Intervention de Stéphane Le Rudulier

Réunion du 6 juin 2023 à 14h30
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Stéphane Le RudulierStéphane Le Rudulier :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la meilleure manière d’avoir une justice faible est d’avoir une justice pauvre. L’augmentation du budget de la justice est donc inévitable. Elle doit concerner les magistrats, les moyens matériels de la justice, mais aussi les greffiers et tous ceux qui sont nécessaires au bon fonctionnement de la chaîne judiciaire.

Alors certes, le texte qui nous est soumis aujourd’hui a le mérite de répondre à des ambitions financières datant de depuis plusieurs décennies. Nos infrastructures de justice vont pouvoir bénéficier d’une augmentation de plus de 14 % de leur budget et nous savons tous qu’elles en ont cruellement besoin. Cela fait des dizaines d’années que la justice française manque de moyens de façon chronique et qu’elle n’arrive plus à remplir efficacement ses missions. C’est pourquoi la justice apparaît comme pauvre, lente et parfois opaque. Saluons donc cet effort financier sans précédent.

Mais ces nouveaux moyens financiers destinés à faire face à une misère endémique seront-ils suffisants ? Seront-ils suffisants pour enrayer ce que dénonçait en 2016, à juste titre, le garde des sceaux de l’époque, Jean-Jacques Urvoas, à savoir la « clochardisation » de la justice ?

Sans doute, mais force est de constater que ces textes sont une réforme de l’institution judiciaire, alors que notre pays attend également une réforme en profondeur de la justice.

Ces projets de loi ne prévoient rien – hélas ! – pour restaurer et renforcer l’effectivité la chaîne pénale. Ils contiennent quelques micromesures pour améliorer l’enquête, l’instruction, les jugements et l’exécution des peines, mais il ne s’agit là que de signaux faibles, dont l’utilité et l’efficacité feront sans doute débat.

Or, face à la montée des violences dans notre pays, face au sentiment d’impunité qui explose, face aux zones de non-droit qui prolifèrent dans les cités, la France a besoin d’une révolution pénale. Sans cela, le ministre de l’intérieur, malgré son action résolue pour lutter contre l’insécurité, sera condamné, avec ses services, à vider la mer des délits et des crimes avec une petite cuillère percée.

Cette révolution pénale passe avant tout par la construction de places de prison. C’est la seule garantie d’une bonne exécution des peines, la seule voie pour redonner du sens à la sanction pénale et mettre fin au sentiment d’impunité.

Or ce projet de loi ordinaire prévoit des alternatives à la prison, comme la généralisation du recours aux travaux d’intérêt général et l’usage renforcé du bracelet électronique. Alors qu’il faudrait revenir sur les aménagements de peine pour rendre à celle-ci son sens et son effectivité, vous, au contraire, vous les renforcez !

Vous le savez, au 1er janvier 2023, le taux d’occupation était de 119 % dans les prisons et de 140 % dans les maisons d’arrêt, soit 73 000 détenus pour 60 000 places, faisant de la France l’un des pires élèves du Conseil de l’Europe en termes de surpopulation carcérale. Du fait du manque de places, la France incarcère moins que ses voisins : le nombre de personnes incarcérées pour 100 000 habitants s’élève à 105 dans notre pays, contre 123 en Espagne, 124 au Portugal et 138 au Royaume-Uni.

Pourtant, le président Macron avait promis 15 000 places supplémentaires d’ici à 2022. Au terme du premier quinquennat, on dénombrait seulement 2 000 places de prison supplémentaires ; il en manque donc 13 000. J’ai entendu les explications exogènes avancées pour expliquer ce retard, mais malgré la volonté affichée, comment réussir en quatre ans ce que nous n’avons pas su faire en six ans ?

Pourtant, il y a urgence, car selon les chiffres de votre ministère, monsieur le garde des sceaux, seulement 59 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme vont réellement en cellule. À votre décharge, il est vrai qu’il existe une forme de frilosité, pour ne pas dire de réticence, de la part de certains maires à accueillir un centre de détention sur leur commune.

Il faut mettre en œuvre des solutions incitatives afin d’encourager les communes à accepter davantage de tels projets. À cet égard, permettez-moi de vous livrer deux pistes de réflexion : la revalorisation de la dotation globale de fonctionnement des communes qui se porteraient candidates à la construction de bâtiments carcéraux sur leur territoire ; dans le même esprit, la comptabilisation des places de prison construites dans le calcul de carence pour les communes concernées par l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, ce qui reviendrait à une exonération totale de leur pénalité financière.

J’évoquerai pour finir un dernier point : les ordonnances.

Tout le monde s’accorde sur un point : il faut réformer le code de procédure pénale. Malheureusement, ce n’est pas ce que prévoit ce texte, sauf à la marge. Il confie au Gouvernement une mission de recodification à droit constant par voie d’ordonnance.

Ce travail est certes indispensable, mais la question du droit constant pose un réel problème. Les rapporteures ont été des forces de proposition sur ce sujet afin que le Parlement ne soit pas dépossédé de son pouvoir de contrôle. Néanmoins, il semblerait plus pertinent de commencer par réformer le code de procédure pénale pour le simplifier. Si l’on recodifie sans avoir réformé en profondeur, il faudra ensuite recommencer l’ouvrage !

Monsieur le garde des sceaux, la justice n’est pas un sujet comme un autre. Notre conception de l’État et de la démocratie est engagée. Sur ce sujet, les textes de loi comptent autant que les mentalités, parce que la justice est rendue par des êtres humains sur des affaires d’êtres humains. Il nous faut donc rechercher une adhésion large. À cet effet, chacun doit pouvoir dire sa vérité.

Depuis trop longtemps, on a coupé la justice du peuple, en la laissant vivre en vase clos, en ne lui permettant pas de juger rapidement, en cultivant son incroyable complexité et parfois en minorant ses responsabilités. La justice retrouvera la confiance de tous les Français si elle permet de garantir leur sécurité, première des libertés.

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