Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice, son fonctionnement et ses acteurs sont bien sûr un élément essentiel à l’équilibre de notre société.
Deux ans après la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, le cap reste évident : améliorer cette institution dont la dégradation affecte à la fois les magistrats et l’ensemble des personnels judiciaires, en particulier leurs conditions de travail, et les citoyens, qui se trouvent confrontés à des délais trop longs.
Le constat n’est certes pas récent, mais la volonté de remédier à ce que certains ont qualifié de « clochardisation » est bien présente : magistrats épuisés, greffiers en sous-effectif permanent, délais trop importants des procédures civiles et, en conséquence, difficultés lourdes pour les familles, délais souvent incompréhensibles pour les victimes au pénal et durées de détention provisoire bien trop longues.
Si le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires partage ce constat et convient qu’il est urgent d’agir, il n’adhère pas à l’ensemble des dispositions proposées par la majorité sénatoriale et le Gouvernement.
Oui, le budget est en hausse et, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, nous soutiendrons cette ambition nouvelle, mais plus que sur son montant, c’est sur sa répartition et sur son utilisation que nous nous interrogeons.
En premier lieu, nous regrettons une fois de plus le « tout carcéral » que ces textes portent. Une société où moins de personnes seraient en prison n’est pas un modèle moins disant ou moins sécurisant, bien au contraire ! Les programmes des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) et les expérimentations menées plaident en faveur des alternatives à la prison, en raison de leur coût et de leur efficacité.
Faire de la prison la seule punition possible, de la détention provisoire une option usuelle plus qu’une exception – vous en proposez même l’allongement, ce à quoi nous nous opposerons – et développer les comparutions immédiates, c’est, à terme, remplir davantage encore les prisons. Pour autant, la société ne sera pas plus sûre. Quant aux détenus et aux condamnés, ils ne seront pas mieux punis ou mieux réinsérés.
La construction de places de prison supplémentaires n’est pas le seul remède. La punition d’exclusion sociale ne peut pas être découplée de l’objectif de réinsertion ; la situation des services pénitentiaires d’insertion et de probation en est un exemple.
Notre pays a tout autant été condamné en raison de la surpopulation carcérale structurelle que pour l’absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions de détention qu’un tribunal jugerait indignes.
Notre groupe reste critique sur ce projet de loi d’orientation et de programmation, qui aurait dû proposer, au même niveau que la détention, des solutions en milieu ouvert tenant compte des réflexions et des expériences autres que la prison. Il aurait aussi dû être l’occasion de nous interroger sur les potentielles décriminalisations et dépénalisations.
En outre, ces textes prévoient le recrutement de contractuels dans la pénitentiaire, lesquels seront moins bien formés.
Alors que nous avions alerté sur les dérives en matière de sécurité lors de l’examen de précédents projets de loi, en particulier du texte relatif à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, nous ne saurions cautionner ce sucre rapide… Certes, les sucres rapides sont parfois nécessaires, mais si nous saluons la volonté de mettre fin à la précarité des assistants de magistrats, nous n’oublions pas qu’elle ne servira qu’à pallier une politique de recrutement de magistrats défaillante depuis des années – bien avant vous, monsieur le garde des sceaux.
Les recrutements prévus et la constitution d’une équipe autour du magistrat sont des mesures positives. Certes, les solutions proposées dans les textes visent à gérer la pénurie. Pour autant, les mesures structurelles qui les accompagnent sont insuffisantes.
L’accès à la magistrature, l’ouverture des recrutements constituent des aspects essentiels d’une politique de justice efficace, au service des citoyens. Nous saluons la diversification des voies de recrutement, même si nous regrettons de nouveau une prise de conscience bien trop tardive de la nécessité d’accroître le nombre de magistrats. Le terrain le demande depuis longtemps, mais, là encore, l’occasion d’investir sur le long terme est manquée. Il faut des sucres lents, sous forme de recrutements massifs et de formations intensives à l’école de la magistrature.
Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, nous sommes très attachés au déroulement d’un procès dans les meilleures conditions, respectant le temps de l’enquête et les droits de la défense.
Nous l’avons dit, la visioconférence ne peut être systématiquement la règle. Comment imaginer qu’un médecin puisse évaluer de la sorte les conditions d’une garde à vue ? Comment l’interprétariat à distance pourrait-il ne pas gêner le bon déroulement des auditions ? Pourquoi étendre à ce point les pouvoirs de perquisition de nuit ? Comment ne pas voir dans les vidéo-audiences un éloignement du justiciable et du citoyen des lieux de justice ?
Notre groupe a toujours défendu un système de justice équilibré et des mesures de privation de libertés encadrées. C’est pourquoi nous demanderons que soient étendus les droits de visite des parlementaires au sein des hôpitaux psychiatriques.
Ces textes sont de nouveau l’occasion de voir se développer l’idée du « tout technologie », alors que ses bénéfices ne sont pas réellement évalués. Je pense, par exemple, aux caméras individuelles dans les prisons. Aucune garantie de continuité d’enregistrement ou d’accès par l’ensemble des parties à ces vidéos n’étant donnée, ce dispositif semble davantage constituer un effet d’annonce qu’une réelle amélioration.
Et que dire de la volonté de transformer les objets connectés – tous ! – en potentiels mouchards de chacun d’entre nous ?
La refonte de l’accès à l’aide juridictionnelle, qui s’effectuera désormais en ligne, risque d’être contre-productive si celle-ci ne s’accompagne pas du maintien des démarches papier. Je l’ai dit à l’occasion de l’examen de nombreux textes : 13 millions de Français souffrent d’illectronisme à ce jour, et le tout internet ou le tout application peut dégrader leur accès au service public.
Notre groupe salue donc un effort budgétaire, qui ne saurait pourtant être en soi salvateur. La justice n’est pas pour autant réparée. Les recrutements ne sont pas pérennes et restent insuffisants. La politique du tout carcéral est maintenue, les constructions de prisons continuent et les juges des libertés et de la détention sont dessaisis de certaines prérogatives, par exemple.
Certaines mesures sont positives, même si elles ne vont pas assez loin à notre goût. Nous aurions donc pu voter ces textes, comme un encouragement à amplifier ces efforts, mais trop de mesures nous semblent négatives. C’est pourquoi nous avons déposé de nombreux amendements, en commission et en séance.
En l’état, nous ne voterons pas ces textes, mais nous serons attentifs aux discussions et au sort de nos amendements, qui déterminera notre vote final.