Intervention de Agnès Canayer

Réunion du 6 juin 2023 à 14h30
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice n’est pas épargnée par la défiance des Français à l’égard des institutions. Ni ce désamour pour le juge ni le malaise persistant des acteurs de la justice n’ont été endigués par les six réformes législatives votées depuis 2017, dont la dernière, baptisée « loi pour la confiance dans l’institution judiciaire », date de moins d’un an et demi.

L’enchevêtrement des réformes successives n’a pas résolu la crise que la justice traverse depuis plusieurs années. Comme le résume Jean-Marc Sauvé dans le rapport qu’il a remis à l’issue des États généraux de la justice, cette situation découle d’un « malaise profond » aux origines lointaines, que l’ordonnancement juridique actuel, « plus kaléidoscopique que pyramidal », n’apaise pas.

Pourtant, ces États généraux de la justice ont fait naître un nouvel espoir. Ce projet de loi d’orientation et de programmation, qui vise à donner un nouveau souffle à la justice, et ce projet de loi organique, plus statutaire, en sont la traduction législative.

Toutefois, certaines dispositions restent très en deçà de l’ambition exprimée lors des États généraux de la justice. C’est le cas de la réforme du témoin assisté, ainsi que de la constitution de l’équipe autour du magistrat, équipe dont sont exclus les greffiers.

Le chantier de la réforme de la justice n’est pas qu’une affaire comptable, même si les moyens ont leur importance. L’effort budgétaire, de 6, 80 % à euros constants, inscrit dans la durée pour les années 2023 à 2027, est assurément bienvenu. Cela permettra notamment de financer les postes promis : 1 500 magistrats et 1 500 greffiers. Ces recrutements contribueront à combler notre retard par rapport à nos voisins européens. Nous avons souhaité augmenter l’ampleur des recrutements de greffiers, dont le rôle est central, et flécher 600 postes de conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) afin de mieux accompagner l’exécution des peines.

Mais ces moyens supplémentaires ne suffiront pas à atteindre l’objectif fixé sans une réforme en profondeur de l’organisation du travail des magistrats ni une véritable simplification des procédures applicables.

Mes chers collègues, la réorganisation passe par une révision importante du corps judiciaire, corollaire des recrutements attendus.

La commission des lois a souhaité d’abord ouvrir davantage le corps judiciaire, en prévoyant que les magistrats constitueraient moins de la moitié du nouveau jury professionnel, tout en renforçant le niveau d’exigence pour le recrutement et la formation de ces nouveaux magistrats.

La modernisation de la gestion du corps judiciaire est aussi assurée par la réforme des trois grades et par l’ajout par la commission des lois des durées minimale et maximale d’affectation, conformément à la position constante qui est la sienne depuis 2017.

Enfin, nous avons souhaité renforcer le pouvoir des chefs de cour d’appel, futures clés de voûte de la déconcentration des services judiciaires dans la gestion des ressources humaines, et ce dans le respect du principe d’inamovibilité des magistrats, corollaire de leur indépendance.

En contrepartie, l’évaluation à 360 degrés des chefs de cour et de juridiction est alignée sur d’autres évaluations similaires pour la haute fonction publique. Il en est de même pour la responsabilité des magistrats judiciaires, consolidée grâce à une clarification de la faute disciplinaire et à un renforcement de l’échelle des sanctions.

La modernisation de l’organisation du travail des magistrats impose avant tout une évaluation réelle de leur charge de travail, afin d’affecter les moyens en fonction des besoins. Véritable serpent de mer, cette évaluation était attendue pour la fin de 2022… Espérons qu’elle remontera bientôt à la surface !

Très attendue, l’équipe autour du magistrat est réduite à sa portion congrue, c’est-à-dire aux attachés de justice et aux assistants spécialisés, les greffiers en étant de fait écartés. Cette conception est loin du modèle exposé dans le rapport de Dominique Lottin, repris par les États généraux.

La sédimentation des réformes pèse aussi sur la qualité du travail judiciaire et sur la sécurisation des décisions de justice.

La simplification du code de procédure pénale, qui compte 2 400 articles aujourd’hui, est unanimement souhaitée. Mais il doit s’agir d’une véritable simplification, qui soit l’occasion de poser les questions de fond sur l’instruction, sur l’unification des enquêtes, sur la place du parquet.

La méthode de l’habilitation pour réécrire à droit constant le code de procédure pénale n’emporte pas l’adhésion naturelle du Sénat. D’une manière générale, la Haute Assemblée n’est jamais encline à se déposséder de son pouvoir normatif au profit du Gouvernement, sans être assurée d’en contrôler les effets lors de la ratification.

L’habilitation sollicitée pose plusieurs questions : comment réécrire à droit constant un nouveau plan du code de procédure pénale sans en modifier le fond ? Comment le mettre en conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel ? Comment le clarifier sans véritablement le simplifier ?

À ces questions, votre réponse ne peut être qu’une étape du travail de la simplification de ce code. C’est pourquoi la commission des lois a souhaité repousser l’entrée en vigueur de l’ordonnance d’une année afin de laisser le temps de la ratification. Elle proposera par ailleurs d’introduire dans le rapport annexé la procédure pour aboutir à ce que la communauté des juristes appelle de ses vœux, à savoir une véritable simplification dudit code, sous contrôle des parlementaires.

Soyez assuré, monsieur le garde des sceaux, que la commission des lois prendra sa part de responsabilité dans ce travail titanesque, mais essentiel.

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