Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 6 juin 2023 à 14h30
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Monsieur le garde des sceaux, nous vous savons gré d’avoir obtenu des moyens financiers importants pour la justice. Pour en arriver là et obtenir des arbitrages favorables, il fallait une véritable volonté politique. Nous prenons volontiers acte de ces résultats encourageants, pour qu’enfin notre justice redevienne une priorité budgétaire.

Comme vous l’a indiqué notre collègue Agnès Canayer, tout n’est pas qu’une affaire comptable. Notre justice doit à l’évidence connaître aussi des évolutions en profondeur.

Notre groupe est a priori favorable aux orientations des textes que vous nous présentez, et ce d’autant plus que nous avons été associés à leur préparation grâce à notre rapporteure Dominique Vérien, qui a beaucoup travaillé, de manière efficace et sereine, avec Agnès Canayer.

Je l’ai dit, tout n’est pas qu’une affaire comptable : dans le monde judiciaire, il faut, peut-être plus qu’ailleurs, être attentif aux détails. Certaines formules sont tout à fait remarquables, et nous sommes habitués à la qualité des discours lors des audiences de rentrée des tribunaux, mais, au-delà des discours, il faut aussi se préoccuper de la mise en œuvre. Or c’est souvent là que le bât blesse.

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’en viens au détail des textes.

Dans le projet de loi organique, les dispositions relatives à l’ouverture des accès à la magistrature nous paraissent conformes à la fois aux évolutions de la société et aux attentes que l’on peut avoir à l’égard de ce corps.

La Chancellerie, sous votre autorité, monsieur le garde des sceaux, doit réaliser un exercice difficile. Il lui faut effectuer un nombre important de recrutements. Cette exigence quantitative suscite des interrogations d’ordre qualitatif. Quand j’emploie ce qualificatif, je pense non pas aux qualités techniques ou intrinsèquement juridiques des candidats – la science juridique est heureusement bien enseignée dans nos universités –, mais plutôt à leurs qualités humaines.

En effet, pour être un bon magistrat, il faut certes être un bon juriste, mais il faut aussi avoir des qualités humaines. C’est la même chose pour les médecins, une profession que l’on compare souvent à celle de magistrat. De tels recrutements supposent des analyses fines des candidatures et les propositions que vous nous faites concernant les jurys et les modalités de concours nous paraissent adaptées.

Vous souhaitez aller vers une évaluation à 360 degrés des magistrats, ce qui revient à poser la question de la gestion des ressources humaines, qui n’est historiquement pas le point le plus fort de la Chancellerie.

Enfin, monsieur le garde des sceaux, vous avez conscience des faiblesses de votre ministère dans le domaine informatique, que nous vous avons souvent signalées. Hélas, une loi ne suffira pas à régler l’ensemble des problèmes en la matière.

Néanmoins, le fait que vous vous attaquiez à la fois aux problèmes informatiques et à la qualité de la gestion des ressources humaines du corps me paraît être un signal important. La notion d’équipe autour du magistrat peut constituer une réponse adaptée, à condition d’en avoir une interprétation assez souple. Je ne pense pas qu’il faille entrer dans une logique consistant à associer dans chaque situation un magistrat, un greffier et un assistant.

Ensuite, vous nous proposez de faire évoluer le régime de responsabilité des magistrats et de retravailler sur la notion de faute disciplinaire. C’est bien sûr un sujet qui est attendu par la société. À cet égard, l’analyse du rapport du Conseil supérieur de la magistrature peut laisser perplexe.

Mme Vérien a évoqué le nombre de plaintes adressées au CSM et les suites qui y sont données, que chacun de nous connaît. Même si nous reconnaissons l’excellence de la magistrature, convenons que la perfection n’est pas de ce monde. Ce sujet a logiquement vocation à être ouvert.

Les évolutions proposées, tant par le garde des sceaux que par la commission, nous paraissent raisonnables et pondérées. L’ouverture du régime disciplinaire ne nous paraît pas être de nature à mettre en cause la responsabilité des magistrats et leurs conditions d’exercice.

La commission a également souhaité modifier la composition du CSM, ou plus exactement les modalités de reconduction des personnes qualifiées, en prévoyant une reconduction par moitié. C’est là un sujet qui a toujours interpellé la commission des lois. Le CSM agissant par mandature, il s’agit, en prévoyant un peu de tuilage entre les compositions, de permettre une continuité dans ses jurisprudences.

En lisant le rapport rédigé à la fin de la précédente mandature, on s’aperçoit que les membres du CSM ont souhaité y faire figurer le maximum d’éléments, manière de montrer à leurs successeurs ce qu’ils ont fait et ce qui pourrait les inspirer. Notre commission propose de favoriser ce tuilage, en prévoyant une reconduction par moitié des personnes qualifiées. Une telle mesure nous paraît de bon aloi.

J’en viens au projet de loi ordinaire. La commission des lois vous demande un peu plus de précisions sur la répartition des emplois, monsieur le garde des sceaux.

L’article 2, qui est très critiqué, est une demande d’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Beaucoup d’entre nous sont, sur le principe, très défavorables aux ordonnances, mais toute règle doit avoir une exception. Si on ne veut pas d’une ordonnance, il faut trouver des solutions de remplacement. Il n’existe que deux solutions connues.

Tout d’abord, le Gouvernement ou le Parlement peuvent s’adresser au Conseil d’État, ce qui se fait souvent, et lui demander un rapport sur tel ou tel élément. Cependant, le code de procédure pénale n’est pas son terrain de jeu privilégié. Quant à la Cour de cassation, si elle maîtrise bien sûr la technicité et dispose des compétences humaines, elle n’a pas pour habitude de s’occuper de légistique.

Ensuite, le Gouvernement pourrait confier une mission à des parlementaires, mais la durée de leurs travaux serait limitée à six mois.

En bref, je ne vois pas d’autre solution pour réécrire le code de procédure pénale que de passer par la voie de l’ordonnance, sous réserve de bien se mettre d’accord sur son objet. Notre groupe ne voit aucune difficulté à ce que cette réécriture se fasse à droit constant, même si nous pensons que ce n’est pas totalement possible.

En revanche, nous serons particulièrement attentifs à ce que l’on ne confonde pas lisibilité et simplification. Je vous ai écouté avec attention, il y a une quinzaine de jours, lors de votre audition par la commission des lois, monsieur le garde des sceaux, et je vous ai entendu parler tantôt de lisibilité tantôt de simplification.

Or la réécriture à droit constant du code de procédure pénale, c’est de la lisibilité. Certes, améliorer la lisibilité permet d’apporter clarté et simplicité, mais ce qu’attendent les magistrats et les forces de sécurité quand ils parlent de simplicité, c’est une modification de la procédure pénale, ce que vous vous interdisez justement de faire en travaillant uniquement à droit constant.

Il est évident qu’il faut avancer en parallèle sur les deux aspects : la recodification et la simplification de la procédure pénale. Il me semble que le comité scientifique que vous prévoyez de réunir pour mener ce travail de réécriture – « titanesque » pour les uns, de bénédictin selon moi – devra aussi regarder les questions qui se posent en termes de simplification de la procédure pénale.

D’ailleurs, le comité de parlementaires que vous souhaitez réunir pour suivre ce processus aura davantage de légitimité sur la simplification de la procédure pénale que sur la recodification à droit constant.

En bref, il faut trouver les moyens d’articuler amélioration de la lisibilité du code de procédure pénale et simplification. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’amendement adopté sur l’initiative des rapporteures.

Par ailleurs, nous approuvons l’expérimentation relative aux tribunaux des activités économiques, qui constituera pour la justice un formidable adjuvant – pardonnez-moi cette expression un peu triviale –, car elle permettra à nombre de magistrats de se consacrer à d’autres tâches.

La présence, au sein de ces tribunaux, de juges consulaires assurant la représentation des professions réglementées me paraît être de bon aloi. Une compétence exclusive à terme sur les baux commerciaux me paraît également justifiée.

Dans nos départements, nous sommes sollicités par le monde agricole, ou du moins par ceux qui se sentent porteurs de la défense des intérêts de ceux que j’appellerai, tout à fait respectueusement, les petits agriculteurs, car il a peur d’une approche purement entrepreneuriale.

Les tribunaux de commerce ont depuis longtemps intégré dans leur culture les spécificités des procédures collectives, la notion d’anticipation et la logique de conciliation. Il n’y a donc pas, à mon avis, de difficultés sur ce point, y compris sur les modalités d’accès à ces tribunaux – il n’est d’ailleurs jamais inutile de rappeler que la justice n’est pas gratuite.

Autre sujet, la commission a bien voulu porter attention aux travaux que j’ai menés sur les conseils de juridiction. Nous devons absolument mettre fin à la méfiance qui existe entre le monde politique et le monde judiciaire – c’est une mauvaise chose pour la démocratie et cela pèse nécessairement sur le bon fonctionnement de la justice – et renouer le dialogue. Monsieur le garde des sceaux, vous avez un rapport d’information du Sénat à votre disposition : Judiciarisation de la vie publique : le dialogue plutôt que le duel

Nous devrons aussi être attentifs à la simplification des procédures de saisie des rémunérations, prévue à l’article 17 du projet de loi.

Nous serons curieux, monsieur le garde des sceaux, de voir ce que vous mettrez dans l’ordonnance sur le régime de la publicité foncière – c’est un sujet important pour nos concitoyens.

Je dirai quelques mots, pour conclure, sur les questions de perquisition de nuit et d’activation à distance. Sur ces deux sujets, qui ont notamment été évoqués par Laurence Harribey, les rédactions trouvées nous semblent correctes.

Ainsi, les perquisitions de nuit seront possibles, « lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque imminent d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et indices du crime qui vient d’être commis ou pour permettre l’interpellation de son auteur ».

L’activation à distance, sous contrôle du juge des libertés et de la détention, s’explique par le développement des applications cryptées. Il n’y a pas d’autre solution pour mener certaines investigations. Le dispositif proposé nous paraît équilibré et, comme le souhaite Agnès Canayer, il nous permettra d’éviter à la fois l’immobilisme et l’agitation.

Monsieur le garde des sceaux, Dominique Vérien a estimé qu’il vous restait du travail. Je pense pour ma part qu’il nous en reste à tous !

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