Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 6 juin 2023 à 14h30
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen de deux projets de loi fondamentaux pour la justice française.

En préambule, je tiens à souligner que la façon dont ces deux projets de loi ont été élaborés ne nous a pas paru constructive. Le recours à la procédure accélérée afin que ces textes puissent être adoptés avant l’été nous préoccupe, le Gouvernement étant récidiviste en la matière, si vous me permettez ce jeu de mots. Cette procédure tend même à devenir la règle.

Nous regrettons également que le dialogue social n’ait pas été poussé jusqu’au bout et qu’il ait même été parfois négligé. Le groupe CRCE déplore la tendance actuelle consistant à élaborer des normes législatives et réglementaires à la hâte.

En procédant ainsi, nous aboutissons in fine à la multiplication de textes mal ficelés, vecteurs d’une grande insécurité juridique et de difficultés d’application.

Nous partageons le constat des rapporteures : ces textes ne constituent qu’une traduction approximative des conclusions du comité des États généraux de la justice. Notre groupe est donc réservé sur ces projets de loi.

Sur le fond, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 affiche l’objectif d’une justice plus rapide, plus claire, en somme d’une justice moderne. Nous partageons bien évidemment cet objectif, mais nous regrettons l’absence de dispositions ayant vocation à endiguer la surpopulation carcérale. En effet, le projet de loi ne prévoit que la construction de 15 000 places de prison d’ici à 2027, ce qui est clairement insatisfaisant à nos yeux.

Malgré les demandes, les tribunes, les alertes, rien n’a été envisagé en matière de régulation carcérale ; rien non plus sur la qualité du suivi en milieu ouvert. L’assignation à résidence avec surveillance électronique est devenue l’alternative à l’incarcération, alors qu’elle reste contraignante, désocialisante et qu’elle ne constitue pas une solution pour la réinsertion.

N’oublions pas que le nombre de détenus a atteint aujourd’hui un record et que les conditions de détention sont toujours indignes. La France ne peut faire avec !

Oui, ce débat est exigeant. Il nous oblige à ne pas nous en tenir aux postures et aux réponses populistes tant attendues par une certaine presse en soif non pas de justice, mais de vengeance, alors même que c’est de temps et de courage que nous avons besoin pour mobiliser la part de raison et d’humanité présente en chacun de nous, plutôt que la part d’animalité.

Avec humilité, mais volontarisme politique, monsieur le garde des sceaux, notre groupe a décidé de relayer ces exigences en introduisant dans le projet de loi par voie d’amendement le contenu de la proposition de loi de notre présidente Éliane Assassi visant à mettre fin à la surpopulation carcérale. Le sens de la peine doit être questionné.

Nous devons garder en tête que sanction pénale ne doit pas rimer avec perte de la dignité. La violence que porte notre société doit nous conduire à nous interroger sur notre politique carcérale. Quant à la préservation des droits fondamentaux de chacun, elle ne doit jamais être une option.

Si le recrutement prévu de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers d’ici à 2027 est une réponse aux importants manques d’effectifs, il demeure insuffisant.

Par ailleurs, nous sommes réservés sur le recrutement massif d’attachés de justice, dont les responsabilités seraient étendues. Ces « urgentistes » de la justice ne permettront pas de pallier le manque de magistrats au sein de l’institution judiciaire et ne peuvent constituer une solution à long terme. La justice est un service public exigeant, qui ne saurait se passer de véritables magistrats, formés aux fonctions difficiles qui sont les leurs.

Nous sommes opposés à certaines dispositions visant à réformer la procédure pénale, dispositions sur lesquelles nous avons déposé des amendements. Nous y reviendrons au cours de la discussion des articles.

Enfin, le groupe CRCE ne peut que s’opposer à la réforme asynchrone de la justice commerciale proposée par le Gouvernement.

Le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, présenté dans son exposé des motifs comme l’une des plus importantes réformes statutaires des magistrats depuis 1958, se veut ambitieux dans ses dispositions.

Le texte vise ainsi trois objectifs principaux : l’ouverture du corps judiciaire sur l’extérieur ; la modernisation de l’institution judiciaire, tant dans sa structuration que dans son fonctionnement ; la protection et la responsabilisation accrue des magistrats dans le cadre de leur exercice professionnel.

Si nous partageons certains de ces objectifs, nous restons bien souvent sur notre faim à la lecture de ce texte, comme bon nombre de représentants du corps judiciaire.

D’une part, le projet de loi valorise les parcours professionnels des magistrats qui choisissent d’exercer des fonctions d’encadrement, et ce au détriment de la grande majorité des magistrats, qui préfèrent les fonctions juridictionnelles et n’ont pas d’appétence pour les fonctions d’encadrement ou de coordination de service, encore moins pour l’exercice professionnel au sein de la haute hiérarchie judiciaire.

D’autre part, le projet de loi organique apporte des changements majeurs en matière de recrutement en visant l’objectif d’une plus grande ouverture du corps judiciaire sur l’extérieur. Pourtant, c’est moins à l’ouverture vers l’extérieur qu’à la simplification des voies de recrutement, à l’amélioration de la formation, puis à l’intégration des magistrats nouvellement recrutés qu’il faut selon nous s’atteler.

À cet égard, le texte comporte de maigres avancées. Nous souhaitons donc rappeler que la magistrature ne doit pas devenir demain une voie de repli. La philosophie et la pratique de la magistrature ne sont pas les mêmes que celles de l’avocature. Il s’agit de philosophies différentes, qui guident des choix de carrière et qu’il convient de respecter, d’accompagner, d’encourager, voire – j’ose le dire – de promouvoir.

Après ces nombreux constats, nous avons confiance et nous espérons que nos débats en séance publique nous permettront d’avancer. Nous sommes satisfaits que l’examen des textes en commission ait permis de les améliorer sur certains points, principalement grâce à nos rapporteures.

Nous déciderons de notre vote à l’issue de nos travaux, mais nous ne doutons pas de parvenir en séance à effectuer un travail constructif.

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