Intervention de Guy Fischer

Réunion du 14 octobre 2009 à 14h30
Victimes des essais nucléaires français — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Malheureusement, monsieur le ministre, les intéressés ont réalisé dès sa présentation que votre projet de loi n’était pas à la hauteur. Certes, et c’est son principal mérite, il inverse la charge de la preuve, mais il ne crée pas pour autant un véritable droit à indemnisation, un véritable droit à réparation.

Je ne le nie pas, le texte d’origine a été amélioré par les travaux de l’Assemblée nationale, notamment sur les dates, les périodes et les conditions d’indemnisation, la délimitation des zones concernées, la possibilité donnée aux ayants droit de déposer un dossier, la liste des maladies, ainsi que sur la création d’une commission de suivi dont feraient partie les associations.

Quant aux travaux de la commission des affaires étrangères du Sénat, ils auront essentiellement permis, outre quelques avancées, la suppression du mot « directement » concernant l’exposition aux radiations, ainsi que l’introduction d’une présomption de lien de causalité entre certaines maladies et les essais nucléaires.

Néanmoins, les questions essentielles ne sont pas suffisamment prises en compte dans le projet de loi.

La présomption d’un lien de causalité n’est pas formellement inscrite, ce qui sera très certainement source de recours et de débats juridiques. Mes collègues Michelle Demessine et Marie-France Beaufils y reviendront lorsqu’elles défendront les amendements que nous avons déposés sur ce point.

Vous persistez à refuser la création d’un véritable fonds d’indemnisation autonome doté d’une capacité juridique propre et incluant en son sein les associations de victimes.

Vous avez opposé l’article 40 aux amendements visant à prévoir la réparation des préjudices propres pour les veuves et les ayants droit, ainsi que la création d’un dispositif de retraite anticipée.

En outre, pour ce qui est des compétences de la commission consultative de suivi, vous rejetez tout élargissement aux conséquences épidémiologiques et environnementales des essais. Quel mépris pour les victimes ! À cet égard, le fait que 10 millions d’euros seulement soient inscrits dans le projet de loi de finances pour 2010 laisse présager que le nombre de dossiers d’ores et déjà estimé recevables sera limité. C’est incroyable ! Nous attendons de votre part, monsieur le ministre, des réponses claires et précises sur cette question.

Vous prétendez, monsieur le ministre, que ce projet de loi permettra la réparation intégrale des préjudices et que toutes les victimes seront prises en considération, sans discrimination. Permettez-moi d’en douter !

Que faites-vous des souffrances des populations polynésiennes, auxquelles un article spécifique aurait dû être consacré ?

Comment ces personnes, alors qu’elles n’ont parfois pas d’acte de naissance en leur possession, pourront-elles prouver qu’elles ont séjourné sur la portion de territoire bien précise qui sera déterminée par décret et ainsi prétendre à une indemnisation ? Où sont les moyens destinés à permettre la réalisation d’un bilan de santé de cette population, qui a été en contact avec du matériel contaminé resté sur place ? Même la barrière de corail a été fragilisée par les essais sous-marins ! Dire que les Polynésiens n’ont même pas été reçus par notre commission...

Monsieur le ministre, vous n’avez pas voulu inclure dans le projet de loi un article sur l’environnement. Que comptez-vous faire pour réparer les dommages environnementaux et permettre la réalisation des études scientifiques nécessaires sur la faune et sur la flore ?

Autre exemple : en opposant l’article 40 aux amendements relatifs au préjudice propre des ayants droit, vous renvoyez les familles au droit commun, c'est-à-dire aux tribunaux. Or, comme l’a indiqué tout à l’heure Yvon Collin, le ministère de la défense faisait jusqu’à très récemment encore systématiquement appel des rares décisions favorables aux plaignants.

Enfin, la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires aurait dû se voir confier la charge d’organiser un suivi médical indépendant des victimes. Or tel n’est pas le cas.

Dans l’introduction de son rapport, notre collègue Marcel-Pierre Cléach évoque « l’honneur de la République de reconnaître la responsabilité de l’État dans les souffrances que supportent aujourd’hui ceux qui l’ont servi hier ». Or l’honneur, mes chers collègues, est entaché depuis cinquante ans par ce que je n’hésiterai pas à qualifier de mensonge d’État, un mensonge pratiqué par plusieurs gouvernements.

Alors que nous nous approchons des cinquante ans de Gerboise bleue, le premier essai nucléaire français dans le Sahara, nous ne pouvons que constater le temps perdu pour les victimes et leurs ayants droit, pour tous ces gens qui se sont sentis abandonnés après avoir accompli leur devoir et dont beaucoup sont depuis décédés. Or nul ne peut ignorer les conséquences des essais nucléaires sur la santé des vétérans et des populations locales.

Monsieur le ministre, on ne sert jamais la grandeur de l’État en méprisant les victimes !

En conclusion, si ce texte était adopté tel qu’il nous est soumis, l’État demeurerait juge et partie. Il examinerait les dossiers de demande d’indemnisation au cas par cas, avec ses experts, ce qui est inacceptable. C’est pourquoi, en notre âme et conscience, nous ne pourrions pas le voter.

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