Intervention de Marie-Arlette Carlotti

Réunion du 6 juin 2023 à 17h00
Politique étrangère de la france en afrique — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Marie-Arlette CarlottiMarie-Arlette Carlotti :

À mon sens, l'Union européenne a montré sa faiblesse à cet égard. Or si elle ne veut pas être la grande perdante de la compétition qui s'est engagée, en Méditerranée comme sur le continent africain, elle doit s'impliquer davantage dans cette zone particulièrement instable, en s'abstenant de considérer ce continent comme un libre-service, une réserve de richesses et de matières premières rares ou comme une menace devant laquelle il faudrait se barricader.

Nous ne sommes plus le gendarme de l'Afrique. Ce temps est révolu, il nous faut changer de modèle. Le Président de la République l'a affirmé : l'influence de la France ne se mesurera plus au nombre de nos opérations militaires ni à celui de nos bases. Il préconise la réduction de l'empreinte directe de nos armées au profit d'un soutien aux forces de sécurité de la région. Vous avez d'ailleurs insisté sur ce sujet, monsieur le ministre.

Cela signifie-t-il que nous entrons dans une phase de repli ? Allons-nous continuer de nous mobiliser contre le djihadisme, qui touche désormais des pays qui avaient su s'en prémunir jusque-là, comme le Mozambique ?

Dans le domaine de l'aide au développement, Emmanuel Macron a aussi fait des annonces.

Sur le fond, nous avons compris que la notion d'aide au développement était dorénavant à proscrire. Selon un proverbe africain, la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. Aussi, il nous invite à passer d'une logique d'aide à une logique d'investissement solidaire et partenarial. Mais là encore, il s'agit d'une rhétorique déjà ancienne. Les Africains ont malheureusement l'habitude de ces déclarations non suivies d'effets.

Si les annonces présidentielles confirment la mobilisation de la France en faveur de la solidarité internationale, notamment sur les droits humains, sur le climat, la santé, l'éducation, la jeunesse ou l'égalité femme-homme, nous regrettons que l'eau et l'assainissement n'aient pas été cités, alors qu'il s'agit d'une priorité sectorielle inscrite dans la loi du 4 août 2021.

Les organisations de la société civile sont les grandes oubliées des priorités esquissées par le Président de la République. Je pense bien évidemment aux ONG françaises, mais aussi aux ONG des pays partenaires, qui, par leur proximité et leur engagement auprès des populations, jouent un rôle majeur. Nous devons en faire des partenaires privilégiés de notre politique.

S'il a rappelé les efforts financiers engagés par la France jusqu'en 2022, le Président de la République a éludé la trajectoire des financements. Les engagements de la France sont pourtant clairs sur ce sujet et inscrits dans la loi du 4 août 2021, qui affiche une trajectoire visant à allouer 0, 7 % de notre revenu national brut (RNB) à l'aide publique au développement à l'horizon 2025. Ce débat a été tranché, cette trajectoire doit être maintenue !

Enfin, il nous manque toujours cet outil d'évaluation de nos politiques publiques d'aide au développement prévu par la loi. Voilà deux ans que la commission d'évaluation aurait dû être mise en place ! Pourquoi tant de tergiversations ? Nous vous rappelons que le Sénat a adopté le rattachement de la commission d'évaluation à la Cour des comptes.

Dans la stratégie 3D – défense, diplomatie, développement – que le Gouvernement a théorisée et qui a échoué selon moi, l'appareil militaire de défense et le développement étaient étroitement liés à la diplomatie. À cet égard, je m'interroge : la diplomatie française a-t-elle fait preuve de naïveté ou d'aveuglement ? Avons-nous sous-estimé la puissance du ressentiment et de la rancune que ces pays nourrissent à notre encontre, surtout quand l'histoire est convoquée par une propagande hostile ? Je ne le crois pas.

Je pense plutôt que notre logiciel politico-diplomatique est ancien et obsolète. On fait de la diplomatie comme on en faisait voilà quelques décennies, à l'époque où la France faisait et défaisait les régimes en place et qu'elle en avait les moyens financiers et humains.

La France a oublié que l'Afrique des gouvernants n'est pas forcément celle des peuples. De plus, depuis quelques années, les moyens alloués à la diplomatie française sont trop faibles comparés à ceux des autres pays. Même si notre réseau diplomatique sur ce continent n'est pas le plus mal loti, nos petites ambassades sont contraintes de fonctionner en « couteaux suisses ». Ainsi, au Sahel, la présence de la France a été bien plus militaire que diplomatique.

La réforme du corps diplomatique qu'Emmanuel Macron a dévoilée en avril 2022 n'a pas apaisé nos inquiétudes. Elle n'apporte de fait aucune amélioration.

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