Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 8 juillet 2022 – il y aura bientôt un an – le vice-président honoraire du Conseil d’État Jean-Marc Sauvé remettait au Président de la République un rapport issu du comité des États généraux de la justice. Les constats effectués dans ce rapport, je ne vous apprends rien, étaient alarmants : difficultés dans l’exécution des peines, défaillance de l’administration pénitentiaire, délais de jugements toujours plus longs, etc.
Cette situation est principalement due au manque de moyens alloués à la justice. Dès lors, les projets de loi que nous étudions aujourd’hui sont les bienvenus. Pour autant, les crédits qu’ils ouvrent, s’ils sont de bon augure, ne permettront pas, à eux seuls, de pallier les carences dénoncées dans le rapport Sauvé.
Pour ma part, j’évoquerai simplement quelques aspects du projet de loi d’orientation et de programmation.
Son article 2 prévoit une réécriture de la partie législative du code de procédure pénale. Le Gouvernement a choisi pour cela de procéder par ordonnance, ce qui suscite des interrogations, car il s’agit de revenir sur les règles particulièrement sensibles touchant aux libertés individuelles et au pouvoir coercitif de l’État, lesquelles me paraissent relever beaucoup plus du législateur que du Gouvernement.
On peut parler d’un usage abusif des ordonnances. Alors que celles-ci devaient être l’exception, elles sont devenues pratiques courantes. Ainsi, le nombre total d’ordonnances publiées a doublé entre 2007 et 2022. Il y en a eu 773 en quinze ans, contre 321 entre 1984 et 2007. Et il ne faut pas oublier le flottement jurisprudentiel qui entoure la ratification de ces ordonnances. Je ne suis donc pas favorable à la méthode qui a été retenue.
Sur le fond, ce même texte contient des mesures qui réforment profondément les règles de la procédure pénale. On est loin de la réforme à droit constant annoncée.
Tel est ainsi le cas de l’article 3, par exemple, qui prévoit des dispositions dangereuses sur les perquisitions pénales, les gardes à vue ou encore le statut du témoin assisté. On peut se poser de légitimes questions sur certaines des mesures proposées, comme l’activation à distance des appareils électroniques dans le cadre d’une enquête judiciaire. Il n’est pas conforme à nos usages de mettre en place des pratiques qui relèvent plutôt de régimes politiques totalitaires ! Nous devons donc nous interroger sérieusement sur le titre Il de ce projet de loi, tant sur la méthode qu’il prévoit que sur le fond.
Le titre III concerne la justice commerciale et les juges non professionnels.
L’article 6 prévoit la possibilité, à titre expérimental, d’inclure dans la formation de jugement du tribunal des activités économiques un magistrat du siège en qualité d’assesseur, qui serait désigné par ordonnance du président du tribunal judiciaire.
Ce recours au principe de l’échevinage dans le tribunal des activités économiques est particulièrement mal perçu par les juges consulaires, qui y voient un signe de défiance, alors que les tribunaux de commerce ont su s’organiser pour rendre une justice dont la qualité n’est pas contestée.
Le risque est grand, si cette disposition est maintenue, de provoquer une vague de démissions chez les magistrats consulaires alors que les tribunaux de commerce manquent aujourd’hui de juges. La commission des lois du Sénat l’a bien compris : elle a purement et simplement supprimé cette modification de la composition du tribunal des activités économiques.
L’article 7 permet de déroger au principe de gratuité de la justice en instaurant une cotisation financière des entreprises, à la charge du demandeur devant le tribunal des activités économiques.
Cet article, qui prévoit une mesure expérimentale dans certains tribunaux seulement, va créer une inégalité territoriale et ainsi entraîner, selon moi, une rupture d’égalité entre les justiciables. Il est également susceptible de porter atteinte à l’accès au droit pour les demandeurs de bonne foi qui devront, pour obtenir un titre de créance, payer non seulement cette contribution, mais aussi un avocat.
Surtout, le fait de créer cette contribution constitue une première atteinte, notable, au principe de la gratuité de la justice, qui est la règle dans notre pays. Cette mesure n’est donc pas souhaitable.
En résumé, la densité des observations qui sont faites à l’occasion de cette discussion générale montre, s’il en est encore besoin, l’importance et la complexité des deux textes concernés, tant sur la forme que sur le fond.
Ce texte doit donc être modifié par notre assemblée, en ayant le souci non seulement d’améliorer notre système judiciaire, mais aussi de garantir les droits et les libertés de nos concitoyens. C’est à ces conditions que je le voterai.