Pourquoi donc se détourneraient-ils de nous ?
Dans beaucoup de pays, il m'a été dit : « Je ressens une envie de France ! ». Un Camerounais m'a avoué ce week-end : « Lorsque nous avons le partage de la langue, la proximité est plus forte. Dans notre inconscient, la France est la plus proche. Les liens sont forts. »
Nos compatriotes installés en Afrique m'ont tous assuré qu'ils ne se sentaient pas menacés en tant que Français. En revanche, il est vrai que nous sommes confrontés à une guerre hybride menée contre l'influence de la France et ses intérêts économiques. Avec quelques euros, on paie un journalier aussi bien pour travailler que pour manifester avec un drapeau russe devant l'ambassade de France.
Le sentiment « anti-politique française », tout comme le sentiment « anti-intérêts français », n'est pas seulement alimenté par les puissances étrangères et leurs « proxy ». Dans plusieurs pays, des personnes surfent sur du néonationalisme, faisant de la France le bouc émissaire idéal pour expliquer leurs difficultés et s'imposer politiquement. Ma collègue Carlotti a parlé des apôtres du panafricanisme. Mais qui sont derrière aux ?
Ces mouvements populistes gagnent en visibilité. Lorsqu'ils s'imposent, ils se jettent dans les bras de la Russie, de la Chine, de l'Iran et consorts. On le voit au Burkina Faso ou au Mali.
Ils trouvent un écho auprès des acteurs économiques locaux, qui en profitent pour faire du « dégagisme » à l'encontre de nos entreprises et participer ainsi à la prédation sur leurs activités.
Récemment, la filiale de la brasserie Castel en République centrafricaine a été attaquée à coup de cocktails Molotov. On suspecte Wagner. De nouvelles menaces planent sur cet industriel français emblématique en Afrique, qui a fait de la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) une marque de fabrique qui fait honneur à notre pays.
Monsieur le ministre, avec l'annonce du retrait de troupes françaises du continent, comment allez-vous défendre nos intérêts économiques et nos entreprises quand ils seront directement attaqués ? Comment justifiez-vous ce retrait, alors que l'on observe une militarisation accrue de la Chine pour consolider ses liens diplomatiques et commerciaux avec le continent ?
Le retrait de Barkhane a fait les affaires des groupes terroristes au Sahel. Beaucoup s'en rendent compte dans les pays avoisinants en voyant la menace progresser.
Pour la première fois depuis dix-sept ans, le chef d'état-major algérien s'est rendu en France. Il faut savoir que 93 % des ressources algériennes proviennent du Sud algérien. Comment les Algériens analysent-ils la situation sécuritaire au Sahel et envisagent-ils une coopération militaire ?
Le terrorisme islamiste en Afrique est le visage du crime international organisé, structuré, à l'image des gangs criminels que j'ai observés en Amérique latine. Il se drape dans un militantisme religieux pour légitimer les recrutements.
Au Brésil, des milices ont été créées pour protéger des quartiers et lutter contre les gangs. Les habitants doivent alors se plier aux règles de la milice et échangent leur liberté contre de la sécurité. En Afrique, certains pays font appel à la milice Wagner, qui se paie sur les ressources du pays, à l'instar d'une milice mafieuse.
Contrairement à ce que certains prétendent, la France n'abandonne pas l'Afrique.
Voilà six mois, j'ai visité l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme, près d'Abidjan. Ce centre d'excellence est destiné à appuyer les pays africains dans leur effort. Le modèle de gouvernance de l'Académie franco-ivoirienne est un exemple pour la nouvelle posture de la France surs ce continent. J'en profite pour saluer la réunion, le 11 mai dernier, du premier conseil d'administration international, avec les Australiens, les Canadiens, les Hollandais et les Américains. Le modèle interministériel retenu pour l'Académie doit avoir valeur d'exemple en Afrique. Il permet d'éviter que l'armée ne porte seule l'antiterrorisme, avec les risques de dérapages sur les populations civiles que cela implique.
Ce modèle est innovant et mérite d'être mieux connu. Combien de pays africains se sont-ils déclarés intéressés par cette initiative ?
Madame la ministre, la gestion de l'attribution des visas par la France est une cause de frustration observée dans de nombreux pays africains. Cela conduit à des décisions défavorables à la France.
Par exemple, certaines entreprises ont préféré se fournir en matériel venant d'un autre pays que la France, de peur de se voir refuser des visas pour une entrée sur le territoire français et de ne pas pouvoir faire former leurs personnels de manière satisfaisante. Quelles décisions sont prises pour améliorer notre politique d'attribution de visas, perçue parfois comme vexatoire ?
Par ailleurs, il apparaît fondamental d'aider les pays de ce continent à s'organiser dans le domaine de la santé.
Pour faire face à la pénurie, le sang est acheté auprès de donneurs. Contaminé, hépatique, il est inutilisable à 60 %. Concernant les médicaments, afin de lutter contre les produits contrefaits et d'aider les industriels à servir le continent, pourriez-vous encourager la création d'une agence africaine du médicament ?
La France incarne les valeurs démocratiques. À cet égard, j'ai personnellement été attristé par le renversement du président Roch Kaboré, un an après sa réélection, sans que nous n'intervenions pour protéger cette démocratie.
Le Somaliland est un État de la Corne de l'Afrique qui a déclaré son indépendance en 1991, à l'issue de la guerre civile avec la Somalie, pays en proie à des conflits depuis plus de trente ans. Ce dernier a des liens revendiqués avec la Russie, comme le montre la visite récente du ministre somalien des affaires étrangères à Moscou.
Depuis son indépendance, le Somaliland a su garantir une stabilité politique à ses citoyens, avec l'élection d'un président et de deux chambres au suffrage universel. Cinq présidents se sont succédé à la tête du pays depuis son indépendance. Allons-nous évoluer sur la question d'une prise en compte officielle du Somaliland pour favoriser son développement ou allons-nous continuer à nous limiter aux relations avec Mogadiscio ?
La France, comme nos partenaires africains, a besoin d'une ligne claire, fondée sur le respect mutuel. Cessons de chercher à nous faire aimer ; concentrons-nous sur nos intérêts en faisant valoir nos atouts pour nous faire désirer.
Un membre du parlement togolais, l'honorable Alipui, l'a résumé ainsi, hier, devant moi à Lomé : « Plutôt que pour Plus de France, optez pour Mieux de France ».