Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 6 juin 2023 à 17h00
Politique étrangère de la france en afrique — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 novembre 2022, le Président de la République a annoncé la fin de l'opération Barkhane, près de dix ans après le déploiement de l'armée française au Mali. Dix ans de présence au Sahel et un seul vote du Parlement, en 2013...

Depuis, malgré les évolutions militaires considérables qu'ont connues les différentes opérations au Sahel, pas une seule fois le Parlement n'a pu exprimer son avis. Toutes les décisions ont été prises de manière unilatérale au sommet de l'État, même si vous nous avez fait la grâce d'un débat sur la possibilité d'un retrait français du Mali en février 2022 et que vous nous faites la grâce de celui-ci. La politique africaine de la France demeure une chasse gardée du pouvoir exécutif.

Cela n'est pas gage d'efficacité, puisqu'il est délicat de trouver une quelconque satisfaction au bilan de la décennie écoulée. Que l'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, force est de constater que jamais la position de la France en Afrique n'a paru si précaire.

En préambule, quel bilan pouvons-nous tirer de l'opération Barkhane ? Je voudrais tout d'abord, au nom du groupe écologiste, renouveler mes pensées pour les cinquante-neuf militaires morts au Sahel depuis 2013, leurs familles et leurs proches. La reconnaissance de la Nation est éternelle.

Nos forces armées se sont déployées au Mali en 2013 avec l'objectif d'empêcher une progression de la menace djihadiste. Si, selon Emmanuel Macron, l'opération Barkhane n'est pas un échec, nous pouvons tous ici convenir du fait que la menace djihadiste est loin d'être éradiquée. Alors que les djihadistes avaient reculé en 2014, ils sont aujourd'hui bien présents dans le nord et le centre du Mali, mais aussi au Burkina Faso, au Niger ou encore en Côte d'Ivoire.

Les situations politiques des pays concernés par l'opération Barkhane sont préoccupantes. Après plusieurs coups d'État récents, le Mali et le Burkina Faso sont aujourd'hui sous l'emprise de juntes militaires. Nous le craignions : sans solution politique pérenne, les opérations militaires ont peu de chance d'aboutir à une situation stable.

Depuis notre retrait du Mali en 2022 et du Burkina Faso en 2023, les djihadistes s'engouffrent dans le vide laissé par nos forces armées. L'opération Barkhane montre clairement les limites d'une intervention extérieure purement militaire, sans aucune vision de sortie de crise.

La situation chaotique de ces pays et de bien d'autres en Afrique, couplée avec un sentiment anti-français de plus en plus prégnant, ouvre la voie à l'influence russe, en particulier à la milice Wagner, aujourd'hui présente dans dix-sept pays africains.

La relation étroite de la France avec le continent africain s'est abîmée. Le sentiment anti-français a progressé à grande vitesse ces dernières décennies. Mais pourquoi ? La présence croissante de puissances étrangères cherchant à instrumentaliser le rejet de la France l'explique, mais seulement en partie.

C'est notamment le manque important de transparence des opérations militaires françaises qui est mis en cause. Comment les peuples et gouvernements africains peuvent-ils nous faire confiance, quand nous prenons des décisions sur l'avenir de leur pays sans leur consentement ?

Ce modèle d'intervention militaire paternaliste, qui n'associe pas ou peu à la décision les gouvernements des pays théâtres des opérations, a montré toutes ses limites. Une nouvelle fois, il paraît impensable d'envoyer à l'avenir nos troupes dans des pays sans débouchés politiques tangibles ou sans association étroite et sur la durée avec les pouvoirs politiques en place.

Nous devons absolument être plus transparents sur nos actions et reconnaître nos bavures et erreurs, comme le dramatique bombardement d'un mariage le 3 janvier 2021 au Mali.

Les peuples africains reprochent également à la France une indignation à géométrie variable concernant leurs dirigeants selon leur degré de coopération avec Paris. Ils le font à raison ! Pourquoi dénoncer, à juste titre, la dictature militaire au Mali, mais soutenir ldriss Deby, président du Tchad pendant trente ans, puis son fils, placé au pouvoir après la mort de son père ? Le respect de la volonté des peuples et des droits humains doit être notre boussole.

Alors que les effectifs de l'armée française sont réorientés vers le Niger et le Tchad, là où demeurent certains intérêts stratégiques vitaux, comme la fourniture d'uranium pour nos centrales nucléaires, il est plus que clair que nous devons bâtir un nouveau type de coopération avec le continent africain.

Les accords de défense comme les partenariats économiques doivent être conclus dans l'intérêt des peuples, tout en prenant garde à ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures des pays.

En parallèle, il nous faut continuer de soutenir le développement du continent et renforcer notre solidarité avec les pays les plus pauvres, notamment via notre aide publique au développement. Si des efforts notables ont été effectués depuis le vote de la loi de programmation voilà deux ans, nous rappelons avec force la nécessité de contribuer au développement par des dons directs et non par des prêts. Ces derniers conduisent à donner la priorité à des pays à revenus intermédiaires plutôt qu'aux pays pauvres.

L'aide apportée par notre pays doit être beaucoup plus ciblée et localisée. Garantir la sécurité et la subsistance des populations, au travers de réseaux locaux, est une autre manière de lutter contre le terrorisme, qui bien souvent assoit son influence en subvenant aux besoins des habitants.

Nous devons à l'Afrique ce juste retour, car notre dette envers ce continent est immense, mais nous devons aussi l'accompagner dans un développement qui doit immédiatement être durable.

Il faut davantage conditionner les aides versées au respect des droits humains, démocratiques, sociaux et écologiques, notamment les droits des femmes et ceux des peuples autochtones.

Nous demandons enfin que l'aide si opportunément accordée aux réfugiés ukrainiens sur notre sol intègre nos comptes sociaux et ne soit plus comptabilisée comme un effort d'aide publique au développement.

Au-delà de l'APD, il est nécessaire d'annuler les dettes de certains pays africains, notamment celles qui ont été contractées par des dictatures dans le seul but d'enrichir le clan au pouvoir ou d'engager des actions allant à l'encontre de l'intérêt général.

Tout cela est indispensable pour anticiper les futures décennies. Nous le savons, les pays les plus pauvres, ceux du Sud, vont subir et subissent déjà les conséquences les plus graves du réchauffement climatique.

Sommes-nous prêts à accueillir les futurs réfugiés climatiques, qui arriveront par millions en Europe ? Nous peinons déjà à accueillir dignement les réfugiés qui entrent sur notre sol. Durcir les politiques migratoires déjà en vigueur ne sera d'aucun secours face à de tels mouvements de populations.

Par ailleurs, allons-nous continuer à laisser des entreprises françaises mener des projets climaticides ? Je pense notamment au nouvel oléoduc de Total, en Ouganda et en Tanzanie, qui émettra 379 millions de tonnes équivalent CO2 en vingt-cinq ans, soit l'équivalent de 216, 5 millions de liaisons aériennes Paris-New York ? Les scientifiques sont pourtant clairs : si l'on veut atteindre l'objectif de zéro émission nette en 2050, plus aucun projet fossile n'est possible !

En plus du risque climatique avéré, les ONG dénoncent déjà plusieurs cas de violation des droits humains par Total en Ouganda et en Tanzanie. J'en conclus qu'il est plus que temps de renforcer l'application de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, voire de la muscler en transformant le devoir de vigilance en obligation de vigilance, avec une responsabilité accrue des entreprises et des opérateurs publics intervenant à l'étranger.

Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous d'accord sur le constat : la politique africaine de la France est à un tournant. C'est l'occasion d'adopter une tout autre attitude vis-à-vis des peuples africains et de faire primer le respect mutuel et la coopération pour accompagner le développement social et écologique du continent africain.

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