Tout cela montre que le silence a duré longtemps, monsieur le ministre, et qu’il a été largement partagé !
Je conçois que le rappel des faits puisse heurter : d’aucuns auraient sans doute préféré que ce texte soit approuvé dans une sorte de consensus général bien gentil, sans que l’on se retourne trop vers le passé afin de ne pas regarder en face la catastrophe dans toute sa complexité et dans toute son ampleur.
Ceux-là doivent considérer qu’il aurait été plus digne et plus sobre de s’en tenir à traiter presque cliniquement le sujet afin de conserver assez de retenue pour donner le sentiment de racheter la faute sans être obligé d’évoquer péniblement les agissements du fautif.
Il me semble, pourtant, qu’une partie de la dette que nous devons honorer tient dans les mots que nous saurons trouver pour dire dans cet hémicycle ce qui s’est produit pendant quatre décennies, et j’entends par là non seulement la mise en danger de la vie d’autrui, mais aussi, de façon constante, la négation des victimes, le mépris des malades, le refus de reconnaître la réalité qui ont suivi. Ce refus a été armé par la puissance du secret défense, par la raison d’État, par l’intérêt supérieur de l’armée et de la nation, auquel se sont heurtées, pendant toutes ces années, les victimes et leurs familles.
Chacun, dans cet hémicycle, doit mesurer ce qu’il aura fallu de temps, d’énergie, de ténacité, de patience à ces personnes, à ces victimes, à leurs proches, ainsi qu’à ceux et à celles qui les soutiennent, pour parvenir à ce jour.
Je mesure également le grand pas qui a été fait : certains de ceux qui vont voter ce texte aujourd'hui considéraient, il y a quelques années à peine, les victimes avec l’indifférence polie que l’on réserve généralement aux malades imaginaires, aux affabulateurs, aux hypocondriaques, et ceux qui les défendaient, comme des manipulateurs ou des procéduriers.
Entendre aujourd’hui, sur toutes les travées, les ricaneurs d’hier saluer avec componction la violence faite aux victimes doit mettre du baume au cœur de ces femmes et de ces hommes qui ont été discrédités, menacés, pénalisés dans leur carrière ou dans leur vie locale.
Leur modestie dût-elle en souffrir, il faut les citer, car ils sont présents aujourd’hui dans nos tribunes, avocats, médecins syndicalistes, représentants des églises polynésiennes, vétérans des essais, élus, journalistes aussi : John Doom, Roland Oldham, Bruno Barillot, Michel Verger, Taaroanui Maraea, Jean-Paul Teissonnière. Je n’oublie pas non plus Jean-Louis Valatx, mort très récemment, victime d’une de ces maladies qui figurent sur la liste que nous présente M. le ministre.
Je n’ignore évidemment pas toutes les préventions que peuvent susciter des dispositions qui viseraient à l’adoption d’une législation « mémorielle ». Ces objections sont fondées, au moins pour partie. Le Parlement ne travaille pas pour la mémoire, mais il doit travailler pour la justice et nous devons ici faire œuvre à la fois de vérité et de justice.
Vérité, d’abord : contrairement à ce que j’ai entendu ici, nous devons l’arrêt des essais nucléaires non à Jacques Chirac, mais à François Mitterrand.