Intervention de Marie-Arlette Carlotti

Réunion du 6 juin 2023 à 17h00
Politique étrangère de la france en afrique — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Marie-Arlette CarlottiMarie-Arlette Carlotti :

Nous craignons même, au contraire, qu'elle ne fragilise l'appareil diplomatique français, ce qui reviendrait à affaiblir le rayonnement de la France. C'est une situation inquiétante au moment où nous avons besoin de diplomates aguerris et compétents, auxquels je tiens à rendre hommage.

Le Président de la République a essayé d'ouvrir d'autres voies de dialogue lors du sommet Afrique-France de Montpellier, auquel j'ai assisté.

Ce fut un très bel événement, mais qu'en reste-t-il ? Un observatoire de la démocratie ! À quoi sert cette initiative ? La démocratie ne se décrète pas en laboratoire : elle est portée par un mouvement populaire, elle est le fruit d'un engagement politique. Emmanuel Macron a voulu une démarche moderniste, mais a proposé un schéma suranné et à contresens.

De la même manière, alors que le franc CFA fait l'objet de débats passionnés depuis des décennies, une annonce des présidents Ouattara et Macron, venue d'en haut, sans processus de consultation ni des autres chefs d'État ni des populations, ne peut que faire débat. Une décision imposée est toujours une décision suspecte. À quoi sert de vouloir imposer nos modèles clefs en main ?

Il suffit de soutenir une gouvernance respectueuse des droits humains sans imposer un agenda démocratique irréaliste. Le chef de l'État a insisté sur la démocratie et la liberté dans son discours de l'Élysée du 27 février. Il s'est certes rendu en Afrique à de nombreuses reprises depuis son élection, mais souvent dans les pays les moins démocratiques du continent, qui abritent les plus anciens autocrates ou leurs dynasties.

Il semble que la realpolitik le rattrape toujours. Nous ne lui reprochons pas de pratiquer cet exercice, afin de maintenir l'influence de la France, car nous mesurons combien la tâche est difficile. Ce que nous condamnons, c'est le double langage. Ainsi, quand la France accepte le pouvoir militaire au Tchad, mais le condamne au Mali, notre pays perd toute crédibilité. Nous ne pouvons défendre des valeurs à géométrie variable.

Nous devons aussi nous montrer plus attentifs aux tragédies qui touchent le continent : crimes de guerre, crimes contre l'humanité, en Éthiopie, au Soudan ou en République démocratique du Congo (RDC).

Les pénuries alimentaires constituent autant de tragédies. En raison du réchauffement climatique, elles frappaient déjà les régions de la Corne de l'Afrique. La situation s'est aggravée en raison de la non-livraison de céréales à bas prix en provenance d'Europe de l'Est sans que ni l'Union européenne ni la France ne soient en mesure de prendre le relais, du moins à court terme, pour faire face à la disette – mais peut-être sommes-nous en train d'y remédier.

En République centrafricaine ou au Burkina Faso, le chantage alimentaire constitue même l'un des facteurs déterminants de la montée d'influence de la Russie.

Ces crises alimentaires vont immanquablement déboucher sur une nouvelle crise migratoire. Madame la ministre, monsieur le ministre, sachez que, lors du débat sur l'immigration, nous veillerons à ce que notre politique de développement ne soit pas assujettie aux enjeux de politique intérieure. Allez dire au ministre Darmanin que sa politique restrictive des visas a coupé les liens indéfectibles avec les Africains, particulièrement les jeunes.

La politique de la France en Afrique est illisible et blessante. Blessante, car chaque fois que la France s'exprime, elle fait preuve d'un certain paternalisme et de condescendance, empreints de maladresses et de propos déplacés qui alimentent le sentiment anti-français tant auprès des gouvernants que des populations, fatiguées de ces remarques désobligeantes.

Les maladresses se multiplient et les incompréhensions demeurent. Nous avons pourtant un atout formidable avec l'espace francophone, qui peut être un excellent vecteur de réconciliation. Vous l'avez évoqué, madame la ministre, mais les gouvernements successifs ne l'ont jamais assez utilisé.

Il est temps de procéder à des évolutions dans notre dialogue avec l'Afrique, plus exactement avec les Afriques, même si je me suis plutôt penchée sur l'espace francophone, comme vous, monsieur le ministre, car c'est là que nous avons un lourd héritage à régler. À défaut, le continent entier risque de glisser vers une forme de chaos, dont la Russie et la Chine tireront immanquablement les bénéfices en pillant l'ensemble des ressources.

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