Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 6 juin 2023 à 14h30
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, quoi de mieux qu’un projet de loi d’orientation et de programmation pour mettre le droit et le fonctionnement de la justice au service de la lutte, prioritaire, contre les violences faites aux femmes ? Car, si j’ai bien compris, il s’agit là d’une priorité du Président de la République et du Gouvernement, ainsi que de nos rapporteures.

Pourtant, quelle déception ! Ce texte ne prévoit sur ce sujet que la création de pôles spécialisés. C’est mieux que rien, certes, mais ce n’était pas la promesse du Président de la République, qui avait parlé de juridictions spécialisées.

Je comprends que beaucoup d’entre vous ne saisissent pas spontanément la différence entre des pôles et des juridictions. Il est vrai que ce n’est pas si simple.

Un pôle spécialisé est constitué de magistrats qui sortent de leur bureau, qui se parlent, qui coordonnent leurs actions et qui discutent ensemble des dossiers. Certains tribunaux en disposent déjà et les professions judiciaires en sont satisfaites. C’est mieux qu’avant, personne ne le conteste, mais ce n’est pas une juridiction spécialisée.

Une juridiction spécialisée correspond à une pratique différente. Il s’agit d’un guichet unique, avec un magistrat ayant des prérogatives à la fois civiles et pénales. C’est une véritable différence pour les justiciables.

Faute de mieux, nous nous contenterons de ces pôles spécialisés, et nous espérons les voir s’étendre. Ce serait une bonne chose, mais ce n’est pas ce que nous voulions.

La réforme que vous nous présentez, monsieur le garde des sceaux, aurait été une belle occasion de concrétiser les propositions figurant dans le rapport Vérien-Chandler, qui confirme l’état des lieux qui a été effectué lors du Grenelle contre les violences conjugales. Or aucune d’entre elles n’a été reprise.

Vous avez expliqué à l’Assemblée nationale que vous pensiez que ce texte n’était pas le bon véhicule pour traduire ces propositions. Pourtant, légiférer sur les violences faites aux femmes, ce n’est pas tout à fait la même chose que légiférer sur les violences intrafamiliales. Les féminicides – il faut dire les choses –, ce sont des femmes qui meurent – quarante-sept depuis le début de l’année ! – et des hommes qui tuent. Il ne faut donc pas toujours parler de violences intrafamiliales…

Nous légiférons n’importe comment ! Des propositions de loi sont enlisées dans les méandres de la navette parlementaire. On ne sait pas où en sont les textes, qu’il s’agisse de la proposition de loi visant à renforcer l’ordonnance de protection – le Sénat l’a déjà examinée, mais on ne sait pas si elle nous reviendra – ou du texte prévoyant des dispositions en cas d’inceste – on ignore quand il sera examiné à l’Assemblée nationale. Nous ne pouvons pas légiférer ainsi ! Pendant ce temps, les femmes se heurtent au labyrinthe judiciaire et les hommes continuent de tuer.

Il y a quinze jours à peine, un homme, qui venait de sortir de prison, a tué sa femme et ses deux enfants. Sa femme avait pourtant déposé plainte à deux reprises ! La seule chose que le procureur de la République a trouvé à dire, c’est que cet homme ne lui paraissait pas dangereux. Pourtant, il a assassiné femme et enfants. Cette situation ne peut plus durer !

Je ne comprends pas votre rapport au temps, monsieur le garde des sceaux. Le temps législatif n’est pas le temps de l’urgence. Quand il s’agit de faire travailler les gens deux ans de plus, les décrets sont pris tout de suite, mais, pour lutter contre les violences faites aux femmes, il nous faut attendre un autre projet de loi, qui viendra on ne sait pas trop quand !

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