sur la responsabilisation du condamné et l'apprentissage de l'autonomie.

Sur la cinquantaine d'opérations du programme 15 000, 11 établissements ont d'ores et déjà été livrés (soit 3 951 places brutes créées et 2 441 nettes une fois prises en compte les fermetures de prisons vétustes) et 15 sont en travaux. Au total, 24 établissements, soit la moitié, seront opérationnels en 2024.

La mise en œuvre du programme a été marquée à ses débuts par la difficulté des recherches foncières, souvent pour des raisons de faisabilité technique ou environnementale (découverte d'espèces protégées notamment), mais également d'acceptabilité de la part des élus ou des riverains. Elle a également été retardée par des démarches contentieuses. Les terrains nécessaires au lancement de l'ensemble des projets étant toutefois désormais identifiés, les opérations sont entrées dans leur phase active et le rythme des livraisons va maintenant s'accélérer, pour s'échelonner jusqu'à fin 2027.

Ainsi, en 2022, ont été livrés le centre de détention de Koné (120 places) ainsi que les deux structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) de Caen (90 places) et de Montpellier (150 places), représentant au total 360 places.

En 2023, 10 nouveaux établissements actuellement en voie d'achèvement, représentant 1 958 places, seront livrés : les centres pénitentiaires de Troyes-Lavau et de Caen-Ifs, le centre de détention de Fleury-Mérogis ainsi que 7 SAS (Valence, Avignon, Meaux, Osny, Le Mans-Coulaines, Noisy-le-Grand et Toulon).

D'ici la fin 2023, les derniers établissements seront entrés en phase opérationnelle en vue d'une livraison prévue en 2024 (extension de Nîmes, SAS de Colmar et de Ducos), 2025 (Baumettes 3, Wallis-et-Futuna, InSERRE – Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi – Arras), 2026 (SAS d'Orléans, Bordeaux-Gradignan, extension de Baie-Mahault, Avignon-Comtat Venaissin, Tremblay-en-France) et 2027 (Toulouse-Muret, Saint-Laurent-du-Maroni, Perpignan-Rivesaltes, Nîmes, Melun-Crisenoy, Vannes, Angers, Noiseau, Le Muy, Val d'Oise, InSERRE : Donchery et Toul, Pau et la SAS de Châlons-en-Champagne).

Les opérations de gros entretien ou de rénovation du parc pénitentiaire constituent également une priorité pour offrir de meilleures conditions de travail aux personnels et des conditions d'incarcération dignes.

Ainsi, le budget consacré chaque année à l'entretien des établissements pénitentiaires existants a doublé depuis 2018. L'adaptation de l'immobilier des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) a également été engagée ces dernières années à travers des opérations de déménagement, d'extension ou de réhabilitation des locaux afin d'accueillir dans de bonnes conditions les renforts d'effectifs résultant de la création de 1 500 emplois supplémentaires sur la période 2018-2022, dont l'arrivée dans les SPIP s'étalera jusqu'en 2024 à l'issue de leur formation.

Par ailleurs, deux schémas directeurs de rénovation concernant les établissements de Fresnes et de Poissy ont été engagés en vue de conserver les capacités opérationnelles de ces établissements stratégiques d'Île-de-France.

Dans le cadre de l'application du décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire, la rénovation énergétique du patrimoine pénitentiaire doit être amplifiée dans un cadre pluriannuel.

Dans un premier temps, 25 établissements ont été ciblés : conçus de manière similaire au sein du programme 13 000 (mis en service entre 1990 et 1992), ils ne répondent pas aux exigences de maîtrise énergétique et n'ont pas encore fait l'objet de travaux de gros entretien ou de renouvellement. Les travaux concerneront principalement le remplacement des menuiseries extérieures, l'isolation et l'étanchéité des toitures des bâtiments d'hébergement.

Afin d'accompagner une politique ambitieuse de formation continue des personnels pénitentiaires, notamment dans le cadre du socle commun de formation ou de la mise en œuvre de la Charte du surveillant acteur (« Principes du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d'une détention sécurisée », 2021), l'administration pénitentiaire souhaite doter progressivement les directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP), qui exercent cette compétence, de centres de formation continue disposant de salles adaptées à l'enseignement métier, notamment des espaces de simulation d'intervention, comme on en trouve à l'ENAP.

La DISP de Paris sera ainsi pourvue, dès 2024, d'un centre de formation continue de ce type, en complément d'un centre francilien de sécurité qui sera livré cette année.

Enfin, la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice a créé les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour accueillir des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Le programme de construction initial prévoyait l'ouverture de 705 places en deux tranches de construction.

La première tranche, qui s'est achevée en 2018 par l'ouverture de l'UHSA de Marseille, a concerné neuf unités totalisant 440 places. Le lancement effectif d'une seconde tranche de construction des UHSA prévoit la création de 3 nouvelles UHSA dans le ressort des directions interrégionales de Paris (60 places), Toulouse (40 places) et Rennes (60 places).

2.3.1.3 L'immobilier de la protection judiciaire de la jeunesse

Le patrimoine immobilier de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est caractérisé par un nombre important d'unités immobilières de petite dimension, disséminées sur l'ensemble du territoire national pour être au plus près des mineurs et de leurs familles.

La programmation immobilière de la protection judiciaire de la jeunesse vise :

– à maintenir à un haut niveau d'intervention l'effort en faveur de l'ensemble des structures de la PJJ, en programmant des travaux d'entretien lourd, des restructurations et des constructions neuves, prolongeant la dynamique de remise à niveau du parc immobilier de la PJJ ;

– à poursuivre la mise en œuvre du programme des centres éducatifs fermés (CEF) ;

– à lancer de nouvelles opérations pour améliorer et accroître son patrimoine destiné aux activités d'insertion.

La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) dispose actuellement de 52 CEF en activité, 18 dans le secteur public et 34 dans le secteur associatif, et deux centres en suspension d'activité dont un public et l'autre associatif.

La construction de 21 CEF a été lancée en 2019 dont 6 pour le secteur public, sous maîtrise d'ouvrage publique. Un CEF public (Bergerac) est déjà opérationnel depuis 2022 et un deuxième est en cours de construction (Rochefort). Deux CEF associatifs ont également été livrés et une dizaine de projets sont en cours.

La construction de nouveaux établissements (12 unités éducatives d'activités de jour, UEAJ) pour compléter le maillage territorial et développer l'insertion dans le cadre du nouveau code de la justice des mineurs doit par ailleurs être mise en œuvre pour augmenter, en parallèle des ouvertures de CEF, les capacités de placement et de prise en charge en insertion.

Enfin, une opération lourde de réhabilitation du patrimoine francilien de la protection judiciaire de la jeunesse va être engagée.

2.3.1.4. Une nouvelle gouvernance des investissements immobiliers

S'agissant des crédits sur les investissements immobiliers, une clause de revoyure sera prévue dans le cadre du PLF 2025 afin d'apprécier le degré d'avancement de la programmation immobilière judiciaire et pénitentiaire et ses conditions économiques. Les crédits immobiliers non consommés en cours de gestion seront reportés sur l'exercice suivant pour permettre le financement des opérations programmées. Les crédits alloués aux investissements immobiliers du ministère ne pourront pas être utilisés à une autre fin.

S'agissant de la gouvernance des investissements immobiliers, un comité stratégique immobilier, présidé par le ministre de la justice, sera mis en place pour examiner, pour chaque projet d'investissement majeur, la satisfaction du besoin opérationnel, la stratégie de maîtrise des risques, le coût global intégrant les coûts d'investissement, d'exploitation et de maintenance, ainsi que la faisabilité financière d'ensemble.

Compte tenu de son ampleur et de ses enjeux, la programmation immobilière du ministère fera l'objet d'un suivi interministériel régulier associant le ministère chargé du budget, qui procédera à un examen contradictoire de la soutenabilité financière desdits projets de même que, chaque année, de la programmation pluriannuelle.

Le renforcement du pilotage des investissements doit notamment permettre, sous la responsabilité du ministre de la justice, d'assurer la cohérence d'ensemble des décisions ministérielles en matière d'investissement et de maîtriser les coûts, les délais et les spécifications des projets d'investissements majeurs.

2.3.2. Des missions de surveillance modernisées

La dynamique de modernisation des missions de surveillance sera poursuivie sur la période 2023-2027 : généralisation du numérique en détention, équipement des agents pénitentiaires en terminaux mobiles polyvalents et caméras-piéton, et modernisation des systèmes d'information.

L'administration pénitentiaire s'est donnée pour priorité de réduire les violences, de lutter contre la radicalisation violente et de poursuivre la sécurisation des établissements.

Les actions destinées à lutter contre la violence sont la condition d'un climat de travail sécurisé et apaisé pour les personnels et d'une exécution de la peine digne pour les personnes placées sous main de justice. Pour atteindre cet objectif, un plan national pluriannuel de lutte contre les violences, sous toutes ses formes, commises tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé, a été initié en décembre 2021. Sur la base d'un état des lieux précis de la situation des violences en milieu pénitentiaire, il vise à formuler des propositions concrètes et à déployer, à partir de début 2023, des outils et des pratiques efficaces afin de réduire les violences en détention et en milieu ouvert, à l'encontre des personnels, mais également entre personnes détenues. La conception de ce plan s'accompagne de la montée en puissance du rôle du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d'une détention sécurisée, conformément à la charte signée par le garde des sceaux avec les organisations professionnelles en avril 2021.

Par ailleurs, de nouvelles unités pour détenus violents seront ouvertes en 2023 à Lyon-Corbas et en 2024 à Alençon-Condé-sur-Sarthe.

Pour la prise en charge spécifique des personnes radicalisées, un nouveau marché permettant d'augmenter le nombre de personnes prises en charge dans les centres de jour et élargissant le maillage territorial a été attribué le 4 octobre 2022. S'agissant des quartiers d'évaluation de la radicalisation, l'ouverture récente d'une structure dédiée aux femmes à Fresnes permet de compléter la prise en charge de ce public Un deuxième quartier de prise en charge de la radicalisation dédiée aux femmes sera également créé en 2023.

Afin d'accompagner cette politique, des médiateurs du fait religieux supplémentaires seront recrutés dès 2023.

À l'issue d'une expérimentation en 2022 qui a démontré sa pertinence, il est proposé de généraliser les caméras-piéton à partir de 2023. Cette généralisation permettra d'équiper en caméras individuelles les personnels assurant des missions présentant un risque particulier d'incident ou d'évasion. Le dispositif est à la fois un matériel de sécurité supplémentaire pour les agents, un élément de preuve qui facilite la manifestation de la vérité en cas d'incident et un outil visant à l'amélioration des pratiques professionnelles.

Par ailleurs, après avoir équipé de terminaux mobiles les équipes chargées des missions extérieures, comme les extractions judiciaires, les personnels de surveillance seront progressivement dotés, dans les détentions, d'un smartphone leur permettant d'assurer leurs différents types de communication (émetteur/récepteur, téléphone, alarme, accès à distance aux applications métier). À l'issue d'une expérimentation à Fresnes fin 2022, le projet entrera en 2023 en phase de généralisation. Les agents du milieu ouvert seront également équipés de dispositifs adaptés à leurs spécificités.

Face à l'évolution des publics hébergés et à l'augmentation des phénomènes de violence, l'administration pénitentiaire poursuivra les actions visant à sécuriser les établissements ainsi que les services pénitentiaires d'insertion et de probation et à mieux protéger les personnels sur leur lieu de travail : déploiement des dispositifs anti-projections, renouvellement des systèmes de radiocommunication, remise à niveau de la vidéosurveillance et des portiques de détection, déploiement de dispositifs anti-drones.

Des moyens importants seront consacrés dès 2023 à la pose ou au remplacement de clôtures, à l'agrandissement des parkings pour accroître le nombre de places de stationnement et pour éviter aux personnels de stationner leur véhicule dans un espace ouvert, à la gestion des entrées par lecteur de badges ainsi qu'au traitement des abords des domaines, pour les rendre carrossables et pour favoriser leur contrôle par les équipes locales de sécurité pénitentiaire.

Afin de lutter contre l'utilisation des moyens de communication illicites en détention, l'installation de dispositifs de neutralisation par brouillage des téléphones portables, engagée depuis 2018 en ciblant les structures sécuritaires et sensibles, se poursuivra. Par ailleurs, les quartiers d'isolement et disciplinaires des établissements pénitentiaires livrés dans le cadre du programme 15 000 seront systématiquement pourvus de cette technologie, qui couvre l'ensemble des fréquences Bluetooth, WIFI et cellulaires (dont la 5G).

Enfin, trois ans après sa structuration en service à compétence nationale, le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) continuera à être conforté avec, en particulier, la professionnalisation des métiers du renseignement au sein de l'administration pénitentiaire et l'amélioration de l'attractivité des emplois, pour qu'il puisse remplir pleinement ses missions.

Le ministère s'est engagé dans le projet « Réseau radio du futur » (RRF) qui a pour ambition d'apporter aux différents services de sécurité et de secours une solution de communication haut débit et multimédia fiable, performante, sécurisée et interopérable. L'administration pénitentiaire travaille sur ce projet depuis deux ans en lien étroit avec le ministère de l'intérieur. Il est prévu que le ministère de la justice soit membre du conseil d'administration de l'Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (ACMOSS), chargée de la gestion du projet.

La première phase de déploiement au sein des établissements et des services pénitentiaires est envisagée à l'horizon 2024. Elle concernera les missions extérieures (extractions judiciaires, équipes locales de sécurité pénitentiaires, unités hospitalières, agents de surveillance électronique), soit une population d'environ 4 000 agents. La seconde phase de déploiement a vocation à assurer les communications intérieures des établissements, à l'issue de tests de qualification préalables à un déploiement à compter de 2025.

Des cas d'usage supplémentaires sont également envisagés au bénéfice d'autres personnels ou services du ministère de la justice.

Enfin, afin de répondre au déficit d'attractivité de la filière de surveillance, qui empêche l'administration pénitentiaire de disposer d'un capital humain suffisant pour réaliser ses missions, des mesures sont prises pour permettre le recrutement de surveillants pénitentiaires adjoints contractuels. Bien que des efforts aient été réalisés ces dernières années pour favoriser l'attractivité du métier, la condition actuelle de surveillant ne permet pas de garantir des recrutements suffisants et de fidéliser les personnels. Aussi, parallèlement à une réforme statutaire et indemnitaire d'envergure du corps d'encadrement et d'application, qui vise à répondre à cette problématique et à dynamiser le recrutement, il est proposé de créer un statut de surveillant adjoint contractuel, sur le modèle du statut de policier adjoint. Ce nouveau vecteur de recrutement permettrait, pour les postes demeurés vacants à l'issue des concours de surveillants, de recourir à une ressource humaine de proximité en proposant des emplois dans des établissements pénitentiaires correspondant aux bassins de vie des agents recrutés. Les missions attribuées aux surveillants adjoints contractuels, qui interviendront aux côtés des surveillants pénitentiaires, seront circonscrites à certaines tâches limitativement énumérées. Ces agents, âgés de dix-huit à moins de trente ans, seront recrutés en qualité de contractuels de droit public pour une période de trois ans, renouvelable une fois par reconduction expresse, et pourront accéder aux concours de surveillants par une voie réservée. Ce dispositif constituerait un levier d'optimisation des recrutements au moment où les besoins sont très importants au regard des départs en retraite et de la mise en service des nouveaux établissements pénitentiaires.

2.3.3. Des capacités de statistiques et d'évaluation des politiques publiques de la justice

La place de la statistique au sein du ministère de la justice sera consolidée sur la période 2023-2027, déployant la feuille de route issue de réflexions collectives associant les équipes du service et toutes les directions du ministère. Ces réflexions ont intégré les préconisations de la mission conjointe des inspections générales de la justice et de l'Insee sur l'organisation, les perspectives et les enjeux de la statistique au sein du ministère, dont le rapport final a été rendu au début de l'année 2022, et pris en compte l'avis de l'Autorité de la statistique publique.

Le service statistique ministériel s'appuie ainsi sur trois axes majeurs : une offre de services renouvelée, une collaboration renforcée au sein du ministère et avec la statistique publique, et un positionnement plus central du service dans l'offre et la circulation de la donnée. La réorganisation induite démarre dès 2023, dans un contexte de demandes priorisées.

En ce sens, une grande enquête nationale sur les attentes des justiciables en termes de justice civile sera lancée avec une collecte en collaboration avec l'Insee : ses premiers résultats seront disponibles en 2025. Elle permettra de mesurer la satisfaction des usagers, les attentes des citoyens, l'image de la justice et l'importance du « non recours à la justice » sur quelques contentieux. En outre, sera remaniée la gamme des publications et de produits de diffusion, après examen des besoins, pour en améliorer le rapport investissement/efficacité ; l'aboutissement de la démarche étant la définition d'une stratégie de communication statistique moderne, articulée avec la communication ministérielle et celle du service statistique public. Une autre action prioritaire à horizon 2027 est d'optimiser l'accès aux bases de données individuelles du ministère à des fins statistiques, notamment en matière d'appariements des fichiers.

Par ailleurs, afin d'éclairer au mieux les décisions stratégiques, il convient de renforcer l'évaluation des politiques déjà menées et de mieux anticiper l'impact des réformes à venir. Une méthode d'évaluation commune au ministère sur les évaluations sera formalisée en 2023 pour le lancement d'évaluation dans les années suivantes.

2.4. Des réponses sectorielles fortes dans le champ de la justice civile et pénale

2.4.1. Pour la justice civile : développer une véritable politique de l'amiable, simplifier la procédure et accentuer la protection des personnes vulnérables

2.4.1.1. Une politique de l'amiable

Il est indispensable de développer une véritable politique de l'amiable favorisant une justice participative, plus rapide, donc plus proche des attentes des justiciables. Si ces dispositions seront essentiellement portées par le vecteur réglementaire, le Parlement sera associé à cette réforme en la présentant devant les commissions des lois.

En premier lieu, la mise en œuvre de cette démarche passe par la réorganisation des dispositions relatives aux modes alternatifs de règlement des différends au sein du code de procédure civile. Aujourd'hui, les dispositions qui concernent l'amiable sont éparses et incomplètes. Il faut que les principes directeurs de l'amiable ainsi que ses outils soient rassemblés dans un seul livre du code de procédure civile.

En deuxième lieu, tous les acteurs de la justice – magistrats, avocats, greffiers, équipe autour du juge – doivent s'investir dans ce changement de culture, qui va bien au-delà de la simple question de la gestion des flux et des stocks. Les écoles de formation – École nationale de la magistrature, École nationale des greffes, mais également les écoles de formation des avocats – seront en première ligne pour former et accompagner les professionnels dans cette nouvelle approche globale de l'application du droit.

En troisième lieu, il s'agit également de développer de nouveaux modes amiables aux côtés de la médiation et de la conciliation afin que le justiciable participe à l'œuvre de justice, soit écouté et responsabilisé. Au Québec, le taux de succès de ces procédures de règlement amiable en matière civile est de 80 %. Il s'agit de :

– la césure du procès civil, qui est en partie inspirée de la pratique étrangère : elle consiste à faire trancher par le tribunal le nœud du litige, par exemple un problème de responsabilité médicale, et ensuite à proposer aux parties de s'accorder sur le reste des demandes, ici le montant de l'indemnisation ;

– l'audience de règlement amiable : inspirée du Québec, cette nouvelle procédure permet au juge d'amener les parties, avec l'aide de leurs avocats, à trouver un accord auquel il peut être donné force exécutoire.

2.4.1.2. La simplification de la procédure civile

S'agissant de la procédure d'appel, les décrets dits Magendie n'ont pas atteint leurs objectifs de réduction des délais en matière civile. Les délais de procédure prévus par ces décrets seront donc desserrés, leur rigidité actuelle pénalisant les avocats et les justiciables sans assurer un règlement plus rapide des litiges.

De manière plus générale, il sera recherché une meilleure lisibilité et une plus grande simplification de la procédure d'appel. Ainsi, seront amendés des points précis de la procédure civile, identifiés par les acteurs du monde judiciaire comme des complexités inutiles, chronophages ou simplement peu adaptées à la pratique quotidienne.

Il sera également tenu compte des travaux déjà engagés dans le but d'améliorer la présentation des écritures.

Il est enfin envisagé de mettre en place un mode unique de saisine du juge via la généralisation de la requête signifiée.

L'objectif cible de ce plan d'action pour la matière civile, conjugué au renforcement des ressources humaines et des moyens matériels alloués aux juridictions, est une diminution par deux des délais de procédure.

Enfin, il est prévu de recentrer le juge des libertés et de la détention (JLD) sur la matière pénale, en confiant à un « magistrat du siège du tribunal judiciaire » les fonctions civiles actuellement dévolues au JLD dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que dans le code de la santé publique (contentieux des hospitalisations sous contrainte). Cette mesure nécessitera un réajustement de la répartition des effectifs dans les juridictions entre les JLD et les juges non spécialisés. Les indemnités d'astreinte des magistrats intervenant les fins de semaine dans les fonctions civiles actuellement dévolues au JLD seront maintenues sans que des quotas d'astreinte puissent leur être opposés.

2.4.1.3 La protection des personnes vulnérables

À ce jour, notamment du fait du vieillissement de la population, près de 800 000 personnes ne sont plus en capacité de pourvoir à leurs intérêts. La protection de nos concitoyens les plus fragiles est également un enjeu majeur de la justice civile.

Il y a donc lieu de poursuivre les objectifs de la loi du 5 mars 2007 sur la protection juridique des majeurs et de renforcer notamment le recours aux mesures alternatives aux dispositifs de protection judiciaire que sont la tutelle et la curatelle.

Le mandat de protection future, qui vise à désigner à l'avance une personne pour se faire représenter dans les actes de la vie courante, sera développé pour la représentation mais également pour l'assistance. Il en va de l'intérêt de la personne dont la fragilité va croissante au fil des années et dont la protection pourra ainsi évoluer.

L'habilitation familiale pourrait être confiée à un cercle de proches élargi, par exemple aux neveux et aux nièces, dès lors qu'ils entretiennent des liens étroits avec la personne vulnérable.

2.4.2. Pour la justice sociale et commerciale : renforcer les moyens et la lisibilité du paysage juridictionnel

2.4.2.1. Les orientations pour les conseils de prud'hommes

Dans la ligne de la position commune signée par une grande partie des organisations syndicales et patronales représentatives, les moyens d'aide à la décision, les formations et l'indemnisation des conseillers prud'hommes, gage du plein effet du principe paritaire, seront accrus. Pour faciliter l'accès à cette fonction, les conditions de candidature seront assouplies.

Par ailleurs, l'attention à la gestion du flux des affaires, dans leur instruction et leur audiencement, sera renforcée. À cette fin, les responsabilités et les pouvoirs des greffiers et des présidents des tribunaux judiciaires pourraient être accrus.

L'ensemble de ces actions se feront en concertation étroite avec le conseil supérieur de la prud'homie.

2.4.2.2. Accélérer et adapter la justice commerciale

La justice économique doit faire l'objet de certaines innovations permettant d'en assurer la lisibilité pour le justiciable et ses différents acteurs et d'en renforcer la centralité en matière de régulation économique.

Afin d'assurer une prise en compte optimale des spécificités du contentieux commercial et dans un souci de bonne administration de la justice, un tribunal des activités économiques (TAE) compétent pour connaître de toutes les procédures amiables et collectives, à l'exception de certaines professions libérales, sera constitué, par l'intermédiaire d'une expérimentation, auprès d'un échantillon représentatif de territoires expérimentateurs (9).

Une contribution financière sera à cette occasion également expérimentée, à l'instar de ce qui se pratique dans la plupart des autres pays européens. Elle tiendra compte, notamment, de la faculté contributive du demandeur, de l'enjeu du litige et de sa nature. En seront exclus la partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, le demandeur à l'ouverture d'une procédure amiable ou collective prévue au livre VI du code de commerce et l'État. Cette contribution a vocation à financer le service public de la justice et servira d'outil supplémentaire pour le juge. En cas de règlement amiable du différend, il sera procédé au remboursement de cette contribution.

2.4.3. En matière pénale, simplifier et moderniser la procédure

2.4.3.1. Une réécriture globale du code de procédure pénale en concertation avec les parlementaires et les professionnels

L'objectif poursuivi est celui d'une réécriture globale du code de procédure pénale afin de parvenir à une justice pénale plus simple, plus claire, plus intelligible et plus efficace, intégrant les potentialités offertes par le développement numérique, et répondant ainsi à l'attente légitime des praticiens et des justiciables.

Il s'agit, en procédant à une recodification et une réécriture à droit constant, de conserver les principes fondamentaux, les acquis des droits de la défense ou encore les évolutions procédurales récentes et de les rendre plus lisibles. Il s'agit aussi de moderniser le code de procédure pénale et de l'adapter aux attentes des professionnels du droit et des justiciables, notamment à l'aune des potentialités offertes par le développement numérique.

Cette réforme à droit constant, effectuée par voie d'ordonnance compte tenu de sa technicité et de son ampleur au vu du nombre d'articles, sera notamment l'occasion de revoir la cohérence d'ensemble du code de procédure pénale et de supprimer les trop nombreux renvois d'article à article, qui nuisent à son maniement.

Afin d'assurer l'excellence de la nouvelle architecture et des nouvelles écritures, un comité scientifique de suivi des travaux, composé de professionnels du droit de tous horizons (magistrats, personnels de greffe, avocats, professeurs de droit, représentants des services d'enquête…) est d'ores et déjà constitué et débutera ses travaux courant 2023.

Par ailleurs, afin d'assurer un parfait respect des conditions et des orientations fixées par l'article d'habilitation, une assemblée de parlementaires représentant tous les groupes des deux assemblées sera chargée de suivre et de valider les travaux ainsi que de préparer le débat parlementaire nécessaire à la ratification de l'ordonnance.

2.4.3.2. Des mesures de procédure pénale

Au-delà de cette réécriture du code de procédure pénale, qui est en soi un défi important, il s'agit de prévoir tout de suite des mesures qui visent tout à la fois à simplifier la procédure pénale, donc le travail des enquêteurs, avocats et magistrats, mais aussi à raccourcir les délais procéduraux et, enfin, à mieux garantir la présomption d'innocence.

Ainsi, il sera en premier lieu procédé à une nécessaire réforme du statut de témoin assisté, afin que ce dernier puisse bénéficier de nouveaux droits, dont celui d'un droit d'appel étendu. L'objectif recherché est que ce bénéfice de droits supplémentaires permette que ce statut soit préféré à celui de la mise en examen, parfois retenue uniquement afin d'étendre les droits de la défense.

En deuxième lieu, afin de limiter davantage le nombre d'informations judiciaires et de réserver ces dernières aux procédures criminelles ainsi qu'aux procédures délictuelles dont la complexité ou la gravité justifie le recours à l'information, les procureurs pourront utiliser plus largement la procédure dite de comparution à délai différé. Cela permettra de soumettre les mis en cause à des mesures de surveillance et de contrôle par le juge des libertés et de la détention, tout en poursuivant l'enquête pendant une durée maximale de 4 mois.

En troisième lieu, un nouveau dispositif doit permettre aux enquêteurs, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, de procéder à des perquisitions de nuit au domicile, aujourd'hui réservées à un champ très limité de la criminalité grave, pour les crimes de droit commun, notamment pour permettre la préservation des preuves et éviter un nouveau passage à l'acte.

En quatrième lieu, une nouvelle forme de mise en place de l'assignation à résidence sous surveillance électronique doit permettre de limiter le recours à la détention provisoire. Plutôt que de placer la personne sous le régime de la détention provisoire puis d'étudier l'éventualité d'une ARSE, le juge pourra désormais inverser l'approche en ordonnant immédiatement le placement sous ARSE tout en plaçant la personne sous un régime d'incarcération provisoire à la durée très limitée dans l'attente de la mise en place effective de cette mesure de sûreté.

En cinquième lieu, la procédure de comparution immédiate sera simplifiée, par exemple grâce à l'harmonisation des délais de renvoi.

En sixième lieu, le juge des libertés et de la détention sera désormais compétent pour statuer sur les demandes relatives aux modifications du contrôle judiciaire des personnes prévenues. Cela permettra d'alléger la procédure et de décharger le tribunal correctionnel.

En septième lieu, afin de faire gagner un temps précieux aux enquêteurs, il sera recouru chaque fois que nécessaire aux technologies de communication audiovisuelle pour l'exercice du droit à un examen médical et à l'assistance d'un interprète.

En huitième lieu, l'autorisation par un juge d'utiliser les micros, les caméras et les dispositifs de localisation intégrés aux matériels numériques utilisés par un ou plusieurs mis en cause permettra de réduire les difficultés liées à l'installation, souvent risquée et dangereuse pour les agents en charge de cette mission, de caméras et de micros à des fins de captation et d'enregistrements d'images ou de paroles prononcées ou de balises à des fins de localisation en temps réel.

Enfin, les dispositions sur le travail d'intérêt général seront modifiées, afin de favoriser le recours à cette peine.

2.4.3.3. Des dispositions au service de l'approfondissement des politiques pénales portées par le ministère

En parallèle des ambitions portées par le ministère de l'intérieur dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation de ce ministère (LOPMI) ou le projet de réforme de la police nationale, qui doivent permettre de renforcer les capacités des services d'enquête, afin de faire face aux crises ou aux menaces persistantes ou nouvelles de la délinquance, la refonte du code de procédure pénale, offrant des outils juridiques et numériques rénovés et renforcés, doit permettre le développement d'une justice pénale à la hauteur des attentes de nos concitoyens et de nos institutions.

Cette justice pénale, digne de ses missions dans un État démocratique, passe par la mise en œuvre des politiques pénales exposées dans la circulaire de politique pénale générale du garde des sceaux du 20 septembre 2022. Ces politiques pénales s'intègrent dans les politiques publiques prioritaires fixées par le Président de la République, avec le souci d'être cohérentes au niveau national tout en étant adaptées aux enjeux de chaque territoire.

La justice pénale justifie qu'une attention renouvelée soit portée sur les organisations judiciaires, en veillant notamment à la spécialisation de certaines d'entre elles et à l'articulation des différents échelons juridictionnels, pour traiter de manière efficiente tous les champs de la délinquance, notamment en matière de criminalité organisée, de cybercriminalité ou d'atteintes à l'environnement.

Une justice pénale de qualité impose en outre de développer le numérique au soutien de l'action des juridictions dans le pilotage ou le suivi des politiques pénales, leur animation et leur évaluation.

Elle impose tout autant des méthodes de travail plus efficientes dans la recherche de réponses plus globales portées avec les administrations et les autres services de l'État, les élus et les divers acteurs de la société civile, dans le champ de la prévention comme de la répression, en renforçant la qualité des prises en charge des victimes et des auteurs d'infractions.

La qualité de cette prise en charge oblige le ministère de la justice à mettre en œuvre une démarche répressive et protectrice des victimes et de la société, qui n'exclut pas la recherche concomitante d'une réflexion sur les faits commis par l'auteur pour prévenir la réitération et promouvoir une réelle réinsertion. Le ministère de la justice continuera ainsi de porter, comme il le fait depuis 2017, une approche moderne des peines dans laquelle la fermeté, au-delà de la détention pour les auteurs des faits les plus graves, est avant tout une réponse qui a du sens pour la société et les parties, et qui intervient dans des délais plus rapides. Promouvoir autant que possible les alternatives à l'incarcération, telles que la peine de travail d'intérêt général, afin de maîtriser la population carcérale et de garantir le respect des conditions de dignité des détenus, demeurera ainsi une priorité du ministère.

La justice pénale, attendue de nos concitoyens, doit être au service de priorités multiples, recouvrant des enjeux majeurs de protection de nos concitoyens. Parmi celles-ci figurent la lutte contre les violences intrafamiliales dont le poids dans les juridictions traduit les progrès, enregistrés ces dernières années, d'une politique tendant à favoriser la révélation des faits et l'accueil des victimes.

Une attention encore plus forte devra désormais être portée à une plus grande protection des enfants victimes. Il conviendra ainsi de déployer des mesures pour encore mieux les accompagner tout au long du processus pénal, grâce à la généralisation des Unités d'accueil pédiatriques enfant en danger (UAPED), l'intervention d'administrateurs ad hoc, la possibilité de recourir à un Chien d'assistance judiciaire et la mise en œuvre du programme enfant témoin (spécialement pour les procès d'assises) qui consiste à préparer l'enfant à la rencontre judiciaire, à lui faire découvrir la salle de l'audience et, donc, à lui permettre d'appréhender par avance les lieux dans lesquels il prendra la parole.

Parmi les autres politiques publiques que le ministère de la justice entend porter à un haut niveau d'engagement figurent la lutte contre la délinquance routière, ou celle contre les stupéfiants, l'action répressive dirigée contre la demande devant se conjuguer de manière forte contre les trafics et toutes les formes de criminalité, qui gravitent autour de l'activité des réseaux. Le renforcement du traitement judiciaire de la criminalité organisée, des filières d'immigration irrégulière, de la grande délinquance lucrative et de la corruption doit ainsi conduire à une montée en puissance des stratégies proactives au soutien d'une action coordonnée de l'ensemble des services de l'État.

Les prochaines années seront également marquées par une forte mobilisation contre le développement des phénomènes relevant de la cybercriminalité, qu'ils soient destinés à générer du profit ou à déstabiliser le fonctionnement des administrations à l'image des attaques dirigées contre les centres hospitaliers. Enfin, le ministère de la justice portera, sur le constat cette fois de l'urgence climatique et de la dégradation de notre patrimoine commun, une politique pénale novatrice et dynamique destinée à lutter efficacement contre les formes les plus diverses et les plus graves que peut revêtir la criminalité environnementale.

2.4.4

La lutte contre les violences intrafamiliales implique aujourd'hui de structurer l'organisation et le fonctionnement des tribunaux en la matière, pour garantir une action coordonnée, rapide et efficiente de tous les acteurs et partenaires judiciaires déjà pleinement engagés dans ce domaine.

L'objectif est donc de réunir au sein de ces pôles spécialisés en charge des violences intrafamiliales des équipes identifiées au parquet comme au siège. Cette organisation permettra également d'optimiser le traitement de ces affaires en assurant une mission permanente de recueil et de relais d'informations auprès de chaque service juridictionnel pouvant connaître de situations de violences intrafamiliales.

D'une part, en ce qui concerne le siège, le président du tribunal désignera un coordonnateur, des magistrats statutairement non spécialisés, mais également des juges pour enfants, juges aux affaires familiales et des juges de l'application des peines, qui recevront une formation spécifique et renforcée qui sera régulièrement actualisée, pour statuer utilement sur les dossiers de violences intrafamiliales au civil et au pénal. Ce pôle spécialisé au niveau du siège reposera lui aussi sur une équipe dédiée, assistée par des attachés de justice spécifiquement formés.

D'autre part, en ce qui concerne le parquet, le procureur de la République désignera un coordonnateur, des magistrats du parquet référents et des attachés de justice. Ce pôle spécialisé au niveau du parquet permettra l'organisation d'une permanence spécifique dès lors que le contentieux est suffisamment important en nombre. Il s'agira par ailleurs d'assurer l'évaluation croisée et le suivi particulier des situations à risque et des besoins en protection des victimes. Ce pôle spécialisé reposera lui aussi sur une équipe dédiée, assistée par des attachés de justice spécifiquement formés. Il pourra de plus s'appuyer sur un nouvel outil informatique, actuellement en cours de construction, permettant de favoriser le suivi transversal et pluridisciplinaire des situations à risque par la juridiction.

Enfin, l'organisation des tribunaux judiciaires en matière de lutte contre les violences intrafamiliales sera aussi renforcée par la création d'une instance de pilotage unique, au sein du pôle spécialisé, agrégeant notamment plusieurs dispositifs déjà pratiqués au niveau local (comités de pilotage TGD, cellules d'accompagnement des victimes de violences intrafamiliales, cellules dédiées au suivi des situations de violences conjugales au sein des juridictions). Ce comité de pilotage unique, dit « COPIL VIF », entend réunir l'ensemble des acteurs intervenant sur ce sujet (magistrats du siège et du parquet, services de police et de gendarmerie, associations de contrôle judiciaire, associations d'aide aux victimes, le SPIP, les référents violences conjugales de la préfecture…).

Cette instance permettra la systématisation et l'institutionnalisation des échanges au sein d'une instance unique de coordination et de partage d'informations. Le « COPIL VIF » sera plus spécifiquement défini par voie réglementaire, afin de préciser le cadre et la nature des échanges de cette instance, comme d'en définir les missions, l'organisation et le fonctionnement.

À court terme, en 2024, ce cadre unifié aura pour objectif de modéliser, pour chaque tribunal judiciaire, une organisation type en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, sans préjudice des initiatives des chefs de cour et de juridiction pour s'adapter aux spécificités et pratiques locales. Un tel dispositif permettra un réel décloisonnement entre les acteurs investis dans la lutte contre ces violences et une meilleure circulation de l'information, l'objectif étant de parvenir à une vision globale des situations et à une prise en charge plus efficace, en réunissant les différents dispositifs utiles, tout en respectant les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions. Il s'agit également de favoriser le partage d'informations entre les différents partenaires saisis d'une même situation, notamment pour le suivi des mesures particulières de protection des victimes (ordonnances de protection, téléphones « grave danger », bracelets anti-rapprochement).

2.5. La prise en charge des publics confiés à la justice

2.5.1. Favoriser la réinsertion des personnes placées sous main de justice

La diversification de l'offre pénitentiaire, permettant de favoriser les alternatives à l'incarcération et la réinsertion des personne placées sous main de justice, constitue un objectif prioritaire. À cette fin, les moyens humains des services pénitentiaires d'insertion et de probation continueront à être renforcés. Des méthodes de travail renouvelées avec les juridictions et les partenaires seront également mises en œuvre.

Les efforts engagés ces dernières années en faveur des aménagements de peine et des mesures alternatives à l'incarcération seront amplifiés. Il s'agit d'accentuer le dispositif de bilan socioprofessionnel pour les personnes incarcérées, de renforcer les prises en charge collectives des personnes suivies en milieu ouvert et d'encourager la mesure de placement extérieur. À cet égard, en complément de la revalorisation du tarif journalier intervenue le 1er janvier 2023, la plateforme aux placements extérieurs 360, qui sera très prochainement déployée, permettra de répertorier l'ensemble des places de placement extérieur et de faciliter la gestion de la mesure en lien avec la structure d'accueil, pour favoriser le prononcé de ce type d'aménagement de peine et, ainsi, mieux prévenir la récidive.

La prise en charge des auteurs de violences conjugales, également dans une volonté de meilleure prévention de la récidive, demeure un enjeu prioritaire. Le dispositif du contrôle judiciaire sous placement probatoire (CJPP), en cours de déploiement sur l'ensemble du territoire national, permet une éviction immédiate du domicile conjugal de l'auteur de violences et sa prise en charge pluridisciplinaire dans un hébergement adapté. Il constitue une alternative adaptée à la détention provisoire et la continuité de la prise en charge de l'auteur des violences peut être assurée au sein de la structure, dans le cadre d'une mesure de placement extérieur, après la condamnation. Le ministère de la justice s'est également engagé dans le développement d'un outil de réalité virtuelle de prise en charge des auteurs de violences conjugales (casque de réalité virtuelle). L'expérimentation, menée sur 4 sites depuis l'automne 2021, doit se poursuivre en 2023 sur 10 sites complémentaires, afin d'approfondir les premiers résultats issus de la recherche.

La réinsertion passe également par le développement des activités, du travail et de l'insertion professionnelle. La loi pour la confiance dans l'institution judiciaire a opéré un rapprochement de la réglementation du statut du détenu travailleur avec le droit commun du travail en créant un contrat d'emploi pénitentiaire de droit public avec des droits associés, qui emprunte les principales caractéristiques du contrat de travail, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à la détention. L'objectif est d'atteindre un taux de 50 % des personnes détenues en activité professionnelle rémunérée (travail et/ou formation professionnelle), alors que ce taux avoisine à l'heure actuelle 30 % pour le travail et 8 % pour la formation professionnelle. Les activités rémunérées en détention favorisent en effet l'emploi et la réinsertion à la libération. Dans ce but, les chefs d'entreprise seront encouragés à faire appel au travail pénitentiaire par la sous-traitance ou par l'implantation de leurs activités en détention.

L'agence nationale du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle (ATIGIP) sera porteuse d'ambitions fortes en matière d'accès au travail, par l'augmentation de l'offre de travaux d'intérêt général (TIG) via la plateforme dédiée TIG 360°, par la multiplication des dispositifs d'insertion par l'activité économique et par le développement de l'apprentissage en prison. Les efforts seront poursuivis en vue de développer la formation professionnelle en détention en lien avec l'institution de représentation des régions françaises Région de France, les exécutifs régionaux et le ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion. Le cadre normatif sera par ailleurs rénové.

Afin de développer la peine de travail d'intérêt général, la loi de programmation généralisera l'accueil des personnes effectuant un TIG au sein des sociétés commerciales de l'économie sociale et solidaire. Elle permettra également de poursuivre l'expérimentation de l'accueil de ces publics au sein des sociétés à mission.

L'offre pénitentiaire sera également développée qualitativement et quantitativement afin de favoriser les solutions alternatives à l'incarcération et de renforcer la prise en charge des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert. Dans ce cadre, une expérimentation permettra de confier, sous le pilotage du service pénitentiaire d'insertion et de probation et dans le respect d'un cahier des charges national défini par l'administration pénitentiaire, la mise en œuvre d'un certain nombre de stages et d'actions collectives aux associations, qui se verront valorisés à l'issue par la délivrance d'un label qualité.

Par ailleurs, à compter de 2025, seront construits trois nouveaux établissements pénitentiaires entièrement tournés vers le travail et la formation professionnelle, dénommés InSERRE (Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi) d'une capacité de 100 à 180 places chacun.

Enfin, les enjeux de réinsertion sociale et de prévention de la récidive sont pris en compte par le programme immobilier pénitentiaire qui favorise une meilleure prise en charge des personnes incarcérées durant leur parcours d'exécution de peine avec des espaces dédiés au travail, à l'enseignement à l'insertion et aux installations sportives notamment.

Ces axes prioritaires devraient permettre de favoriser le retour progressif à la vie libre des personnes détenues et de concourir ainsi à mieux lutter contre la récidive.

2.5.2. Une prise en charge des mineurs dans un objectif de lutte efficace contre la récidive

Conformément à l'engagement du Président de la République de développer tous les outils possibles permettant aux mineurs délinquants de s'emparer de leurs parcours d'insertion sociale, scolaire et professionnelle, un plan d'action ambitieux pour la protection judiciaire de la jeunesse a été adopté visant à rénover le dispositif d'insertion, à garantir une offre de prise en charge sur l'ensemble du territoire et à consolider les partenariats.

Dans ce cadre, un partenariat s'est noué sur tout le territoire national entre le ministère des armées et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) pour que les dispositifs créés par les armées à destination des jeunes publics en difficulté puissent bénéficier aux mineurs pris en charge par la PJJ. Il convient également de développer l'insertion par le sport. La DPJJ sera chargée de renforcer des actions dans le domaine sportif, en saisissant notamment l'occasion de la période de préparation des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, qui constitue non seulement un levier éducatif efficace mais aussi de cohésion nationale, citoyenne et d'insertion pour les jeunes.

Le ministère entend en outre développer les dispositifs partenariaux socio-éducatifs pour proposer des solutions aux adolescents dits « en situations complexes », c'est-à-dire dont le comportement a mis en échec des prises en charge antérieures.

Dans le même esprit, la DPJJ rénovera son dispositif de placement afin d'éviter les ruptures de parcours et mieux répondre aux besoins de l'autorité judiciaire.

Sera également mise en place une réserve de la protection judiciaire de la jeunesse, prévue par la loi de finances pour 2023, pour offrir la possibilité aux agents de continuer à servir leur administration et de poursuivre leur engagement au bénéfice des jeunes pris en charge et des professionnels. La réserve de la PJJ s'inscrit dans le cadre d'une politique renforcée d'accompagnement des professionnels et notamment des cadres sous la forme de mentorat, d'accompagnement à la prise de poste ou d'aide à l'élaboration des projets de service.

Un plan stratégique national 2023-2027 sera formalisé qui viendra détailler l'ensemble de ces mesures et renforcer l'inscription de la PJJ dans les politiques publiques locales.

2.6. Une volonté de rapprocher les citoyens de leur justice

2.6.1. L'accès au droit

Dans le prolongement de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire précitée, le ministère est déterminé à répondre aux attentes des citoyens et à restaurer la place de la justice au cœur de la cité.

En premier lieu, il s'agit de renforcer et de moderniser l'accès au droit.

La politique d'aide à l'accès au droit a été créée par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Depuis cette date, l'accès au droit n'a cessé d'évoluer, permettant ainsi à chaque citoyen d'avoir un accès plus facile au droit et à la justice.

Les 101 conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD) et les trois conseils d'accès au droit (CAD) sont chargés de recenser les besoins, de définir et de mettre en œuvre une politique locale, de dresser et de diffuser l'inventaire des actions menées.

Ils coordonnent par ailleurs les point-justice implantés sur leur territoire. Les point-justice, lieux d'accueil gratuits, permettent d'apporter cette information juridique aux citoyens. On en dénombre 2 000 (dont 148 maisons de justice et du droit (MJD) répartis sur l'ensemble du territoire national. Parmi ces point-justice, 1596 sont généralistes et 484 sont spécialisés pour un type de public (jeunes, détenus, étrangers, etc.).

L'information et la communication jouent un rôle central dans la capacité qu'ont les citoyens à saisir la justice. C'est la raison pour laquelle le ministère consacre des efforts particuliers pour « aller vers » les justiciables, mettre à leur disposition l'information dont ils ont besoin et promouvoir l'accès au droit (avec le numéro d'appel gratuit 30 39 depuis 2021).

Afin de poursuivre la démarche d'optimisation du maillage territorial des lieux d'accès au droit, il est prévu dès 2023 de :

– veiller à ce que les permanences d'accès au droit soient les plus nombreuses possible et permettent un maillage territorial de qualité, ajustées aux besoins du territoire ;

– multiplier les point-justice ou augmenter les plages d'ouverture ou le nombre d'intervenants ;

– diversifier les intervenants de l'accès au droit (notaires, conciliateurs de justice, délégués du Défenseur des droits…) ;

– renforcer les liens avec les France services en y implantant des point-justice.

Les projets nationaux relatifs à l'accès au droit sont les suivants :

– création du conseil de l'accès au droit (CAD) de Nouvelle-Calédonie ;

– création de quatre nouvelles maisons de justice et du droit (MJD) à Alès, Lesparre-Médoc, Limoux et Paris 13e ;

– maintien et renforcement des moyens des MJD (locaux adaptés, dispositifs de sécurité et moyens matériels, notamment informatiques, suffisants) ;

– modernisation de la communication visant à promouvoir la politique de l'aide à l'accès au droit ;

– mise en œuvre du logiciel applicatif « Ignimission » (outil de gestion de l'annuaire des point-justice) permettant de recenser un temps réel les point-justice et d'effectuer une collecte de données afin, notamment, d'établir des statistiques.

Le ministère de la justice entend également inscrire de plus en plus la politique de l'accès au droit dans une synergie avec les France services. 774 France services accueillent en leur sein un point-justice dans lequel une diversité d'intervenants y assure des permanences : avocats, notaires, commissaires de justice, associations, délégué du Défenseur des droits, conciliateurs de justice notamment. Ces professionnels sont rétribués par le ministère de la justice.

En second lieu, il s'agira de rendre la justice plus compréhensible pour les citoyens à travers une communication renforcée et accessible à tous.

La nécessité de rendre la justice plus lisible conduit le ministère à développer plusieurs actions convergentes : la diffusion en ligne de contenus pédagogiques, le renforcement de l'ergonomie du site ministériel justice.gouv.fr (2023), une participation d'envergure aux événements nationaux tels que les Journées européennes du patrimoine ou la Nuit du droit, une stratégie proactive de valorisation du patrimoine de la justice, des relations presse grand public, dont les procès filmés dans le cadre de l'article 1er de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, la production de supports audiovisuels (animation pour les réseaux sociaux, reportages…) qui peuvent être sponsorisés pour en assurer une plus large audience.

En prenant acte des conclusions des États généraux de la justice, le ministère de la justice a souhaité poursuivre son action en faveur de l'accès au droit des plus jeunes. Ainsi, en partenariat avec le ministère de l'éducation nationale, un passeport Educdroit sera mis en place à destination des collégiens : il suivra les élèves tout au long de leurs études et leur permettra de garder une trace de leurs actions, de leurs rencontres et de leurs visites avec des professionnels du droit ou dans des lieux de la République liés à la justice.

Enfin, le projet national des « bonnes pratiques » permet d'identifier des démarches mises en œuvre par des services déconcentrés et les juridictions afin de répondre à un besoin local. Convaincu de la richesse de l'expérience de terrain, le ministère a en effet recensé les bonnes pratiques mises en œuvre au sein du ministère de la justice. Un site Intranet est destiné à les faire connaître et à les valoriser, pour favoriser leur mise en œuvre et en faire bénéficier le plus grand nombre. De mois en mois, il sera étoffé et enrichi.

2.6.2. Une aide juridictionnelle réformée et plus accessible

Depuis trois ans, le ministère a engagé une profonde réforme de l'aide juridictionnelle au travers de l'instauration du revenu fiscal de référence (RFR) comme critère d'éligibilité, de la création de l'aide juridictionnelle garantie permettant un accès plus facile et plus rapide en cas de procédures d'urgence et, enfin, en augmentant la rétribution des auxiliaires de justice. Le système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ) participe de manière significative à cette réforme.

Il s'inscrit dans une volonté de rapprocher les citoyens de leur justice en simplifiant et en dématérialisant de bout en bout le traitement de l'aide juridictionnelle. Concrètement, il se traduit par :

– la mise en place d'un site Internet permettant de simuler son éligibilité à l'aide juridictionnelle puis de déposer une demande et de suivre son traitement 24h/24 et 7j/7 depuis un ordinateur, une tablette ou un téléphone, ce qui évite les déplacements sur site et/ou les envois postaux ;

– la facilitation du remplissage des demandes numériques pour deux raisons principales. D'abord, environ 30 % du dossier est prérempli (le système interroge France Connect et la DGFIP dans la logique du principe « Dites-le-nous une fois »). Ensuite, en fonction des cases que la personne coche, les rubriques pertinentes s'affichent, les autres sont masquées ;

– depuis décembre 2022, le site Internet est totalement conforme aux exigences d'accessibilité numérique (100 % RG2A – Référentiel général d'amélioration de l'accessibilité) ;

– le justiciable bénéficie d'une visibilité sur l'état d'avancement du traitement de sa demande par le tribunal ainsi que d'un espace de gestion de son dossier lui permettant à tout moment de récupérer ses documents-clefs, dont sa décision d'aide juridictionnelle ;

– le dossier fait l'objet d'un traitement harmonisé au plan national et rapide. Une expérimentation permettant un traitement centralisé au niveau de la cour d'appel est en cours. L'objectif est d'accélérer le traitement des demandes d'aide juridictionnelle tout en maintenant une proximité avec le justiciable ;

– la mobilisation des personnes pouvant accompagner les personnes dans le dépôt et le suivi de leurs demandes : agents des maisons France services, membres d'associations d'aide aux victimes, écrivains publics ;

– la mise en place d'un bouton « je donne mon avis » sur le site Internet afin de recueillir le taux de satisfaction des usagers.

L'année 2023 verra la généralisation du SIAJ à l'ensemble des tribunaux judiciaires du territoire national. Cette généralisation permettra de déployer une campagne de communication destinée à développer la saisine en ligne de l'application par les justiciables. Cette saisine en ligne sera en outre facilitée par la mise en service de l'application mobile créée en 2023 (cf. 2.6.3) et la rénovation du site Justice.fr.

2.6.3. Une application mobile à destination du citoyen et un site internet rénové

Une application mobile à destination du citoyen sera déployée en 2023. Les objectifs de ce nouvel outil numérique, qui sera complémentaires des instruments de saisine en ligne disponibles sur le site justice.fr, sont de plusieurs ordres. Il s'agira tout d'abord de répondre aux besoins du public en lui permettant de bénéficier des services natifs des smartphones (la géolocalisation notamment). L'application permettra notamment d'accéder à des parcours utilisateurs de bout en bout entre plateformes interopérables : site web Justice.fr, application mobile, site web du casier B3, aide juridictionnelle. Il s'agit également de faciliter la navigation entre les différents points d'information : site institutionnel Justice.gouv.fr, Service-public.fr, annuaire des professionnels…

L'application doit également permettre de personnaliser la relation avec le ministère en disposant d'un accès en tous lieux et en tout temps. Enfin, l'application pour smartphone vise à rendre plus accessible la justice aux personnes en situation de handicap.

La première version de l'application permettra au public, dès le 2e trimestre 2023, de disposer d'une information adaptée à sa situation et d'identifier à qui s'adresser : fiches thématiques, renseignement sur les tribunaux (coordonnées, horaires, renseignements divers), d'accéder rapidement aux numéros d'urgence et à tous les numéros d'appel spécialisés, de géolocaliser les services à sa disposition (tribunal, cour d'appel, point justice, service d'aide aux victimes) et d'accéder à plusieurs simulateurs (aide juridictionnelle, pension alimentaire, saisie sur rémunération) et à tous les liens utiles vers les professionnels du droit.

Progressivement, par le biais d'une identification France Connect, l'accès sera possible à des services de saisine en ligne actuellement disponibles sur le site Justice.fr (demande d'aide juridictionnelle, demande de bulletin n° 3 du casier judiciaire, constitution de partie civile devant le tribunal correctionnel). L'application permettra également de fournir un service de notification aux justiciables et à ces derniers de donner leur avis en ligne.

Une fonctionnalité visant à permettre aux usagers et aux victimes d'avoir des téléconsultations avec des professionnels de l'accès au droit et de l'aide aux victimes est actuellement en cours d'élaboration et fera l'objet d'une expérimentation spécifique. Cette fonctionnalité a vocation à être, à terme, intégrée à l'application mobile du ministère.

En parallèle du développement de l'application, le site Justice.fr, qui porte le portail des justiciables et l'ensemble des outils de saisine en ligne de la justice, bénéficiera d'une modernisation de son interface et de son ergonomie.

2.6.4. Une attention renforcée aux victimes, notamment de violences intrafamiliales et sur mineurs

À titre liminaire, les droits des victimes seront étendus par l'élargissement des infractions recevables sans condition de ressources à la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, notamment pour les victimes de violences graves (avec une ITT de plus de 8 jours) dans un cadre intrafamilial (violences sur mineurs ou violences conjugales) et de violation de domicile. Cette nouvelle possibilité d'indemnisation sera néanmoins plafonnée.

Le ministère entend renforcer sa lutte contre les violences intrafamiliales. Les dispositifs comme le « Téléphone Grave Danger », le « Bracelet Anti -Rapprochement » ou encore les enquêtes EVVI (EValuation of VIctims, programme européen), destinées à établir un bilan précis de la situation de la victime pour lui venir en aide de la façon la plus pertinente, feront l'objet de nouveaux développements et d'un soutien renforcé. Magistrats, enquêteurs, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, agents des services pénitentiaires d'insertion et de probation et associations d'aide aux victimes sont en première ligne sur cette action concertée. Les actions de formation, notamment communes aux diverses professions, vont s'intensifier.

Les mineurs victimes feront l'objet d'une attention particulière avec la généralisation des Unités d'accueil pédiatriques enfant en danger (UAPED) dans tous les départements, l'intervention d'un administrateur ad hoc dans tous les dossiers qui le nécessitent, le développement d'actions de communication pour faire connaître les numéros spécifiques de signalement et d'aide ainsi que la mise en œuvre de modalités d'accompagnement particulières telles que les visites par les mineurs victimes des salles d'audience en amont des audiences criminelles, l'accompagnement des victimes par des chiens d'assistance judiciaire (cf. 2.4.3.2).

Enfin, le ministère de la justice poursuivra son action destinée à renforcer l'accessibilité des associations d'aide aux victimes, au sein des tribunaux (bureau d'aide aux victimes) comme à l'extérieur (soutien à la mise en œuvre de permanences dans les hôpitaux, commissariats, gendarmeries, mairies…) au plus proche des besoins des victimes.

Les États généraux de la justice ont établi un constat général de la situation de la justice en France et esquissé des pistes d'amélioration. Le présent rapport a désormais dressé le plan d'action qui accompagne la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice et qui repose sur une vision ambitieuse de la justice en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, plusieurs amendements portant sur le rapport annexé à l'article 1er recueillent l'accord de la commission des lois. Pour autant, ma collègue Agnès Canayer et moi-même avons souhaité émettre des avis défavorables, et ce pour plusieurs raisons.

Ces avis ne signifient pas nécessairement que nous soyons en désaccord sur le fond. Je pense en particulier aux amendements de Mélanie Vogel ou de Laurence Rossignol ayant trait aux violences intrafamiliales, sujet qui, comme vous le savez, mes chers collègues, me tient à cœur. D'ailleurs, certains de leurs amendements visent à insérer dans le rapport annexé des recommandations qu'Émilie Chandler et moi-même avons formulées dans notre rapport.

Reste que ce rapport annexé n'a aucune valeur normative. Par conséquent, y insérer un catalogue de mesures de faible portée ou sans lien manifeste avec le texte ne ferait que rendre plus confus un document qui, je vous demande pardon, monsieur le garde des sceaux, ne brille déjà pas par sa clarté.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Ah ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Qui plus est, intégrer des recommandations issues de ce rapport parlementaire dans le rapport annexé n'a pas beaucoup de sens.

J'espère surtout que le travail que ma collègue députée et moi avons fourni sera suivi d'effets – aujourd'hui, nous en avons, semble-t-il, quelques manifestations et des décrets sont en cours de rédaction. En effet, nombre de mesures relèvent volontairement, non de la loi, mais du domaine réglementaire, afin qu'elles puissent être mises en place plus rapidement – les femmes le méritent.

En conséquence, la commission n'a déposé aucun amendement lors de ses travaux préalables. De la même façon, elle n'a émis aucun avis favorable, sauf sur un amendement du Gouvernement qui lui semblait formuler un engagement qu'il lui appartiendra de suivre, et n'a déposé qu'un seul amendement lors de l'examen de ce texte en séance publique, amendement tendant à préciser la méthode de simplification de la procédure pénale. Une telle disposition est bien liée au texte, en ce qu'elle vise à préciser une orientation majeure de la politique du Gouvernement dans les cinq prochaines années.

C'est pourquoi la commission des lois émettra des avis défavorables sur la plupart des amendements portant sur le rapport annexé, y compris lorsqu'ils recueillaient notre accord sur le fond. En effet, certains des sujets abordés dans ces amendements doivent faire l'objet d'une réelle discussion dans le cadre de l'examen d'un véhicule dédié, ayant une portée normative : ils méritent mieux que des déclarations d'intention.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 206, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 61

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

En ce qui concerne les avocats, la limitation à trois tentatives pour les candidats à l'examen du centre régional de formation professionnelle des avocats ne sera plus effective, afin de rendre l'accès à l'avocature autant accessible que celle à la magistrature.

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Je commencerai par un point de méthode. Il me semble assez rare de connaître l'avis de la commission sur des amendements avant même que ceux-ci n'aient été présentés.

Qui plus est, dans la mesure où nous savons que cet avis est défavorable, en les défendant, leurs auteurs ne feront qu'alimenter inutilement les discussions. Or nombre des sujets abordés auraient mérité d'être débattus.

J'espère en tout cas que la commission ne se contentera pas d'un laconique « Défavorable ! », quand bien même le sort de ces amendements est déjà scellé. §

L'amendement n° 206 vise à mettre fin à la limitation à trois essais pour l'accès à la profession d'avocat. En effet, nous considérons que cette restriction n'est pas cohérente avec d'autres concours d'accès à des professions juridiques, notamment l'École nationale de la magistrature (ENM), qui, elle, ne fixe pas de limites quant au nombre de tentatives autorisées.

Nous soutenons donc qu'il est essentiel de garantir l'égalité des chances et l'accessibilité à la profession d'avocat. Par ailleurs, les candidats doivent pouvoir passer l'examen du centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) autant de fois qu'ils le souhaitent, sans que soit imposée de limitation.

Il s'agit de favoriser une approche plus équitable, ouverte à tous, et de donner aux candidats la possibilité de s'améliorer, de se former et de persévérer dans leur parcours professionnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Cet amendement peut difficilement être adopté sans qu'ait été consultée la profession ni que soient connus les enjeux et l'impact véritable de ces dispositions.

Par ailleurs, ma chère collègue, vous comparez deux modalités très différentes : si l'accès à la profession d'avocat se fait par voie d'examen, l'accès à celle de magistrat se fait par concours.

Enfin, trois tentatives, ce n'est déjà pas si mal...

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Je fais miennes les explications de Mme la rapporteure.

Premièrement, l'accès à l'ENM se fait par concours, contrairement au CRFPA.

Deuxièmement, le Barreau a son mot à dire : il y va de la qualité du recrutement, c'est-à-dire de la qualité des futurs avocats.

Troisièmement, une telle limitation à trois tentatives ne relève pas d'une disposition législative. Elle est prévue par un décret du 27 novembre 1991, qui dispose que « nul ne peut se présenter plus de trois fois à cet examen ».

Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 161, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 176

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La mise en place d'un guichet en présentiel dans des proportions et répartitions géographiques adéquates, ainsi que d'un numéro de téléphone dirigeant la communication vers un agent devra aussi être mis à disposition des justiciables.

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - Permalien
Guy Benarroche

Madame la rapporteure, j'entends bien ce que vous avez dit à propos du rapport annexé. Il n'en reste pas moins que de tels documents font désormais partie de l'arsenal – il n'est qu'à citer la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, dite Lopmi. Par conséquent, le droit d'amendement s'applique.

À partir du moment où l'on peut déposer des amendements sur les rapports annexés, bien plus, à partir du moment où certains d'entre eux peuvent être considérés comme acceptables, je ne comprends pas pourquoi on devrait les refuser a priori. Ce raisonnement m'échappe. Si le rapport annexé fait partie du projet de loi, on doit pouvoir l'amender et examiner les amendements déposés à cette fin, et non considérer d'emblée que ce document n'a pas de valeur.

Ainsi, un certain nombre d'amendements visent à apporter des améliorations au rapport annexé. De quoi s'agit-il, d'ailleurs ? Un rapport annexé est destiné à traduire une vision politique, laquelle donne une cohérence aux mesures législatives ou réglementaires qui sont prises. Par conséquent, en modifiant le rapport annexé, on peut changer la façon dont seront prises un certain nombre de mesures, y compris d'ordre réglementaire. En tout cas, c'est à cela que cela devrait servir, puisque des rapports annexés figurent dans les textes – sauf à discuter de leur existence.

L'amendement n° 161 a trait à la numérisation. Bien entendu, et c'est une certitude absolue, les retours de terrain le montrent – j'étais à Grasse la semaine dernière –, l'outil numérique a des avantages dans la chaîne pénale. En revanche, la vision selon laquelle une solution numérique globale serait un outil magique permettant de résoudre les difficultés des citoyens se heurte à une réalité très concrète : en France, un certain nombre de citoyens sont victimes d'illectronisme. Ils ne peuvent utiliser facilement l'outil qui est mis à leur disposition et sont incapables d'accéder à cette technologie.

Comme le lien humain doit rester au cœur du service public, nous demandons, pour resserrer les liens de confiance et les échanges avec les citoyens, que soit bien indiqué qu'il doit demeurer possible, en parallèle du déploiement de l'application, de nouer contact avec l'administration par un simple appel téléphonique…

Debut de section - Permalien
Guy Benarroche

… ou en accédant à un guichet unique physique. Le rapport annexé doit justement servir à cela.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Le rapport annexé est en quelque sorte la feuille de route du Gouvernement, comme l'a dit ma collègue. Il servira de fondement à notre contrôle, qui sera vigilant. Il convient donc qu'y figurent des actions sur lesquelles le Gouvernement s'est engagé. C'est la raison pour laquelle nous ne sommes favorables qu'aux amendements sur lesquels nous avons un engagement du Gouvernement.

L'illectronisme est une réalité qui touche de nombreuses populations, dans des secteurs très divers.

S'il est important qu'il y ait une transition numérique au sein du ministère de la justice, encore faut-il qu'elle soit efficace et qu'elle s'apparente à une véritable révolution. À mon sens, il ne faut pas multiplier les objectifs. Qui plus est, les justiciables pourront s'appuyer sur les point-justice, qui sont en train d'être développés, …

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

… comme sur les maisons de la justice et du droit, dans les maisons France Services, où des agents sont physiquement présents pour les accompagner dans leurs démarches.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Absolument !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Monsieur le sénateur, je sais que cette question vous tient à cœur. Nous avons déjà eu l'occasion d'en discuter longuement.

Il va de soi que le numérique est absolument indispensable pour faire entrer la justice dans l'ère moderne, pour la simplifier et la rendre plus rapide. En même temps, on ne peut pas oublier tous ceux qui n'ont pas accès au numérique. On dit souvent que tout le monde a un portable, un ordinateur, or ce n'est pas vrai. Certains de nos compatriotes n'ont pas accès au numérique.

Il existe 2 080 point-justice – la mise en place de ces structures est l'une de mes fiertés. J'ai d'ailleurs demandé aux futurs magistrats, auditeurs de l'ENM, de se rendre dans ces lieux, afin d'y rencontrer les plus défavorisés de nos compatriotes. On compte en outre 148 maisons de la justice et du droit, ainsi que 264 services d'accueil unique du justiciable en juridiction. On parle bien là de présentiel.

J'ajoute que 96, 9 % de nos compatriotes se trouvent à moins de trente minutes d'un point-justice. En outre, et cela vous donnera un ordre d'idée, 900 000 à 990 000 personnes ont été reçues au sein du réseau de l'accès au droit : en d'autres termes, près d'un million de consultations en présentiel ont été assurées dans les différents lieux d'accueil offerts à nos concitoyens les plus démunis.

Enfin, il existe un numéro d'accès au droit, le 3039, qui reçoit environ 500 appels par jour.

Par conséquent, cet amendement est déjà satisfait. C'est pourquoi le Gouvernement en demande le retrait ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Il s'agit tout autant d'une explication de vote que d'une demande de clarification concernant nos travaux.

Mme la rapporteure a indiqué que le rapport annexé est la « feuille de route du Gouvernement », en tout cas du garde des sceaux – c'est dire sa valeur ! C'est une absolue réalité.

Cette feuille de route doit recevoir l'approbation du Parlement. Est-ce à dire que les amendements que nous allons examiner ne pourront être adoptés que si le Gouvernement y est favorable, puisqu'il s'agit de sa feuille de route ? Vous-même, en tant que rapporteure, vous avez souhaité insérer un amendement.

À quoi sert donc tout ce que nous sommes en train de faire ?

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 144, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéas 199 et 200

Rédiger ainsi ces alinéas :

S'agissant du patrimoine pénitentiaire, il s'agira de construire un projet de rénovation et d'entretien du parc existant en tenant compte des exigences d'amélioration des conditions de vie des personnes détenues, tout en engageant la rénovation énergétique.

Une réflexion sur l'architecture du parc carcéral sera menée, en faveur d'un développement des prisons ouvertes, tournée vers la prévention de la récidive par le biais de l'insertion.

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - Permalien
Guy Benarroche

L'extension du parc carcéral et la sécurité des établissements de surveillance figurent toujours au premier rang des priorités budgétaires – je vous fais grâce des chiffres – ; or l'on sait que le coût de la prison est astronomique : construction, entretien, coût journalier des cellules et des détenus. Pour la seule année 2022, près d'un milliard d'euros d'investissements immobiliers sont prévus, somme qui vient s'ajouter à la dette immobilière qui, échelonnée sur près de trente ans, s'élève à ce jour à près de 5 milliards d'euros.

Ce budget colossal n'a pourtant pas pour effet l'amélioration ou la rénovation des établissements insalubres et vétustes : les dépenses d'entretien du parc, pourtant limitées et insuffisantes, sont énormes. La vétusté des locaux carcéraux a valu à la France de multiples condamnations de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Je rappelle par exemple que, pour le seul établissement pénitentiaire de Nouméa, le coût des travaux de rénovation est estimé à 7 millions d'euros.

Cette politique de construction de prisons, menée et amplifiée depuis plusieurs dizaines d'années, n'a pas d'effet sur le taux de surpopulation carcérale. Ces nouvelles constructions en auront-elles d'ailleurs un ? On peut admettre qu'elles amélioreront au moins les conditions de détention, ce qui est déjà une bonne chose. Pour autant, feront-elles baisser considérablement le nombre de personnes détenues ? Ce n'est pas certain, puisque ces constructions s'accompagnent à la fois d'une répression accrue, c'est-à-dire de peines dont la durée augmente, et d'une inflation pénale – il n'y a qu'à voir ce qui a été mis en place ces dernières années par le biais de projets ou de propositions de loi.

La prison étant l'école de la délinquance, nous le savons, une réponse politique guidée par le tout carcéral ne permettra pas d'apporter des réponses justes et efficaces aux défis de notre société.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

D'une part, la construction de places de prison, qui est un enjeu fort, se heurte à un nombre important d'obstacles – vous en avez cité certains, mon cher collègue –, lesquels sont accentués par certaines difficultés conjoncturelles. Certaines réformes, comme l'objectif du zéro artificialisation nette, que défend avec force notre assemblée, contraindront également le développement des prisons. Enfin, la rénovation énergétique des prisons, qui est d'ores et déjà prévue, est un autre enjeu.

D'autre part, la prévention de la récidive est déjà engagée, notamment par le biais des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), lesquelles autorisent un régime de semi-liberté. Le modèle de prisons ouvertes nous semble au contraire excessif.

Enfin, l'adoption de cet amendement reviendrait à supprimer du rapport annexé le programme de construction de 15 000 places de prison, auquel nous sommes très attachés.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Monsieur le sénateur, je connais votre engagement sur ces questions, au sujet desquelles nous nous sommes déjà souvent entretenus.

Je partage l'analyse de Mme la rapporteure. Nous mettons en place de nombreuses SAS. À ce propos, je trouve que jamais un acronyme n'a été mieux choisi, les SAS – les structures d'accompagnement vers la sortie – étant des établissements pénitentiaires hybrides : ce sont des prisons mais aussi des endroits tournés vers l'extérieur. L'intitulé même de ce dispositif en dit long !

Ces établissements sont souvent situés au cœur des villes afin de permettre aux détenus de se réinsérer et d'avoir par exemple accès à un futur employeur. C'est pour moi très important. D'ailleurs, vous savez que j'ai développé le contrat d'emploi pénitentiaire.

Pour le reste, nous tenons bien sûr à l'objectif de création de 15 000 places de prison. Sans être le seul, c'est l'un des leviers permettant, d'une part, de mettre un terme aux conditions indignes de détention, d'autre part, d'assurer de bien meilleures conditions de travail au personnel pénitentiaire, ce qu'il ne faut jamais oublier.

Comme je l'ai indiqué précédemment, 130 millions d'euros ont été consacrés à la rénovation des établissements pénitentiaires : c'est le double du montant qui y a été consacré sous François Hollande. Nous en avons déjà rénové beaucoup.

Lorsque j'étais avocat, j'ai connu l'époque où les détenus ne pouvaient prendre qu'une douche par semaine, et encore quand c'était possible. Aujourd'hui, des douches individuelles ont été installées dans chaque cellule. Les conditions de détention se sont donc nettement améliorées.

En plus des SAS que nous construisons, nous expérimentons trois prisons entièrement tournées vers le travail. Là encore, l'acronyme a été bien choisi : InSERRE, pour Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi.

En 2024, la moitié des cinquante nouveaux établissements pénitentiaires prévus auront été construits. Je dois en inaugurer dix d'ici à la fin de l'année.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

Debut de section - Permalien
Guy Benarroche

Vous l'avez souligné, la construction de prisons est un levier.

Dans la mesure où le rapport annexé fixe une trajectoire, il nous semble qu'il aurait été bienvenu qu'y figurent aussi un certain nombre d'autres leviers, notamment le développement des prisons en milieu ouvert. En effet, pour répondre à Mme la rapporteure, il existe ailleurs d'autres modèles carcéraux ; en France, on trouve la prison ouverte de Casabianda, en Corse, qui permet des incarcérations graduées selon le type de délinquance, le maintien des liens familiaux et la diversification des activités. Pour l'instant, aucune étude ne prouve qu'une incarcération en milieu ouvert soit moins efficace. En revanche, ce qui est sûr, c'est que cela coûte moins cher !

Il faut regarder ces questions de plus près et non pas se contenter de dire que les incarcérations en milieu ouvert ne marchent pas – on ne peut plus dire cela aujourd'hui. Je suis favorable à ce qu'une étude soit menée en ce sens et il me paraissait intéressant que cela figure dans les trajectoires du ministère de la justice.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 148, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 200

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Pour résorber la surpopulation carcérale, il est mis en place, à titre expérimental sur une durée de trois ans, un mécanisme de régulation carcérale sur l'ensemble du territoire, ayant pour objet de définir un taux de surpopulation carcérale dont le dépassement entraînerait la réunion des différents acteurs de la chaîne pénale. Ces derniers pourraient alors envisager des mesures de régulation lorsque les services de l'administration pénitentiaire ne sont plus en mesure de fonctionner sans affecter durablement la prise en charge des personnes détenues.

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - Permalien
Guy Benarroche

Cet amendement vise à expérimenter à l'échelon national un mécanisme de régulation carcérale, qui a été défendu par Jean-Pierre Sueur lors de la discussion générale et sur lequel je ne reviens pas.

Cette proposition fait écho aux expérimentations locales mises en place dans les maisons d'arrêt de Varces, de Grenoble et aux Baumettes à Marseille. Ces expérimentations, qui reposent sur le volontariat de professionnels de la justice, doivent recevoir un soutien à l'échelle nationale. Elles permettent des pratiques collectives de régulation carcérale.

Nous aurions souhaité que cette expérimentation nationale figure dans le rapport annexé, car elle nous semble être un véritable outil de lutte contre la surpopulation carcérale, au même titre que d'autres dispositifs. Il faut utiliser tous les leviers.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Cet amendement a pour objet l'expérimentation d'un mécanisme de régulation carcérale, afin de faire face à la surpopulation carcérale. Nous ne pensons pas que ce soit la bonne solution.

La solution passe par la construction de places et il faut aller vite. Nous sommes donc favorables à ce que les peines soient exécutées dans de bonnes conditions, grâce à un nombre suffisant de places.

C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Notre pays compte grosso modo un peu plus de 60 000 places de prison pour 73 000 détenus.

Si vous ne voulez plus de surpopulation carcérale, monsieur le sénateur, il faut donc libérer 13 000 détenus. Je le dis clairement : je ne le ferai pas, et ce pour tout un tas de raisons.

Tout d'abord, cela ferait le bonheur du sénateur Ravier

M. Thani Mohamed Soilihi sourit.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Je veux assumer une réponse pénale ferme. Je veux également rappeler – je vous remercie de me donner l'occasion de le faire – que le garde des sceaux ne peut pas fixer lui-même les peines, et que c'est très bien ainsi.

Ensuite, je précise que c'est en toute indépendance que la justice est plus sévère aujourd'hui qu'elle ne l'était autrefois, en dépit de ce que certains racontent.

En réalité, monsieur le sénateur Benarroche, je ne comprends pas bien le sens de votre mécanisme de régulation carcérale. Je l'ai du reste dit tout à l'heure au sénateur Sueur, que je sais très attaché à la question des libertés individuelles.

En vérité, les acteurs judiciaires et la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) se réunissent déjà de manière régulière. Ils l'ont fait récemment à Bordeaux, mais aussi partout ailleurs.

La DAP joue son rôle en alertant sur l'existence d'un certain nombre de difficultés, celle notamment d'une surpopulation qui est évidemment anormale et préjudiciable à ce à quoi nous aspirons tous ici, c'est-à-dire des conditions de détention dignes. Tout le monde se souvient d'ailleurs que j'ai soutenu l'initiative du président François-Noël Buffet – je l'ai déjà dit ici.

Il est évident que nous souhaiterions tous faire disparaître la surpopulation carcérale. Cependant, permettez-moi de vous rappeler que, quand Nicole Belloubet a fait en sorte de libérer un certain nombre de détenus en fin de peine, à l'exclusion de certains condamnés pour des faits précis – vous vous souvenez tous de cette décision –, celle-ci a fait l'objet de vives critiques, alors même qu'il était question d'un véritable enjeu de santé publique.

Naturellement, j'ai soutenu la démarche de la garde des sceaux, à une époque où je n'étais pas moi-même membre du gouvernement.

Aujourd'hui, que proposez-vous, monsieur le sénateur ? De mettre dehors un certain nombre de détenus ? Bien, mais comment allez-vous faire ?

Vous avez utilisé une très jolie expression en parlant de « seuil de criticité ». C'est aussi un bel affichage qui s'apparente presque à un excès sémantique : que préconisez-vous que les acteurs de la chaîne pénale fassent une fois qu'ils se seront réunis ? Sans compter que, je le répète, ils se réunissent déjà.

Surtout, ne pensez pas que les magistrats de ce pays n'évoquent pas ces sujets : de toute évidence, ils en parlent ! De même que la DAP leur expose immanquablement la réalité : les matelas au sol et toutes les choses de cette nature.

Je signale en outre que les travaux d'intérêt général (TIG) sont une façon de penser la peine autrement que par la seule systématisation de la prison. Le TIG est parfaitement utile chaque fois que c'est possible – j'y insiste, car cette précaution n'est pas inutile : « Chaque fois que c'est possible. » Voilà la raison pour laquelle nous l'encourageons.

Le seul levier dont nous disposons aujourd'hui, selon moi, pour faire cesser la surpopulation carcérale consiste à construire de nouveaux établissements pénitentiaires. Par un mécanisme ou un syllogisme assez singulier, certains affirment que plus nous en construirons, plus ils seront remplis… Dans ce cas, autant ne rien faire et laisser les choses en l'état !

Un dernier mot, madame la rapporteure, sur l'artificialisation des sols : je tiens à vous dire que nous disposons de tous les terrains dont nous avons besoin. §N'ayez aucune inquiétude : il aura fallu beaucoup de temps, mais nous avons les terrains sur lesquels nous construirons de nouvelles prisons.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

On le voit bien, de cette discussion émergent deux visions très différentes : d'un côté, la vision exposée par Mme la rapporteure, qui insiste sur la nécessité d'une application plus systématique de peines de plus en plus lourdes, et qui ne s'intéresse qu'au milieu carcéral et à la construction de nouvelles prisons ; de l'autre, la vision du garde des sceaux qui n'est pas du tout la même – je l'ai bien compris –, puisqu'il promeut les TIG : je rappelle à cet égard que les débats autour de cette mesure ont soulevé de sérieuses difficultés ici même il y a encore peu de temps.

À partir du moment où il s'agit d'un rapport du ministère de la justice annexé au projet de loi et que vous proposez un certain nombre d'ouvertures, notamment l'exécution de mesures en milieu ouvert, les TIG et quelques autres solutions alternatives, il aurait été à la fois bienvenu et nécessaire, ne serait-ce que pour faire face à l'opportunisme, si je puis dire, de l'extrême droite, qui pourrait se saisir de ce prétexte, et à cette politique du « tout-carcéral » et de l'enfermement, qui n'est pas la vôtre, monsieur le garde des sceaux, mais qui est celle d'une majorité des membres de cette assemblée, de faire figurer d'autres leviers d'action – c'est de cela que je parle – dans le rapport annexé.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Je tiens à remercier M. Benarroche d'avoir déposé ces amendements : la surpopulation carcérale est un sujet qui me préoccupe énormément, tout comme il intéresse nombre de nos collègues, ainsi que beaucoup d'associations et d'organisations.

Sur un tel sujet, il n'est pas possible d'en rester au statu quo, car la question a investi l'espace public.

Nous devons par ailleurs nous féliciter des travaux d'anciens collègues sénateurs : je pense en particulier à Jean-René Lecerf ou à Jean-Jacques Hyest, qui ont conduit des réflexions et réalisé plusieurs travaux sur ce thème, en formulant un certain nombre de propositions.

J'ai du mal à entendre l'argument selon lequel on ne pourrait rien faire, faute de quoi le Rassemblement national se mettrait en colère.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

C'est pourtant vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Pardonnez-moi, monsieur le garde des sceaux, mais le combat contre le Rassemblement national se mène au niveau des idées, et non en évitant de faire ce qui le mettrait en colère ou en mouvement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Mme Éliane Assassi . Ce n'est pas possible de dire ce genre de choses !

Mmes Laurence Rossignol et Mélanie Vogel ainsi que M. Joël Bigot applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la rapporteure, je veux bien que l'on construise 15 000 places de prison supplémentaires, mais nos prisons accueillent déjà 13 000 détenus de trop, que l'on se contentera dès lors de transférer. En réalité, la surpopulation carcérale ne cessera pas si nous ne prenons pas des mesures drastiques permettant de revenir sur un certain nombre de choses : je pense en particulier aux peines alternatives.

Monsieur le garde des sceaux, il s'agit là d'un vrai enjeu de société ! §À partir des excellents travaux réalisés, notamment ici au Sénat, je propose que l'on dresse un état des lieux de la situation, afin d'avancer : on ne peut pas en rester, je le répète, au statu quo actuel sur un tel sujet.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Il n'y a pas de statu quo : nous construisons des prisons !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Monsieur le garde des sceaux, vous m'avez tendu une perche en évoquant l'artificialisation des sols. Je vais en effet parler – et je ne suis pas hors sujet en le faisant – d'un sujet qui nous tient à cœur, le « zéro artificialisation nette », le ZAN.

Quel lien y a-t-il entre ce texte essentiel et la question, elle-même d'une extrême importance, que je souhaite aborder ?

Vous l'avez dit : vous avez trouvé – et c'est tant mieux – des terrains pour construire de nouvelles prisons. De fait, j'aurai une question subsidiaire, mais primordiale : sur le quota de quel acteur public seront donc imputés les hectares artificialisés en vue de la construction de ces prisons ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Je vous interroge sur ce point, monsieur le garde des sceaux, mais ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas construire de nouveaux établissements pénitentiaires ! C'est un tout autre débat.

Est-ce l'État, puisque de tels projets relèvent de sa compétence, qui assumera cette artificialisation ? Sortira-t-il l'enveloppe foncière du quota qui sera imputé aux collectivités locales, sorte de quota de crise, somme toute assez limité quand on est appelé à construire des logements et à soutenir la réindustrialisation du pays.

Nous comptons sur vous, monsieur le garde des sceaux, pour convaincre votre collègue Christophe Béchu de raisonner, comme le Sénat le fait, avec sagesse et justesse.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Je suis quelque peu interloquée par notre discussion, et en particulier par vos réponses, monsieur le garde des sceaux et mesdames les rapporteures, car elles révèlent une vision assez binaire de la question.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Mais non !

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Les choses ne sont pas aussi simples que vous nous les présentez : nous ne vous disons pas que, parce qu'il ne faut pas forcément créer de nouvelles places de prison, il faudrait relâcher des détenus. Compte tenu de votre trajectoire personnelle et de votre expérience, monsieur le garde des sceaux, vous savez très bien que les choses sont plus complexes.

Ce n'est pas simplement en construisant des prisons que nous résoudrons le problème. Le cas de l'Allemagne en est la preuve : le fait que notre voisin ait une population supérieure à celle de notre pays, tout en disposant de moins de places de prison et en comptant moins de détenus, ne signifie pas pour autant qu'on y trouve davantage de délinquants.

Quand on observe les chiffres sur une durée de vingt ans, on constate qu'après chacune des hausses du nombre de places de prison on a assisté à l'augmentation du nombre de mises sous écrou. Les travaux menés au Canada à ce sujet sont très intéressants.

On dit souvent que les politiques publiques – je m'intéresse beaucoup à leur analyse – ne visent pas tant à résoudre les problèmes qu'à répondre à la manière dont l'opinion les perçoit.

Il me semble que, sur cette question, nous tombons complètement dans ce travers : on crée des places de prison et on affirme que la solution consiste à enfermer les gens, parce qu'il y aurait un sentiment d'insécurité dans l'opinion publique.

Personne ne peut nier qu'il faut améliorer la condition des détenus. Nous le savons tous. Moi-même élue du département de la Gironde, je suis alertée chaque semaine des conditions de détention au centre pénitentiaire de Gradignan. D'ailleurs, vous vous y êtes rendu, monsieur le garde des sceaux : vous connaissez la situation.

Nous savons très bien qu'il y a des problèmes et qu'il faut construire des établissements dignes de ce nom. Mais, s'il vous plaît, n'ayez pas une approche binaire et ne nous expliquez pas qu'il n'y a qu'une seule méthode et une seule réponse : ce résumé n'est pas fidèle aux travaux qui ont été menés.

Il convient d'être un peu plus fin et mesuré : le milieu ouvert et les autres peines alternatives sont tout aussi importants que la construction de nouvelles prisons.

Enfin, n'oublions pas – je réagis à la remarque d'Agnès Canayer – que les peines doivent certes être exécutées, mais qu'il n'y a aucune peine à appliquer aux 40 % de détenus en détention provisoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Monsieur le garde des sceaux, vous avez parlé d'une réponse pénale juste : j'ajouterai simplement qu'elle doit aussi être adaptée.

Nous avons tous ici visité des prisons et assisté à des séances de comparution immédiate au tribunal. Parfois, on se demande si les futurs détenus ont vraiment leur place en prison. On sait par exemple qu'un tiers des prévenus ne devraient pas être emprisonnés.

On devrait insister davantage sur la nécessité d'une éducation solide. Tout le monde n'a pas eu la chance que de bonnes fées se penchent sur son berceau. Certaines personnes naissent sous une mauvaise étoile, qui les guidera toute leur vie. Quelle société construire pour que ces individus soient pris en charge ? Il faut le faire, faute de quoi ils seront perdus à tout jamais, même ceux qui ont à peine plus de 20 ans.

Il faut leur donner accès à une éducation de qualité, avec des fondamentaux solides, et développer le secteur psychiatrique : certains détenus sont des patients, qui sont en prison, alors qu'ils n'ont rien à y faire.

Nous sommes tous catastrophés par la surpopulation carcérale, mais la prison est-elle vraiment toujours la bonne réponse ?

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 157 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 218

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ce programme doit se baser sur les besoins dûment recensés au travers d'une évaluation du nombre de personnes en demande de prise en charge psychiatrique.

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

J'en viens à un autre de nos sujets de préoccupation : nous demandons un rapport sur les aménagements de peine en fonction des pathologies des détenus.

Nous saluons évidemment les prémices du développement des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), mais nous regrettons, tout comme le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'en alarmait, que l'« on assiste à un déplacement de l'hôpital psychiatrique vers la prison ».

Depuis une vingtaine d'années, différentes études ont été menées par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) en matière de santé mentale en prison.

On a dressé à l'époque un constat assez alarmant, à savoir qu'un quart des détenus souffrent de troubles psychiatriques. Aujourd'hui, au moment où je vous parle, un suivi psychiatrique est préconisé pour la moitié des entrants en prison. Un sur deux !

Nous avons salué la création de nouvelles UHSA, mais nous souhaitons pouvoir en étudier le déploiement, pour nous assurer qu'il se fait bien à partir de besoins dûment recensés, au travers d'une évaluation du nombre de personnes en demande de prise en charge psychiatrique.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

La commission est favorable à cet amendement.

Je tiens à souligner l'importance de cette évaluation préalable pour déterminer les moyens réels, en développement et en construction, nécessaires à la prise en charge de détenus souffrant de difficultés psychiatriques. Il s'agit d'un véritable enjeu – on parlait tout à l'heure des difficultés carcérales – : on sait que, pour certains détenus, l'enfermement s'ajoute à la maladie psychiatrique.

Il est nécessaire de prendre ces personnes en charge dans des unités aménagées, spécialement conçues à cet effet. C'est pourquoi nous pensons qu'il est vraiment bienvenu de mener une évaluation préalable, qui permettra de cibler les moyens sur les espaces et les lieux les plus adaptés.

Pour terminer, je souhaite à répondre à ce qu'a dit Mme de La Gontrie tout à l'heure : si nous retenons cet amendement, c'est parce qu'il est en phase avec une politique sur laquelle le Gouvernement s'est engagé, à savoir le développement des UHSA, et qu'il est donc conforme à la feuille de route que nous avons détaillée.

Il n'est pas nécessaire que le Gouvernement y soit favorable pour que cette mesure figure dans le rapport annexé au projet de loi.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie se montre dubitative.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Je partage totalement avec vous la nécessité de renforcer la prise en charge psychiatrique des détenus.

Nous avons déjà une idée assez précise des besoins, pour les recenser et les analyser finement.

Je dois également vous dire que nous avons récemment lancé deux études en santé mentale.

La première étude est l'œuvre de la Fédération de recherche en psychiatrie et santé mentale : elle précise, dans un rapport de décembre 2022, que les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes sortant de prison ont au moins un trouble psychiatrique ou lié à l'usage de stupéfiants.

La seconde est en cours et s'achèvera en 2024 : elle vise également à évaluer la santé mentale des personnes incarcérées en maison d'arrêt.

Avec François Braun, mon collègue ministre de la santé, je travaille pour adapter au mieux les besoins en moyens en matière de prise en charge psychiatrique des détenus.

C'est sur ce fondement que trois nouvelles UHSA seront prochainement construites en Île-de-France, en Normandie et en Occitanie, et que les établissements publics de santé mentale seront sécurisés, particulièrement en outre-mer.

Vous demandez une expertise, monsieur le sénateur, parce que vous souhaitez en savoir davantage : je le comprends, et votre requête est parfaitement légitime, mais une telle étude est déjà en cours.

Votre amendement étant, me semble-t-il, satisfait, je vous en demande le retrait.

Je n'entends pas abuser de mon temps de parole, mais je souhaite profiter de l'occasion pour répondre à Mme la sénatrice Françoise Gatel.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En premier lieu, sachez qu'en évoquant tout à l'heure l'artificialisation des sols j'adressais un petit clin d'œil à Mme la rapporteure Canayer.

Mme le rapporteur sourit.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

En second lieu, je peux vous assurer que les prisons sont incluses dans les grands projets d'envergure – c'est une formule que vous connaissez –, dont les surfaces artificialisées ne sont pas comptabilisées au niveau de la commune, mais au niveau national, conformément aux engagements qui ont été pris par le Gouvernement devant l'Association des maires de France.

Mme Françoise Gatel manifeste son scepticisme.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

J'ajoute, même si vous le savez sans doute déjà, que je travaille en parfaite intelligence avec le ministre Christophe Béchu.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 152, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 235

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

On en revient à la question du numérique, mais cette fois-ci sous l'angle de son développement dans les prisons.

Nous pensons que, telle qu'elle est exprimée dans la feuille de route, sans autre précision, la généralisation du numérique pourrait nuire à la réinsertion et à la qualité des relations sociales, notamment celles que nouent les surveillants pénitentiaires avec les détenus.

En cherchant à déployer le numérique en détention, notamment à travers la réservation des parloirs par voie informatique ou la mise en place d'un certain nombre de formations par visioconférence, et même si cela peut ne pas paraître totalement absurde en soi, on contribue à diminuer les contacts humains et à isoler des populations vulnérables – nous sommes en milieu carcéral.

Les personnes vulnérables, qui n'ont pas la possibilité d'utiliser l'outil informatique, sont d'ailleurs plus nombreuses en prison qu'en dehors de celles-ci, de par la composition sociologique des détenus.

En raison du développement des outils informatiques en milieu carcéral, l'intervention des surveillants pénitentiaires se fera plus rare, mais progressivement de plus en plus conflictuelle.

Aujourd'hui, ces surveillants jouent un rôle bien différent : nous craignons que la généralisation du « tout-numérique » à l'intérieur des prisons n'entraîne inéluctablement une réduction des interactions entre personnels pénitentiaires et prisonniers. Ces échanges ne seront plus naturels et ne prendront plus que la forme de conflits.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Vous proposez de supprimer toute la politique de numérisation des services pénitentiaires.

Or, mon cher collègue, les caméras-piétons et toute la modernisation des services d'information sont très attendus par les personnels pénitentiaires, comme par les détenus eux-mêmes, qui y voient une garantie de leur sécurité à l'intérieur des établissements pénitentiaires.

Par ailleurs, pour les familles des personnes détenues, pouvoir réserver un parloir à distance constitue une avancée.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

La suppression de toute numérisation des services pénitentiaires ne constitue ni une bonne réponse ni une bonne solution à envisager.

Avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Monsieur le sénateur, au fond, vous nous dites que plus de numérique, c'est moins d'humain.

En réalité, cette position est assez paradoxale parce que, tout à l'heure, vous vous inquiétiez du sort de ceux qui n'ont pas forcément accès à l'informatique, soit qu'ils n'aient pas d'ordinateur, soit qu'ils n'aient pas la possibilité d'aller davantage vers le numérique.

Permettez-moi de vous dire tout d'abord que le numérique en détention réduit la fracture numérique. Ensuite, je rappelle que non seulement 70 % des visiteurs utilisent aujourd'hui le mode de réservation en ligne, mais qu'ils en sont très satisfaits. Il n'y a en effet rien de plus simple que de réserver une date et un horaire de parloir.

À l'inverse de vos propos, je distingue d'autres fonctionnalités utiles, qui seront bientôt mises en œuvre à la maison d'arrêt de Dijon et au centre de détention de Melun.

Je vais vous les présenter brièvement.

Je pense d'abord à la possibilité pour les détenus de bénéficier d'un enseignement en ligne, ce qui n'est tout de même pas si mal, du moins selon moi.

Sachez aussi que les détenus auront la possibilité d'obtenir des réponses à leurs demandes de la part de l'administration – ce n'est pas mal non plus.

Autre avancée, la possibilité pour les personnes incarcérées d'acheter des produits de la vie courante – ce que l'on appelle la « cantine » – de manière beaucoup plus rapide.

Le numérique en détention n'a pas vocation à supprimer les liens entre le personnel pénitentiaire et les personnes détenues, bien au contraire. D'après moi, le fait d'obtenir une réponse plus rapide de l'administration, de disposer plus rapidement d'un tube de dentifrice et de ne plus avoir de problème pour obtenir un rendez-vous avec sa famille au parloir favorise la mise en place de relations apaisées.

Par conséquent, monsieur le sénateur, je suis défavorable à votre amendement, bien qu'il parte, je le sais, d'un très bon sentiment.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Ce sont les détenus eux-mêmes qui demandent un meilleur accès au numérique. Cet accès est surtout un moyen pour eux de préparer leur réinsertion.

En prison, les personnes se plaignent de leur éloignement du numérique ; ils nous disent tous que plus ils y auront accès, mieux cela vaudra.

Si l'on se doit d'être extrêmement prudent pour ce qui est de l'accès des enfants au numérique – vous connaissez mon combat personnel contre les écrans –, ce dont la Suède est en train de se convaincre puisqu'elle revient sur la généralisation des ressources numériques chez les petits enfants et à l'école primaire, il faut en revanche penser le déploiement du numérique en prison.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 205, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 266

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il convient de réformer en entièreté les décrets dits Magendie.

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

La nécessité de réformer les décrets Magendie a fait consensus lors des États généraux de la justice.

S'agissant des avocats, tant le Conseil national des barreaux (CNB) que la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris réclament une réforme, voire, pour certains, une abrogation des décrets.

Notre groupe a décidé de se faire le relais de cette prise de position à travers un amendement que je qualifierai bien évidemment, puisque nous débattons de décrets, « d'appel ».

Le décret Magendie, malgré les objectifs de célérité et d'efficacité de la procédure d'appel qu'il cherchait à atteindre, a créé plusieurs problèmes et accentué les délais de traitement des affaires, notamment en provoquant un engorgement des affaires en cours, ce qui a engendré une accumulation des dossiers en attente.

Le délai impératif imposé par ce décret, sanctionné par la caducité de la déclaration d'appel ou l'irrecevabilité des conclusions, a contribué à cette situation.

La charge de travail des magistrats et des greffes s'est alourdie. Ils doivent désormais veiller au respect d'une multitude de délais, demander de justifier de significations et organiser de nombreuses audiences d'incident et de de déféré.

Cette surcharge de travail a eu des conséquences non négligeables sur la qualité des décisions rendues, en l'occurrence une dégradation de celles-ci.

Les avocats ont également été affectés par ces réformes : ils doivent travailler dans des délais courts, en se jouant à la fois des contraintes liées au manque de ressources et de délais stricts, assortis de sanctions rigoureuses.

Cette précipitation peut nuire à la qualité de leur travail et réduire leur capacité à se préparer correctement.

Notre amendement vise à concrétiser la réforme de ces décrets, afin de contribuer à l'amélioration de la procédure d'appel : nous souhaitons réduire les délais trop restreints, alléger la charge de travail des magistrats et des avocats et garantir ainsi des décisions de meilleure qualité.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Nous partageons tout à fait votre constat, madame la sénatrice, et nous reconnaissons la nécessité de réviser ces décrets Magendie.

Comme vous l'avez expliqué, il existe un consensus sur le sujet. Le garde des sceaux s'est du reste engagé à procéder à cette révision.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

On nous avait promis la parution d'un certain nombre de projets de décret avant l'examen de ce projet de loi. L'un d'entre eux nous est parvenu à midi, ce qui laisse penser qu'un premier décret est sur le point d'être publié.

Monsieur le garde des sceaux, peut-être pourrez-vous nous dire quand le projet de décret sera adopté ?

Quoi qu'il en soit, je demande le retrait de cet amendement, car j'estime qu'il est satisfait. À défaut, j'y serai défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Madame la sénatrice, preuve est faite que nous avons été vraiment attentifs à ce que nous racontait l'écosystème.

Les avocats ne voulaient plus du décret Magendie pour tout un tas de raisons.

D'abord, ils avaient le sentiment qu'il avait créé un certain nombre de chausse-trapes, si j'ose dire, qui constituaient une entrave à la procédure. Les magistrats l'ont en outre accusé d'un certain nombre de maux.

Vous l'avez rappelé tout à l'heure, il fallait faire bouger le décret Magendie à l'unisson, le modifier, ce que nous sommes en train de faire. Vous aurez naturellement connaissance du calendrier de cette révision dans le détail.

Le CNB a travaillé à ces modifications avec la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), de même que la Conférence nationale des premiers présidents a bien sûr été consultée, ce qui est logique.

La réflexion est en cours et le contenu du décret sera très prochainement modifié.

Dès lors qu'il s'agit d'un décret, je vous demande de retirer votre amendement, madame la sénatrice ; à défaut, je me verrai dans l'obligation d'y être défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Je suis donc saisi d'un amendement n° 205 rectifié, présenté par Mme Marie-Pierre de La Gontrie, et dont le libellé est strictement identique à celui de l'amendement n° 205.

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Si j'ai repris cet amendement, c'est que quelque chose m'a m'échappé quant au calendrier du garde des sceaux.

Le 25 novembre 2022, vous indiquiez lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris que, la semaine suivante, vous présenteriez une réforme de l'ordre de la procédure civile et de la procédure pénale, notamment celle du décret Magendie.

L'autre jour, je vous ai vu à la télévision… D'ailleurs, il faut que je vous dise, monsieur le garde des sceaux, que je suis tellement contente de vous voir que, parfois, je vous regarde à la télévision, même quand vous vous exprimez à l'Assemblée nationale !

Rires.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Enfin une remarque sympathique !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . Nous allons compter ensemble, comme vous l'avez fait au cours des débats sur la constitutionnalisation du droit à l''IVG : de novembre à juin, cela fait sept mois.

M. le garde des sceaux lève les yeux au ciel.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

C'est pourquoi je me suis permis de reprendre l'amendement : quand vous annoncez une mesure, cette dernière n'est pas toujours exactement mise en œuvre dans le délai indiqué.

Dans le cas d'espèce, vous aviez promis de nous transmettre le nouveau décret ; or ce n'est pas le cas…

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Mais ce n'est pas de ces décrets que j'ai parlé !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

D'abord, sachez que je suis ravi d'apprendre que vous me suivez à la télévision, et que vous le faites par plaisir.

Rires.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ah ! Madame la sénatrice, vous allez me faire rosir…

Mêmes mouvements.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Pour le reste, je n'ai aucun souvenir d'avoir évoqué la finalisation de ces décrets la semaine suivant le 25 novembre 2022. Laissez-moi quelques instants pour vérifier ce point

M. le garde des sceaux relit ses notes.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Comment voulez-vous que je modifie le décret Magendie la nuit pendant que vous regardez la télé ?

Nouveaux rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 205 rectifié est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 276, présenté par Mme Canayer, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéas 298 à 303

Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :

Ce travail nécessaire, réclamé par l'ensemble des acteurs et observateurs du monde judiciaire, comporte deux aspects indissociables qui doivent être conduits conjointement : d'une part, une clarification des dispositions existantes du code et la refonte de son plan et, d'autre part, la simplification des procédures.

Cette simplification doit permettre leur sécurisation juridique, la recherche d'une plus grande efficacité, l'allégement de contraintes formelles pesant sur les acteurs, le respect des garanties des droits de la défense et la réduction des délais de jugement.

Un comité scientifique composé de professionnels du droit de tous horizons (magistrats, personnels de greffe, avocats, professeurs de droit, représentants des services d'enquête...) sera chargé de formuler les propositions de clarification du code de procédure pénale qui serviront de base à l'ordonnance de recodification à droit constant prévue par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice. Il débutera ses travaux courant 2023.

Ce comité formulera par ailleurs des propositions de simplification répondant aux objectifs fixés ci-dessus.

Un comité composé de parlementaires représentant tous les groupes politiques des deux assemblées sera chargé d'assurer le suivi de ces travaux. Lui seront présentés tous les trois mois l'état de leur avancement et les propositions de clarification et de simplification préconisées par le comité scientifique.

2.4.3.2. De nouvelles mesures de procédure pénale limitées et cohérentes

Dans l'attente des conclusions des travaux de clarification et de simplification de la procédure pénale, les nouvelles dispositions dans ce domaine seront limitées afin d'assurer la plus grande stabilité pour les praticiens et citoyens.

La parole est à Mme le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Si la réécriture des décrets Magendie est un travail complexe, la simplification du code de procédure pénale l'est tout autant. Nous aborderons lors de l'examen de l'article 2 la question de l'habilitation pour réécrire à droit constant la partie législative de ce code.

Toutefois, nous avons souhaité inscrire dans le rapport annexé une méthode pour engager dans sa feuille de route le Gouvernement sur la voie de cette véritable simplification des procédures pénales : cette dernière devra se faire en parallèle de la clarification du code de procédure pénale préalable à l'ordonnance de recodification, pour laquelle le Gouvernement sollicite une habilitation.

Cette simplification doit permettre la sécurisation juridique, la recherche d'une plus grande efficacité, l'allégement du poids des contraintes formelles, le respect des garanties des droits de la défense et la réduction des délais de jugement.

Un comité scientifique composé de professionnels du droit de tous horizons sera chargé de formuler des propositions de clarification du code qui serviront de base à cette ordonnance de recodification à droit constant prévue à l'article 2, qui lui-même vise à engager la simplification attendue.

En effet, le comité devra, en parallèle et après ce travail de clarification, proposer des simplifications attendues de tous ; un autre comité composé de parlementaires, représentant tous les groupes politiques des deux assemblées, sera chargé d'assurer le suivi des travaux qui lui seront présentés tous les trois mois pour que l'objectif puisse véritablement être atteint.

En parallèle, nous souhaitons que les travaux de réforme du code de procédure pénale pendant cette période soient limités pour assurer une stabilité attendue par tous les acteurs du monde de la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 159, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 299

Insérer un alinéa ainsi rédigé

Dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement faisant le bilan de l'utilisation des comparutions immédiates. Ce rapport analyse plus largement les types de peines prononcées, les recours aux peines alternatives à la prison, les taux de recours.

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

L'objet de cet amendement n'a absolument rien à voir avec celui de l'amendement précédent, bien qu'ils fassent tous deux l'objet d'une discussion commune : il vise à demander la remise d'un rapport au Parlement pour dresser le bilan de l'utilisation de la comparution immédiate.

Il est indéniable que le développement des audiences en comparution immédiate s'est fondé sur une réflexion – bienvenue – relative au temps judiciaire, mais elle ne s'est pas attardée du tout sur les conséquences en matière d'incarcération. Dans un certain nombre d'avis qu'ils ont émis, certains organismes, par exemple l'Observatoire international des prisons (OIP), indiquent que le développement de procédures de jugement rapide, en particulier la comparution immédiate, est pourvoyeur dans l'immédiat d'un plus grand nombre d'incarcérations et aboutit à un taux plus important de peines de prison ferme et à des peines plus longues.

Pour l'instant, rien ne démontre si c'est le cas ou non. En revanche, ce qui est certain, c'est qu'il y aurait un rapport mécanique entre la multiplication des procédures de comparution immédiate et la hausse du nombre de personnes incarcérées.

Comme nous cherchons à résoudre le problème de la « surincarcération » avec de nombreuses solutions, dont la création de places de prison supplémentaires, il ne serait pas inutile de faire une étude sur les rapports directs entre, d'une part, les procédures rapides, dont la comparution immédiate, et, d'autre part, le nombre d'incarcérations, la longueur et le type des peines prononcées.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

L'avis sera défavorable : s'agissant d'une demande de rapport, notre position est constante.

De plus, la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) publie chaque année des rapports de politique pénale, remis par les procureurs généraux et par les procureurs de la République. Le rapport annuel du ministère public répond à la demande des auteurs de l'amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

S'agissant de l'amendement qu'a défendu Mme la rapporteure, je trouve qu'il est excellent. J'y suis naturellement favorable parce qu'il permet tout simplement de préciser les choses.

J'ai toujours affirmé que la méthode que nous choisissions pour clarifier un certain nombre de règles était essentielle. Je pense à tous ces articles – il y en a une centaine dans le code de procédure pénale – qui renvoient à d'autres articles qui renvoient à d'autres articles et à d'autres articles…

Il ne s'agit évidemment pas de toucher au sens ni aux équilibres : nous légiférerons à droit constant. Un certain nombre de contrôles existent déjà, je les ai rappelés tout à l'heure. Voilà ce qui sera de nature à rassurer, une nouvelle fois, le Sénat, qui est légitimement soucieux sur ces questions. J'ai en mémoire cette vieille publicité : « La confiance n'exclut pas le contrôle »…

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Et pierre qui roule n'amasse pas mousse…

Sourires.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Ce n'est pas moi qui ai commencé, monsieur le sénateur.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

J'ai fini : je sais terminer un propos.

S'agissant de l'autre amendement, j'y suis défavorable, vous l'imaginiez sans doute.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Au sujet de l'amendement défendu par la rapporteure concernant l'organisation des travaux de recodification du code de procédure pénale, ce qui est important – j'espère que c'est bien comme cela qu'il faut entendre le propos tenu à l'instant par le garde des sceaux – c'est la phrase : « Lui seront présentés tous les trois mois l'état de leur avancement et les propositions de clarification et de simplification […]. »

Nous aurons largement l'occasion de débattre tout à l'heure lors de l'examen de l'article 2 de la question de l'habilitation donnée au Gouvernement de recodifier par ordonnance. « La confiance n'exclut pas le contrôle » ? Je ne sais pas s'il y a confiance, mais nous aurons donc l'occasion à l'article 2 de démontrer que nous souhaitons un contrôle – je ne me prononce pas sur la question de la confiance.

Nous sommes favorables à cet amendement, mais nous souhaitons qu'il se traduise effectivement par des engagements forts de la part du Gouvernement afin de respecter l'ensemble des dispositions qui y sont prévues.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

En conséquence, l'amendement n° 159 n'a plus d'objet.

L'amendement n° 158, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 304

Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :

Il est institué dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, un comité d'évaluation de l'inflation des normes pénales.

Ce comité comprend deux députés et deux sénateurs, respectivement désignés par le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat.

Sa composition, ses missions et ses modalités de fonctionnement sont précisées par décret.

Il établit un rapport public au plus tard dans les dix-huit mois suivant l'entrée en vigueur de la présente loi. Ce rapport établit un constat précis de l'inflation pénale, de ses conséquences et formule des préconisations visant à améliorer la construction normative dans sa qualité et dans sa quantité.

Il formule aussi des évaluations et prévisions liées à de possibles dépénalisations.

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

J'ai eu le plaisir, il y a quelques mois, de travailler avec Mme la rapporteure Agnès Canayer dans le cadre du comité d'évaluation des cours criminelles départementales. Ce comité, mis en place par le Sénat, a permis d'avoir, sur un sujet important, un dialogue, une réflexion et des échanges sur un temps long avec une diversité d'acteurs impliqués. Ce temps de réflexion a permis d'établir des constats circonstanciés, de formuler des propositions et de tracer des pistes d'amélioration faisant consensus. Ce comité d'évaluation a donc eu des résultats positifs.

Au travers de cet amendement, nous proposons d'instituer un autre comité d'évaluation, chargé quant à lui de l'évaluation de l'inflation des normes pénales et de ses effets.

Sa composition serait fixée par décret, étant entendu qu'il comprendrait des parlementaires.

Il nous semble important, pour les raisons que nous avons développées au sujet du numérique et en cohérence avec les solutions en milieu ouvert que nous proposons, d'arriver à un moment donné à étudier correctement la possibilité de certaines dépénalisations. On travaille, on réfléchit – j'ai eu l'occasion, monsieur le garde des sceaux, de m'en entretenir avec vous – à des propositions en ce sens.

Après une évaluation de ce qui pourrait être dépénalisé et au vu des conséquences des pénalisations à outrance qui sont l'objet de plusieurs projets ou de propositions de loi qui ont été votés ces derniers temps, cette piste nous paraît pouvoir faire avancer d'une manière consensuelle tous les acteurs et l'écosystème, pour reprendre le mot que vous avez employé tout à l'heure, monsieur le garde des sceaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

En effet, monsieur Benarroche, nous aimons les comités d'évaluation parce que nous aimons l'évaluation des politiques publiques pour avoir une vision de la réalité de leur déploiement.

Votre idée, pensons-nous, est d'autant plus bienvenue qu'elle correspond exactement à ce que nous proposions au travers de l'amendement que nous venons d'adopter. En effet, puisqu'il y aura de toute façon un comité scientifique et un comité parlementaire de suivi, nous évaluerons naturellement l'inflation des normes en matière pénale. Votre amendement est donc redondant. C'est pourquoi je vous propose son retrait ; à défaut, l'avis sera défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. On a un Parlement démocratiquement élu qui dispose de tous les pouvoirs pour vérifier s'il y a inflation normative ou non. Personnellement, je refuse cet effacement du Parlement au profit d'instances sans légitimité et qui doublonneront avec l'action du Parlement sans aucune plus-value. Avis défavorable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie simule le geste d'un violoniste – Mme Laurence Rossignol rit.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

La légitimité du comité d'évaluation proviendrait d'un vote du Parlement : le premier serait donc tout aussi légitime que le second. Toutefois, je fais tout à fait confiance à la rapporteure : si dans l'amendement qui a été voté à l'instant figure effectivement la création d'un comité de suivi et d'évaluation, c'est parfait. Je retire mon amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 158 est retiré.

L'amendement n° 146, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

I – Alinéa 310, deuxième phrase

Supprimer cette phrase.

II. – Après l'alinéa 310

Insérer sept alinéas ainsi rédigés :

Le Gouvernement s'engage à mener une politique de déflation carcérale, qui prenne en compte les différents facteurs de l'inflation pénale et replace la privation de liberté en tant que « peine de dernier recours ».

Une telle politique implique :

- la dépénalisation de certains types de délits, en confiant leur prise en charge à des autorités administratives sanitaires (comme la consommation de stupéfiants) ;

- la limitation des possibilités de recours à la détention provisoire dès le placement initial, et la réduction de sa durée ;

- une stricte limitation du champ d'application des procédures de jugement rapide ;

- une meilleure prise en compte du principe de l'individualisation des peines ;

- une révision de l'échelle des peines qui allie réduction du recours aux longues peines et remplacement des courtes peines de prison par des mesures non carcérales, en particulier par des mesures de probation en milieu ouvert.

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Parmi les facteurs concourant à une augmentation massive de la population carcérale – je m'excuse d'être aussi monomaniaque – figurent les orientations de politique pénale de plus en plus répressives, comme je viens de l'indiquer, et le phénomène d'inflation pénale avec la pénalisation d'un nombre important de comportements du fait de la création de nouveaux délits systématiquement assortis de peines d'emprisonnement ou du fait de l'aggravation de peines d'emprisonnement qui existent déjà.

Ces derniers mois, plus d'une dizaine de textes de loi pénalisant de nouveaux comportements et durcissant les peines encourues ont été présentés et discutés au Parlement. Cette politique contribue à banaliser l'incarcération, comme si elle était la seule solution, alors que cette peine devrait être réservée aux délits et aux crimes les plus graves.

La politique du « tout-carcéral » a montré ses limites ; je ne redonnerai pas les chiffres concernant la surpopulation, dont nous parlions. Notre groupe milite pour une meilleure individualisation des peines et pour une réponse pénale graduée, en évitant le plus possible l'incarcération en cas de courtes peines et en privilégiant pour ces dernières des mesures non carcérales, notamment par des mesures de probation en milieu ouvert.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Nous n'avons pas du tout la même vision sur les moyens de limiter la surpopulation carcérale – nous en avons déjà débattu – et a fortiori sur la dépénalisation de certains délits comme la consommation de stupéfiants, qui pour nous n'est pas un bon moyen de régulation et n'est donc pas acceptable. L'avis est défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Monsieur le sénateur Benarroche, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice tend à favoriser les alternatives à l'incarcération. D'un taux d'aménagement qui était ab initio de 3 %, elle a permis de passer désormais à 16 %. On a favorisé le développement du travail d'intérêt général avec une plateforme, TIG 360°, à laquelle les avocats ont accès, de même que les magistrats. J'ai connu l'époque où ces derniers prononçaient un TIG sans savoir s'il y en avait un de disponible.

Des TIG sont spécialement prévus pour ceux qui travaillent déjà, avec des aménagements possibles le week-end ; d'autres prennent en considération la mobilité de celui qui vient d'être condamné. Pourtant, je l'ai dit, ces travaux sont de moins en moins utilisés. Je demande dans toutes les circulaires que je prends qu'ils le soient davantage en précisant toujours – la précision est importante, évidemment – chaque fois que cela est possible.

Dans le cadre de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, loi que j'ai défendue, j'ai créé la libération sous contrainte de plein droit pour limiter les sorties sèches de prison.

Vous parlez de limiter les possibilités de recours à la détention provisoire. Les dernières lois que je viens d'évoquer et l'article 3 du présent projet, que nous aborderons dans un instant, comportent des dispositions qui vont dans ce sens puisque nous souhaitons développer l'assignation à résidence sous surveillance électronique.

Dans la dernière circulaire de politique pénale que j'ai prise, le 20 septembre 2022, j'ai demandé que l'ensemble – je dis bien « l'ensemble » – de ces mécanismes soient totalement investis pour qu'ils puissent véritablement porter leurs fruits.

Je ne voulais pas aller au-delà : je suis radicalement opposé à la dépénalisation de la consommation de produits stupéfiants. C'est un très long débat que nous avons déjà eu tous les deux, mais il mériterait ici de longs, de très longs développements. Des événements et affaires récents me confortent dans cette idée. Je suis donc évidemment défavorable à votre amendement, monsieur le sénateur.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 240, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :

Alinéa 317, première phrase

Après le mot :

intrafamiliales

insérer les mots :

, opérationnels au plus tard au 1er janvier 2024,

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Debut de section - PermalienPhoto de Mélanie Vogel

C'est un amendement vraiment très gentil… Il a pour objet les pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences familiales. Comme cela a été souligné tout à l'heure, l'idée n'est pas la révolution du siècle, néanmoins elle va dans la bonne direction.

Cela dit, il y a quelque chose qui est un peu gênant dans le projet qui nous est présenté : même si les pôles ne sont pas suffisants – l'amendement suivant me laissera l'opportunité de dérouler ce que je pense pouvoir être fait au-delà – il n'y a pas de date pour leur entrée en vigueur. C'est pourquoi je propose de les rendre opérationnels au 1er janvier 2024 au plus tard.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Cet amendement, d'après ce que j'ai compris, correspond à la volonté du Gouvernement. La commission émet donc un avis favorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Le Gouvernement émet un avis de sagesse bienveillante. Nous avons tous évidemment envie que ces pôles se mettent en place au plus vite parce qu'ils sont susceptibles d'apporter de véritables améliorations.

Je le répète : l'idée m'a été présentée dans le cadre d'un rapport qui mérite toute notre admiration parce qu'il est complet et a été précédé d'un grand nombre d'auditions.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie simule à nouveau le geste du violoniste.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Je partage donc votre avis, madame la sénatrice Vogel : je souhaite moi aussi que les pôles soient mis en place le plus vite possible, même s'il faut d'abord recruter et former, ce qui prend un peu de temps. Je m'engage à ce que les textes soient présentés rapidement devant le Parlement et j'espère que nous obtiendrons une approbation massive, voire unanime, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 241, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 321

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Dans la continuité de la volonté de mieux coordonner et d'accélérer les démarches, des centres d'aide aux victimes de violences intrafamiliales seront expérimentés dans sept départements, dont deux d'outre-mer permettant à toute victime d'effectuer les premières démarches juridiques, médicales et administratives et garantissant, le cas échéant, une protection aux victimes, co-victimes et témoins. À ces fins, ces centres permettront de déposer plainte, de demander une ordonnance de protection et de réaliser un examen médical. Par ailleurs, le centre d'aide propose un accompagnement psychologique aux victimes et, le cas échéant, aux co-victimes et témoins. Si la victime demande une ordonnance de protection, elle se voit automatiquement proposer une place d'hébergement d'urgence.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Debut de section - PermalienPhoto de Mélanie Vogel

Comme vous, monsieur le garde des sceaux, je me suis rendue en Espagne pour visiter une des juridictions spécialisées qui ont été mises en place afin de protéger les victimes de violences fondées sur le genre. Personnellement, je suis convaincue par cet outil, pour diverses raisons.

Un de leurs avantages est qu'elles comprennent des magistrats et des avocats qui sont formés aux violences de genre, ce qui permet de mieux traiter ces questions, de mieux comprendre quelles en sont les logiques et de mieux traiter et sanctionner les crimes.

Autre avantage, outre cette logique des pôles qu'on retrouve dans votre projet, c'est l'existence d'un vrai guichet unique, qui permet de regrouper au même endroit des magistrats, des avocats, mais aussi des travailleurs sociaux, des assistants sociaux et des psychologues. Cela permet d'éviter d'avoir à faire l'ensemble des démarches séparément : aller à la police, puis aller au tribunal, puis aller chez l'assistante sociale, puis tenter de trouver un logement, puis essayer de savoir si on a droit à une aide, etc. Là, tout se passe au même endroit, l'ensemble des professionnels se parlent, traitent à la fois des victimes directes et des enfants, dans un processus spécialisé qui permet que les enfants n'aient pas à éventuellement témoigner plusieurs fois devant le père violent.

C'est ce que je propose dans cet amendement : s'inspirer réellement du modèle espagnol au-delà des simples pôles, créer un véritable guichet unique qui rassemble l'ensemble des professionnels formés et qui permette que les victimes soient réellement mieux prises en charge.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Votre amendement, tel que j'en perçois le sens, présente, me semble-t-il, une ambition un peu plus réduite et – j'allais vous dire – satisfaite puisque nous avons en France les Maisons des femmes. Celle qu'a montée Ghada Hatem dans le 93 est à cet égard formidable ; elle a déjà commencé à essaimer et doit continuer à le faire. En effet, j'ai entendu la Première ministre le 8 mars dernier annoncer qu'il y en aurait une par département, où l'on pourra porter plainte directement, collecter les preuves et recevoir une assistance psychologique.

Elles ne relèvent pas du tribunal spécialisé tel que vous avez pu le voir en Espagne et tel que je l'ai vu moi-même à Madrid. Toutefois, je pense qu'il vous a aussi été expliqué dans la capitale espagnole que le tribunal en question était une réalité dans les grandes villes, mais, dès qu'il s'agissait de juridictions plus réduites, que le principe était celui des pôles spécialisés que nous proposons.

De fait, en France, 50 % des féminicides ont lieu en milieu rural, donc plutôt dans de petites juridictions, d'où notre choix d'aller vers les pôles spécialisés, ce qui n'empêchera pas à terme, pourquoi pas, d'aller vers une intégration de ces différentes entités. Pour l'instant, faisons avec les moyens du bord pour aller vite et agir tout de suite.

Nous demandons donc le retrait de l'amendement parce qu'il est satisfait par la proposition d'avoir une Maison des femmes dans chaque département. À défaut, l'avis sera défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Les unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (Uaped) sont des lieux qui regroupent médecins, psychologues et forces de sécurité intérieure pour entendre les enfants au travers de dispositifs extrêmement ingénieux et pour que les intéressés se sentent le moins mal possible. On en trouve une par département.

Dans cet esprit, vous avez rappelé, madame la rapporteure, les déclarations qui ont été faites au sujet des Maisons des femmes par Mme la Première ministre. Nous étions ensemble, d'ailleurs, à Bobigny. Ayant été reçus à la Maison présente dans cette ville, nous avons pu constater à quel point la structure était utile pour toutes les raisons que vous avez rappelées dans votre intervention, madame Vogel. J'ai moi-même signé au mois de mai dernier une convention nationale interministérielle à Bobigny, justement ; nous avons signé avec le réseau Maisons des femmes pour promouvoir ces structures pluridisciplinaires.

Aussi, je pense que votre amendement est satisfait et je vous invite, madame la sénatrice, à le retirer. À défaut, l'avis sera défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La proposition de Mélanie Vogel n'est pas contradictoire avec l'existence de ces Maisons des femmes ; je ne suis pas sûre qu'il s'agisse exactement de la même chose, ce que vous savez bien, madame la rapporteure.

Tout d'abord, les Maisons des femmes sont en cours de déploiement : on est loin d'en compter une par département. En outre, elles s'appuient le plus souvent sur des structures hospitalières, cependant que les centres d'aide aux victimes de violences intrafamiliales que Mélanie Vogel propose d'expérimenter ne seront pas systématiquement en lien avec des structures médicalisés.

Un petit détail sur lequel personne n'a rebondi est le fait que, dans ces centres, les femmes se verraient automatiquement proposer une place d'hébergement d'urgence. À ma connaissance, ce n'est pas encore une des fonctions qui ont été attribuées aux Maisons des femmes.

Pour bien connaître la première d'entre elles et parce que je suis quelque peu le développement de quelques-unes, je peux témoigner que ces Maisons ne seront pas toutes pareilles et duplicables à l'identique.

Avoir deux types de structures me paraît donc être plutôt une bonne chose parce qu'il y a des départements dans lesquels l'offre de soins ne permettra pas d'adosser une Maison des femmes telle qu'on les connaît.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 160, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 329

1° Deuxième phrase

Après le mot :

détention

insérer les mots :

ainsi que vers une juste rémunération et création du statut de détenu travailleur

2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La réflexion de la rénovation du cadre normatif devra prendre en compte les nécessaires évolutions attendues en matière de conditions de travail, d'exercice des droits sociaux collectifs, ou du bénéfice de droits sociaux individuels comme ceux liés aux cotisations retraites et aux arrêts maladie.

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Le travail est l'un des moteurs de la réinsertion des détenus, mais l'exercice de cette activité en détention reste problématique malgré un certain nombre d'avancées récentes et au-delà des contraintes liées au milieu carcéral.

Sur la question de la rémunération, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe a récemment conclu à la non-conformité de la situation française avec le droit à une rémunération décente pour les personnes détenues, le paiement à la pièce, officiellement interdit, ayant toujours cours dans certains lieux.

Dans les ateliers de production, le minimum légal est de 45 % du Smic, mais lorsque l'activité de travail concerne le bon fonctionnement de la prison, comme le nettoyage ou la cuisine, il oscille entre 20 % et 33 % du Smic.

Les avancées sur les droits sociaux de la loi du 22 décembre 2021 ne sont que partielles et l'absence à la fois de modalité de saisie de l'inspection du travail et de possibilité de s'organiser collectivement fait des détenus des travailleurs à part.

J'ajouterai à cela que j'avais déjà eu l'occasion, monsieur le garde des sceaux, de vous parler de ce sujet. Le droit du travail ne doit pas s'arrêter aux portes des lieux de détention. Le travail constitue un facteur essentiel d'intégration sociale et l'un des combats que vous portez et revendiquez, d'ailleurs, au sein du Gouvernement. Nous vous demandons donc de mener ce combat pour tous, avec nous, y compris pour les détenus.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

C'est un avis défavorable. Le contrat d'emploi pénitentiaire a été créé lors de l'adoption de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, c'est-à-dire relativement récemment. On n'a donc pas pu en mesurer totalement les effets.

Par conséquent, les évolutions que vous proposez sont peut-être à envisager, mais ultérieurement, lorsqu'un bilan de cette loi aura pu être dressé.

Au surplus, je vous indiquerai que le Sénat n'était pas spécialement favorable au contrat d'emploi et que les entreprises ne l'étaient pas toujours non plus. Laissons donc les choses se faire avant d'aller au-delà de cette première avancée.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Je suis d'autant plus défavorable à cet amendement, monsieur le sénateur, que le contrat d'emploi pénitentiaire qui a été voté il y a assez peu de temps, comme cela vient d'être rappelé, réforme considérablement, et en profondeur – je pèse mes mots –, le statut de détenu travailleur.

En premier lieu, les détenus bénéficient depuis lors d'un véritable contrat de travail de droit public, ce qui n'existait pas autrefois. Ils ne sont plus payés à la pièce : la pratique a totalement disparu. La France fixe des minimums de rémunération qui sont parmi les plus élevés : 5, 15 euros de l'heure contre 1, 50 euro en Allemagne, 1, 73 euro en Belgique et 2, 80 euros aux Pays-Bas.

Avec ce salaire, le détenu est tenu de rembourser ses victimes. Ce contrat d'emploi pénitentiaire est donc au moins triplement vertueux. D'abord, il y a sûrement à la clé un travail ou une formation, ce qui va dans le bon sens pour une réinsertion et pour l'absence de récidive. Ensuite, c'est intéressant pour les patrons : il y a un intérêt économique, mais également un engagement citoyen qui est fort. C'est enfin intéressant pour les victimes.

En second lieu, le détenu a un certain nombre de droits sociaux : assurance chômage, assurance vieillesse, ouverture de droits en matière d'accident de travail, etc. Tout cela n'existait pas autrefois. Il s'agit donc là d'améliorations.

Je pense que le travail est un des leviers qui permettent de lutter sérieusement contre la récidive.

Le sens de l'effort n'est pas un sens interdit, ni en prison ni ailleurs. Avec ce contrat d'emploi pénitentiaire, nous ferons venir de plus en plus de patrons dans les établissements pénitentiaires pour fournir du travail.

Pour vous donner des chiffres, dans les années 2000, 50 % des détenus travaillaient. Quand je suis arrivée à la Chancellerie, tel était le cas pour seulement 20 % d'entre eux, soit 30 points de moins. Aujourd'hui, plus de 30 % des détenus travaillent, alors même que la population carcérale a augmenté au cours des dernières années. Le nombre de détenus travaillant a donc nettement augmenté, ce qui me paraît aller dans le bon sens. En effet, quelqu'un qui travaille dispose d'un petit pécule et se forme. Par ailleurs, il est souvent embauché par l'entreprise qui l'employait en tant que détenu.

Il faut tout faire pour éviter les sorties sèches ; c'est le gage d'un moins grand nombre de récidives. Sans doute pouvons-nous tous être d'accord sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : nous sommes bien entendu favorables au contrat que vous avez mis en place. Nous l'avons d'ailleurs défendu dans cette assemblée, Mme la rapporteure l'a rappelé tout à l'heure, alors même que la majorité du Sénat n'y était pas très favorable.

Nous approuvons et soutenons ce qui a été fait dans ce domaine, et continuerons à le faire. Par cet amendement, il s'agit simplement de prévoir un certain nombre d'aménagements supplémentaires visant à améliorer ce contrat. Nous partageons totalement ce que vous venez dire s'agissant de la réinsertion par le travail.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 242, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 360

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

– adaptation de la possibilité de déposer plainte, y compris une pré-plainte en ligne, aux Français établis hors de France.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Debut de section - PermalienPhoto de Mélanie Vogel

Cet amendement vise à garantir le dépôt des pré-plaintes en ligne depuis l'étranger, notamment pour les Françaises vivant à l'étranger.

On compte environ 3 millions de ressortissantes et de ressortissants français à l'étranger, donc environ 1, 5 million de femmes. Or les conditions de vie des Françaises de l'étranger créent une concentration de tous les risques susceptibles d'engendrer des violences conjugales : isolement, dépendance financière et matérielle, dans la mesure où un certain nombre d'entre elles partent pour accompagner leur conjoint qui poursuit sa carrière professionnelle à l'étranger.

Les femmes victimes de violences se retrouvent ainsi dans un pays dont elles ne maîtrisent pas la langue, parfois sans ressources financières, parfois avec des enfants. Elles sont le plus souvent confrontées à un système juridique qu'elles ne maîtrisent pas.

En outre, certaines d'entre elles vivent dans des pays où le traitement pénal des violences conjugales est moins bon qu'en France, voire inexistant.

Parfois, elles ne peuvent pas porter plainte. Quand elles peuvent le faire, elles souhaitent également déposer leur plainte auprès des juridictions françaises, parce qu'elles sont françaises et que l'auteur des crimes est également français. Il s'agit de faire en sorte que l'auteur soit condamné, que ces violences soient recensées et qu'elles puissent bénéficier de l'assistance sociale octroyée par les autorités consulaires.

Il est extrêmement difficile de porter plainte quand on est à l'étranger. J'en ai fait moi-même l'expérience récemment, après avoir été contactée par des compatriotes qui se trouvaient dans une telle situation.

Cet amendement a donc pour objet de garantir aux Français qui se trouvent à l'étranger la faculté de porter plainte en ligne.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Bien évidemment, nous comprenons tout à fait l'intérêt qu'il y a, pour des Français résidant à l'étranger, à porter plainte.

Toutefois, nous n'avons pas bien compris la finalité de cet amendement, ma chère collègue. En effet, a priori, les plaintes en provenance de l'étranger relèvent du tribunal judiciaire de Paris et se font par écrit.

Or la pré-plainte permet d'obtenir un rendez-vous, afin de ne pas attendre dans le commissariat. Je ne comprends donc pas bien la difficulté rencontrée ni la finalité de cette adaptation que vous demandez.

Telle est la raison pour laquelle nous demandons le retrait de cet amendement. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.

Je me tourne, sur cette question, vers M. le garde des sceaux, ne voyant pas où se trouve la difficulté.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

À vrai dire, je ne comprends pas non plus la plus-value d'une pré-plainte déposée en ligne depuis l'étranger.

Par ailleurs, la loi du 25 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur permet à toute victime d'une infraction pénale de déposer plainte. Les dispositions seront précisées dans le cadre d'un décret, qui sera pris très prochainement.

Je vous demande donc, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Mélanie Vogel

Permettez-moi de vous expliquer à quoi sert le dispositif qui est proposé.

Il s'agit d'aider les Françaises vivant à l'étranger à porter plainte. J'ai récemment été confrontée au cas d'une ressortissante qui, après avoir manqué de se faire tuer par son conjoint, a voulu porter plainte en France.

Comment procède-t-on ? On va sur internet, on tape « violences conjugales », puis « porter plainte en France ».

Mme Mélanie Vogel prend son portable et fait la recherche.

Debut de section - PermalienPhoto de Mélanie Vogel

Or la première chose qu'on vous demande est votre code postal. Quand on est à l'étranger, la démarche s'arrête là. Je demande donc simplement que le cas des Françaises se trouvant à l'étranger soit prévu, afin qu'elles puissent accéder à ce service.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Il faudrait qu'ils indiquent le département de Paris...

Debut de section - PermalienPhoto de Mélanie Vogel

Une telle disposition n'est sans doute pas d'ordre législatif, je l'entends. Je veux bien retirer l'amendement, si M. le garde des sceaux m'assure qu'on pourra, de l'étranger, accéder aux services proposés par internet, et notamment à la messagerie instantanée avec la police ou la gendarmerie.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Il n'est naturellement pas question de laisser des victimes se trouvant à l'étranger sans réponse, si tel est le sens de votre amendement.

Le ministère de l'intérieur prépare des décrets, notamment sur la question de la plainte par télécommunication audiovisuelle.

À ma connaissance, les Français se trouvant à l'étranger ne sont pas exclus de ce dispositif. Cela étant dit, cela mérite vérification, dans la mesure où vous posez une vraie question.

Je m'engage donc à me rapprocher du ministère de l'intérieur et de vous faire parvenir une réponse très rapide sur cette question. Je le répète, il n'est pas question de laisser des victimes sur le côté.

D'ailleurs, vous l'avez constaté, la question indispensable du déplacement des victimes à l'étranger est traitée dans le cadre de ce texte.

Rassurez-vous, nous nous mettons en lien avec le ministère de l'intérieur et nous vous donnons très rapidement une réponse, au cours des débats, puisque nous nous apprêtons à passer une partie de la semaine ensemble, pour examiner ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 242 est retiré.

L'amendement n° 139, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 367

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Le Gouvernement s'engage en outre à poursuivre la revalorisation de l'aide juridictionnelle et, dans le contexte de la création de la contribution pour la justice économique, à ouvrir cette aide aux personnes morales.

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Le rapport annexé comporte une partie relative à la transformation de l'aide juridictionnelle, afin que celle-ci devienne plus accessible.

En revanche, la revalorisation de cette aide n'est pas traitée. Aujourd'hui, la prise en charge totale des frais de justice s'applique à un revenu fiscal annuel inférieur à 11 200 euros, soit 938, 50 euros par mois. Nombreux sont ceux qui ont un revenu légèrement supérieur, bien que très inférieur au seuil acceptable. Bien qu'ils aient besoin d'une aide juridictionnelle, ils n'en bénéficient pas aujourd'hui.

Le manque de moyens aboutit, vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux, à dissuader un certain nombre de personnes à s'engager dans une procédure, alors qu'ils le souhaiteraient.

En 2020, le rapport de la mission Perben relative à l'avenir de la profession d'avocat soulignait que le budget de l'aide juridictionnelle français se situait dans la moyenne basse de l'Union européenne et devait être rehaussé.

Même si nous saluons la progression de 4, 2 % des crédits budgétaires consacrés à l'aide juridictionnelle dans la loi de finances pour 2023, il faut encore aller de l'avant concernant sa revalorisation.

Par ailleurs, nous devons donner les moyens à nos concitoyens d'être égaux. Ainsi, l'aide juridictionnelle doit être ouverte aux personnes morales les plus fragiles économiquement, afin de ne pas entraver l'accès à la justice des petites et moyennes entreprises, auxquelles nous devons donner les moyens de se défendre, alors qu'elles sont naissantes ou en situation difficile.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Nous pensons qu'il s'agit là d'un sujet important. La présentation qui en a été faite au travers de cet amendement est relativement large.

Concernant la revalorisation de l'aide juridictionnelle, vous vous êtes engagé, monsieur le garde des sceaux, concernant les modes alternatifs de règlement des différends (Mard). Nous la demandons pour les violences intrafamiliales (VIF) et dans le cadre des tribunaux de commerce, comme l'ont préconisé le rapport Perben et les États généraux de la justice.

Certes, de telles dispositions relèvent de la loi de finances. Toutefois, il convient d'y réfléchir, et votre réponse nous permettra de progresser sur cette question. Telle est la raison pour laquelle la commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Permettez-moi de vous rappeler ce que nous avons fait en matière d'aide juridictionnelle.

S'agissant des dépenses, nous sommes passés de 342, 4 millions d'euros en 2017 à 629, 8 millions d'euros en 2022, ce qui représente une augmentation de plus de 80 %. C'est énorme !

Une telle augmentation est notamment due à la hausse du montant de l'unité de valeur, qui a dépassé en 2022, pour la première fois, son niveau d'origine en valeur réelle, c'est-à-dire corrigée de l'inflation.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 140, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :

Alinéa 369

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Les demandes et suivis concernant le traitement de l'aide juridictionnelle par envoi postal ou auprès d'un guichet seront toutefois maintenus ;

La parole est à M. Guy Benarroche.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Cet amendement concerne le traitement – et non pas la revalorisation – de l'aide juridictionnelle.

La dématérialisation et l'objectif du zéro papier font l'objet, dans le rapport annexé, d'une partie importante.

Il s'agirait, et je le comprends très bien, de rapprocher les citoyens de leur justice. Je ne le nie pas, pour un certain nombre d'entre eux, tel sera le cas. La dématérialisation a des effets positifs, qui sont indéniables : praticité, centralisation de l'information, gain de coût et de temps. Simplement, elle a un certain nombre de limites, liées à l'illectronisme, qui touche tout de même 13 % de la population, ce qui n'est pas rien.

Le procédé de dématérialisation de l'aide juridictionnelle risque d'avoir comme conséquence d'exclure les individus les plus vulnérables, qui sont les plus touchés par l'illettrisme numérique et qui sont pourtant les plus concernés par l'aide juridictionnelle. Je pense aux personnes porteuses de handicap, aux personnes âgées, aux migrants, aux personnes éloignées et aux personnes en grande précarité.

Ainsi, pour les personnes susceptibles de demander l'aide juridictionnelle, la dématérialisation constitue un réel danger, parce qu'elle ne garantira plus leur accès au droit. Au contraire, elle amplifiera l'exclusion de ces populations, qui sont déjà en marge.

Le Défenseure des droits, dans son rapport de février 2022, intitulé Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, pointait du doigt la détérioration de la qualité des services et, surtout, l'inégalité d'accès entre les usagers face aux procédures dématérialisées.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

La commission est défavorable à cet amendement. Nous avons déjà débattu du numérique, et le rapport annexé ne prévoit qu'une possibilité supplémentaire. Il ne s'agit en aucun cas de supprimer quoi que ce soit ! Il n'est pas opportun de prévoir que ce qui n'est pas supprimé existe encore.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Monsieur le sénateur Guy Benarroche, bien entendu, des personnels resteront chargés d'accueillir les justiciables, dans les points-justice ou les services d'accueil unique du justiciable (Sauj).

Personne n'est rejeté, chacun est accueilli comme il se doit, et c'est bien le moins, lorsqu'il n'a pas accès au numérique ou lorsqu'il ne possède pas de téléphone portable. Aucune juridiction ne demande aux personnes précaires de sortir, sans lui donner le renseignement qu'il sollicite ! Cela n'existe pas !

Le numérique permet tout de même d'aller beaucoup plus vite. On a maintenant des réponses en quelques heures, alors qu'il fallait parfois compter des mois autrefois. Et 90 % des juridictions peuvent répondre par voie dématérialisée.

J'ai souhaité qu'on mette la justice – mais pas toute la justice, je vais vous dire pourquoi – à portée de doigt, de façon qu'elle soit plus proche de nos concitoyens. Sur justice.fr, dont je vous suggère de nouveau de télécharger l'application, monsieur le sénateur, vous pouvez savoir immédiatement si vous êtes admissible au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Vous me répondrez que tout le monde n'a pas de portable ! Certes, mais si vous souhaitez renseigner quelqu'un qui est dans la précarité, vous pouvez le faire, même dans la rue.

Il existe également d'autres applications, dont je fais ici, et je m'en excuse, la publicité. Ces dernières ont d'ores et déjà été téléchargées des milliers de fois. Fort heureusement, les décisions de justice ne sont pas encore rendues par portable ! On n'enlèvera jamais l'humain. C'est votre préoccupation, mais aussi la mienne.

Sur la question de l'aide juridictionnelle, on ne peut pas dire que le numérique n'a pas fait considérablement avancer les choses ; il les a rendues plus simples. Pour autant, de nombreux personnels sont à la disposition des plus précaires pour les renseigner et les guider.

Je l'ai dit tout à l'heure, mais je le redis : les futurs magistrats, qui vont dans les points-justice, sont au contact des plus précaires pour leur donner les premières informations dont ils ont besoin.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Monsieur Benarroche, l'amendement n° 140 est-il maintenu ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Monsieur le garde des sceaux, je partage ce que vous venez de dire sur la numérisation et les applications et n'ai jamais dit le contraire. Les gens comme nous – quoique cela puisse s'avérer compliqué pour moi, et pas seulement ! – avons les outils et la capacité de recourir au numérique. Nous sommes également entourés de personnes aidantes, si nous sommes un peu trop âgés pour maîtriser totalement ces techniques.

Mais c'est parmi les personnes qui sont naturellement demandeurs de l'aide juridictionnelle que l'on compte également en plus grand nombre celles qui souffrent d'illectronisme, lesquelles représentent déjà 13 % de la population.

Madame la rapporteure et vous-même êtes très optimistes en pensant que ces personnes trouveront des endroits pour les aider à moins de cinquante kilomètres de chez elles.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

À moins de trente minutes !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Il n'est pas évident pour tout un chacun de parcourir cinquante kilomètres, mais c'est un autre sujet…

Pour ma part, j'ai été confronté, avec des personnes que j'ai dû aider, à des problèmes liés à la dématérialisation d'un certain nombre d'administrations. Je peux vous garantir qu'elles n'ont pas trouvé des guichets ouverts avec des personnes pour leur répondre !

Comme elles n'ont pas non plus la possibilité d'utiliser une ligne téléphonique ou d'envoyer un courrier à une adresse précise pour effectuer des formalités, dans un certain nombre de cas, les situations ne seraient pas réglées sans la bonne volonté soit du personnel administratif, soit d'associations de bénévoles.

Il ne me paraîtrait donc pas absurde de préciser, dans le rapport, que l'on continue à développer la possibilité d'avoir des contacts humains, y compris téléphoniques.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Il est bien sûr essentiel que tous les justiciables aient accès à la justice. Nous le devons à tous, du plus puissant jusqu'au plus modeste.

Vous l'avez oublié, il existe des points-justice forains, qui se déplacent, ainsi que des audiences foraines, que j'ai recréées, pour celles qui avaient disparu.

Vous évoquiez en effet tout à l'heure les difficultés de mobilité de certains justiciables. Je l'entends. Or la justice se déplace, notamment vers les plus démunis. C'est une réalité.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 109, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Harribey et MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte et Marie, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 376

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Enfin, le ministère examinera d'une part la possibilité de revaloriser l'indemnité d'aide juridictionnelle pour les avocats et les commissaires de justice concernant les actes relatifs à l'ordonnance de protection prévue par l'article 515-9 du code de procédure civile.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Cet amendement et celui qui suit, même s'ils ne portent pas sur le même sujet, sont inspirés des préconisations de votre rapport, madame la rapporteure.

Je suis beaucoup plus opportuniste que vous lorsqu'il s'agit de présenter un amendement ! En effet, les véhicules législatifs ne sont pas si fréquents. Certains, comme celui-ci, sont des TGV, tandis que d'autres s'arrêtent longuement en gare, à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Lorsqu'un train semble performant, je monte dedans avec mes amendements. Je vous suggère de faire de même, c'est la meilleure chose qui puisse arriver à vos recommandations !

J'imagine par ailleurs que celles-ci ne déplaisent pas à M. le garde des sceaux, si j'en crois tout le bien qu'il a dit de votre rapport. Pour ma part, j'ai cru comprendre qu'il adhérait à vos recommandations.

L'amendement n° 109 vise simplement à revaloriser l'indemnité d'aide juridictionnelle pour les avocats et les commissaires de justice concernant les actes relatifs aux ordonnances de protection, toujours plus nombreux. Vous l'avez constaté, certains avocats sont spécialisés dans la défense des femmes victimes de violences. Ils agissent presque pro bono !

Par cet amendement, nous prévoyons donc que le garde des sceaux examine la possibilité de revaloriser l'indemnité d'aide juridictionnelle pour ces avocats.

Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai également l'amendement n° 110.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

J'appelle donc également en discussion l'amendement n° 110, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :

Après l'alinéa 382

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Une fonctionnalité visant à permettre aux victimes d'être informées en temps réel de l'avancée de leur procédure sera également mise en place.

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Cet amendement, qui reprend également une recommandation du rapport de Mme Vérien, vise à prévoir une fonctionnalité permettant aux victimes d'être informées en temps réel de l'avancée de leur procédure. Mme la rapporteure devrait défendre cet amendement mieux que moi…

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

La commission est défavorable à ces deux amendements. Par principe, je n'inclus pas un rapport dans un autre rapport !

L'amendement n° 109 relève de la loi de finances, et il faudra bien évidemment mener ce combat dans ce cadre. Introduire une telle mesure dans ce rapport annexé n'aurait aucun effet ! Je reste attentive à cette question. Pour autant, nous avons refusé d'insérer les dispositions du rapport « plan rouge VIF » dans le rapport annexé.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

La loi de finances aurait été bien préparée !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Madame la sénatrice, vous montez dans le train qui se présente. Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable, sans vouloir paraphraser l'immense Romain Gary.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Vous connaissez le sens exact de cette référence ? C'est osé !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Ce n'est pas osé ! C'est simplement un aimable clin d'œil…

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Dans le cas d'une ordonnance de protection, l'aide juridictionnelle est garantie si l'avocat est commis d'office. Sa rétribution est fixée à seize unités de valeur.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Ce n'est peut-être pas assez, mais, pour le moment, nous sommes défavorables à l'amendement n° 109.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Je suis favorable à 90 % des positions de Mme la rapporteure. Mais laissez-moi une petite marge de liberté !

S'agissant de l'amendement n° 110, j'en demande le retrait, dans la mesure où nous sommes en train de travailler sur cette question, qui est une excellente idée.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Mme Laurence Rossignol. Je retire l'amendement n° 110, car je fais confiance au garde des sceaux.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'étonne. – Ah ! sur des travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

La confiance est à géométrie variable !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 110 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 109.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Requier, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire, Gold et Guiol, Mme Pantel et MM. Roux et Guérini, est ainsi libellé :

Alinéa 383

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ces améliorations s'accompagneront de mesures visant à pallier les risques d'exclusion numérique.

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Le rapport annexé à ce projet de loi nous informe de la mise en place d'une application mobile à destination du citoyen et d'un site internet rénové. C'est une bonne chose pour permettre le développement du service public de la justice et faciliter son accès. Personne ne s'y oppose, même si nous ne sommes pas certains qu'il s'agisse d'une priorité pour nos juridictions et les justiciables.

Surtout, ces mesures ne doivent pas participer de la fracture numérique qui s'institue depuis plusieurs années. Le groupe du RDSE alerte sur ce risque régulièrement. Je pense en particulier au rapport qu'avait rendu notre collègue Raymond Vall.

Il avait très bien souligné que, parallèlement à l'exclusion numérique diffuse que constitue l'illectronisme, il existe des exclusions numériques propres à certains publics tels que les personnes en situation de handicap, mais aussi les personnes sans abri, les personnes privées de liberté, ou encore les migrants.

L'objet de cet amendement est donc d'indiquer que les innovations numériques liées au service public de la justice devront être accompagnées par des dispositifs luttant contre l'illectronisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Comme sur les amendements déposés par M. Benarroche sur ce sujet, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Nous n'allons pas reprocher au ministère de la justice de s'engager enfin dans la voie informatique ! En outre, nous le savons, le nombre de points-justice est en train de se développer. Je ne crois donc pas que l'accompagnement des personnes soit oublié.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

C'est une question absolument essentielle que vous soulevez, monsieur Requier. Elle a d'ailleurs quelques points communs avec la question posée par votre collègue, M. Benarroche : comment les personnes qui, pour de multiples raisons, n'ont pas accès aux technologies nouvelles peuvent-elles bénéficier d'une aide en matière judiciaire ou autre ?

Je ferai donc ici la même réponse que précédemment. Notre pays compte 2 080 points-justice, dont 148 maisons de la justice et du droit ainsi que 264 services d'accueil unique du justiciable. Plus de 900 000 personnes ont été reçues en 2022 au sein des 743 042 permanences qui sont assurées au sein du réseau d'accès « droit et justice ».

Vous comprendrez donc, monsieur le président Requier, que le ministère de la justice s'intéresse à ceux de nos compatriotes qui n'ont pas accès aux nouveaux dispositifs numériques. Oui, c'est un sujet essentiel et nous sommes très vigilants sur ces questions.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 243, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :

Alinéa 385

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

De plus, la déconjugalisation des allocations familiales pour les personnes victimes de violences conjugales sera expérimentée dans huit départements, dont deux d'outre-mer, pour une durée de cinq ans.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Debut de section - PermalienPhoto de Mélanie Vogel

Cet amendement vise à expérimenter la déconjugalisation des aides familiales pour les victimes de violences conjugales.

À titre personnel, je suis favorable à la déconjugalisation, qu'il s'agisse des impôts, des allocations familiales ou des aides sociales en général. Mais ici, le périmètre est beaucoup plus restreint puisqu'il s'agit simplement d'une expérimentation sur les victimes de violences conjugales.

On le sait, la peur de ne pas pouvoir être indépendante financièrement est une cause importante d'absence de départ du domicile lorsque l'on se sent en danger. En raison de la manière dont sont calculées les allocations, faute d'avoir officiellement accompli un certain nombre de démarches, certaines femmes n'ont aucune garantie de pouvoir continuer à percevoir les allocations familiales dont elles bénéficient.

Je propose donc d'expérimenter ce que donnerait en matière de mise en sécurité des victimes de violences conjugales une déconjugalisation des allocations familiales dans huit départements, donc deux d'outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Avis défavorable, car on ne mesure pas du tout aujourd'hui la faisabilité d'une telle expérimentation.

Cela étant, nous avons récemment voté une proposition de loi déposée par Valérie Létard afin de mieux accompagner les femmes victimes de violences conjugales, notamment en développant davantage le soutien qui leur est apporté par les caisses d'allocations familiales. C'est une piste à creuser, mais en l'état je ne pense pas que nous soyons prêts à nous engager sur cette voie.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Tout à fait, il s'agit d'une mesure intéressante, qu'il convient d'étudier.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Certes, cela se travaille, mais pour l'instant nous ne sommes pas prêts.

Je vous rappelle, par ailleurs, qu'une telle prescription ne peut pas relever de la seule loi organique compte tenu des autres politiques publiques en jeu.

De plus, le Pack nouveau départ, en cours d'expérimentation, permet aussi de régler dans l'urgence un certain nombre de difficultés, notamment financières.

Oui, cette idée est extrêmement intéressante, mais en l'état je demande le retrait de cet amendement.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 244, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :

Alinéa 386, après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Toute femme victime de violences conjugales qui en fait la demande se verra proposer une place d'hébergement ou de logement temporaire.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Debut de section - PermalienPhoto de Mélanie Vogel

Cet amendement, comme l'amendement précédent, concerne les victimes de violences conjugales. Il s'agit d'établir que « toutes femme victime de violences conjugales qui en fait la demande se verra proposer une place d'hébergement ou de logement temporaire ».

Nous avons évoqué l'Espagne tout à l'heure. S'il y a dans ce pays trois fois moins de féminicides qu'en France, c'est bien sûr parce que celui-ci s'est doté de juridictions spécialisées, mais c'est aussi parce qu'il s'est donné les moyens de mettre sur pied un système d'offre de logements très performant en faveur des femmes victimes de violences. Les statistiques le montrent, les féminicides interviennent très souvent dans les jours qui suivent le signalement. L'accès rapide à une offre d'hébergement permet donc d'éviter le passage à l'acte et de faire chuter drastiquement le nombre de morts.

Si l'Espagne arrive à proposer aux victimes de violences conjugales des logements dont le conjoint ne peut avoir l'adresse, nous devrions pouvoir y arriver également. Ces places sauvent des vies. Je sais que des places additionnelles étaient prévues pour 2022. Combien en avons-nous créé exactement, il serait intéressant de le savoir ? Quoi qu'il en soit, au-delà de tous les outils proposés, voilà une mesure absolument essentielle, qui pourrait éviter un certain nombre de décès.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Cette mesure semble utile, mais la commission a émis un avis défavorable pour ne pas noyer le rapport.

Objectivement, de nombreuses mesures sont mises en œuvre aujourd'hui, y compris d'ailleurs en ruralité. Plusieurs villages de l'Yonne ont mis à disposition des logements, gérés par l'association France Victimes, pour accueillir des familles ou des femmes seules. Il est vrai que le secret de l'adresse est plus compliqué à préserver, mais l'idée est surtout que la femme et les enfants puissent demeurer à leur domicile et d'éloigner le conjoint violent, à charge pour lui de payer un nouveau loyer : après tout, il n'avait qu'à mesurer la portée de ses actes !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Effectivement, l'ordonnance de protection permet d'attribuer le domicile conjugal à la victime. Par ailleurs, cet amendement a un certain nombre d'implications qui mettent en cause d'autres politiques publiques. Nous examinons là un texte qui concerne la justice.

Vous avez évoqué l'Espagne, qui est toujours citée comme une référence. Cependant, madame la sénatrice, vous m'accorderez que ce pays a pris la mesure de ces phénomènes insupportables bien avant nous puisque les premiers textes fondateurs ont été votés en 2004. Pendant un certain temps, le nombre des crimes est resté stable, puis le pays a enregistré une décroissance des féminicides. Aujourd'hui, l'Espagne est de nouveau bloquée sur un plateau.

En France, les premières grandes mesures mises en place sont plus récentes, qu'il s'agisse du Grenelle contre les violences conjugales, des bracelets anti-rapprochement (BAR) ou des téléphones grave danger. Tout cela est développé aujourd'hui massivement. Je pense aussi aux ordonnances d'éloignement, ainsi qu'à l'hébergement des victimes ou des auteurs de violences. Ces mesures ont été prises de manière très consensuelle : nous ne travaillons pas les uns contre les autres, car il s'agit de sujets tout à fait transpartisans.

Quoi qu'il en soit, je me méfie des comparaisons. Les Espagnols ont commencé à lutter bien avant nous contre les violences intrafamiliales. Pour autant, à l'heure actuelle, nous faisons bien mieux qu'eux en termes de bracelets anti- rapprochement. Ils sont mis à la disposition de toutes les juridictions, comme d'ailleurs les téléphones grave danger, qui permettent d'éviter beaucoup d'infractions, car les forces de sécurité intérieure interviennent de plus en plus fréquemment.

Nous allons d'ailleurs prochainement mettre en place un bracelet anti-rapprochement de nouvelle génération, que j'appelle 5G, beaucoup plus opérationnel. Nous étions déjà passés d'un bracelet anti-rapprochement à un autre, car le premier système ne fonctionnait pas bien. J'étais intervenu auprès des opérateurs : quitte à proposer un bracelet, autant qu'il fonctionne, bien évidemment !

En tout état de cause, nous franchissons peu à peu des étapes qui nous permettent de progresser. L'Espagne a pris effectivement conscience du problème bien avant nous et s'en est saisie à bras-le-corps, avec des résultats qui ne sont pas comparables aux nôtres en termes d'investissement. Mais aujourd'hui, nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons réalisé ensemble – il faut s'en féliciter –, car il s'agit de sujets sur lesquels nous nous retrouvons.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 245, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :

Alinéa 386, après la deuxième phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Le stock des bracelets anti-rapprochement sera considérablement augmenté pour garantir que ce dispositif pourra être utilisé à chaque fois que les circonstances l'exigent.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Debut de section - PermalienPhoto de Mélanie Vogel

Cet amendement, monsieur le garde des sceaux, fait écho à vos propos sur les bracelets anti-rapprochement puisqu'il vise à garantir la disponibilité en quantité suffisante de bracelets anti-rapprochement.

Au lendemain d'un féminicide à Mérignac par un homme qui ne portait pas de bracelet, la presse avait révélé l'inégale répartition des bracelets anti-rapprochement entre les juridictions. Le nombre de bracelets est-il suffisant sur tout le territoire ? Sont-ils inégalement répartis ? Quoi qu'il en soit, certaines personnes qui doivent en porter n'en ont pas.

Cet amendement vise donc à augmenter les stocks de bracelets anti-rapprochement. Si nous n'en avons pas besoin et que les difficultés rencontrées sont d'une autre nature, je serai attentive à vos éclaircissements. Il semble néanmoins y avoir un problème, ce qui a conséquences dramatiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Si certaines personnes ne portent pas de bracelet, ce peut être par manque de prescription en ce sens. Il peut donc s'agir d'une erreur initiale du juge, qui n'a pas pensé à la sortie de prison.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Eh oui, c'est le juge !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

En outre, le port d'un bracelet anti-rapprochement peut ne pas être prononcé par des magistrats, car il existe des dysfonctionnements. Nous espérons que cette difficulté sera surmontée grâce à l'arrivée des bracelets de nouvelle génération.

À Paris, par exemple, on n'ordonne quasiment pas le port de bracelets anti-rapprochement – je crois qu'il n'y en a que deux en circulation – et ce pour une raison toute simple : si le porteur du bracelet passe en métro sous l'endroit où se trouve la victime, le dispositif se déclenche de manière intempestive.

À la campagne, le problème était tout autre. À Sens, par exemple, commune que je connais bien, il y a la ville centre et la campagne autour : on peut donc utiliser des bracelets anti-rapprochement puisque les anciens conjoints ne vivent pas au même endroit. En revanche, ils travaillent au même endroit. Nous sommes là aussi confrontés à des déclenchements inopinés en raison de possibles rapprochements.

Il faut donc encore parfaire le dispositif. J'espérais que les Espagnols m'expliqueraient comment ils étaient parvenus à affiner cet outil, mais en réalité ils n'ont pas totalement réussi à le faire. Nous attendons beaucoup des bracelets nouvelle génération pour définir des périmètres plus étroits et éviter ainsi les déclenchements intempestifs, comme à Paris, l'idée étant de pouvoir recourir plus largement au port d'un bracelet anti-rapprochement.

A priori, madame la sénatrice, nous ne manquons pas de bracelets. Lors du dernier projet de loi de finances, nous avons pris des mesures pour augmenter le stock. Objectivement, ce dernier est suffisant. Nous avons également voté des mesures pour parfaire techniquement le système. J'espère que le nouveau système fonctionnera de manière plus efficace.

En l'état, j'émets un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Dans les juridictions, tout le monde connaît le BAR et le téléphone grave danger. À la suite d'une affaire absolument dramatique, j'avais rédigé une circulaire, qualifiée par certains de comminatoire, dans laquelle je précisais que les BAR n'avaient pas vocation à rester dans les tiroirs. Je le redis aujourd'hui : le bracelet anti-rapprochement n'a pas vocation à rester dans les tiroirs !

Je veux également vous rassurer pleinement, madame la sénatrice. En France, nous n'avons développé les bracelets anti-rapprochement qu'à partir du 24 septembre 2020, alors que, comme je vous l'ai indiqué il y a quelques instants, la première législation en Espagne date de 2004. Certes, nous avions fait d'autres choses avant, bien sûr, mais, quoi qu'il en soit, 1 020 dispositifs sont aujourd'hui actifs. Nous n'avons, je vous le garantis de la manière la plus forte, aucune difficulté quant au stock disponible. Le volume total de matériel ne cesse d'augmenter ; il sera porté en 2024 à 2 500 équipements. S'il en fallait davantage, nous en mettrions d'autres à disposition des juridictions.

Par ailleurs, les BAR de dernière génération bénéficieront d'une meilleure connectivité et d'une meilleure autonomie, avec des batteries plus ergonomiques. Ces unités mobiles s'apparenteront à des smartphones.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 111, présenté par Mmes Rossignol, de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 386

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

De plus, le ministère entend examiner la possibilité de prévoir l'indemnisation de l'avocat assistant une victime de violences intrafamiliales dans le cadre de l'enquête, et ce dès le dépôt de plainte.

La parole est à Mme Laurence Harribey.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Dans la droite ligne de l'amendement que nous avons présenté tout à l'heure, cet amendement est fortement inspiré du rapport « plan rouge VIF », qui recommande l'indemnisation de l'avocat assistant une victime de violences intrafamiliales dans le cadre de l'enquête, et ce dès le dépôt de plainte. Il s'agit de la recommandation 22 de ce rapport.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Pas de rapport dans le rapport : avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Même avis.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 246, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge et M. Salmon, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 387

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Le numéro national d'écoute des victimes de violences 39 19 est un dispositif essentiel qui constitue souvent un premier point de contact qui permet la libération de la parole, informe la victime de ces droits et, le cas échéant, l'oriente vers les acteurs proposant un accompagnement spécifique de la victime. Son opération ne peut faire l'objet d'un appel d'offres de marché public.

La parole est à Mme Mélanie Vogel.

Debut de section - PermalienPhoto de Mélanie Vogel

Tout le monde s'en souvient, lorsqu'un appel d'offres avait été publié il y a deux ans pour le numéro d'urgence 39 19, une grande inquiétude avait saisi l'ensemble des associations féministes, y compris celles qui s'occupent aujourd'hui de l'organisation du centre d'appels. Cette opération avait finalement été arrêtée et le 39 19 n'avait pas été soumis à un appel d'offres.

Pour autant, les associations craignent qu'un jour ou l'autre l'idée ne soit relancée. Il s'agit donc de préciser clairement que l'opération du numéro 39 19 ne peut faire l'objet d'un appel d'offres de marché public. Il importe à la fois de garantir et de pérenniser le service fourni aujourd'hui aux victimes.

Pour continuer sur ma petite obsession des Françaises de l'étranger, j'ai une petite requête à vous adresser, monsieur le garde des sceaux. Le 39 19 est un numéro gratuit que l'on ne peut pas appeler de l'étranger. Il serait techniquement assez simple de mettre en place un numéro public, gratuit de l'étranger. Seriez-vous disposé à le faire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Certains services de l'État affirmaient qu'il fallait passer par un marché public pour renouveler la ligne 39 19. Ils n'avaient pas pris conscience que le 39 19 appartenait à l'association qui gérait ce numéro. Il était donc tout à fait possible de s'écarter de l'appel d'offres de marché public par lequel ils voulaient faire passer le renouvellement de la ligne. Cette décision fait à présent jurisprudence. J'émets donc un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Même avis, pour les mêmes raisons. Quant à la ligne permettant à une victime d'appeler depuis l'étranger, cela fait partie des points que nous étudions.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 246 est retiré.

Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

L'article 1 er est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 32, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi qui comporte l'état d'avancement de la programmation immobilière, pénitentiaire et judiciaire.

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Avec votre permission, monsieur le président, je présenterai également les amendements n° 33, 34 et 57. D'autant que je me fais peu d'illusion sur la manière dont ils seront accueillis par la commission…

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

J'appelle donc également en discussion les trois amendements suivants.

L'amendement n° 33, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi qui comporte l'état d'avancement du plan de transformation numérique du ministère de la justice pour les années 2023-2027.

L'amendement n° 34, présenté par Mmes de La Gontrie, Harribey et Rossignol, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'exécution de la présente loi et du plan d'action qui l'accompagne s'agissant du renforcement et de la modernisation de l'accès au droit, le traitement de l'aide juridictionnelle et l'attention renforcée aux droits des victimes, notamment de violences intrafamiliales et sur mineurs.

L'amendement n° 57, présenté par Mmes de La Gontrie, Harribey et Rossignol, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Jusqu'en 2027, le Gouvernement présente chaque année au Parlement, préalablement au débat sur les orientations des finances publiques, un rapport sur l'état d'avancement de l'installation des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales. Ce rapport précise en particulier les effets relatifs à la création des pôles spécialisés sur le traitement judiciaire de ces violences, la prise en charge de leur auteur et l'accompagnement des victimes.

Les possibilités de l'évolution des pôles spécialisés vers la création d'une juridiction spécialisée en charge des violences sexuelles, intrafamiliales et conjugales, compétente pour juger les faits de viol, d'inceste et d'agressions sexuelles, d'outrage sexiste, de harcèlement, de recours à la prostitution, des violences physiques, sexuelles et morales commises au sein du couple ou sur un enfant de la cellule familiale sont également analysées.

Veuillez poursuivre, chère collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

L'amendement n° 32 vise à demander chaque année au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement sur l'exécution de la présente loi qui comporte l'état d'avancement de la programmation immobilière, pénitentiaire et judiciaire.

L'amendement n° 33 vise à demander un rapport sur l'état d'avancement du plan de transformation numérique, développé dans le rapport annexé.

L'amendement n° 34 vise à demander un rapport sur le traitement de l'aide juridictionnelle et le droit des victimes, notamment de violences intrafamiliales et sur mineurs.

Quant à l'amendement n° 57, il vise à demander un rapport sur l'état d'avancement de l'installation des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Vous savez quel est le sort, au Sénat, des demandes de rapport, sachant qu'il s'agit de sujets que nous examinons au moment de l'examen du projet de loi de finances. Nous seront évidemment attentifs à ces évolutions à ce moment-là. Avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Bien que l'on sente à quel point vous y croyez, je ne vous décevrai pas trop, madame la sénatrice, en vous disant que je suis quadruplement défavorable à ces amendements.

L'amendement n'est pas adopté.

L'amendement n'est pas adopté.

L'amendement n'est pas adopté.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

TITRE II

DISPOSITIONS RELATIVES À LA SIMPLIFICATION ET À LA MODERNISATION DE LA PROCÉDURE PÉNALE

Chapitre Ier

Habilitation relative à la réécriture du code de procédure pénale

Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder par voie d'ordonnance à la réécriture de la partie législative du code de procédure pénale afin d'en clarifier la rédaction et le plan, ainsi qu'à la modification de toute autre disposition de nature législative nécessitée par cette réécriture.

Cette nouvelle codification porte sur les dispositions en vigueur à la date de publication de l'ordonnance et, le cas échéant, sur les dispositions publiées mais non encore entrées en vigueur à cette date. Elle est effectuée à droit constant sous réserve des modifications nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes, harmoniser l'état du droit, remédier aux éventuelles erreurs ou omissions, abroger les dispositions obsolètes ou devenues sans objet et procéder aux adaptations terminologiques utiles, notamment pour revoir les dispositions dont la formulation peut paraître remettre en cause la présomption d'innocence.

L'ordonnance est prise dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la publication de la présente loi.

L'ordonnance entre en vigueur au plus tôt un an après sa publication.

Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 208, présenté par Mmes Cukierman, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Gérard Lahellec.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Lahellec

Par cet amendement, nous souhaitons exprimer nos réserves quant à l'habilitation accordée au Gouvernement pour prendre, par voie d'ordonnance, des mesures de clarification du code de procédure pénale.

En effet, nous considérons que cette habilitation manque d'encadrement. Nous estimons qu'il est nécessaire d'aborder la rédaction d'un nouveau code de procédure pénale avec rigueur, temps et contrôle. Cette tâche complexe demande une analyse approfondie, la prise en compte des différentes implications juridiques, ainsi que l'écoute des experts et des acteurs du système judiciaire.

Une approche précipitée ou insuffisamment réfléchie pourrait entraîner des lacunes ou des erreurs dans le nouveau code, compromettant ainsi son efficacité et sa cohérence.

Aussi, nous considérons que le délai d'entrée en vigueur d'un an, tel qu'énoncé dans l'habilitation, est insuffisant. Les acteurs du système judiciaire, comme les magistrats, les avocats et les autres praticiens, auront besoin de temps pour s'adapter aux nouvelles règles et se former adéquatement.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Nous voilà parvenus au débat sur la simplification du code de procédure pénale. L'article 2 vise à donner une habilitation pour réécrire à droit constant le code de procédure pénale, dans un délai de deux ans.

Une telle habilitation est nécessaire, car la clarification du code de procédure pénale constitue un énorme travail. Ce code compte 2 400 articles. Nous devons ramener son volume entre 280 et 300 articles. Par ailleurs, 100 articles renvoient à d'autres articles. Bref, le processus est très complexe. La vraie question de fond, dont nous débattrons, est d'ailleurs de savoir ce qu'est le droit constant et jusqu'où il est possible d'aller dans un tel cadre, car un certain nombre de réformes – je pense notamment aux nullités – modifieront forcément le droit.

Certes, habituellement, le Sénat n'apprécie pas de procéder par habilitation, car il n'aime pas transmettre sa compétence à légiférer au gouvernement. Néanmoins, les travaux de codification sont toujours fastidieux : on l'a vu avec le code des douanes, le code pénitentiaire ou le code de la justice pénale des mineurs. La clarification du code de procédure pénale constitue un travail technique, qui a demandé la mise en place d'un comité scientifique. Ce dernier formulera des propositions.

Nous souhaitons que ces propositions aillent au-delà d'une simple clarification, car nous appelons de nos vœux une véritable simplification du droit, avec une réforme de fond.

La logique aurait voulu que l'on se pose d'abord des questions de fond avant de clarifier le code de procédure pénale : que veut-on pour le parquet, que veut-on pour la procédure, que veut-on en matière d'unification des enquêtes, etc. ?

Le Gouvernement a opté pour la procédure inverse, dont acte. Mais nous ne pouvons pas nous contenter de l'étape de l'habilitation. C'est pourquoi nous avons modifié l'article 2 afin de permettre au Parlement de se saisir des dispositions de l'ordonnance. Cette procédure doit aller jusqu'à une vraie simplification, qui est attendue par tous, pour une plus grande sécurité juridique. Voilà pourquoi la commission est défavorable à la suppression de cet article, même si, sur le fond, nous n'aimons pas les habilitations à légiférer par ordonnance et, ce faisant, perdre notre compétence.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Monsieur le sénateur Lahellec, je comprends vos interrogations, mais il sera possible au Parlement de contrôler le processus et de s'assurer in fine que le Gouvernement a bien respecté le champ de l'habilitation accordée. La confiance – dans ma parole – n'exclut pas le contrôle !

Il y a, par ailleurs, le Conseil d'État. Or ce dernier, dans son avis, ne dit rien sur la question du droit constant.

De plus, entre l'habilitation et la ratification, les travaux du comité scientifique seront suivis par le comité parlementaire, que j'ai évoqué tout à l'heure dans mon propos liminaire. Pourquoi, d'ailleurs, un comité scientifique ? Parce qu'il s'agit en réalité d'un travail absolument titanesque. Si nous ne nous y attelons pas maintenant, dans vingt ans il ne sera toujours pas fait !

Parler de clarification n'est pas si simple que cela en a l'air. C'est même très compliqué. S'il me fallait vous présenter un texte clarifié, le projet de loi comprendrait 2 000 articles. Laissons ce comité scientifique, composé de professionnels du droit – universitaires, magistrats, hauts magistrats, avocats, personnels des forces de sécurité intérieure, gendarmes et policiers, représentants de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) –, travailler, d'autant que les parlementaires effectueront leur contrôle au fil de l'eau.

Par ailleurs, l'ordonnance sera aussi soumise à la Commission supérieure de codification, dont le sénateur Richard fait partie. Il s'agit d'un contrôle supplémentaire. Il n'y a donc aucun risque.

De plus, monsieur le sénateur, j'ai envie de vous dire que je n'avais pas d'autre possibilité que de procéder ainsi.

Vous dites, madame la rapporteure, que, en quelque sorte, nous mettons la charrue avant les bœufs, parce que vous auriez préféré avoir le texte finalisé avant de le confier à un comité scientifique. Mais il faut deux ans pour simplifier… ou pour clarifier ! Au reste, je ne saisis pas très bien la nuance sémantique entre ces deux termes, monsieur Bonnecarrère : quand on clarifie, on simplifie.

M. Philippe Bonnecarrère exprime son désaccord.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

En 1959, notre code de procédure pénale était fin comme ceci

M. le garde des sceaux écarte légèrement son pouce et son index.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

et aujourd'hui il est épais comme cela !

M. le garde des sceaux décuple l'écart entre ses deux doigts.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Il ne s'agit en aucun cas de bouleverser les équilibres ni de changer les règles, je le répète et je m'y engage. L'un de vous a parlé de fusion des cadres d'enquête, par exemple, mais voilà qui ne serait ni de la simplification ni de la clarification ! Cela conduirait à un autre code de procédure pénale, avec d'autres règles. Ce n'est absolument pas cela que nous voulons faire.

Je sais que vous vous inquiétez, monsieur Lahellec, et je sais que les parlementaires sont légitimement soucieux de leurs prérogatives, mais n'ayez aucune crainte : cela se fera avec vous, de façon transparente, et vous pourrez tout à fait suivre le cours des travaux. Les forces de sécurité intérieure, les magistrats, les avocats ont besoin d'un code de procédure pénale clarifié, mais, aussi, la clarification engendrant la simplification, simplifié, si vous m'autorisez l'emploi des deux termes, monsieur Bonnecarrère…

Sourires.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 210, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Cette codification à droit constant s'oppose à ce que soit réalisée une modification du fond des matières législatives codifiées.

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

L'article 2 traite d'un sujet important, lourd, sur lequel nous avons beaucoup réfléchi, du moins autant qu'il était possible dans les délais qui nous étaient impartis…

L'ensemble du Sénat s'accorde à reconnaître la nécessité de réécrire le code de procédure pénale, afin de le rendre lisible, au moins par les professionnels. C'est un travail de titan, avez-vous dit, monsieur le garde des sceaux, et nous avons la même appréciation.

Par ailleurs, votre article d'habilitation est, je dois le dire, plutôt bien rédigé : il est complet, précis. Il mérite toutefois quelques améliorations et c'est l'objet de cet amendement, au travers duquel nous souhaitons préciser la notion de droit constant. Au passage, je rends par avance hommage aux professionnels qui vont recodifier ce code à droit constant…

Je souhaite donc préciser les contours de cette contrainte en recourant à la formule employée par le juge constitutionnel dans une décision du 16 décembre 1999, qui précisait que « le principe de la codification à droit constant […] s'oppose à ce que soit réalisée une modification du fond des matières législatives codifiées ». Telle est la phrase que nous proposons d'introduire dans le texte pour définir les limites de la notion de droit constant. L'habilitation ne ferait qu'y gagner.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Je félicite Mme de La Gontrie pour ses efforts ; nous avons eu de nombreux échanges pour tâcher de mieux encadrer cette habilitation.

Sur le fond, on voit bien que la notion de réécriture « à droit constant » soulève un certain nombre de questions, notamment un débat sémantique entre clarification et simplification ; c'est avant tout une clarification, puisqu'il s'agit de réécrire le plan, mais avec des incidences, puisque, dès lors que l'on restructure un raisonnement juridique, cela débouche sur des réformes.

Malheureusement, la notion de « modification du fond » n'est pas tellement plus claire…

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Sans doute, mais elle n'est pas plus claire pour le cas d'espèce. Elle s'oppose à la modification de la forme, mais une telle modification aura forcément des incidences sur le fond.

En tout état de cause, cela n'apporte pas de garantie supplémentaire. Avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Je pense la même chose, madame la sénatrice : c'est une mention superfétatoire.

En outre, je rappelle que l'étude d'impact précise que « la codification à droit constant s'oppose à ce que soit réalisée une modification du fond des matières législatives codifiées ».

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

C'est donc extrêmement clair.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Mais c'est dans l'étude d'impact, non dans le texte de la loi !

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Je ne reprendrai pas le contenu de ma réponse à M. le sénateur Bonnecarrère, à qui j'ai oublié de préciser que votre commission des lois avait déjà pris des précautions supplémentaires, essentielles.

Cet ajout n'apportant rien, je suis défavorable à cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

La distinction entre simplification et clarification relève-t-elle d'un débat de pure sémantique ? Bien sûr que non ! Ce sont deux notions complémentaires.

Mme le rapporteur affirme que l'on a mis la charrue avant les bœufs, mais il est exact que, si l'on s'engage dans une réforme profonde et une simplification de la procédure pénale, on n'obtiendra jamais la lisibilité attendue ou bien on l'aura très tardivement.

Au contraire, si l'on ne fait que de la mise en forme, si l'on ne cherche que la lisibilité, cela prendra deux ans, à l'issue desquels nos magistrats, nos policiers et nos gendarmes devront s'adapter à une nouvelle numérotation et à une nouvelle organisation, mais on n'obtiendra jamais la simplification.

Ce qui est proposé, au travers de la rédaction de la commission des lois, c'est de pouvoir mener ces deux démarches. Une réécriture « à droit constant » garantit une meilleure lisibilité, mais, en parallèle – je n'ose pas dire « en même temps » –, le comité scientifique ainsi que les parlementaires supervisant les travaux au nom des groupes devront mener une réflexion sur la simplification. À mesure que la lisibilité s'améliorera, vous pourrez pointer du doigt les différentes difficultés qui apparaîtront. Ceux qui travailleront à la simplification devront tenir compte de la nouvelle architecture mise en place dans le travail d'amélioration de la lisibilité.

Ce sont donc deux sujets complémentaires, ce n'est pas une distinction sémantique. Ces deux démarches doivent être menées de front afin qu'il n'y ait pas « tromperie » sur la qualité du travail, si vous me permettez cette formule : nos policiers, nos gendarmes, nos magistrats ressentiraient quelque agacement s'ils s'apercevaient que la simplification annoncée n'est pas effective…

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Je veux faire ici état d'une modeste expérience de codification, puisque j'ai l'honneur de représenter la Haute Assemblée depuis une douzaine d'années au sein de la Commission supérieure de codification.

Quand on procède à la refonte d'un code, surtout quand on constate son caractère défectueux dû aux ajouts successifs, la première grande opération consiste à réécrire son plan, c'est-à-dire à classer les matières dans un ordre cohérent. J'estime, à première vue, compte tenu de la masse à traiter, que ce travail devrait prendre environ une année.

Une fois que le plan est réalisé, il reste le travail de détail, consistant à vérifier la qualité – qui me semble perfectible en l'espèce, monsieur le garde des sceaux – de la rédaction d'un grand nombre de dispositions de ce code, dont certaines sont par exemple répétitives, pour me limiter à ce seul défaut.

Dès lors que l'on fera la remise en état, article par article, des diverses matières, on pourra détecter des points exigeant une réforme de fond. C'est la seule façon d'opérer. Ensuite, on finira le travail avec les dispositions restées en vigueur et ne nécessitant que la modification de rédaction qui est autorisée à droit constant, et il faudra intégrer au projet de loi de ratification les propositions de modifications de fond.

Tout cela justifie la solution adoptée par la commission, celle d'un délai entre la publication de l'ordonnance et son entrée en vigueur par ratification, qui sera décidée au travers d'une loi incluant les modifications de fond.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 35, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni de celles des commissions chargées des affaires européennes, il est constitué, dans chacune des deux assemblées du Parlement, un comité de suivi composé à parité d'hommes et de femmes représentant tous les groupes politiques, chargé de suivre, de proposer les mesures de simplification de la procédure pénale, et préparer le débat parlementaire nécessaire à la ratification de l'ordonnance de réécriture de la partie législative du code de procédure pénale.

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Cet amendement vise à prévoir, au sein de chaque assemblée, la constitution d'un comité de suivi de cette recodification. Nous avons bien compris qu'il y aurait un comité scientifique, mais quid du Parlement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Et cela correspond à mon engagement !

Avis défavorable.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 115, présenté par Mme Devésa, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer le mot :

vingt-quatre

par le mot :

douze

La parole est à Mme Brigitte Devésa.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Devesa

Un des grands défis auxquels, selon le Gouvernement, la justice française est confrontée et que le présent projet de loi est censé relever est celui de l'efficacité : plus d'efficacité et de rapidité pour les décisions de justice, mais aussi pour les actes administratifs.

Par principe, les ordonnances doivent être publiées deux fois plus vite. Cet amendement se justifie donc par son texte même.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 168, présenté par Mmes de La Gontrie et Harribey, MM. Sueur, Kanner, Bourgi, Durain, Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Remplacer le mot :

vingt-quatre

par le mot :

dix-huit

La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Au travers de cet amendement, nous proposons de diminuer le délai dont disposera le Gouvernement pour élaborer ces ordonnances, mais en vertu d'un raisonnement différent de celui de notre collègue Brigitte Devésa.

Nous proposons de nous inspirer du mécanisme utilisé lors de la recodification du code du travail, en 2005, lorsque le ministre délégué au travail était Gérard Larcher : le délai octroyé étant trop court, une nouvelle habilitation avait dû être demandée pour le prolonger.

Pourquoi cette proposition ? Parce que ce mécanisme permettra au Parlement d'être pleinement informé de l'avancement des travaux et de vérifier s'il est suffisamment conforme aux orientations proposées pour autoriser la prolongation de l'habilitation et laisser le travail aller à son terme. Il s'agirait donc d'une habilitation en deux temps, ce qui permettrait au Parlement de conserver, autant que faire se peut, la main sur le processus de rédaction des ordonnances.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

J'entends bien les différentes raisons motivant le raccourcissement du délai de rédaction. Cela aurait pu en effet constituer une solution pour contrôler que le travail de clarification et de simplification est mené à son terme.

Néanmoins, dix-huit mois, c'est très court.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Et redemander une habilitation alourdira le processus.

Je préfère pour ma part avoir le temps de débattre lors de la ratification, qui arrivera six mois plus tard, et d'engager le travail d'amélioration de l'efficacité et de contrôle de la simplification.

Douze mois, c'est encore pire : il est impossible de mener ce travail titanesque dans un délai si court, on l'a dit.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Il faut travailler vite, mais il faut aussi travailler bien. C'est un travail de longue haleine, une tâche titanesque.

Tous ceux que j'ai rencontrés pour préparer ce texte ont souligné l'ampleur de la tâche et M. le sénateur Richard, un fin connaisseur en la matière, le confirme. Tout cela me conforte dans l'idée que nous aurons besoin de vingt-quatre mois.

Les deux amendements vont dans le même sens, mais n'ont pas le même fondement, je l'ai bien compris. Néanmoins, je suis défavorable aux deux propositions, il faut que les choses se fassent à leur rythme. L'exigence est celle de la qualité.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

J'écoute ce débat avec une grande attention et avec beaucoup d'intérêt, et je trouve quelque peu étrange que, depuis des années, tout le monde s'insurge contre la complexité du code de procédure pénale, mais que rien ne bouge.

Il est maintenant proposé que l'on avance sur ce sujet, mais dix-huit mois représentent tout de même une certaine durée et, pendant celle-ci, les parlementaires peuvent être associés et suivre les travaux.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Mais oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Cela donnera le sentiment que le Parlement a fait son travail ; ce sera d'ailleurs plus qu'un sentiment, ce sera la réalité !

Depuis 2008, la Constitution dispose que la ratification des ordonnances est expresse. C'est beau, c'est généreux, mais, dans la plupart des cas, cela ne s'applique pas : dès que l'ordonnance est publiée, elle est effective. C'est un véritable problème.

J'entends bien, monsieur le garde des sceaux, que vous ayez pris l'engagement de soumettre au Parlement le texte, qui sera imposant, pour ratification expresse.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Oui !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Mais j'insiste sur la nécessité de respecter cet engagement, sans quoi tout le débat que nous avons, sur le maintien à l'identique du fond du texte avec plus ou moins d'adaptations et d'arrangements, est nul, car nous ne pourrions pas nous saisir de ce texte.

Ce que ces amendements tendent à proposer, pour garantir que le Parlement soit effectivement consulté sur le travail principal et sur le résultat, me paraît opportun, car il y aura forcément des modifications de fond. Forme et fond ne peuvent jamais être totalement dissociés.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Je veux faire état, à propos de la question de la durée, de toutes mes expériences de codification des dernières années : le temps d'examen des textes recodifiés ou nouvellement codifiés par le Conseil d'État est au minium de trois mois. Une ordonnance est un texte écrit par le Conseil d'État. Quand je considère la masse que représentera le code réécrit, j'imagine que le Conseil d'État indiquera qu'il ne peut garantir la sécurité juridique du code qu'avec un délai d'au minimum quatre mois.

C'est, entre autres, pour cette raison que le délai comprimé de dix-huit mois n'est pas réaliste.

L'amendement n'est pas adopté.

L'amendement n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Au deuxième alinéa de l'article 367 du code de procédure pénale, après le mot : « criminelle », sont insérés les mots : « ou s'il comparaît détenu devant la cour d'assises ». –

Adopté.

Chapitre II

Dispositions améliorant le déroulement de la procédure pénale

Section 1

Dispositions relatives à l'enquête, à l'instruction, au jugement et à l'exécution des peines

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 15 rectifié ter, présenté par Mmes Herzog et Saint-Pé, M. Folliot, Mme Dindar, MM. Delcros, B. Fournier, Genet, Moga et Duffourg, Mme Jacquemet et M. Henno, est ainsi libellé :

Avant l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 4° de l'article 61-1 du code de procédure pénale est complété par les mots : « et du droit de disposer d'une copie certifiée conforme du procès-verbal, délivrée par l'autorité d'enquête dans le cadre de l'audition ou de la confrontation ».

La parole est à M. Alain Duffourg.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Duffourg

Il s'agit de modifier l'article 61-1 du code de procédure pénale pour que les personnes entendues aient une copie du procès-verbal délivrée par l'autorité d'enquête ; les enquêteurs en ont d'ailleurs déjà la possibilité aujourd'hui.

Si vous me le permettez, monsieur le président, je présenterai en même temps l'amendement n° 16 rectifié ter.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

J'appelle donc également en discussion l'amendement n° 16 rectifié ter, présenté par Mmes Herzog et Saint-Pé, M. Folliot, Mme Dindar, MM. Delcros, B. Fournier, Genet, Duffourg et Moga, Mme Jacquemet et M. Henno, et ainsi libellé :

Avant l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le troisième alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Après chaque interrogatoire, confrontation et reconstitution, après qu'elle en a été informée verbalement, une copie du procès-verbal est immédiatement délivrée par tout moyen à la personne entendue. »

Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Duffourg

Cet amendement va dans le sens du précédent : il s'agit de prévoir la possibilité, pour chaque partie, de disposer d'une copie du procès-verbal des interrogatoires, confrontations et reconstitutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Ces amendements sont inspirés par une proposition de loi de Mme Herzog, déposée en juillet dernier.

L'amendement n° 15 rectifié ter tend à donner à toute personne entendue par la police ou soumise à confrontation le droit d'obtenir copie de son procès-verbal.

Cela ne soulève pas de difficulté technique, mais cela risque de compromettre la préservation du secret de l'enquête et de conduire à la divulgation de certains éléments de l'audition.

Il en est de même avec l'amendement n° 16 rectifié ter, qui porte à peu près sur le même sujet.

La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Même avis, pour les mêmes raisons.

L'amendement n'est pas adopté.

L'amendement n'est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

L'amendement n° 267, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Avant l'article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 230-8 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Aux première, sixième, huitième, neuvième et dixième phrases du premier alinéa, après chaque occurrence du mot : « mention », sont insérés les mots : « interdisant l'accès dans le cadre d'une enquête administrative » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« S'agissant des décisions rendues par une cour d'appel, le procureur général territorialement compétent dispose des mêmes prérogatives que le procureur de la République. »

La parole est à M. le garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Le fichier de traitement d'antécédents judiciaires est essentiel au bon fonctionnement de la justice et aux échanges entre les services d'enquête et l'autorité judiciaire. Le présent amendement vise à en améliorer la gestion.

D'une part, il tend à prévoir la possibilité, pour les procureurs généraux, de modifier le fichier à la place des procureurs de la République pour ce qui a trait aux décisions prises par les cours d'appel, afin de privilégier l'échelon le plus proche de la décision.

D'autre part, il vise à clarifier la notion de « mention » figurant à l'article 230-8 du code de procédure pénale. Ce terme est peu lisible, parce que l'article peut viser à la fois les mentions du casier judiciaire et les mentions de restriction d'accès à certaines données dans le fichier de traitement d'antécédents judiciaires. Il s'agit ainsi de préciser que la mention inscrite dans le traitement d'antécédents judiciaires porte sur l'accessibilité des données, qui reste possible pour l'autorité judiciaire, mais qui n'est pas possible dans un cadre administratif.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Voilà un bel exemple de clarification complexe du code de procédure pénale…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Je l'avoue, je n'ai pas tout compris, mais je ne peux que soutenir cette volonté de clarification du code de procédure pénale ; cela montre l'ampleur de la tâche qui vous incombe, monsieur le garde des sceaux…

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 3.

Mes chers collègues, nous avons examiné 41 amendements au cours de la journée ; il en reste 215.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

L'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq,

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la politique étrangère de la France en Afrique.

La parole est à Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Debut de section - Permalien
Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous le savons tous : l'Afrique est une région « où se joue une partie de notre avenir commun ». Ce constat qu'avait fait le Président de la République, en 2017, devant les étudiants de l'université de Ouagadougou demeure résolument actuel.

Nous partons d'une réalité : l'Afrique subsaharienne compte aujourd'hui 1, 1 milliard d'habitants et, selon les Nations unies, sa population devrait doubler d'ici à 2050.

L'Afrique, c'est donc un dynamisme réel dans notre voisinage immédiat, avec ce que cela implique en termes tant de défis que d'opportunités.

Pour ce qui est des opportunités, je citerai les perspectives de développement, c'est-à-dire, au travers d'une participation toujours plus importante du continent dans l'économie mondiale, des marchés à consolider ou à investir pour nos entreprises. Il faut aussi compter avec une jeunesse dynamique, entreprenante, créative.

Du côté des défis, il faut évoquer tous les risques induits précisément par cette forte croissance démographique, dans un espace très exposé par ailleurs au changement climatique et à ses multiples et terribles conséquences.

Ce constat étant posé, nous devons faire face à des enjeux immenses qui concernent le développement, la transition climatique, le partage de la richesse, l'éducation ou encore la santé, lesquels entraînent de nombreuses conséquences sur les plans sécuritaire, sanitaire et migratoire.

Pour toutes ces raisons, et compte tenu de toutes ces réalités, nous avons bel et bien « un destin lié avec le continent africain », selon la formule employée le 27 février dernier par le Président de la République, qui disait aussi dans cette intervention : « Ce n'est ni une bonne ni une mauvaise nouvelle, c'est un fait. Et tout dépendra de ce que nous en faisons. »

On a trop souvent considéré, de ce côté-ci de la Méditerranée, que les relations entre la France et l'Afrique étaient un peu à l'image de celles de Montaigne et La Boétie : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. »

Nous avons trop longtemps pensé que nos relations allaient de soi, faisant comme si les Africains allaient toujours nous donner la préférence, dans une logique de réflexe immuable. Or rien n'est plus faux. Dans un monde sans cesse plus concurrentiel, cette attitude conduirait inévitablement à perdre en crédibilité, au moment précis où notre coopération commune n'a jamais été aussi souhaitable.

L'époque où certains considéraient l'Afrique comme le terrain d'une rivalité à somme nulle entre puissances est, en outre, totalement dépassée. Les pays africains ont depuis bien longtemps diversifié leurs partenaires, comme nous l'avons tous fait.

En somme, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la politique étrangère de la France en Afrique consiste à mettre fin définitivement à cette logique, à cette mentalité de l'évidence, pour mieux avancer ensemble main dans la main, en véritables partenaires. Nous avons pour cela de nombreux atouts qu'il nous faut faire valoir.

Il s'agit, tout d'abord, de l'intensité de nos liens humains, de cette langue française que nous partageons avec l'Afrique francophone, de ce million de Français de La Réunion et de Mayotte qui vivent en Afrique et dont nous voulons renforcer l'intégration régionale.

Ce sont, ensuite, nos diasporas, aussi bien les Français qui vivent en Afrique que les Africains qui vivent en France ; sans oublier, bien sûr, ces millions de nos compatriotes qui sont liés à ce continent.

Il y a, enfin, l'ambition de la France, laquelle entend donner la pleine mesure de ses moyens à son action.

Cette ambition se retrouve dans notre aide publique au développement (APD) qui est passée, entre 2017 et 2022 – je le rappelle – de 10 à 15 milliards d'euros par an. La France est ainsi devenue l'an dernier le quatrième bailleur mondial et le seul à avoir accru ses financements sur le continent africain, avec 5, 2 milliards d'euros de financements bilatéraux et multilatéraux destinés à l'Afrique. À Bruxelles, également, nous défendons la place de l'Afrique comme première région de la solidarité européenne.

À une échelle plus globale, le Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial des 22 et 23 juin prochain visera également à conjurer un risque de fracture grandissante entre le Nord et le Sud, en répondant aux besoins des pays en développement pour financer la transition écologique et la sortie de pauvreté.

Notre ambition est aussi celle que nous manifestons en soutenant les attentes de l'Afrique d'être mieux intégrée à la gouvernance mondiale. Nous sommes résolument favorables à une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, avec l'attribution d'un siège de membre permanent à un pays africain ainsi qu'une participation pleine et entière de l'Union africaine (UA) au G20.

Nous déployons notre ambition, par ailleurs, au travers de notre réseau culturel, grâce aux 28 Instituts français et 109 Alliances françaises présents dans la seule Afrique subsaharienne. Les 108 établissements scolaires affiliés à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) installés sur le continent africain sont un autre outil de rayonnement auprès des générations futures.

En France, nos universités accueillent un nombre toujours croissant d'étudiants africains. Ils étaient 150 000 en 2021, en augmentation de 40 % depuis 2017.

Notre ambition se déploie également sur le terrain économique.

À cet égard, il faut se méfier de certains faux-semblants. Les économies africaines s'étant largement mondialisées, nos parts de marché ont pu marquer le pas. Mais la croissance africaine a été telle que notre présence économique a augmenté en volume, de plus en plus de PME françaises se tournant vers le continent. En quinze ans, le nombre des filiales d'entreprises françaises en Afrique a doublé, de même que nos investissements. La France est aujourd'hui le deuxième investisseur étranger sur le continent.

Ces points sont trop peu souvent rappelés.

Notre réseau diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir cette dynamique, tout en défendant nos intérêts.

Enfin, notre ambition se déploie dans un dialogue continu et approfondi avec nos partenaires africains sur tous nos sujets d'intérêt commun, qui sont nombreux.

Au premier rang de ceux-ci figure, bien sûr, la lutte contre le changement climatique. En 2021, à la COP26 de Glasgow, nous avons été précurseurs en nous engageant dans le partenariat pour une transition énergétique juste (JETP) pour l'Afrique du Sud afin de faire sortir progressivement ce pays, dans lequel je me rendrai dans deux semaines, de sa dépendance au charbon.

Dès le début de la guerre russe en Ukraine, qui a très sévèrement aggravé l'insécurité alimentaire, nous nous sommes mobilisés pour soutenir les pays les plus vulnérables, notamment africains. Nous avons ainsi financé et facilité l'envoi de céréales et amélioré la sécurité alimentaire, en particulier via le transport récent de 20 000 tonnes d'engrais vers le Malawi. En Éthiopie, où je me suis également rendue, nous avons acheminé, avec l'aide de l'Allemagne, 26 000 tonnes de céréales destinées au Programme alimentaire mondial (PAM). Nous avons d'ailleurs doublé notre contribution à ce programme et travaillons au renforcement des systèmes alimentaires en Afrique.

La Russie, quant à elle, exerce un chantage constant sur la reconduction de l'initiative céréalière pour l'exportation via la mer Noire des céréales ukrainiennes.

Vous vous en doutez, la guerre en Ukraine est au cœur des discussions avec nos partenaires africains, pour en limiter les conséquences néfastes sur eux, mais aussi en soi. En effet, l'agression d'un pays souverain par son voisin est aussi une agression contre les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, notamment l'égalité souveraine et le respect de l'intégrité territoriale des États : sans le respect de ces principes, les États ne peuvent connaître ni paix ni stabilité. Nous faisons valoir cette position dans le monde entier, en particulier auprès de nos partenaires africains qui ne perçoivent pas suffisamment ce point de vue et considèrent que l'Europe est trop loin.

Dans notre dialogue avec ces partenaires, nous défendons sans relâche la nécessité de maintenir et d'accroître la pression sur la Russie pour faire en sorte que son agression échoue. En effet, l'avenir et la sécurité de toutes les nations souveraines sont bel et bien en jeu. Une agression qui serait récompensée ouvrirait la voie à d'autres, là ou ailleurs. Tous doivent en être conscients, car tous sont concernés.

Ce rappel est d'autant plus indispensable au moment où six chefs d'État du continent s'apprêtent à se rendre à Kiev et à Moscou, dans le cadre d'une initiative de paix dont les contours restent à dessiner. Rappelons-le, toute initiative doit s'appuyer sur le plein respect des principes fondamentaux de la Charte.

Plus généralement, et partout sur le continent, la France met sa diplomatie au service de la paix. C'est notamment le cas en Afrique de l'Ouest, où les pays du Sahel et du golfe de Guinée font toujours face à une importante menace terroriste. Je laisserai le soin au ministre des armées de revenir plus en détail sur les aspects militaires de notre action.

Au Soudan, nous sommes en contact avec les deux parties au conflit, ce qui nous a permis en avril dernier d'évacuer les Français désireux de quitter Khartoum ainsi que de très nombreux ressortissants étrangers. Nous devons aussi convaincre les belligérants de renouveler la trêve, de la rendre effective, et de rechercher une nécessaire solution politique.

Dans la région des Grands Lacs, notre diplomatie est aussi à la manœuvre pour soutenir le processus de paix.

Enfin, nous dialoguons en permanence sur les questions liées à l'État de droit – démocratie, lutte contre la peine de mort, égalité entre les femmes et les hommes, droits des personnes LGBT+, liberté d'expression – et, plus généralement, de l'ensemble des sujets sur lesquels la France a des positions à tenir. C'est ce que nous faisons partout dans le monde, que notre interlocuteur soit africain ou non.

L'autre grande clé de compréhension de notre politique étrangère en Afrique est à trouver dans cette volonté, clairement exprimée, « de bâtir une nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable », pour reprendre les mots du Président de la République. Nous entretenons des liens de ce type avec chacun des 54 pays du continent, dans le cadre de 54 relations bilatérales. Il y a non pas une, mais de nombreuses Afrique, un continent dans lequel nous avons 54 partenaires.

Tous ces pays ont leurs spécificités ; c'est la raison pour laquelle il ne faut pas réduire les relations franco-africaines à une seule situation, au prix de raccourcis et de simplifications – on en connaît beaucoup.

Se laisser prendre au piège de fausses paniques déclinistes ou s'enfermer dans des complexes qui n'ont pas lieu d'être, c'est ne pas être à la hauteur de ce qui se passe réellement et concrètement – soit, dans l'écrasante majorité des cas, des relations qui fonctionnent bien et portent leurs fruits.

Pour autant, et face à certains vents contraires, nous sommes déterminés.

Je pense en particulier à la diffusion de discours antifrançais dans certains pays d'Afrique francophone. Ces discours, dont nous devons comprendre l'origine, sont pour partie liés à l'héritage de l'Histoire, pour partie aux frustrations de la jeunesse, mais pour partie aussi à des entreprises hostiles et plus ou moins souterraines, en particulier venant de la Russie.

Face à chacune de ces causes, nous agissons résolument. C'est notamment le sens de notre présence sécuritaire en Afrique, dans une dynamique nettement plus partenariale – moins visible aussi. Je laisserai le ministre des armées détailler notre nouvelle posture.

C'est aussi le sens de la démarche entreprise auprès de certains pays où notre relation commune doit faire face à une mémoire troublée, à un « passé qui ne passe pas », parce que nous n'avons pas fourni assez tôt et assez résolument les efforts nécessaires attendus par nos partenaires africains.

Ce qui a été fait au Rwanda doit nous montrer la voie : les travaux menés par des historiens de nos deux pays ont permis à la France de regarder son Histoire en face, pour mieux construire une relation de confiance.

C'est également la voie que nous prenons au Cameroun depuis l'été dernier, avec l'installation récente d'une commission d'historiens et d'artistes français et camerounais.

Plus globalement, nous donnons un nouveau tournant à notre communication en l'orientant davantage vers la jeunesse, à laquelle nous voulons montrer la réalité concrète de notre coopération, parfois occultée par des déclarations inexactes.

J'ai aussi redonné à nos ambassades en Afrique les moyens de mener elles-mêmes, directement, de petits projets visibles et rapides au plus proche du terrain et des bénéficiaires. Il y va de notre influence. Je viens ainsi de lancer un Fonds Équipe France doté de 40 millions d'euros – ce montant peut paraître faible, mais pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, c'est beaucoup !

Debut de section - Permalien
Catherine Colonna, ministre

Son objet est de permettre à nos ambassades de monter des projets à haute valeur politique.

J'ai également lancé en début d'année un fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel, de 20 millions d'euros, afin que nos ambassades en Afrique puissent soutenir directement les acteurs des industries culturelles et créatives, avec lesquels nous avons tant à faire et qui ont tant à nous apprendre.

Ces deux fonds sont complémentaires avec l'action plus structurante et de long terme que mène l'Agence française de développement (AFD).

Sur le plan culturel, après la saison Africa 2020, nous inaugurerons bientôt à Paris une Maison des mondes africains, afin de faire rayonner les cultures et les créations africaines en France, de mettre en valeur nos diasporas et de faire la démonstration que la France et ses partenaires africains sont plus forts et plus influents lorsqu'ils s'unissent. Cette intimité culturelle entre la France et l'Afrique nous permet aussi de rayonner dans le monde entier. Partout dans le monde, nos Instituts programment des artistes africains ou des créations franco-africaines, souvent avec un très grand succès.

Plus que jamais, nous travaillons avec les acteurs de la société civile, les artistes, les entrepreneurs et les intellectuels du continent. La Fondation de l'innovation pour la démocratie, lancée en octobre dernier avec Achille Mbembe, que je rencontrerai bientôt en Afrique du Sud, entend ainsi mettre en réseau celles et ceux qui inventent chaque jour les nouvelles formes de vie démocratique sur le continent, et tout cela sans donner de leçons, avec humilité et conviction. Nous devons les aider et nous appuyer sur eux.

Enfin, face au défi des manipulations de l'information par des puissances déstabilisatrices – j'en ai déjà cité une –, nous nous dotons des moyens d'agir.

J'ai augmenté les moyens du ministère en matière de communication et de rayonnement, et ce mouvement a vocation à se poursuivre. Nous avons ainsi mis en place des dispositifs de veille, de détection des manœuvres hostiles et de riposte, en particulier sur les réseaux sociaux. Nous soutenons en parallèle les fact checkers – pardon pour ce franglais ! – et les écosystèmes médiatiques africains afin qu'existe sur le continent une presse de qualité et professionnelle.

J'ai demandé à nos ambassadeurs d'adopter une communication plus visible et plus offensive. Nous avons également mené un travail de refonte de la communication de tous nos opérateurs pour qu'il n'y ait, sur le terrain, qu'un seul drapeau et qu'une seule équipe France.

Avant de passer la parole au ministre des armées, je veux clore mon propos en insistant une dernière fois sur l'un des principaux atouts du continent : sa jeunesse.

Cette jeunesse exigeante, entreprenante, fière et totalement ouverte sur le monde ne veut pas qu'on lui dise ce qui est bon, ou non, pour elle. Elle souhaite non pas que l'on agisse à sa place, mais simplement que l'on investisse dans ses projets dans un esprit de partenariat gagnant-gagnant.

Cette jeunesse, qui ressemble tellement à la nôtre, nous lance un défi : celui de nous renouveler et de changer notre manière de faire. Nous entendons cette demande. Je puis vous assurer que tous nos diplomates en Afrique font vivre, avec conviction et enthousiasme, le programme de transformation que nous avons lancé. C'est ainsi que la France restera un partenaire proche, pertinent et fiable de ce continent appelé à occuper une position centrale dans les équilibres du monde de demain.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Sébastien Lecornu, ministre des armées

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviendrai plus précisément sur la situation sécuritaire et, par là même, sur la question de la présence militaire française sur le continent africain.

Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères l'a dit, l'Afrique étant un continent, les situations sécuritaires et d'organisation de nos forces armées sont aussi diverses que nous y avons de partenaires.

Je commencerai par évoquer cinq points, avant de laisser la place au débat puis de répondre à vos interrogations, commentaires et réflexions.

Premier point : en étant quelque peu schématique, voire caricatural, on peut au fond distinguer deux grandes périodes depuis le début des années 2000.

Tout d'abord, de 2000 à 2010, de nombreuses interventions françaises ont été menées sur fond de culture d'interposition, ou de missions de maintien de la paix dans le cadre des Nations unies. La plus connue est l'opération Licorne de participation des forces armées françaises au maintien de la paix en Côte d'Ivoire. Pour le dire vite, il y en a eu d'autres…

Ensuite, la période de 2010 à 2020 a été marquée par la lutte contre les groupes armés terroristes au travers des opérations Serval puis Barkhane au Sahel, décidées par le Président de la République François Hollande, notamment à la demande de notre partenaire malien. Les groupes ciblés, qui pouvaient avoir des ramifications sur le sol européen, faisaient aussi peser des menaces plus endogènes – j'y reviendrai.

Je tiens à dire que les missions Serval et Barkhane sont des succès militaires, contrairement à ce que j'entends dire ici ou là. Ces interventions des armées françaises ont certes pu avoir des limites politiques, mais, sur le terrain tactique et militaire, elles ont été marquées du sceau du succès. Que celles et ceux qui disent le contraire démontrent la véracité de leurs propos ! Leur narratif me semble d'ailleurs en contradiction avec le sacrifice de nos cinquante-trois soldats qui sont tombés au Sahel – neuf lors de l'opération Serval ; un soldat lors de l'opération Épervier, ce que l'on oublie trop souvent ; quarante-trois durant Barkhane.

Permettez-moi, monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir une pensée particulière pour ces soldats, leurs familles et l'ensemble de ceux qui ont été blessés dans le cadre de ces opérations. L'armée française est une armée d'emploi qui prend sa part de risques, c'est le moins que l'on puisse dire. En l'occurrence, ces missions se sont soldées par un succès, même si elles furent douloureuses.

Au fil du temps, nous avons fini par nous substituer aux différents pays qui nous avaient demandé, pour certains, d'intervenir. J'y reviendrai, pour en tirer un certain nombre de conclusions.

Deuxième point : les menaces évoluent, changent. Cela, Paris doit le comprendre.

Je suis frappé de constater à la lecture de nombreux commentaires, y compris dans la presse, à quel point la menace terroriste a fondamentalement évolué. Parfois plus fragmentée, elle n'en est pas moins dangereuse dans la mesure où elle se balkanise et devient plus diffuse sur l'ensemble de la zone. Elle est aussi plus endogène, plus tribale et plus compliquée à détecter et à renseigner.

Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères a dit très justement que le continent africain s'était ouvert, pour le meilleur comme pour le pire. Il s'est ouvert à un certain nombre de diversifications, et donc à des influences légitimes. En tant qu'États souverains, ces pays ont choisi de diversifier leurs partenariats et de faire jouer une forme de mise en concurrence sur les questions économiques, mais aussi, parfois, sur les sujets sécuritaires, et notamment de développement capacitaire en matière d'équipements militaires.

La France doit donc relever le défi suivant : être davantage attractive pour ces partenaires anciens avec lesquels elle entretient une relation que l'on pourrait qualifier d'affective. Pour autant, notre manière d'interagir avec d'autres compétiteurs a parfois été très déceptive.

D'autres influences sont plus malvenues, sur fond de compétition économique et d'initiatives sécuritaires ou informationnelles. On ne peut pas ne pas citer, à cet égard, le compétiteur stratégique russe et le groupe Wagner.

Le troisième point que j'évoquerai ne fait jamais l'objet, à Paris, d'une réflexion, pas plus dans les cercles politiques et intellectuels que dans les think tank diplomatiques ou institutionnels : le continent africain est soumis à la tension entre les modèles dits « autoritaires », d'un côté, et de démocratie libérale, de l'autre. Tel était le cas au Mali.

Cette question se pose lorsqu'il y a des juntes militaires : on reproche presque à Paris leur arrivée dans un pays, et lorsque la France essaie d'intervenir, on lui reproche une forme d'ingérence ou une manière de faire en Afrique de la politique « à l'ancienne », c'est-à-dire en intervenant dans les processus démocratiques ou non démocratiques.

Je soumets à la Haute Assemblée cet élément de réflexion qui concerne les forces armées et d'autres services relevant de ma tutelle : il faut certes renseigner et détecter – j'ai répondu à plusieurs questions sur ces sujets dans le cadre de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) –, mais, au-delà du domaine militaire et de celui du renseignement, il convient aussi de mener un combat politique pour défendre les valeurs de la démocratie.

Pour citer Tocqueville et les grandes valeurs liées à la liberté, il faut se demander si un modèle convient ou ne convient pas. Plusieurs continents sont confrontés à cette question et l'Afrique n'y fait pas exception.

J'en viens à un autre aspect important : qu'en est-il de notre présence militaire ? Là encore, un certain nombre de commentaires que l'on peut lire dans la presse ne sont pas d'une grande exactitude.

Il existe trois familles de bases militaires, qui correspondent à différentes missions.

La première famille est située dans le « duo » Sénégal-Gabon. Il s'agit de bases ayant des éléments prépositionnés depuis l'indépendance de ces pays et la conclusion des premiers traités de défense. Ces pôles de coopération permettent l'accès à des infrastructures – souvent civiles, rarement militaires – qui peuvent être utilisées à des fins militaires, et proposent de nombreuses formations à ces partenaires ainsi qu'à d'autres pays situés à proximité.

C'est encore plus vrai, d'ailleurs, pour les éléments français positionnés au Gabon : huit ou neuf pays voisins peuvent profiter des offres de formation que nous organisons là-bas.

Ce sont plutôt de longs séjours. Dans ces bases, il n'y a pratiquement aucun armement, si ce n'est pour organiser la formation. Au Sénégal, au Gabon, il doit y avoir un ou deux véhicules de l'avant blindés au maximum.

La deuxième famille est constituée par les bases opérationnelles. Je pense aux forces prépositionnées en Côte d'Ivoire, à Abidjan et Port-Bouët, et bien évidemment à la base de Djibouti.

Port-Bouët regroupe 950 personnes et Djibouti, 1700 personnes. Djibouti est une base pour l'Afrique de l'Est, comme on l'a vu avec l'opération Sagittaire et l'évacuation de nos ressortissants à Khartoum. C'est aussi une base de sécurité pour le partenaire djiboutien, avec des accords de défense et des clauses de sécurité. C'est enfin une base très largement ouverte sur l'Indopacifique, avec sa dimension navale et les enjeux de sécurité à Ormuz, Bab el-Mandeb et dans l'ensemble de l'océan Indien. De ce point de vue, elle est connectée à nos éléments positionnés aux Émirats arabes unis et aux forces armées de la zone sud de l'océan Indien (Faszoi) à Mayotte et à La Réunion. Djibouti est donc à la fois tournée vers l'Afrique et vers l'ensemble de la zone Indopacifique.

Ces deux bases opérationnelles sont importantes non seulement par leur empreinte, mais aussi par le fait qu'elles sont de véritables points d'appui au combat.

À la différence des forces positionnées au Gabon et au Sénégal, les forces présentes sur ces bases peuvent être engagées à la demande du Président de la République, en fonction des accords de défense signés avec les différents pays et des nécessités de la lutte contre le terrorisme.

La troisième famille de bases regroupe des positionnements organisés sur le régime des opérations extérieures, aux côtés des forces locales. Elles sont situées dans deux immenses pays, dont la sécurité et la stabilité nous importent : le Tchad et le Niger.

Ceux des sénateurs qui se sont rendus récemment au Niger ont pu y observer au mieux l'offre française rénovée en matière d'appui au combat. Nous soutenons le partenaire nigérien, sans nous substituer à celui-ci. Nous n'engageons un certain nombre de missions qu'à la demande des autorités nigériennes, dans un dialogue sécuritaire, militaire, politique et diplomatique, et nous commençons à voir des résultats probants sur le terrain.

Dans la région de Tillabéri, par exemple, seuls 33 % de la surface agricole étaient exploitables en raison de la présence de groupes terroristes armés. Après plusieurs mois d'opérations des forces militaires françaises et nigériennes, ce taux est passé à 65 %. Cela démontre l'efficacité des missions menées, dans une certaine forme de discrétion, voire même d'indifférence à Paris.

Le Niger est pourtant engagé dans un combat très courageux contre les groupes armés terroristes. C'est aussi grâce à ce pays que nous avons réussi le redéploiement des éléments de Barkhane, voilà un an. Ce pays joue plus globalement un rôle très important dans la stabilité de l'ensemble de la zone sahélo-saharienne. Il faut donc parler du Niger en saluant les efforts du président Bazoum et de son armée.

Cinquième point, la mise à jour de la présence militaire française, annoncée par le Président de la République voilà plusieurs mois, se fera selon certains points de doctrine que je souhaite clarifier devant la Haute Assemblée.

Face à la guerre informationnelle menée par certains de nos concurrents, une des conditions de notre succès sera d'apprendre de nos échecs et d'en tirer des leçons, sans se comporter en inspecteurs des travaux finis, mais en regardant lucidement ce qu'a été la fin de Barkhane. Nous ne devons plus nous substituer aux États souverains africains dans la lutte contre le terrorisme. Notre présence doit répondre à une demande d'aide ; nous pouvons offrir un soutien, mais nous ne devons pas agir à la place de ces États. À défaut, cette situation nous expose et ne donne pas satisfaction à la l'issue de la mission, tant sur le plan militaire, diplomatique que politique.

Cela signifie également que le besoin de France sur le terrain militaire doit être exprimé de manière claire, comme pour tout autre État souverain, et dans le respect de cette souveraineté. Il est important de demander aux pays partenaires ce qu'ils veulent et d'expliciter ce que nous sommes prêts à faire. Si cela fonctionne au Niger ou à Djibouti, c'est parce qu'il y a beaucoup d'écoute et d'attention accordées à l'expression des besoins de ces partenaires. C'est un chemin que nous devons également emprunter dans les autres pays où nous avons des forces ; ce travail est en cours, que ce soit au Sénégal, au Gabon ou dans la République centrafricaine.

Nous devons aussi réfléchir à la taille de nos empreintes militaires. Le temps est révolu où nous pouvions accepter des situations peu efficaces. Au Sénégal, par exemple, nous n'avons pas une seule base, mais sept ou huit empreintes militaires françaises dans l'agglomération de Dakar, ce qui n'est pas satisfaisant pour nos forces armées.

Les installations militaires françaises sont ouvertes à notre partenaire sénégalais pour des formations. Il serait donc judicieux de passer à une forme de cogestion, pas pour l'intégralité de la base française, mais pour certains éléments. Lorsque vous êtes engagé dans un partenariat de formation, vous développez déjà une forte intimité stratégique et vous établissez une relation de confiance très avancée avec le partenaire. Nous devons donc nous efforcer de moderniser la gestion de nos empreintes militaires, sans hésiter à innover.

C'est un point clef, sur lequel des progrès sont réalisés. Si l'on examine de près l'ensemble des empreintes, on constate qu'elles ne sont pas comparables les unes aux autres : les éléments français au Gabon ou au Sénégal sont déjà très ouverts sur la ville, avec des associations, des crèches et des écoles parfois situées en plein milieu des camps militaires ; par contraste, le camp de Port-Bouët à Abidjan est une grande caserne située à l'extérieur de la ville, donnant l'impression d'être très déconnectée de la vie quotidienne ivoirienne.

Les maires ou les élus municipaux ici présents savent que l'on ne peut plus dissocier une emprise militaire de son environnement civil. C'est l'une des principales conclusions que nous avons tirées de ce qui se passe actuellement en Afrique. D'autres partenaires et alliés l'ont déjà compris, il n'y a aucune raison pour que nous prenions du retard sur cette question.

Il est désormais nécessaire de proposer un catalogue de formations à jour. Nous nous sommes parfois trop satisfaits de nous-mêmes et de l'offre de formation que nous avions produite. Ce que nous faisions était de qualité, mais avait tendance à mal vieillir : alors que nous offrions des formations classiques, robustes et efficaces, d'autres partenaires ou pays, tels que la Turquie, Israël et parfois l'Algérie, ont commencé à proposer des formations sur de nouveaux segments, comme la lutte anti-drones, la maîtrise des drones, l'initiation à la cyberguerre ou à la guerre électronique. C'est l'un des éléments qui me conduira à prendre des décisions organisationnelles différentes pour nos forces prépositionnées.

Plutôt que de longs séjours, avec des métiers fixes ou statiques, nous devrions opter pour des séjours plus courts de compagnies ou de bataillons de militaires français, parfois pour une durée d'un mois, deux mois, voire trois mois, avec la participation de réservistes.

L'objectif est de proposer une offre de formations beaucoup plus large, incluant parfois des fonctions simples, comme le désarmement d'engins explosifs improvisés, la protection individuelle ou le combat d'infanterie classique, mais aussi des sujets à plus forte valeur ajoutée. Si nous n'y prenons garde, nous pourrions prendre du retard en ce domaine – pour être honnête, nous en avons déjà pris !

Enfin, nous devons rouvrir nos écoles militaires pour officiers et sous-officiers – j'insiste particulièrement sur ces derniers – sur le territoire national. La fin du service militaire et l'avènement de notre armée de métier étaient des évolutions positives. Toutefois, en raison des différentes réductions budgétaires que le ministère de la défense ou les armées ont connues au fil du temps, les stagiaires des pays amis et partenaires d'Afrique ont été de moins en moins nombreux dans les écoles de Saint-Cyr Coëtquidan et de Salon-de-Provence ainsi qu'à l'École navale ou à Polytechique – pour ne citer que ces écoles d'officiers. Dans les années 1980 ou 1990, nous accueillions parfois plusieurs dizaines de jeunes aspirants et sous-lieutenants issus des armées africaines, nous n'en avons plus qu'un, deux ou trois par cohorte. Si nous voulons parler d'influence, cela ne suffit pas. C'est pourquoi j'ai demandé que nos écoles soient rouvertes, avec pour objectif d'accueillir chaque année 600 stagiaires provenant des pays d'Afrique d'ici à 2030. Cette proposition suscite une forte adhésion de la part de nos partenaires.

Enfin, il est essentiel de réfléchir au capacitaire, aux équipements et à l'armement. Notre base industrielle et technologique de défense (BITD), avec toutes ses qualités reconnues, a pris de bonnes habitudes en matière d'exportation d'armes avec de grands contrats vers de grands pays, ce qui est une bonne chose.

Toutefois, il est indéniable que les armées des pays partenaires réalisent également d'importants efforts budgétaires pour monter en puissance. L'armée sénégalaise, l'armée ivoirienne, par exemple, n'ont plus rien à voir avec ce qu'elles étaient voilà dix ou quinze ans. Or leurs besoins en équipement et en capacités sont toujours présents. Et nos industriels ont parfois pu décourager certaines armées de pays amis, jugeant les contrats trop peu importants. La nature ayant horreur du vide, ce sont nos concurrents qui ont pris la place…

Il y a une réflexion clef à mener avec la direction générale de l'armement (DGA), avec la BITD et avec le monde bancaire, notamment la Banque publique d'investissement (BPI), afin de trouver des solutions pour tous ces pays et leur permettre de continuer à monter en puissance. Nous devons être présents pour les aider dans leurs efforts, ce qui passe également par les équipements.

Un autre point que nous devrons aborder lors des discussions sur le projet de loi de programmation militaire est la nécessité de renforcer notre réseau d'attachés de défense. La ministre a évoqué le renforcement du réseau diplomatique, mais son propos doit s'appliquer aussi aux attachés de défense et aux attachés d'armement. Savez-vous qu'aucune ambassade en Afrique ne dispose actuellement d'un attaché d'armement de la DGA ? C'est évidemment un non-sens.

Nous devons accroître aussi nos capacités expéditionnaires. Nous l'avons vu avec l'opération Sagittaire, notamment lors de l'évacuation de Khartoum, mais aussi dans d'autres opérations. Cela soulève la question de la cohérence et de la masse. Avoir un grand nombre d'A400M, c'est bien, mais encore faut-il qu'ils soient et opérationnels et dotés d'une interopérabilité avec les forces spéciales. Nous avons de nouvelles perspectives de contrats opérationnels en matière expéditionnaire à l'avenir, ce qui nous permettra d'être beaucoup plus agiles dans notre approche.

La question du renseignement, que je n'aborderai pas ici, car elle a été traitée au sein de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), est évidemment un sujet clef, notamment dans la lutte contre le terrorisme.

Parmi les axes d'effort, j'ai beaucoup parlé des pays francophones, car c'était la directive qui m'avait été donnée pour éclairer le Sénat sur la manœuvre en cours concernant les bases. J'ai donc fait ce choix éditorial, si je puis dire, pour vous éclairer complètement sur ce sujet. Il est clair que les questions de sécurité et de défense concernent également à l'Afrique lusophone et anglophone, où nombre d'États sont aussi confrontés à la lutte contre le terrorisme.

La situation du Mozambique, par exemple, nous intéresse directement en raison de notre proximité géographique. Il y a également l'Angola, où le Président de la République s'est rendu récemment. Je ne vais pas citer tous les pays concernés.

Dans certains d'entre eux, nous n'avons pas de forces, mais des perspectives de renouvellement ou de renforcement des accords de défense, ainsi que des perspectives en matière de capacité.

Je tiens à rappeler à la Haute Assemblée que nous avons signé un contrat pour une offre satellitaire avec l'Angola en matière de renseignement. Cela peut sembler peu intuitif de prime abord, mais cet accord montre bien que si nous sommes compétitifs, nous sommes également capables d'aider nos partenaires sur de nouveaux segments technologiques.

Enfin, je souligne que l'esprit de Takuba demeure parmi nos partenaires européens. Parfois, les questions relatives à l'Europe de la défense méritent d'être traitées avec prudence, en dehors de l'Otan et des cercles d'intervention classiques. Grâce aux compétences de l'armée française, nous avons réussi à entraîner de nombreux partenaires européens dans des opérations expéditionnaires, et de nombreux pays européens ont également compris l'intérêt d'aider les pays africains dans leur lutte contre le terrorisme. Il est important que nous puissions maintenir vivant cet esprit de Takuba, car il constitue une véritable avancée.

Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, au cours des soixante dernières années, la relation que nous entretenons avec les pays africains a rythmé comme nulle autre la vie de notre pays, de sa diplomatie, de sa coopération, de ses armées. Elle est le reflet d'une longue histoire commune, qui porte ses indéniables parts d'ombre, auxquelles il faut savoir se confronter, mais qui fut aussi brillante d'engagements sincères, d'amitiés profondes et de réalisations admirables.

Cette relation si singulière, chaque Président de la République a voulu lui imprimer sa marque, lui donner un nouvel élan, une nouvelle perspective ou une nouvelle méthode. L'actuel chef de l'État ne fait pas exception à cette règle, lui qui ambitionnait en 2017 à Ouagadougou d'écrire une « nouvelle relation d'amitié » avec le continent africain. Et pourtant, nous voilà en 2023 confrontés à cette question qui s'impose chaque jour avec davantage de force : la France et l'Afrique partagent un passé, mais partagent-elles encore un avenir ?

Le cœur, presque autant que la raison, m'incite à y répondre sans ambages par l'affirmative. Mais le fait même de formuler cette interrogation impose de procéder à une évaluation lucide et sans concession de la situation.

Vous l'avez rappelé, la France reste sur le continent africain un acteur clef dans un grand nombre de domaines. Mais depuis vingt ans, sa présence et son influence s'y font de plus en plus relatives. Dans ce laps de temps, ses parts de marché ont fondu de moitié. Depuis 2007, la Chine l'a remplacée comme premier exportateur vers le continent africain. Depuis 2017, elle a perdu son statut de premier fournisseur européen au profit de l'Allemagne. Et depuis l'année dernière, elle n'est même plus le premier partenaire commercial d'aucun des pays du Maghreb.

Les épisodes de tension se sont multipliés en Afrique subsaharienne, mais aussi en Afrique du Nord, où le principal résultat du rapprochement tenté avec l'Algérie est pour l'heure une prise de distance de notre allié marocain.

Le rayonnement de la culture française s'estompe également. En 2018, 59 % des300 millions de locuteurs français dans le monde étaient africains.

Pourtant, des pays francophones comme le Rwanda, le Togo ou le Gabon ont fait le choix de rejoindre le Commonwealth voire, pour certains, d'adopter l'anglais comme langue officielle ou comme langue d'enseignement. Le Maroc et l'Algérie envisageraient de s'engager sur une voie similaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Et si la France reste le premier pays de destination des étudiants africains, sa capacité à attirer les futures élites du continent pour les former est malheureusement en net recul par rapport à d'autres destinations.

Surtout, nous devons désormais faire face au mur de ce que l'on appelle le sentiment anti-français. Certes, nous pourrions être tentés de le relativiser, de n'y voir qu'un effet de loupe créé par quelques milliers d'activistes ou de désinformateurs aux motivations douteuses. Ce serait une erreur, car le phénomène est devenu incontournable. Il a joué un rôle majeur dans le départ contraint de nos armées du Mali, du Burkina Faso ou de République centrafricaine.

Le constat est cruel : malgré l'engagement remarquable de nos militaires contre le terrorisme islamiste et le sacrifice de cinquante-trois d'entre eux, dont le souvenir est présent dans tous nos cœurs, jamais la France n'a été, dans ces pays comme dans d'autres, aussi critiquée et, parfois, rejetée.

Ce ressentiment plonge bien sûr ses racines dans la colonisation et dans certains errements de la période post-coloniale. Mais il tient aussi au fait que, tout simplement, l'Afrique a profondément changé.

Il y avait 275 millions d'Africains en 1960. Ils sont aujourd'hui 1, 2 milliard, dont plus de la moitié a moins de 25 ans. Une véritable bascule générationnelle s'est opérée, distendant nos liens diplomatiques, militaires et culturels.

Les nouvelles générations, les nouvelles élites africaines, au cœur de l'essor économique du continent, sont aussi celles de la globalisation. Le monde, désormais, se presse à la porte de l'Afrique. Les pays africains multiplient les partenariats – ce qui est bien normal – loin de toute relation exclusive. Cette réalité, et les attentes qui en découlent concernant la relation avec la France, sans doute ne les avons-nous pas suffisamment observées ni intégrées.

Ne soyons pas non plus naïfs : certains de nos compétiteurs stratégiques font tout pour nous évincer et cherchent pour cela à accroître le sentiment anti-français. Dans ce domaine, l'affaire du prétendu charnier de Gossi nous a une nouvelle fois montré que tous les coups contre la France étaient permis.

Alors, comment réagir à cette nouvelle donne ?

Naturellement, nous devons entendre les reproches qui nous sont faits, les plus fondés comme les plus injustes, et y répondre non seulement par les mots, mais aussi par les actes. Cela ne signifie en aucun cas que nous devrions les intérioriser au point qu'ils guident à chaque instant notre attitude vis-à-vis de l'Afrique et des Africains. Comment, en effet, présenter une image attractive de notre pays si, finalement, nous acceptons en notre for intérieur qu'il soit dévalorisé ? Refusons donc le discours de ceux qui, dans le passé, ne voudraient voir qu'un passif. N'endossons pas la rhétorique de ceux qui mettent la France en accusation permanente et pour qui elle aura toujours tort, quoi qu'elle dise ou quoi qu'elle fasse.

Assumons par ailleurs franchement la promotion de nos intérêts : oui, la France a des intérêts en Afrique ! Ceux-ci ne résident pas, comme certains voudraient le faire croire, dans une domination économique fantasmée à travers le franc CFA ou dans une exploitation supposément prédatrice des ressources minières. Nos véritables intérêts sont ailleurs, mes chers collègues.

Sur le plan sécuritaire, nous avons intérêt à ce qu'il y ait moins de crises sur le continent, car tout conflit peut générer des effets négatifs de l'autre côté de la Méditerranée allant de la prolifération des armes au terrorisme, en passant par l'immigration irrégulière.

Sur le plan des équilibres internationaux, nous souhaitons nous fonder sur nos liens anciens avec certains pays africains pour continuer à appuyer mutuellement nos positions au sein des instances internationales.

Sur le plan économique, enfin, il est évident que, comme le reste du monde, nous avons intérêt à ce que l'Afrique continue de s'affirmer comme un relais d'innovation et de prospérité.

Mais pour œuvrer efficacement sur tous ces plans, il nous faut avant tout restaurer les moyens de notre influence. La revue nationale stratégique de novembre 2022 a justement fait de cette dimension une nouvelle fonction stratégique – si je voulais faire de l'ironie, je dirais qu'il était temps de redécouvrir que la diplomatie consiste à avoir de l'influence !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Plus sérieusement, la cohérence de notre action dans ce domaine interroge parfois, tant le hiatus est important entre des ambitions affichées et le sort que nous réservons à notre propre diplomatie : avec une réforme qui nie ses spécificités et son savoir-faire et des moyens drastiquement réduits depuis trente ans, la situation est inquiétante – même si je reconnais, madame la ministre, que vous avez stoppé cette hémorragie.

Combien d'agents sont aujourd'hui affectés à la veille et à la diffusion d'informations au sein de chacun de nos postes diplomatiques ? Dans les pays d'Afrique de l'Ouest, une poignée ; parfois seulement un stagiaire. Les effectifs des services de coopération et d'action culturelle, quant à eux, se réduisent année après année.

A contrario, les crédits consacrés à l'aide au développement ont beaucoup augmenté. Tant mieux ! C'est non seulement conforme aux engagements internationaux de la France, mais c'est surtout essentiel.

Je regrette cependant que, malgré nos appels répétés, la commission d'évaluation des politiques de soutien au développement, prévue par la loi d'orientation du 4 août 2021 n'ait toujours pas entamé ses travaux et n'ait d'ailleurs pas même été constituée.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Quand elle le sera, elle constatera sans doute qu'il est indispensable de recentrer notre politique de solidarité internationale autour de quelques priorités fondamentales, que nous martelons en commission. Nourrir, soigner, éduquer : voilà les domaines où notre aide est la plus attendue, où elle peut porter ses meilleurs fruits ! Bien sûr, notre action peut, et doit, être conduite dans le respect du climat et de la bonne gouvernance, mais c'est bien dans ces dimensions vitales pour les populations qu'elle aura le plus d'impact.

Trop longtemps, notre aide au développement a fonctionné en vase clos, sans voir que nos partenaires, eux, font preuve d'une approche beaucoup plus intégrée.

Notre assistance technique, qui a longtemps été un formidable levier d'influence et d'exportation de notre savoir-faire, est devenue extrêmement réduite. L'organisme allemand, la Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), réalise un chiffre d'affaires de 3, 7 milliards d'euros et emploie 23 600 personnes. Pour Expertise France, c'est 339 millions d'euros et 1 400 personnes.

Il faut en outre reprendre le contrôle de notre aide multilatérale à l'Afrique. Plus de la moitié des contributions du Royaume-Uni, plus du tiers des contributions allemandes aux organismes multilatéraux sont fléchés vers leurs propres priorités d'action. Pour nous, cette proportion n'est que de 1 %. Quelle perte d'influence par rapport à nos partenaires !

Il faut compléter cette approche en incitant et en accompagnant bien davantage nos entreprises à s'implanter, à investir et à commercer avec le continent. Car c'est aussi comme cela que nous répondrons aux préoccupations des Africains, souvent d'ordre économique.

Enfin, reste la question centrale, structurante, de notre coopération militaire. Une opération comme Barkhane, malgré ses succès indéniables, que vous avez eu raison de souligner, monsieur le ministre, constitue peut-être une anomalie par sa durée particulièrement longue. Faute de progrès sur la solution politique, la France s'est trouvée exposée en première ligne pendant des années, vulnérable face à la propagande des Russes, de Wagner et de tous ceux qui ont intérêt à notre départ.

Pourtant, cette opération a aussi enclenché des partenariats utiles. Ainsi, au Niger, nos forces collaborent efficacement, sous commandement nigérien, à la lutte contre les groupes terroristes. Ces coopérations doivent être poursuivies, car elles permettent à nos partenaires de monter en puissance. Dans son discours de février dernier, le Président de la République a proposé de les inscrire dans le cadre d'un « nouveau partenariat sécuritaire ». Certains axes dégagés à cette occasion nous semblent de bon sens.

Je partage ainsi la volonté de mieux répondre aux demandes ponctuelles de nos partenaires. Je pense, par exemple, à l'appui au renseignement, où nous pouvons apporter notre connaissance et notre capacité de surveillance des groupes djihadistes qui tentent de s'infiltrer dans le nord de la Côte d'Ivoire, du Bénin ou du Togo.

Je souscris aussi au constat selon lequel nous ne vaincrons pas les terroristes à la place des pays concernés. Tout appui opérationnel doit donc rester ponctuel, discret et efficace.

Concernant nos bases militaires, monsieur le ministre, vous connaissez ma position et celle de la commission. Ces bases sont essentielles et la récente opération Sagittaire, brillamment conduite à partir de Djibouti pour évacuer nos ressortissants présents au Soudan, en est une nouvelle preuve. Nos compétiteurs stratégiques sont d'ailleurs eux aussi convaincus de cette importance, notamment la Chine qui, après celle de Djibouti, cherche à ouvrir une base dans le golfe de Guinée.

Je ne suis pas hostile à ce que nous travaillions d'une manière différente, en cherchant à tenir compte du contexte local de chaque base pour mieux nous y adapter. Toutefois, s'agissant d'un outil militaire, je souligne que ces bases sont aussi l'expression de notre souveraineté, laquelle, par définition, ne se partage pas.

Naturellement, il appartient aux États hôtes, et à eux seuls, de décider s'ils acceptent ou non leur présence. Cependant, l'annonce d'une « cogestion » me pose problème sur les plans conceptuel et opérationnel : dans ce cadre, serions-nous toujours capables, demain, de lancer dans l'urgence une opération telle que Sagittaire ?

Madame la ministre, monsieur le ministre, nous sommes à un moment charnière de notre relation avec le continent africain. Ce débat a pour but de vous amener à préciser vos priorités. Soyons objectifs : rien n'est plus acquis dans le nouvel environnement ultra-concurrentiel où de nombreux pays, y compris nos partenaires européens, tentent de gagner de nouvelles positions.

Si nous voulons continuer à jouer un rôle de premier plan, il nous faudra tirer les leçons, parfois douloureuses, de ces vingt dernières années et de nos quelques échecs. Sur tous les plans, nous devrons nous adapter, nous battre, nous remettre en question parfois, mais aussi savoir nous montrer fiers de ce que la France a accompli en Afrique.

La palette des outils à notre disposition est large. Il faut désormais les mettre en cohérence autour du cap clair et cohérent qui leur fait encore défaut, et avec un seul mot d'ordre : parions sur l'Afrique et parions sur la France !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, RDPI et INDEP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et INDEP.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Arlette Carlotti

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste était favorable à ce débat sur la politique de la France en Afrique, mais nous l'aurions souhaité sous une autre forme que cet échange extrêmement formel, qui ne nous permet pas d'exercer pleinement notre rôle de parlementaire.

Il intervient dans un contexte particulièrement douloureux de déclin relatif de l'influence de la France sur le continent africain, marqué par le rejet spectaculaire de notre présence militaire au Mali et au Burkina Faso. Pour beaucoup, c'est apparu comme un révélateur, mais nous savons que les causes sont bien plus lointaines.

Alors que, dans les années 1990, le continent était abandonné, il est désormais courtisé par de nombreux pays : la Russie, bien sûr, et la Chine, depuis plus longtemps, sans oublier les États-Unis, le Japon, la Turquie ou les Émirats arabes unis.

Tous ont développé leur appétit à l'égard de l'Afrique ; tous sont nos compétiteurs. Nous avons perdu nos liens privilégiés exclusifs avec les États africains. Il est temps que nos relations deviennent ordinaires et ne soient plus marquées du sceau de la singularité.

Alors que la hiérarchie du monde change, l'Afrique veut être considérée comme un acteur de plein droit sur la scène internationale. C'est un défi géopolitique majeur que le président Macron a pointé du doigt et qu'il convient de traduire dans les faits.

Au fil des ans, la société civile africaine a changé. La jeunesse, qui n'a pas connu les combats pour l'indépendance, trouve dans le sentiment anticolonial un chemin alternatif vers l'émancipation. Une partie d'entre elle s'est même fortement radicalisée. On assiste au développement d'un panafricanisme partisan d'une rupture franche avec l'Occident vieillissant, qui continue pourtant à vouloir imposer son ordre mondial. Ce conflit avec l'Ouest permet de réhabiliter les groupes djihadistes auprès des populations et la Russie en fait son miel !

L'Afrique prend ses distances avec la France, qui a perdu sa position privilégiée. Mais pourquoi l'aurait-elle gardé, puisqu'elle ne se distingue pas, ne développe pas une diplomatie originale, des liens nouveaux, équilibrés et respectueux ?

Certes, le Président de la République proclame la fin de la « Françafrique », qui ne concerne que l'Afrique francophone, mais cela n'est pas nouveau : depuis George Pompidou, tous ses prédécesseurs l'ont fait avant lui. Pourtant, nous avons continué à surfer sur nos relations anciennes, basées sur notre histoire coloniale, empreintes de corruption et de clientélisme, de double langage et d'arrogance.

Du fait de l'importance du continent africain et de son affirmation sur la scène internationale, la France ne peut se passer d'une politique à l'égard de l'Afrique, mais elle doit changer d'approche.

Le 27 février dernier, Emmanuel Macron a prononcé un discours qui se voulait fondateur. Nous attendions donc qu'il clarifie les nouvelles orientations de sa politique dans un contexte pour le moins tendu. Au lieu de cela, son intervention s'est plutôt inscrite dans la continuité, restant floue sur beaucoup de points. En tout état de cause, elle ne constitue pas les prémices d'une nouvelle politique africaine.

Sur le plan militaire, je tiens à rendre hommage à l'engagement de nos soldats lors des opérations Serval et Barkhane. Vous avez raison, monsieur le ministre, ils ont remporté de vrais succès, mais nous n'avons pas réussi à enrayer l'implantation des groupes djihadistes. On nous a reproché, dans le cadre de véritables campagnes d'exploitation politique, d'avoir saisi cette occasion pour asseoir un peu plus notre présence militaire.

De nombreuses fois alertée par notre commission, la ministre des armées de l'époque misait sur l'arrivée de nos partenaires européens au sein de Takuba… On ne peut pas dire que ce fut une réussite ! En tout cas, je ne le vois pas ainsi.

M. Sébastien Lecornu, ministre, manifeste son désaccord.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Arlette Carlotti

À mon sens, l'Union européenne a montré sa faiblesse à cet égard. Or si elle ne veut pas être la grande perdante de la compétition qui s'est engagée, en Méditerranée comme sur le continent africain, elle doit s'impliquer davantage dans cette zone particulièrement instable, en s'abstenant de considérer ce continent comme un libre-service, une réserve de richesses et de matières premières rares ou comme une menace devant laquelle il faudrait se barricader.

Nous ne sommes plus le gendarme de l'Afrique. Ce temps est révolu, il nous faut changer de modèle. Le Président de la République l'a affirmé : l'influence de la France ne se mesurera plus au nombre de nos opérations militaires ni à celui de nos bases. Il préconise la réduction de l'empreinte directe de nos armées au profit d'un soutien aux forces de sécurité de la région. Vous avez d'ailleurs insisté sur ce sujet, monsieur le ministre.

Cela signifie-t-il que nous entrons dans une phase de repli ? Allons-nous continuer de nous mobiliser contre le djihadisme, qui touche désormais des pays qui avaient su s'en prémunir jusque-là, comme le Mozambique ?

Dans le domaine de l'aide au développement, Emmanuel Macron a aussi fait des annonces.

Sur le fond, nous avons compris que la notion d'aide au développement était dorénavant à proscrire. Selon un proverbe africain, la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. Aussi, il nous invite à passer d'une logique d'aide à une logique d'investissement solidaire et partenarial. Mais là encore, il s'agit d'une rhétorique déjà ancienne. Les Africains ont malheureusement l'habitude de ces déclarations non suivies d'effets.

Si les annonces présidentielles confirment la mobilisation de la France en faveur de la solidarité internationale, notamment sur les droits humains, sur le climat, la santé, l'éducation, la jeunesse ou l'égalité femme-homme, nous regrettons que l'eau et l'assainissement n'aient pas été cités, alors qu'il s'agit d'une priorité sectorielle inscrite dans la loi du 4 août 2021.

Les organisations de la société civile sont les grandes oubliées des priorités esquissées par le Président de la République. Je pense bien évidemment aux ONG françaises, mais aussi aux ONG des pays partenaires, qui, par leur proximité et leur engagement auprès des populations, jouent un rôle majeur. Nous devons en faire des partenaires privilégiés de notre politique.

S'il a rappelé les efforts financiers engagés par la France jusqu'en 2022, le Président de la République a éludé la trajectoire des financements. Les engagements de la France sont pourtant clairs sur ce sujet et inscrits dans la loi du 4 août 2021, qui affiche une trajectoire visant à allouer 0, 7 % de notre revenu national brut (RNB) à l'aide publique au développement à l'horizon 2025. Ce débat a été tranché, cette trajectoire doit être maintenue !

Enfin, il nous manque toujours cet outil d'évaluation de nos politiques publiques d'aide au développement prévu par la loi. Voilà deux ans que la commission d'évaluation aurait dû être mise en place ! Pourquoi tant de tergiversations ? Nous vous rappelons que le Sénat a adopté le rattachement de la commission d'évaluation à la Cour des comptes.

Dans la stratégie 3D – défense, diplomatie, développement – que le Gouvernement a théorisée et qui a échoué selon moi, l'appareil militaire de défense et le développement étaient étroitement liés à la diplomatie. À cet égard, je m'interroge : la diplomatie française a-t-elle fait preuve de naïveté ou d'aveuglement ? Avons-nous sous-estimé la puissance du ressentiment et de la rancune que ces pays nourrissent à notre encontre, surtout quand l'histoire est convoquée par une propagande hostile ? Je ne le crois pas.

Je pense plutôt que notre logiciel politico-diplomatique est ancien et obsolète. On fait de la diplomatie comme on en faisait voilà quelques décennies, à l'époque où la France faisait et défaisait les régimes en place et qu'elle en avait les moyens financiers et humains.

La France a oublié que l'Afrique des gouvernants n'est pas forcément celle des peuples. De plus, depuis quelques années, les moyens alloués à la diplomatie française sont trop faibles comparés à ceux des autres pays. Même si notre réseau diplomatique sur ce continent n'est pas le plus mal loti, nos petites ambassades sont contraintes de fonctionner en « couteaux suisses ». Ainsi, au Sahel, la présence de la France a été bien plus militaire que diplomatique.

La réforme du corps diplomatique qu'Emmanuel Macron a dévoilée en avril 2022 n'a pas apaisé nos inquiétudes. Elle n'apporte de fait aucune amélioration.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Arlette Carlotti

Nous craignons même, au contraire, qu'elle ne fragilise l'appareil diplomatique français, ce qui reviendrait à affaiblir le rayonnement de la France. C'est une situation inquiétante au moment où nous avons besoin de diplomates aguerris et compétents, auxquels je tiens à rendre hommage.

Le Président de la République a essayé d'ouvrir d'autres voies de dialogue lors du sommet Afrique-France de Montpellier, auquel j'ai assisté.

Ce fut un très bel événement, mais qu'en reste-t-il ? Un observatoire de la démocratie ! À quoi sert cette initiative ? La démocratie ne se décrète pas en laboratoire : elle est portée par un mouvement populaire, elle est le fruit d'un engagement politique. Emmanuel Macron a voulu une démarche moderniste, mais a proposé un schéma suranné et à contresens.

De la même manière, alors que le franc CFA fait l'objet de débats passionnés depuis des décennies, une annonce des présidents Ouattara et Macron, venue d'en haut, sans processus de consultation ni des autres chefs d'État ni des populations, ne peut que faire débat. Une décision imposée est toujours une décision suspecte. À quoi sert de vouloir imposer nos modèles clefs en main ?

Il suffit de soutenir une gouvernance respectueuse des droits humains sans imposer un agenda démocratique irréaliste. Le chef de l'État a insisté sur la démocratie et la liberté dans son discours de l'Élysée du 27 février. Il s'est certes rendu en Afrique à de nombreuses reprises depuis son élection, mais souvent dans les pays les moins démocratiques du continent, qui abritent les plus anciens autocrates ou leurs dynasties.

Il semble que la realpolitik le rattrape toujours. Nous ne lui reprochons pas de pratiquer cet exercice, afin de maintenir l'influence de la France, car nous mesurons combien la tâche est difficile. Ce que nous condamnons, c'est le double langage. Ainsi, quand la France accepte le pouvoir militaire au Tchad, mais le condamne au Mali, notre pays perd toute crédibilité. Nous ne pouvons défendre des valeurs à géométrie variable.

Nous devons aussi nous montrer plus attentifs aux tragédies qui touchent le continent : crimes de guerre, crimes contre l'humanité, en Éthiopie, au Soudan ou en République démocratique du Congo (RDC).

Les pénuries alimentaires constituent autant de tragédies. En raison du réchauffement climatique, elles frappaient déjà les régions de la Corne de l'Afrique. La situation s'est aggravée en raison de la non-livraison de céréales à bas prix en provenance d'Europe de l'Est sans que ni l'Union européenne ni la France ne soient en mesure de prendre le relais, du moins à court terme, pour faire face à la disette – mais peut-être sommes-nous en train d'y remédier.

En République centrafricaine ou au Burkina Faso, le chantage alimentaire constitue même l'un des facteurs déterminants de la montée d'influence de la Russie.

Ces crises alimentaires vont immanquablement déboucher sur une nouvelle crise migratoire. Madame la ministre, monsieur le ministre, sachez que, lors du débat sur l'immigration, nous veillerons à ce que notre politique de développement ne soit pas assujettie aux enjeux de politique intérieure. Allez dire au ministre Darmanin que sa politique restrictive des visas a coupé les liens indéfectibles avec les Africains, particulièrement les jeunes.

La politique de la France en Afrique est illisible et blessante. Blessante, car chaque fois que la France s'exprime, elle fait preuve d'un certain paternalisme et de condescendance, empreints de maladresses et de propos déplacés qui alimentent le sentiment anti-français tant auprès des gouvernants que des populations, fatiguées de ces remarques désobligeantes.

Les maladresses se multiplient et les incompréhensions demeurent. Nous avons pourtant un atout formidable avec l'espace francophone, qui peut être un excellent vecteur de réconciliation. Vous l'avez évoqué, madame la ministre, mais les gouvernements successifs ne l'ont jamais assez utilisé.

Il est temps de procéder à des évolutions dans notre dialogue avec l'Afrique, plus exactement avec les Afriques, même si je me suis plutôt penchée sur l'espace francophone, comme vous, monsieur le ministre, car c'est là que nous avons un lourd héritage à régler. À défaut, le continent entier risque de glisser vers une forme de chaos, dont la Russie et la Chine tireront immanquablement les bénéfices en pillant l'ensemble des ressources.

Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et INDEP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur les ministres, mes chers collègues, pour comprendre l'Afrique, encore faut-il la connaître. Je m'y suis rendu à cinquante-sept reprises depuis 2015 et elle m'étonne à chaque fois.

Je commencerai par trois anecdotes.

Tout d'abord, celle de cet entrepreneur français, qui a subi un vol dans sa société. Il se rend à la police. On le renvoie vers la dame aux balais, qui lui communique un nom après avoir utilisé deux balais croisés. Après vérification sur sa vidéosurveillance, il découvre qu'elle a raison.

Que dire de ce compatriote qui croit son portefeuille volé à son domicile ? Affolée, une personne à son service part précipitamment chez le marabout, qui lui révèle que le portefeuille est à la vue de tous et que personne ne le voit. Elle rentre avec le message du marabout. Le portefeuille est retrouvé, une heure plus tard, oublié près de la piscine.

Ou encore ce consul général, qui fait venir chaque année un coupeur de pluie pour s'assurer de célébrer le 14 juillet au sec. Après deux heures de réception, le coupeur de pluie lui demande s'il peut partir ; dès son départ, la pluie se met à tomber sur le consulat.

Les esprits cartésiens seront dubitatifs !

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

M. Olivier Cadic . Notre consul général ne se fait pas rembourser la prestation par le Quai d'Orsay…

Mme la ministre s'en amuse.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Olivier Leloustre, conseiller des Français de l'étranger, établi depuis vingt ans en Afrique, m'a confié qu'il se refusait à expliquer l'Afrique à quelqu'un qui n'y avait pas déjà vécu au moins cinq ans.

On aborde souvent à tort la stratégie française en Afrique au travers d'un seul prisme. C'est une erreur, car il n'y a pas une, mais des Afriques. Chacune a des problématiques bien distinctes, même si certaines se recoupent.

Emmanuel Macron a visité vingt-cinq pays de ce continent depuis sa première élection en mai 2017, ce qui fait de lui le dirigeant ayant le plus d'engagements diplomatiques avec les nations africaines.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Pourtant, sur le continent africain, et plus particulièrement en Afrique de l'Ouest et au Sahel, on nous répète que le sentiment anti-français ne cesse de croître.

Et si c'était une fake news sciemment entretenue, illustrant la guerre hybride livrée à la France pour nous affaiblir ? Nous nous fions trop aux réseaux sociaux animés par les activistes. Aujourd'hui, les gens les plus crédibles aux yeux de la population sont ceux qui parlent le plus, non ceux qui disent la vérité.

Le mea culpa permanent sur notre passé, sur lequel de soi-disant experts se répandent, est ressenti comme une faiblesse sur ce continent. De grandes entreprises françaises sont l'objet de violentes attaques de la part de représentants d'ONG soutenues par leurs concurrents.

Nous avons peut-être perdu une bataille dans la guerre informationnelle l'an dernier au Sahel, mais nous n'avons pas perdu la guerre. Vous avez raison, monsieur le ministre : les militaires de l'opération Barkhane ont été irréprochables. Ils sont notre fierté.

Anti-Français, les Africains ? Expliquez-moi pourquoi les demandes d'inscription pour étudier en France battent des records. L'Algérie en est à 53 000 ; elle dépasse pour la première fois le nombre de demandes marocaines, qui est d'environ 30 000. Au Togo, après une hausse de 73 % sur la période 2016-2021 et de 68% en 2022, une augmentation de près de 40 % est déjà enregistrée cette année. Un ministre togolais m'a confié que les Togolais de France renvoyaient plus d'argent au Togo que ce que nous leur apportons en aide au développement.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Pourquoi donc se détourneraient-ils de nous ?

Dans beaucoup de pays, il m'a été dit : « Je ressens une envie de France ! ». Un Camerounais m'a avoué ce week-end : « Lorsque nous avons le partage de la langue, la proximité est plus forte. Dans notre inconscient, la France est la plus proche. Les liens sont forts. »

Nos compatriotes installés en Afrique m'ont tous assuré qu'ils ne se sentaient pas menacés en tant que Français. En revanche, il est vrai que nous sommes confrontés à une guerre hybride menée contre l'influence de la France et ses intérêts économiques. Avec quelques euros, on paie un journalier aussi bien pour travailler que pour manifester avec un drapeau russe devant l'ambassade de France.

Le sentiment « anti-politique française », tout comme le sentiment « anti-intérêts français », n'est pas seulement alimenté par les puissances étrangères et leurs « proxy ». Dans plusieurs pays, des personnes surfent sur du néonationalisme, faisant de la France le bouc émissaire idéal pour expliquer leurs difficultés et s'imposer politiquement. Ma collègue Carlotti a parlé des apôtres du panafricanisme. Mais qui sont derrière aux ?

Ces mouvements populistes gagnent en visibilité. Lorsqu'ils s'imposent, ils se jettent dans les bras de la Russie, de la Chine, de l'Iran et consorts. On le voit au Burkina Faso ou au Mali.

Ils trouvent un écho auprès des acteurs économiques locaux, qui en profitent pour faire du « dégagisme » à l'encontre de nos entreprises et participer ainsi à la prédation sur leurs activités.

Récemment, la filiale de la brasserie Castel en République centrafricaine a été attaquée à coup de cocktails Molotov. On suspecte Wagner. De nouvelles menaces planent sur cet industriel français emblématique en Afrique, qui a fait de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) une marque de fabrique qui fait honneur à notre pays.

Monsieur le ministre, avec l'annonce du retrait de troupes françaises du continent, comment allez-vous défendre nos intérêts économiques et nos entreprises quand ils seront directement attaqués ? Comment justifiez-vous ce retrait, alors que l'on observe une militarisation accrue de la Chine pour consolider ses liens diplomatiques et commerciaux avec le continent ?

Le retrait de Barkhane a fait les affaires des groupes terroristes au Sahel. Beaucoup s'en rendent compte dans les pays avoisinants en voyant la menace progresser.

Pour la première fois depuis dix-sept ans, le chef d'état-major algérien s'est rendu en France. Il faut savoir que 93 % des ressources algériennes proviennent du Sud algérien. Comment les Algériens analysent-ils la situation sécuritaire au Sahel et envisagent-ils une coopération militaire ?

Le terrorisme islamiste en Afrique est le visage du crime international organisé, structuré, à l'image des gangs criminels que j'ai observés en Amérique latine. Il se drape dans un militantisme religieux pour légitimer les recrutements.

Au Brésil, des milices ont été créées pour protéger des quartiers et lutter contre les gangs. Les habitants doivent alors se plier aux règles de la milice et échangent leur liberté contre de la sécurité. En Afrique, certains pays font appel à la milice Wagner, qui se paie sur les ressources du pays, à l'instar d'une milice mafieuse.

Contrairement à ce que certains prétendent, la France n'abandonne pas l'Afrique.

Voilà six mois, j'ai visité l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme, près d'Abidjan. Ce centre d'excellence est destiné à appuyer les pays africains dans leur effort. Le modèle de gouvernance de l'Académie franco-ivoirienne est un exemple pour la nouvelle posture de la France surs ce continent. J'en profite pour saluer la réunion, le 11 mai dernier, du premier conseil d'administration international, avec les Australiens, les Canadiens, les Hollandais et les Américains. Le modèle interministériel retenu pour l'Académie doit avoir valeur d'exemple en Afrique. Il permet d'éviter que l'armée ne porte seule l'antiterrorisme, avec les risques de dérapages sur les populations civiles que cela implique.

Ce modèle est innovant et mérite d'être mieux connu. Combien de pays africains se sont-ils déclarés intéressés par cette initiative ?

Madame la ministre, la gestion de l'attribution des visas par la France est une cause de frustration observée dans de nombreux pays africains. Cela conduit à des décisions défavorables à la France.

Par exemple, certaines entreprises ont préféré se fournir en matériel venant d'un autre pays que la France, de peur de se voir refuser des visas pour une entrée sur le territoire français et de ne pas pouvoir faire former leurs personnels de manière satisfaisante. Quelles décisions sont prises pour améliorer notre politique d'attribution de visas, perçue parfois comme vexatoire ?

Par ailleurs, il apparaît fondamental d'aider les pays de ce continent à s'organiser dans le domaine de la santé.

Pour faire face à la pénurie, le sang est acheté auprès de donneurs. Contaminé, hépatique, il est inutilisable à 60 %. Concernant les médicaments, afin de lutter contre les produits contrefaits et d'aider les industriels à servir le continent, pourriez-vous encourager la création d'une agence africaine du médicament ?

La France incarne les valeurs démocratiques. À cet égard, j'ai personnellement été attristé par le renversement du président Roch Kaboré, un an après sa réélection, sans que nous n'intervenions pour protéger cette démocratie.

Le Somaliland est un État de la Corne de l'Afrique qui a déclaré son indépendance en 1991, à l'issue de la guerre civile avec la Somalie, pays en proie à des conflits depuis plus de trente ans. Ce dernier a des liens revendiqués avec la Russie, comme le montre la visite récente du ministre somalien des affaires étrangères à Moscou.

Depuis son indépendance, le Somaliland a su garantir une stabilité politique à ses citoyens, avec l'élection d'un président et de deux chambres au suffrage universel. Cinq présidents se sont succédé à la tête du pays depuis son indépendance. Allons-nous évoluer sur la question d'une prise en compte officielle du Somaliland pour favoriser son développement ou allons-nous continuer à nous limiter aux relations avec Mogadiscio ?

La France, comme nos partenaires africains, a besoin d'une ligne claire, fondée sur le respect mutuel. Cessons de chercher à nous faire aimer ; concentrons-nous sur nos intérêts en faisant valoir nos atouts pour nous faire désirer.

Un membre du parlement togolais, l'honorable Alipui, l'a résumé ainsi, hier, devant moi à Lomé : « Plutôt que pour Plus de France, optez pour Mieux de France ».

Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, aucune relation internationale n'est aussi complexe et importante pour notre pays et notre continent que celle qui nous unit à l'Afrique.

La politique étrangère de la France envers le continent africain se trouve à la croisée des chemins, oscillant entre les promesses d'une coopération fructueuse et les traces tenaces de son passé néocolonial. Comme le disait Albert Camus, l'amitié n'exige rien en échange, elle grandit librement dans le terreau des valeurs communes.

Le groupe RDPI se félicite des résultats de la récente tournée du Président de la République en Afrique, durant laquelle il s'est rendu au Gabon, en Angola, ainsi qu'en République démocratique du Congo et au Congo-Brazzaville, à cheval sur les mois de février et mars. Celle-ci a été marquée par des déclarations importantes et des actions concrètes de la part de notre pays.

À titre d'illustration, les programmes de développement durable, les actions en faveur de la gouvernance démocratique et les efforts pour soutenir l'autonomie africaine témoignent d'un désir de réinventer notre relation.

Lors de son discours prononcé au Gabon, le Président de la République a affirmé que l'ère de la Françafrique était révolue. Cette déclaration reflète la volonté de la France de rompre avec certaines pratiques du passé et de promouvoir un partenariat équilibré et transparent avec les pays de ce continent. Il s'agit d'un vrai tournant dans cette relation.

Après ce tour d'horizon de nos valeurs, il faut souligner les principaux défis que ces pays doivent relever.

Il y a d'abord l'environnement. Nous appuyons les mesures prises en faveur de la protection des forêts tropicales et primaires en Afrique, pour laquelle la France a investi 100 millions d'euros. Lors du sommet des forêts à Libreville, le 2 mars dernier, Emmanuel Macron a rappelé les engagements pris lors de la COP 15 à Montréal et de la COP 26 à Glasgow pour inverser le cours de la déforestation et protéger 30 % de la nature d'ici à 2030.

Ce format de sommet pourrait être annuel. Soyons attentifs à la signature d'un nouveau pacte financier Sud-Nord lors des travaux prévus à Paris ce mois-ci et au lancement de certificats de biodiversité d'ici à la fin de l'année, avant la COP2 28 à Dubaï, où les premiers contrats pays pour la conservation positive pourraient être signés.

Ensuite, il y a le développement économique, qui n'est possible que dans un environnement sain. À l'occasion de sa déclaration à Luanda, le Président de la République a souligné l'importance de la diversification de l'économie angolaise et de la souveraineté alimentaire. La France encourage le renforcement des partenariats en mettant l'accent sur la formation professionnelle, sur le développement de filières agricoles et agroalimentaires ainsi que sur la modernisation des infrastructures dans les secteurs de l'eau, de l'énergie et des transports, notamment dans le cadre du programme Choose Africa 2. Nous devons maintenant observer les résultats concrets, tels que la création d'usines et de fermes.

Enfin, il y a les enjeux sécuritaires, qui sont encore au cœur des préoccupations.

Ainsi en est-il de la piraterie, qui sévit depuis 2005 autour de la Corne de l'Afrique. Malgré une mobilisation internationale sans précédent, ce fléau demeure une menace pour le transport maritime. Selon la Banque mondiale, les rançons ont rapporté entre 339 millions et 413 millions de dollars aux pirates et à leurs commanditaires entre 2005 et 2012. Toutefois, en 2021 et 2022, le nombre d'actes de piraterie et de brigandage maritime a diminué de façon significative au niveau mondial, avec une baisse de 15 % par rapport à 2020, selon le MICA Center, pour Maritime Information Cooperation & Awareness Center, basé à Brest. Face à la persistance du phénomène, quelle stratégie adopter ? La présence des bâtiments militaires de l'Otan a permis une diminution notable des actes de piraterie, mais les eaux africaines présentent encore des dangers.

Passons à l'influence grandissante de la Russie et de la Chine en Afrique. Nous devons reconnaître que la présence et l'influence de la France sur ce continent ne sont plus ce qu'elles étaient, et ce depuis une quinzaine d'années. Nous avons été témoins, en mai 2022, des slogans anti-français scandés devant notre ambassade à Pretoria, où des drapeaux tricolores ont été brûlés. C'est le reflet d'un sentiment anti-occidental croissant en Afrique. Nous devons y répondre.

Ainsi, la diplomatie française a opéré un changement de posture et s'est réarmée en communiquant davantage, en renouvelant ses partenariats, en menant des actions accrues en direction de la jeunesse et en tissant des liens solides avec la diaspora française à l'étranger.

La Chine et la Russie tentent de remplir les espaces vides que nous avons laissés. La Chine, grâce à des investissements massifs, se concentre sur la côte est de l'Afrique, tandis que la Russie, avec une présence plus marquée en Afrique francophone et au Sahel, profite de la fin de l'opération Barkhane.

Comme cela est clairement réaffirmé à l'article 4 de la loi de programmation militaire, la réduction de la présence militaire française ne signifie ni retrait ni désengagement, mais plutôt adaptation aux évolutions des menaces et aux besoins des pays partenaires. Chaque pays africain doit renforcer sa propre autonomie sécuritaire. Aucune ancienne base Barkhane ne sera fermée, mais toutes seront destinées à former plus de militaires des pays concernés.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, il ne s'agit en rien d'un recul de la France dans ces pays. C'est une manière d'être présent différemment.

Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

S'agissant d'États souverains, notre présence correspond à ce qu'ils veulent. Les bases évoquées par le Président de la République ont été mises en place par des accords de défense entre deux États souverains. À cet égard, il a été demandé au ministère des armées de conduire une réflexion sur le Tchad, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et le Gabon.

Par ailleurs, le Bénin, qui semble devenir le nouveau nid du djihadisme, …

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

… pourrait être en train de suivre le chemin du Mali et du Burkina Faso, qui se sont tournés vers la Russie à la suite de manifestations contre la force Barkhane.

Madame la ministre, monsieur le ministre, quelle réponse constructive la France peut-elle imaginer pour préserver ses liens historiques, tout en respectant la souveraineté et les aspirations de ces nations africaines ?

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la déclaration du Gouvernement sur la politique de la France en Afrique, dont nous débattons ce soir, s'inscrit dans la droite ligne du discours du chef de l'État du 27 février dernier au cours duquel il a proclamé que la France devait refuser d'entrer dans une logique de compétition, qu'il fallait tourner la page de l'économie de rente et qu'il convenait d'entrer dans une logique partenariale d'investissement solidaire.

Le problème, c'est que tous les fondamentaux dépassés de nos rapports économiques avec l'Afrique, qui sapent depuis tant d'années le développement de ces pays comme la confiance dans cette relation, sont maintenus, au mépris de tous les nouveaux enjeux du XXIe siècle.

Alors que les pays africains cherchent, par exemple, à financer leur développement, nous continuons de faire l'éloge de la pseudo-réforme unilatérale du franc CFA, qui laisse en l'état les instruments de la domination monétaire en vigueur et qui n'a constitué en vérité qu'une OPA hostile visant à tuer dans l'œuf le projet de monnaie ouest-africaine de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, ou Cédéao.

L'Afrique continue de parler de souveraineté monétaire, mais quand j'ai interrogé le Gouvernement sur le stock d'or de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), toujours détenu à 81 % à la Banque de France, ou sur la publication d'une annexe mentionnée à la convention de garantie entre la BCEAO et la République française, on m'a répondu : « Circulez ! Il n'y a rien à voir. »

Nous parlons d'être un partenaire d'avenir du développement en Afrique, mais nous ne portons pas le fer contre l'organisation du commerce international et la nature des échanges franco-africains qui l'entravent : traités de libre-échange foncièrement inégaux, démantèlement des services publics et des embryons d'État social dans ces pays, course au moins-disant fiscal, nivellement par le bas de la protection des travailleurs, politiques de prédation et maxi-bénéfices des multinationales, qui agissent sur place en toute impunité.

Si l'Afrique subsaharienne ne représente qu'environ 2 % de notre commerce extérieur, les parts de marché sont concentrées dans les mains de quelques grands groupes qui font des affaires avec un taux de profit indécent en complicité avec des élites extraverties et corrompues et au détriment d'une très grande majorité des Africains.

J'ai souvent dénoncé des exemples caricaturaux comme la surfacturation par des groupes français du train urbain d'Abidjan ou les profits accumulés par le groupe Bolloré dans les ports ouest-africains avant d'en partir sans égard pour les pays concernés.

Le coût pour les peuples africains du maintien de tels rapports économiques est exorbitant ; il se nomme grande pauvreté, sous-alimentation, maladies endémiques, insécurité, corruption des élites, migrations forcées. La jeunesse africaine ne veut plus de tout cela !

Quand allons-nous comprendre que le rejet de la politique française trouve ici ses racines profondes et qu'il ne peut être réduit au succès d'influences russes, turques, chinoises ou de qui sais-je encore ? Quand tirerons-nous vraiment les leçons des dizaines d'interventions militaires françaises en Afrique, dont la dernière, Barkhane, est en vérité un échec politique lourd de conséquences.

Notre politique reste à mille lieues des exigences populaires dans les pays africains en faveur d'une vraie souveraineté, d'une deuxième indépendance comme ils disent, exigences qu'ils expriment concrètement de plus en plus souvent.

Vous ne comblerez pas ce fossé en lançant un média de propagande pour vanter les mérites de la politique française, n'en déplaise à ceux qui, au Gouvernement et parmi nos collègues, évoquent abondamment la lutte d'influence pour tout expliquer. La seule manière de combattre efficacement les fake news et les propagandes hostiles est la mise en cohérence entre les paroles et les actes de la politique française en Afrique.

Si nous écoutions vraiment les jeunesses africaines, si la France changeait réellement de politique pour respecter la soif de liberté, de souveraineté, de développement choisi, alors nous aurions tous à y gagner, ici et là-bas. L'agenda des objectifs d'un développement durable maîtrisé par les Africains eux-mêmes est la clef d'un véritable avenir de paix et de justice, sur lequel refonder nos relations.

L'Afrique a d'abord besoin de financements massifs et de création monétaire.

La France doit cesser de mettre sous dépendance la zone du franc CFA et agir au plan international pour changer radicalement les règles d'attribution des droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI. Au-delà d'une redistribution des DTS non utilisés par les pays riches, qui se fait actuellement au compte-gouttes – et c'est nouveau –, une réforme des conditions d'émission des DTS devrait favoriser les critères de lutte contre la pauvreté et le financement à grande échelle de la transition économique et écologique du continent africain. Nous pourrions ainsi aider réellement les pays africains comme nous l'avons déjà proposé.

Soyons attentifs à ce qui se passe ! Je constate que les Brics – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – ne restent pas inertes. Si nous continuons comme nous le faisons, nous passerons une fois de plus à côté des besoins d'aujourd'hui.

Dans le domaine fiscal, nous constatons que, si les recettes fiscales représentent en moyenne 34 % du PIB dans les pays de l'OCDE, elles sont deux fois moins importantes dans les pays en développement, notamment en Afrique. Ce n'est pas un hasard.

Les pays africains ont besoin de nouvelles recettes fiscales. Nous devrions y consacrer des efforts, en cohérence avec la réalisation des objectifs contenus dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, que la France a ratifié. C'est au nom de ce Pacte que nous renouvelons notre proposition de flécher au moins 10 % de l'aide publique au développement (APD) vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux de ces pays pour leur donner les moyens budgétaires d'un développement endogène.

J'entends souvent dire ici « L'Afrique est notre avenir », mais elle est d'abord l'avenir des Africains. C'est par là que tout doit commencer ; c'est avec les Africains, partenaires enfin respectés, que nous devons surmonter les défis communs en matière sociale, climatique et environnementale.

La France pourrait ainsi passer d'une politique de conquêtes abruptes et inopérantes de parts de marché à trop court terme, d'une politique de VRP pour des ventes d'armes et des systèmes de sécurité, d'une stigmatisation hypocrite des migrations, alors que ce sont les politiques que nous promouvons qui les provoquent, à une autre logique de rapports mutuellement avantageux, de coopérations repensées, en appui aux choix propres de ces pays pour un développement endogène.

Nous devrions encourager l'industrialisation indispensable de ces pays. Nous devrions encourager le retour à une agroécologie vivrière, qui a largement fait ses preuves, y compris au Sahel, plutôt que de soumettre les pays africains à des accords commerciaux qui déstructurent leurs filières agricoles et de pêche.

Enfin, si nous comprenions l'impasse de nos aventures militaires à répétition, nous prendrions un tournant concernant les bases militaires permanentes, en allant le plus rapidement possible vers leur suppression.

Soyons lucides et honnêtes ! L'exercice par la France de ce pan important de la souveraineté des pays africains a globalement produit des résultats très médiocres. Dire cela n'est pas renoncer à toute coopération militaire avec les pays africains, mais c'est accepter le refus de ces pays d'être dans une relation exclusive de dépendance en matière militaire comme dans tous les autres domaines.

Il faut accepter qu'ils aient une pluralité de partenaires stratégiques. À défaut, nous précipiterons une évolution que nous dénoncerons alors peut-être avec véhémence.

Oui, madame la ministre, monsieur le ministre, c'est dans tous les domaines qu'il faut changer de logiciel en Afrique.

Je reconnais y être un peu allé à la serpe ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Nous devons changer résolument de logiciel. C'est ce que nous ne cessons de proposer et ce que ne cesseront désormais de nous rappeler les peuples africains. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Marie-Arlette Carlotti et Gisèle Jourda, ainsi que MM. Mickaël Vallet et Guillaume Gontard, applaudissent également.)

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 15 juillet 1959, le général de Gaulle ouvrait ici même la première session du Sénat de la Communauté qui réunissait 284 sénateurs, dont 98 représentaient douze pays africains. Le futur chef d'État du Sénégal siégeait ainsi dans cet hémicycle. À peine un an plus tard, au printemps 1960, la fin prématurée de la Communauté nous renvoie au discours du général de Gaulle : « La grande chance de la paix et de la civilisation, c'est que les hommes, les enfants de l'humanité qui disposent des moyens voulus, apportent leur aide à cette humanité tout entière. »

Soixante ans plus tard, nous souhaitons entretenir un lien d'estime et d'attachement réciproque avec le continent africain. Nous tentons, au mieux de nos capacités, de contribuer à apporter notre aide, lorsqu'elle est souhaitée, pour résoudre les crises que ces pays rencontrent.

Plus de la moitié de l'aide publique au développement de la France est consacrée au continent africain. La coopération décentralisée des collectivités locales françaises participe à construire des infrastructures – des puits, des routes, des écoles, des dispensaires… – afin d'améliorer le quotidien des populations. Ce faisant, nous contribuons à réduire la pauvreté et ses conséquences conflictuelles.

Notre engagement ne s'arrête pas là.

Nous participons depuis de nombreuses années à des missions de maintien de la paix. La France a notamment répondu présente en 2013, lorsqu'elle a été appelée pour empêcher les djihadistes de prendre Bamako. Cinquante-trois soldats français ont péri au Sahel lors de ces opérations. Je veux leur rendre hommage ce soir, avec une pensée pour leurs familles et leurs camarades.

Malgré la force et la constance de notre engagement, notre pays fait l'objet depuis environ une décennie de campagnes de propagande destinées à attiser la haine à notre égard. La Russie comptant parmi les meilleures spécialistes de la désinformation, nous n'avons pas été surpris de voir la milice Wagner intervenir en Centrafrique, puis au Mali.

La France, encore davantage depuis le Brexit, assume un rôle moteur dans les opérations de maintien de la paix lancées par l'Union européenne. Nous ne pouvons cependant être les seuls à supporter cette charge. Assez modérément soutenu tant par les gouvernements locaux que par nos partenaires européens, notre pays a progressivement réduit son engagement en Afrique.

Force est cependant de constater que la prolifération de mouvements islamistes, l'intervention de la milice russe et le piège de la dette chinoise ouvrent de sérieux motifs d'inquiétude.

Avec la croissance démographique et le dérèglement climatique en toile de fond, l'Afrique est exposée au risque de graves crises. D'ailleurs, nous assistons aujourd'hui à une véritable crise des institutions dans certains États africains. Les récents événements au Soudan confirment cette triste perspective, tout comme la famine qui menace la Corne de l'Afrique.

Plutôt que de préparer l'avenir, beaucoup ont malheureusement été détournés de la réalité par une idée qui continue de faire couler beaucoup d'encre : la Françafrique, bouc émissaire de tous les maux. Ce comportement trouble une appréciation correcte des faits politiques, couvrant par des mensonges l'incapacité de dirigeants à répondre aux attentes de leur peuple, le pouvoir se concentrant entre les mains d'un Président ou d'une junte, qui use et abuse de son pouvoir.

Les faits sont cependant bien éloignés des thèses imaginées par des agitateurs sur les deux rives de la Méditerranée. La raison en est simple : l'ensemble du continent africain représente environ 5 % du commerce extérieur français en 2022. Ce chiffre fait voler en éclats le fantasme de l'eldorado.

Le premier partenaire commercial de l'Afrique est désormais la Chine. Le poids de la France ne cesse de s'amenuiser à mesure que d'autres puissances prennent leur essor. C'est une réalité à laquelle nous devons nous adapter.

Cette réalité est aussi composée de nouvelles amitiés. Ainsi, tout comme l'Afrique du Sud, l'Algérie ne cache plus sa proximité avec Moscou : elle a mené des exercices militaires avec l'armée de Poutine et refuse dans le même temps de délivrer des laissez-passer consulaires, nécessaires au retour des Algériens expulsés par la France. Elle n'est pas la seule à s'être égarée. Après plusieurs putschs, le Mali s'enfonce dans la crise, préférant répondre par la force aux carences de son État.

Ce ne sont là que quelques exemples. Ils sont autant de signes d'une tendance qui voit l'influence occidentale refluer sur le continent africain. Nous n'avons pas les mêmes valeurs que la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping. Les gouvernements africains sont libres de nouer de nouveaux partenariats. Libres, et donc responsables. Il leur reviendra d'assumer l'ensemble des conséquences qui en découleront.

Dans cette nouvelle configuration, il est nécessaire d'ajuster la politique étrangère de la France. Faut-il continuer nos efforts, en poursuivant les mêmes orientations avec la même intensité ? En avons-nous encore les moyens ? Éprouvées par la crise de la covid, nos finances publiques sont dans un état préoccupant et d'ores et déjà mobilisées par le retour de la guerre en Europe.

L'invasion russe de l'Ukraine a fait prendre conscience aux Européens de la nécessité de prendre en main leur propre sécurité. Les efforts budgétaires consentis par les gouvernements du continent sont importants et visent à préparer nos armées à des engagements de haute intensité.

Avec des moyens limités, la concertation avec nos partenaires européens est encore plus nécessaire. La France sait depuis longtemps qu'il est dans l'intérêt de l'Union européenne de se préoccuper du devenir du continent africain. Certains États membres doivent encore être convaincus.

La population africaine, qui compte aujourd'hui plus de 1 milliard d'individus, pourrait passer à 2, 4 milliards d'ici à 2050. Dans le même temps, l'accroissement de population peut intensifier la gravité des crises dont celles qui ne trouvent pas de solutions locales génèrent des déplacements de population qui, eux, concernent directement l'Europe.

Le groupe Les Indépendants considère que les ambitions de la politique étrangère de la France en Afrique doivent être proportionnées aux moyens dont nous disposons. À cet effet, nous saluons la décision du Président de la République relative à la cogérance de bases militaires avec les pays dont nous partageons les objectifs.

Il conviendrait également de repenser notre relation avec l'Afrique en matière sécuritaire, migratoire et économique et de retrouver des instances de dialogue et d'échange, à l'instar de l'Union pour la Méditerranée.

Il nous apparaît ensuite nécessaire de concentrer nos efforts sur les pays qui partagent nos valeurs et se montrent solidaires. Rappelons que sept pays, dont l'Érythrée et le Mali, ont refusé à l'ONU de condamner l'agression russe en Ukraine.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Nous n'avons pas que des amis parmi les dirigeants africains. Dans la nouvelle configuration, il nous semble qu'il est important d'investir en faveur de nos alliés, en veillant à ne pas renforcer nos adversaires. Cela implique une stricte sélection des pays et des projets auxquels nous consacrons notre aide, qu'il s'agisse de la vie de nos soldats ou des milliards d'euros de l'aide publique.

Également libre et indépendante, la France doit agir au mieux de ses intérêts, au travers de deux axes essentiels : la réciprocité et une entente cordiale. §

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. André Guiol, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Applaudissements sur des travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de André Guiol

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Afrique est le continent de tous les défis : climatique, démographique et économique. Il est aussi celui de tous les enjeux, pour ne pas dire de toutes les convoitises. L'intérêt de la Chine et de la Russie a permis de sortir l'Afrique de son face-à-face avec l'Europe, mais à quel prix ?

Concernant la Chine, la masse d'argent qu'elle a déversée sur de nombreux pays africains a créé une relation asymétrique qui n'a pas forcément apporté le développement attendu, bien que Pékin prétende depuis deux ans ouvrir une nouvelle ère pour une relation financière plus soutenable avec ses partenaires.

La Russie, quant à elle, y mène également sa stratégie d'influence, avec des moyens peu conventionnels si l'on songe au travail de sape mené par le groupe privé Wagner sur le thème de l'Occident décadent et toujours avide de domination. C'est peu subtil, mais, quels qu'en soient les moyens, cette stratégie est payante pour Moscou, puisque plusieurs pays africains se sont abstenus de voter les résolutions condamnant l'agression russe en Ukraine. L'abstention du Gabon sur le dernier texte, porté par Paris, est assez éclairante.

Face à cela, que peut l'Europe et que peut la France, qui traîne derrière elle le poids de l'histoire coloniale, des difficiles mouvements de libération et de la politique du pré carré qu'elle a installée dans les années 1960 ? On connaît les conséquences de cette histoire : dans certains pays, les relations avec la France demeurent, hélas, passionnées ou traumatiques.

Pourtant, depuis bien longtemps, sans renier une mémoire commune ni les réparations qui en découlent, nos présidents successifs ont appelé à regarder l'avenir plutôt que le passé.

De son discours à l'université de Ouagadougou jusqu'à ses récentes déclarations dans le cadre de sa dernière tournée diplomatique dans quatre pays africains, le président Macron n'a cessé de souligner la fin de la Françafrique et la nécessité de refonder une relation équilibrée. Comment ne pas partager cette volonté ?

Par la force des événements, il ne reste heureusement plus grand-chose de la Françafrique ; la fin du franc CFA en est, en quelque sorte, le témoignage symbolique.

Aujourd'hui, mes chers collègues, quelle page ouvrir avec l'Afrique pour construire une nouvelle ère dans le contexte géopolitique que j'ai évoqué au début de mon propos, ainsi qu'au regard des grands défis que nous ne pouvons affronter qu'ensemble ?

Il me semble que la première règle consisterait à toujours demander à nos partenaires ce qu'ils attendent de nous. Il faut bien sûr pour cela que la relation soit franche et sincère. Je le conçois, ce n'est pas aisé. Le président Macky Sall ne s'est-il pas servi du sentiment anti-français pour mieux justifier son maintien infini à la tête du Sénégal ?

L'instabilité politique peut aussi rendre nos bonnes intentions compliquées. Nous l'avons vécu au Mali : la France, directement appelée en 2013 par Bamako pour stopper l'avancée des groupes armés islamistes, a été priée de partir neuf ans plus tard par la junte installée au pouvoir.

De notre côté, sur le plan diplomatique, il faut clairement éviter tout geste qui pourrait apparaître comme un adoubement de tel ou tel dirigeant, tant certains États sont encore politiquement très fragiles et versatiles.

Sur le plan sociétal, je crois qu'il ne faut pas surestimer le rayonnement de la France, même si le français, langue de culture, pour reprendre les mots de Léopold Sédar Senghor, est encore bien vivace grâce aux instruments de la francophonie.

Restons humbles et, grâce à des échanges mutuels dépoussiérés des vieux démons, essayons d'orienter toutes nos politiques de coopération sous l'angle de la coproduction. C'est sans doute ce qu'attendent les nouvelles générations, qui veulent prendre en main leur propre développement et qui ont, à notre égard, des aspirations égalitaires plus prégnantes.

Cela est aussi vrai sur le plan militaire : nos accords de coopération doivent mettre davantage l'accent sur les aides à la formation et sur l'équipement des armées locales. L'envoi de troupes doit être le dernier recours ou doit se fondre dans une alliance équilibrée.

Cela ne doit pas empêcher pour autant le maintien de nos bases militaires essentielles à notre stratégie de défense, ainsi que l'échange de renseignements avec nos partenaires africains. Nous avons en partage des enjeux sécuritaires, dont la lutte contre l'infatigable terrorisme islamiste.

Madame la ministre, monsieur le ministre, je crois que c'est bien le sens de la volonté du chef de l'État qui a souhaité, lors de sa dernière allocution du 14 juillet, une offre militaire française rénovée en Afrique. Le groupe du RDSE partage en tout cas le principe d'une présence partenariale plus discrète et, de préférence et autant que possible, dans un cadre multilatéral.

Concernant la coopération économique, là encore, il faut se demander quels sont aujourd'hui les besoins de nos partenaires. « L'Afrique ne doit pas être seulement un pourvoyeur de matières premières », comme l'a très récemment rappelé Azali Assoumani, président en exercice de l'Union africaine.

L'indice d'industrialisation de l'Afrique publié l'année dernière par la Banque africaine de développement indiquait que les économies les plus industrialisées d'Afrique étaient celles qui avaient produit le plus d'efforts pour s'éloigner de la dépendance aux industries extractives et se tourner vers des secteurs à plus haute valeur ajoutée. Dans ces conditions, les entreprises françaises, en particulier les PME, ont tout intérêt à prendre ce virage et à investir dans ce sens.

Les pays anglophones, avec lesquels nous n'avons pas d'antécédents, si je puis dire, doivent aussi retenir un peu plus l'attention des investisseurs français.

Enfin, mes chers collègues, parce que l'Afrique est aux portes de l'Europe, nous devons aussi maintenir un lien fort avec plusieurs de ces pays pour la gestion des flux migratoires. L'explosion démographique du continent nous invite à regarder cette question avec ouverture, car rien n'arrêtera ce mouvement.

À cet égard, au-delà de nos accords bilatéraux sur le problème migratoire, il revient à l'Union européenne de travailler au plus proche avec les institutions régionales africaines pour rendre plus effective l'approche globale qu'elle a adoptée en 2005 et qui est basée sur trois axes : la promotion de la mobilité et de la migration légale ; la prévention et la lutte contre l'immigration clandestine ; l'optimisation du lien entre migration et développement.

Gardons aussi à l'esprit que l'Afrique ne doit pas être privée de ses talents, indispensables à son développement. L'immigration choisie a ses limites. Il est temps de penser notre coopération dans une logique de gagnant-gagnant.

Mes chers collègues, il est évident que la France doit écrire un nouveau récit avec le continent africain et faire la démonstration de son utilité, car notre pays a une expertise et des valeurs nécessaires à la défense des intérêts de l'Afrique, dont certains sont aussi les nôtres.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Gontard

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 novembre 2022, le Président de la République a annoncé la fin de l'opération Barkhane, près de dix ans après le déploiement de l'armée française au Mali. Dix ans de présence au Sahel et un seul vote du Parlement, en 2013...

Depuis, malgré les évolutions militaires considérables qu'ont connues les différentes opérations au Sahel, pas une seule fois le Parlement n'a pu exprimer son avis. Toutes les décisions ont été prises de manière unilatérale au sommet de l'État, même si vous nous avez fait la grâce d'un débat sur la possibilité d'un retrait français du Mali en février 2022 et que vous nous faites la grâce de celui-ci. La politique africaine de la France demeure une chasse gardée du pouvoir exécutif.

Cela n'est pas gage d'efficacité, puisqu'il est délicat de trouver une quelconque satisfaction au bilan de la décennie écoulée. Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, force est de constater que jamais la position de la France en Afrique n'a paru si précaire.

En préambule, quel bilan pouvons-nous tirer de l'opération Barkhane ? Je voudrais tout d'abord, au nom du groupe écologiste, renouveler mes pensées pour les cinquante-neuf militaires morts au Sahel depuis 2013, leurs familles et leurs proches. La reconnaissance de la Nation est éternelle.

Nos forces armées se sont déployées au Mali en 2013 avec l'objectif d'empêcher une progression de la menace djihadiste. Si, selon Emmanuel Macron, l'opération Barkhane n'est pas un échec, nous pouvons tous ici convenir du fait que la menace djihadiste est loin d'être éradiquée. Alors que les djihadistes avaient reculé en 2014, ils sont aujourd'hui bien présents dans le nord et le centre du Mali, mais aussi au Burkina Faso, au Niger ou encore en Côte d'Ivoire.

Les situations politiques des pays concernés par l'opération Barkhane sont préoccupantes. Après plusieurs coups d'État récents, le Mali et le Burkina Faso sont aujourd'hui sous l'emprise de juntes militaires. Nous le craignions : sans solution politique pérenne, les opérations militaires ont peu de chance d'aboutir à une situation stable.

Depuis notre retrait du Mali en 2022 et du Burkina Faso en 2023, les djihadistes s'engouffrent dans le vide laissé par nos forces armées. L'opération Barkhane montre clairement les limites d'une intervention extérieure purement militaire, sans aucune vision de sortie de crise.

La situation chaotique de ces pays et de bien d'autres en Afrique, couplée avec un sentiment anti-français de plus en plus prégnant, ouvre la voie à l'influence russe, en particulier à la milice Wagner, aujourd'hui présente dans dix-sept pays africains.

La relation étroite de la France avec le continent africain s'est abîmée. Le sentiment anti-français a progressé à grande vitesse ces dernières décennies. Mais pourquoi ? La présence croissante de puissances étrangères cherchant à instrumentaliser le rejet de la France l'explique, mais seulement en partie.

C'est notamment le manque important de transparence des opérations militaires françaises qui est mis en cause. Comment les peuples et gouvernements africains peuvent-ils nous faire confiance, quand nous prenons des décisions sur l'avenir de leur pays sans leur consentement ?

Ce modèle d'intervention militaire paternaliste, qui n'associe pas ou peu à la décision les gouvernements des pays théâtres des opérations, a montré toutes ses limites. Une nouvelle fois, il paraît impensable d'envoyer à l'avenir nos troupes dans des pays sans débouchés politiques tangibles ou sans association étroite et sur la durée avec les pouvoirs politiques en place.

Nous devons absolument être plus transparents sur nos actions et reconnaître nos bavures et erreurs, comme le dramatique bombardement d'un mariage le 3 janvier 2021 au Mali.

Les peuples africains reprochent également à la France une indignation à géométrie variable concernant leurs dirigeants selon leur degré de coopération avec Paris. Ils le font à raison ! Pourquoi dénoncer, à juste titre, la dictature militaire au Mali, mais soutenir ldriss Deby, président du Tchad pendant trente ans, puis son fils, placé au pouvoir après la mort de son père ? Le respect de la volonté des peuples et des droits humains doit être notre boussole.

Alors que les effectifs de l'armée française sont réorientés vers le Niger et le Tchad, là où demeurent certains intérêts stratégiques vitaux, comme la fourniture d'uranium pour nos centrales nucléaires, il est plus que clair que nous devons bâtir un nouveau type de coopération avec le continent africain.

Les accords de défense comme les partenariats économiques doivent être conclus dans l'intérêt des peuples, tout en prenant garde à ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures des pays.

En parallèle, il nous faut continuer de soutenir le développement du continent et renforcer notre solidarité avec les pays les plus pauvres, notamment via notre aide publique au développement. Si des efforts notables ont été effectués depuis le vote de la loi de programmation voilà deux ans, nous rappelons avec force la nécessité de contribuer au développement par des dons directs et non par des prêts. Ces derniers conduisent à donner la priorité à des pays à revenus intermédiaires plutôt qu'aux pays pauvres.

L'aide apportée par notre pays doit être beaucoup plus ciblée et localisée. Garantir la sécurité et la subsistance des populations, au travers de réseaux locaux, est une autre manière de lutter contre le terrorisme, qui bien souvent assoit son influence en subvenant aux besoins des habitants.

Nous devons à l'Afrique ce juste retour, car notre dette envers ce continent est immense, mais nous devons aussi l'accompagner dans un développement qui doit immédiatement être durable.

Il faut davantage conditionner les aides versées au respect des droits humains, démocratiques, sociaux et écologiques, notamment les droits des femmes et ceux des peuples autochtones.

Nous demandons enfin que l'aide si opportunément accordée aux réfugiés ukrainiens sur notre sol intègre nos comptes sociaux et ne soit plus comptabilisée comme un effort d'aide publique au développement.

Au-delà de l'APD, il est nécessaire d'annuler les dettes de certains pays africains, notamment celles qui ont été contractées par des dictatures dans le seul but d'enrichir le clan au pouvoir ou d'engager des actions allant à l'encontre de l'intérêt général.

Tout cela est indispensable pour anticiper les futures décennies. Nous le savons, les pays les plus pauvres, ceux du Sud, vont subir et subissent déjà les conséquences les plus graves du réchauffement climatique.

Sommes-nous prêts à accueillir les futurs réfugiés climatiques, qui arriveront par millions en Europe ? Nous peinons déjà à accueillir dignement les réfugiés qui entrent sur notre sol. Durcir les politiques migratoires déjà en vigueur ne sera d'aucun secours face à de tels mouvements de populations.

Par ailleurs, allons-nous continuer à laisser des entreprises françaises mener des projets climaticides ? Je pense notamment au nouvel oléoduc de Total, en Ouganda et en Tanzanie, qui émettra 379 millions de tonnes équivalent CO2 en vingt-cinq ans, soit l'équivalent de 216, 5 millions de liaisons aériennes Paris-New York ? Les scientifiques sont pourtant clairs : si l'on veut atteindre l'objectif de zéro émission nette en 2050, plus aucun projet fossile n'est possible !

En plus du risque climatique avéré, les ONG dénoncent déjà plusieurs cas de violation des droits humains par Total en Ouganda et en Tanzanie. J'en conclus qu'il est plus que temps de renforcer l'application de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, voire de la muscler en transformant le devoir de vigilance en obligation de vigilance, avec une responsabilité accrue des entreprises et des opérateurs publics intervenant à l'étranger.

Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous d'accord sur le constat : la politique africaine de la France est à un tournant. C'est l'occasion d'adopter une tout autre attitude vis-à-vis des peuples africains et de faire primer le respect mutuel et la coopération pour accompagner le développement social et écologique du continent africain.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le discours de Ouagadougou en 2017, le sommet Afrique-France en 2021 et la tournée en Afrique centrale en 2023, nous avons remarqué que le Président de la République était très engagé publiquement dans la politique étrangère de la France en Afrique. Par votre déclaration de ce jour, vous nous confirmez l'importance de cette question pour l'exécutif.

Néanmoins, malgré cet investissement de votre temps, de notre argent et de nos coopérants civils et militaires, depuis plusieurs années, la défiance s'accentue, la francophobie progresse et nous perdons en influence sur tout le continent africain, pourtant le plus francophone de tous.

De cela, vous êtes en partie responsables. En relayant le postulat culpabilisateur qui repose sur le mythe du pillage colonial, vous sabordez les efforts concertés de notre politique d'influence. Ce n'est pas le cas des autres puissances coloniales, qui ne pratiquent pas cette autoflagellation. J'en veux pour preuve le fait que nos anciennes colonies, toujours francophones, du Togo et du Gabon ont rejoint le Commonwealth en 2022 ! La France doit cesser de se désigner elle-même comme bouc émissaire ; ce masochisme injustifié ne saurait servir de base à une relation fructueuse entre la France et les pays africains.

Une deuxième erreur consiste à vouloir exporter la démocratie comme une recette universellement transposable. Nous avons vu ce que cela a donné, par le passé, en Libye ou ailleurs : chaos aggravé chez eux, chaos importé chez nous.

Votre troisième erreur, c'est d'avoir refusé de faire de la politique, en vous cantonnant à des partenariats avec le monde de la culture et la jeunesse, avec la société civile comme seul horizon. Par idéalisme, vous renoncez à faire de la France une grande puissance. De plus, vous faites croire que notre recul militaire est un choix, alors qu'il est majoritairement contraint par les États africains, qui nous mettent dehors.

La quatrième erreur, c'est refuser d'adjoindre à l'aide publique au développement une injonction de puissance et une exigence de réciprocité, sans lesquelles nous subissons une double peine, financière et migratoire.

La cinquième erreur, c'est la suppression du corps diplomatique. Elle sonne la fin d'une tradition africaine au sein du Quai d'Orsay : c'est la perte d'un réseau, d'un savoir-faire et de connaissances acquises durant de nombreuses décennies. On a vu les conséquences de négociations improvisées par le pouvoir politique : nous sommes en froid avec tous les pays du Maghreb, virés du Sahel, fâchés avec l'Afrique centrale.

Dans le même temps, toutes les grandes puissances s'implantent massivement et durablement en Afrique : la Chine, l'Iran, la Russie, la Turquie, les pays du Golfe… Au Gabon, 70 % de la deuxième plus grande forêt du monde après l'Amazonie appartient aux Chinois. Pendant que Wagner s'occupe du militaire, Pékin s'affaire à la coopération économique.

Enfin, avec le départ de la force Barkhane, nous avons perdu la main dans la lutte menée en amont contre l'immigration illégale et le terrorisme islamiste. Aujourd'hui, le président tunisien parle de grand remplacement ; avec l'Algérie et le Maroc, il contrôle désormais le robinet d'une déferlante migratoire qui enfle chaque année un peu plus. Au vu de l'explosion démographique du continent africain, il y a une impérieuse nécessité de stabilité politique et de développement économique en Afrique, mais aussi de fermeté en Europe : il faut lutter contre les trafics d'êtres humains, qui deviennent un marché juteux, au même titre que les trafics de drogue, qui s'intensifient du sud vers le nord.

En conclusion, pour faire écho aux propos pertinents de M. Cambon, je vous rappelle, madame la ministre, monsieur le ministre, que parier sur l'Afrique, c'est commencer par parier sur la puissance de la France !

Debut de section - Permalien
Catherine Colonna, ministre

Je veux avant tout, mesdames, messieurs les sénateurs, remercier chacun d'entre vous pour vos interventions.

Je relève en premier lieu que nous faisons souvent un constat partagé sur les enjeux et les défis que représente notre relation avec le continent africain, les pays africains dans leur évolution. Le constat est également partagé, me semble-t-il, quant à la nécessité de continuer nous-mêmes à évoluer, à transformer notre approche.

Monsieur Cambon, je ne saurai vous répondre que par quelques remarques partielles, tant les points que vous avez abordés ont été nombreux. Je voudrais d'abord revenir brièvement après vous sur les relations commerciales. J'avais tenu à rappeler, par précaution, que l'Afrique avait diversifié ses partenariats commerciaux, comme nous-mêmes d'ailleurs, mais il n'en reste pas moins que notre présence économique y est plus forte qu'auparavant, que nos exportations vers l'Afrique ont progressé. Volumes et parts de marché sont deux choses différentes, chacun peut retenir ce qui lui semble le plus pertinent ; je ne vous fais donc aucun reproche en la matière.

Je veux revenir plus longuement sur l'expression souvent entendue, et que je crois largement trompeuse, de « sentiment anti-français ». Je souhaiterais que l'on soit plus précautionneux dans l'emploi de cette expression, parce qu'elle implique des choses qui n'existent pas, comme vous l'avez d'ailleurs souligné, monsieur Cadic. Il faut distinguer, me semble-t-il, le discours anti-français du sentiment anti-français. Ce que nous voyons souvent, c'est un discours anti-français, qui ne se répand pas tout seul, comme je l'ai déjà dit. Ce discours a certes joué un rôle majeur dans le basculement du Mali et dans celui, peut-être, du Burkina Faso, mais il ne faut pas confondre discours et sentiment.

C'est bien le recours à Wagner par les autorités de fait de la République centrafricaine et du Mali, autorités issues de coups d'État, qui entraîne la diffusion d'un discours anti-français. En d'autres termes, ce n'est pas le sentiment anti-français qui fait partir la France, c'est plutôt l'arrivée de Wagner, convié par des putschistes, comme disait le ministre des armées, qui fait venir la prédation, les exactions et le discours anti-français. Nous avons donc décidé de réagir, de nous réarmer – les moyens sont en augmentation –, mais aussi de dénoncer ces manipulations de l'information.

Monsieur Cambon, vous avez aussi déclaré que nous devions assumer nos intérêts, de façon honnête, respectueuse et décomplexée, d'égal à égal, comme on le fait partout dans le monde ; je crois pouvoir vous soutenir parfaitement.

Je partage aussi le constat que vous faites en matière d'influence. Nous augmentons les crédits employés à faire face à ces nouveaux enjeux, en particulier les crédits de communication et d'influence, notamment au travers des services de coopération et d'action culturelle (Scac).

Par ailleurs, vous avez pris connaissance des annonces faites par le Président de la République après la réunion du Conseil présidentiel du développement : nous avons décidé d'augmenter nos capacités d'expertise technique, à hauteur de plusieurs centaines d'équivalents temps plein (ETP) d'ici à 2027.

Je veux à présent revenir sur certains des points évoqués par Mme Carlotti, et d'abord sur la trajectoire de l'aide publique au développement. Oui, madame la sénatrice, la loi du 4 août 2021 fixe des niveaux à cette aide, vous le savez mieux que moi, mais elle ne le fait que jusqu'à cette année ; pour la suite, elle fixe des objectifs : ce n'est pas la même chose, car un objectif n'est pas impératif.

Par ailleurs, je dois à nouveau faire remarquer que notre APD a augmenté en volume – je ne connais pas d'autre pays qui ait augmenté en volume son aide à l'Afrique – et que, d'une façon plus générale, la France a augmenté de 50 % son aide publique au développement entre 2017 et 2022. Le volume de l'APD continue d'augmenter.

Je vous remercie, madame Carlotti, pour les éloges que vous rendez à nos diplomates – j'y suis sensible, vous le savez bien –, mais je ne crois nullement que notre action diplomatique soit affaiblie alors que le Président de la République décide d'augmenter les moyens du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi que le nombre de ses emplois. Cette année, pour la première fois après trente ans de déclin, il est décidé d'en augmenter les moyens budgétaires, et ce sur une trajectoire pluriannuelle, nous menant jusqu'à 2027.

Pour le reste, madame la sénatrice, non seulement nous n'avons pas la nostalgie du passé, ou de relations exclusives, mais notre relation a changé dans les faits : nous sommes des partenaires, nous sommes respectueux de ceux que nous avons sur le continent africain, nous assumons nos intérêts et nous nous tournons vers les défis communs, les grands défis globaux tels que le climat, la sécurité alimentaire, et tant d'autres encore.

Monsieur Cadic, vous avez évoqué l'influence de la désinformation ; je n'y reviens pas, mais c'est un point important.

Quant à la politique des visas, elle est menée, selon le décret d'attributions du ministre de l'intérieur, par le ministère de l'intérieur conjointement avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Gérald Darmanin et moi-même avons encore tenu un comité de pilotage tout récemment, ce qui nous a permis de constater que, si la politique des visas permet de protéger nos intérêts à de nombreux égards, elle permet aussi de renforcer l'attractivité de notre pays, point que nous avons développé l'un et l'autre en confiant à M. Ermelin la rédaction d'un rapport dont j'espère que vous pourrez bientôt prendre connaissance, rédigé avec l'appui des deux inspections générales du ministère de l'intérieur et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous suivrons ses recommandations et nous augmenterons les moyens humains dans nos consulats.

Merci, monsieur le sénateur, d'avoir mentionné l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme. Le ministre des armées en parlerait mieux que moi, mais je dirai simplement que cela traduit, en Côte-d'Ivoire, notre volonté de renforcer les capacités de nos partenaires.

Madame Duranton, je vous suis reconnaissante d'avoir souligné – tout le monde ne l'a pas fait – la rénovation de nos relations avec le continent africain, en employant le terme de « virage ».

Il faut aussi rappeler, comme vous l'avez fait, l'intensité du travail diplomatique que nous menons avec les pays africains pour relever les défis communs. Nous l'avons fait, par exemple, avec le One Forest Summit qui s'est tenu au Gabon tout récemment ; nous le ferons encore les 22 et 23 juin avec le sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial. Merci de reconnaître ces efforts : c'est un processus constant, qui doit se poursuivre. Nous allons aussi continuer de nous réarmer, selon l'expression consacrée, pour accroître nos capacités d'influence. Il y a encore beaucoup à faire, nous le savons, mais nous y sommes déterminés.

Monsieur Laurent, je regrette sincèrement d'être en désaccord avec vous sur un certain nombre de points. Ainsi du franc CFA, à propos duquel vos affirmations me paraissent inexactes : si nous garantissons toujours la parité avec l'euro, à la demande des pays concernés, l'obligation de centralisation des réserves de change a en revanche disparu. Il faut le savoir et en prendre note pour mettre son logiciel au goût du jour, si vous me permettez l'expression.

Je suis aussi en désaccord avec vos propos sur nos entreprises : le nombre de filiales d'entreprises françaises a augmenté et non pas diminué. Il n'y a pas que le grand capital – vous n'avez certes pas prononcé l'expression – qui soit présent en Afrique.

Nous avons au moins un point d'accord, monsieur Laurent : oui, les pays africains sont nombreux à avoir besoin d'un financement accru. C'est d'ailleurs l'un des objets du sommet des 22 et 23 juin que de permettre un nouveau pacte financier mondial. Vous verrez notamment la France y plaider pour une augmentation des droits de tirages spéciaux, augmentation qu'elle a elle-même pratiquée, puisque nous avons tenu nos engagements en 2021 et mobilisé plus de 4 milliards de dollars de DTS pour les pays vulnérables.

M. Guiol a évoqué la Russie et la Chine. À ce propos, je ferai simplement remarquer que la Chine sera présente au sommet des 22 et 23 juin, représentée par son Premier ministre, soit un niveau élevé de représentation, ce qui nous permettra de débattre aussi de la question de la dette.

Enfin, je veux apporter une réponse très partielle à M. Gontard sur deux sujets qu'il a évoqués. Au Tchad, monsieur le sénateur, nous ne soutenons aucun régime : comme tous les pays de la région, nous soutenons une transition dont nous souhaitons qu'elle mène à des élections. Quant à l'Ouganda, je dois vous rappeler que, si Total est en activité ou a des projets dans un certain nombre de pays africains, il ne reçoit pas pour autant de financements de l'État. La France n'apporte pas non plus de garanties aux actions de sociétés privées commerciales.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Olivier Cadic et André Guiol applaudissent également.

Debut de section - Permalien
Sébastien Lecornu, ministre

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux avant tout vous remercier pour l'organisation de ce débat. Ce qui me frappe, depuis un an que j'occupe les fonctions de ministre des armées, c'est que, malheureusement, les questions africaines occupent désormais trop peu de place dans le débat démocratique global.

Dès lors, le présent débat, même s'il est tenu nuitamment, quoiqu'avec une représentation proportionnée de l'ensemble des groupes politiques, nous permet tout de même de les y réinscrire, pour notre opinion publique, pour la presse, mais aussi, on le sait, pour nos partenaires africains, qui regardent évidemment ces débats. §Je le dis et je le pense sincèrement !

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

Nous avions demandé ce débat, nous l'avions même exigé !

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Lecornu

C'est pourquoi vous êtes présents ce soir, et je m'en félicite. En tout cas, c'est bien volontiers que nous répondons à vos diverses interpellations.

Mme Colonna a tout dit ; je ne ferai que réagir sur quelques points qui m'ont marqué dans les différentes interventions.

À première écoute, tous les orateurs posent un constat similaire. De fait, ce n'est pas le constat qui est le plus difficile à établir, surtout quand l'histoire est faite et terminée – je pense notamment aux affaires militaires et aux sujets liés à l'opération Barkhane. En revanche, quand on creuse un peu, on s'aperçoit quand même que les conclusions de chacun sont très différentes quant à l'approche que devrait adopter la politique française en Afrique.

Cette divergence de vues est d'ailleurs saine pour la démocratie : si M. Gontard s'interroge sur la confiscation du débat politique, parlementaire, sur ces sujets, pour ma part, je considère qu'il doit avoir lieu. Je sors d'ailleurs de deux semaines de débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de programmation militaire, et il m'a semblé intéressant de constater à quel point un certain nombre de formations politiques manquent de cohérence avec leur histoire, voire parfois avec des prises de position récentes, que ce soit sur l'Europe, sur l'Otan, sur la relation franco-allemande, ou encore sur l'aide à l'Ukraine.

Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Lecornu

Mais si, mesdames, messieurs les sénateurs : après quinze jours passés au Palais-Bourbon, je peux vous assurer que beaucoup de formations politiques sont très désaxées entre elles, y compris au sein d'alliances électorales récentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Lecornu

Je trouve donc intéressant d'avoir ce débat. Sur la question africaine, nous ne nous y dérobons pas. Le cardinal de Retz aurait dit que l'on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment ; je pense au contraire qu'il est sain de le faire. Cela m'amène à ma première remarque.

Madame Carlotti, je vous remercie pour l'ensemble du tableau que vous avez dressé, mais je vous trouve un peu dure envers la force Takuba. Peut-être a-t-on manqué d'ambition, mais je ne pense pas que cela ait raté, si je puis le dire avec mes propres mots et en toute spontanéité. Dire « raté » signifierait que les partenaires européens n'ont pas été au rendez-vous. C'est faux : ils ont répondu présents. Nos partenaires européens actuels, y compris des pays qui n'avaient pas l'habitude d'engager leurs forces en opérations extérieures, des pays dont les parlements avaient toujours refusé de tels engagements, l'ont permis cette fois et sont aujourd'hui satisfaits de l'avoir fait. Ils ressentent même une forme de fierté que d'avoir contribué à cette force. Ou bien serait-ce que le groupe socialiste ne croit plus à l'Union européenne en la matière ? §

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Lecornu

Je dis juste que Takuba, de ce point de vue, a fonctionné. C'est aussi le cas si l'on en examine les résultats de près – je suis prêt à y revenir devant votre commission des affaires étrangères, si vous m'y invitez. Ainsi d'opérations militaires très précises menées avec le timbre de Takuba contre des groupes terroristes armés : le chef d'état-major des armées pourra vous expliquer lors d'une prochain audition que ces opérations ont bien fonctionné.

Au-delà de Takuba, il existe d'autres missions européennes qui n'ont pas été abordées dans la discussion. L'opération Atalante mérite pourtant d'être mentionnée au cours d'un débat de trois heures ! Certes, on n'a pas le temps de tout traiter, mais il n'est pas de trop de parler de piraterie, de liberté d'accès maritime ou encore de pêche illégale, dont on sait que c'est un enjeu majeur dans le golfe de Guinée comme à l'approche de la Somalie. Évidemment, ces sujets croisent parfois ceux liés au terrorisme, tandis que sur d'autres routes de navigation commerciale, c'est malheureusement Wagner qui peut être rencontré.

On s'en tient toujours à une approche militaire très terrestre, mais je crois qu'on a tort d'oublier les coopérations et missions maritimes. Je confesse bien volontiers que j'en suis le premier coupable, puisque je n'en ai pas fait mention à la tribune lors de ma première intervention. Mme Duranton y a certes fait allusion ; précisons cependant que ce n'est plus une mission de l'Otan : cette opération est désormais portée par l'Union européenne, et la France y contribue grandement.

Pour le coup, si l'on veut être à l'écoute des pays africains, il est clair que leurs besoins en matière maritime sont croissants ; or les Européens, dont les agendas de sécurité se concentrent en miroir sur la mer Méditerranée et le détroit de Gibraltar, peuvent particulièrement y être intéressés. C'est donc selon moi un bon thème de coopération.

Certes, je suis un furieux séguiniste, et j'ai une forme de prudence par rapport à un certain nombre de coopérations européennes, mais je dois bien avouer qu'il faut faire vivre l'envie de faire que l'on voit dans Takuba et que l'on retrouve dans Atalante.

Le deuxième point qui me frappe à l'issue de ce débat – que Mme Colonna et moi-même considérons comme un point d'étape dans la réarticulation de la présence française en Afrique – c'est qu'aucun orateur n'est d'accord sur les missions que l'on doit donner à nos bases.

Tout d'abord, Pierre Laurent veut les fermer, tout en expliquant qu'il faut être à l'écoute et respecter la souveraineté des pays concernés. Dès lors, que faire lorsque les pays en question demandent à ce que les bases prépositionnées restent ouvertes et continuent d'accomplir leurs missions ? Faut-il tout de même les fermer ?

Vous avez vous-même dit, monsieur le sénateur, que vous aviez taillé à la serpe ; je me permets donc de relever cette contradiction. Vous voyez bien que les choses sont plus complexes : dire « fermons les bases » est certes pratique, mais nonobstant son caractère hâtif, cette décision ne couvrirait pas l'ensemble des besoins.

À l'inverse, d'autres orateurs, dont Olivier Cadic, souhaiteraient confier à nos bases des missions comparables à celles des forces de sécurité intérieure des pays qui nous accueillent. Monsieur le sénateur, je sais que vous relayez les préoccupations que vous entendez sur le terrain, mais nos bases militaires sont présentes pour remplir des missions régaliennes, prévues par des accords de défense. Elles ne sauraient intervenir au quotidien pour protéger des intérêts économiques. Ce type d'attaques relève de la sécurité privée ou des forces de sécurité intérieure.

Il est donc intéressant de constater, sans tomber dans la caricature, l'étendue du spectre des réflexions que nous devons mener, entre une fermeture pure et simple des bases, comme le suggère M. Laurent, et un plus grand interventionnisme, pour répondre à la diminution de l'empreinte française, comme le réclament ceux qui considèrent que nos intérêts économiques risquent d'être davantage attaqués dans les pays concernés. Voilà les deux positions les plus antagonistes qui ont été exprimées ce soir.

Cela mérite peut-être que nous y revenions en commission ou à une autre occasion, car nous ne devons pas nous méprendre sur le rôle de nos bases. Si nous sommes en mesure de mener une opération Sagittaire depuis la base de Djibouti, comme nous l'avons récemment démontré, ce serait mentir à l'opinion publique et à nos compétiteurs que de faire croire que l'on peut faire de même depuis notre base au Sénégal. C'est aussi faux aujourd'hui qu'il y a cinq ou dix ans. Les éléments français au Sénégal font seulement de la formation ; ils ne peuvent remplir les mêmes missions que leurs homologues basés à Djibouti ou à Abidjan.

Depuis que le Président de la République m'a donné mandat pour réarticuler la présence française en Afrique, je me suis aperçu que de nombreux connaisseurs des sujets militaires faisaient passer une base pour une autre. Or la base projetée de Niamey, au Niger, par exemple, ne répond pas aux mêmes besoins militaires et au même contrat opérationnel que nos bases au Gabon ou au Sénégal.

J'ai commencé par ces dernières, car elles représentent un héritage de bases dont les fonctions sont non pas de combattre, mais uniquement de former. Au reste, pour dire les choses franchement, ces fonctions de formation semblent un peu passéistes, tout du moins insatisfaisantes compte tenu des besoins réels des forces armées des pays en question.

Voilà un point important, sur lequel j'aimerais, si le président Cambon m'y autorise, revenir devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Les choses doivent être claires, car si nous entretenons un flou, nous participons au narratif anti-français. Faire croire qu'une base au Sénégal peut permettre d'y entretenir des intérêts politiques et intérieurs, comme on le lit parfois dans la presse, c'est mentir !

Le troisième point que je soulèverai est dans la même veine. Vous êtes nombreux à avoir appelé au respect d'une véritable souveraineté des États africains avec lesquels nous entretenons des relations militaires, sécuritaires, économiques et diplomatiques. Je partage bien sûr cet avis ; personne dans cet hémicycle n'oserait appeler à ce que nous malmenions ou bafouions la souveraineté des autres pays.

Pour autant, votre lecture de ce qui s'est passé au Mali est pour le moins unilatérale. Vous portez un regard très expéditionnaire en considérant, en substance, que nous nous sommes fait mettre dehors, etc. Que fallait-il faire ? Il y a ceux qui disent que nous sommes restés trop longtemps et que nous aurions dû partir avant de nous faire mettre dehors – pourquoi pas ! Il est toujours plus facile de le décréter après coup… Après tout, d'autres pays et d'autres armées n'ont pris aucun risque ; dès lors, il est certain qu'on ne leur fait aucun reproche.

Pour ma part, je vous appelle à faire preuve d'une forme de solidarité en soutenant politiquement l'action de nos armées. On ne peut, d'un côté, dire qu'elles ont été remarquables et rendre hommage aux soldats et, de l'autre, ne pas assumer, rétrospectivement, le portage politique.

Je citerai de nouveau le président Hollande : il lui a fallu du courage pour engager les forces armées, à la demande de notre partenaire malien, et pour expliquer à l'opinion publique pourquoi il fallait le faire. C'est notre honneur de renoncer à toute forme de clivage politique sur cette question et d'assumer le bilan des décisions qui ont été prises à l'époque.

Des orateurs ont expliqué que le vide laissé par nos militaires avait appelé d'autres compétiteurs. Cela signifie-t-il qu'il fallait rester, contre l'avis même de la junte malienne ? Fallait-il entrer en conflit ouvert avec cette dernière et les forces armées maliennes ? Franchement, la question est plus complexe.

Au fond, lorsqu'un pays nous demande de l'aide, nous devons assumer de lui répondre oui ou non. En l'occurrence, je salue une fois de plus la décision du président Hollande d'avoir dit oui, même si je note que les interventions de certains suggèrent, en creux, qu'ils n'auraient pas fait le même choix. Or une fois que l'on a dit oui, on ne sait pas toujours où cela nous mènera. Parfois, des événements politiques internes imprévus ont lieu, démocratiques ou non, et n'effacent pas pour autant le risque terroriste.

Voilà un autre point sur lequel nous ne sommes pas assez revenus ce soir, bien que chacun l'ait mentionné : le terrorisme a changé de nature. Il est devenu endogène et perle de plus en plus. Il est, en quelque sorte, moins homothétique qu'en 2013 et les années suivantes. Aussi nécessite-t-il, par définition, un traitement militaire d'une autre nature.

Sur la question de la vraie souveraineté, du rôle de Barkhane et d'un manque d'accompagnement politique à la fin du conflit, je réponds qu'il faut être deux ! Cela ne veut pas dire qu'il faut faire à la place de, ou à côté de, sans tirer les conclusions de ce qui se passe.

Je le dis, car il est facile de faire des procès. Si personne n'a fait le procès des forces armées dans cet hémicycle, d'autres l'ont fait ces quinze derniers jours dans un autre hémicycle plus proche de la Seine.

Sur le volet politique, ce n'est pas une affaire d'ETP et de moyens financiers accordés au Quai d'Orsay. À un moment donné, si la junte malienne préfère Wagner aux forces armées de la République française, c'est peut-être non pas la faute de Paris, mais tout simplement celle de la junte malienne. Je pense qu'on peut dire les choses aussi simplement. Et ce n'est pas forcément donner un bon point au Président de la République et à son gouvernement que de le concéder : il s'agit tout simplement de défendre les intérêts de la France. Cela semble plein de bon sens, mais cela va mieux en le disant.

Je retiendrai qu'il faut une approche plus transparente des missions qui seront confiées à nos bases à l'avenir. Pour ma part, je continuerai de discuter avec mes homologues des pays concernés. Un mouvement est lancé dans plusieurs bases et avance bien, notamment pour proposer de nouveaux catalogues de formations. Je pense que, dès les prochaines cohortes qui sortiront de nos écoles, nous serons capables d'accueillir de nouveau, sur le territoire national, de nombreux élèves officiers ou sous-officiers venant de pays africains.

Nous sommes en train de prendre du retard sur les questions spatiales, sur le cyber ou sur les drones. Aussi devons-nous désormais mettre les bouchées doubles pour accompagner les armées de nos partenaires.

L'ensemble de ces sujets forment un agenda d'influence par le concret, à la fois pour lutter contre le terrorisme et pour honorer notre parole, que nous avons parfois donnée voilà plusieurs décennies, par des accords de défense. Je reste persuadé que l'honneur de la France, c'est de respecter la parole donnée. §

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la déclaration du Gouvernement relative à la politique étrangère de la France en Afrique.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 7 juin 2023 :

À quinze heures :

Questions d'actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Proposition de loi maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs (procédure accélérée ; texte n° 667, 2022-2023) ;

Suite du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (procédure accélérée ; texte de la commission n° 661, 2022-2023) et du projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (procédure accélérée ; texte de la commission n° 662, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à minuit.