Intervention de Catherine Belrhiti

Réunion du 6 juin 2023 à 14h30
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Catherine BelrhitiCatherine Belrhiti :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre institution judiciaire est au bord de la rupture. Ce constat n’est pas nouveau, mais le fait qu’il ne change pas, mandature après mandature, interpelle.

Le rapport Sauvé, remis au garde des sceaux le 8 juillet 2022 et duquel découlent ces projets de loi, pointait particulièrement deux responsables de la crise que nous traversons : la sous-dotation permanente de l’institution judiciaire, ainsi que la complexification et la multiplication du droit et des procédures.

Le premier point n’est pas de nature à faire débat : notre justice ne dispose pas des moyens adéquats pour faire face à l’ampleur de ses missions. Membre de la commission des lois, j’ai eu par deux fois l’occasion d’aller observer la réalité dans nos tribunaux, à Bordeaux et à Thionville. Chacun de ces tribunaux présente des problèmes structurels qui affectent l’efficacité de notre système judiciaire : manque de personnel, manque de moyens et défaillance, voire obsolescence, du matériel informatique. Ces défaillances font que les procédures s’étalent sur des mois.

Notre justice n’a jamais été aussi lente, le délai de jugement étant de 14 mois en première instance et de 15, 8 mois en appel. Il peut atteindre 16 mois en moyenne aux prud’hommes !

Pour inverser cette tendance, le Gouvernement prévoit un budget de 9, 6 milliards d’euros pour 2023, soit une hausse de 26 % par rapport à l’année 2022. L’effort mérite d’être souligné, mais les moyens sont encore loin d’être suffisants pour atteindre les objectifs les plus ambitieux fixés par le Gouvernement.

Parmi ces objectifs figure la création de 15 000 places de prisons entre 2018 et 2027, pour lutter contre la surpopulation chronique dans ces établissements. Nos maisons d’arrêt présentent un taux d’occupation moyen de 143 %. Des milliers de places supplémentaires seraient nécessaires dès aujourd’hui pour que nos détenus soient accueillis dans des conditions acceptables.

Pire encore, 27 % des personnes incarcérées sont des prévenus en attente de leur procès, qui ne peut se tenir en temps et en heure, faute de moyens.

Dans un rapport du 25 mai 2023, notre collègue député Patrick Hetzel souligne que le plan que nous examinons apparaît d’ores et déjà sous-dimensionné. Il dénonce le retard que prend l’exécution des programmes déjà lancés : seuls 35 % des 7 000 places annoncées en 2018 ont effectivement été mises en service et tout porte à croire que le délai ne sera pas tenu. Ces places sont pourtant indispensables pour que nos tribunaux puissent réellement remplir leur office et condamner nos délinquants à des peines effectives.

À Bordeaux, les magistrats m’ont fait part d’une réalité aberrante : les prévenus ne sont plus condamnés à des peines de prison ferme afin de ne pas accroître la surpopulation carcérale du centre de Gradignan !

Nos tribunaux et nos services pénitentiaires sont intimement liés. Aussi, si les uns ne disposent pas de moyens suffisants, les autres périclitent.

Ces deux projets de loi visent à rendre notre justice « plus rapide, plus claire, plus moderne », notamment en simplifiant la procédure pénale et en mettant fin à la multiplication du droit et des procédures, l’inflation législative n’étant plus à démontrer.

Ces objectifs ne suscitent, eux non plus, aucune opposition de principe, tant l’intelligibilité de la loi est un enjeu majeur pour notre démocratie. Toutefois, en tant que colégislateur, le Sénat est confronté à un problème de méthode, que la commission des lois a largement mis en exergue : une part substantielle du contenu des textes soumis à notre examen est renvoyée à la discrétion du pouvoir réglementaire. Aussi, faute de communication sur les projets de décret d’application de certaines dispositions figurant dans les projets de loi, le Sénat ne peut se prononcer en pleine connaissance de cause sur celles-ci.

Pour conclure, ces textes ne constituent malheureusement qu’une traduction approximative des recommandations évoquées précédemment.

En effet, s’ils comportent des avancées réelles, comme le recours accru aux travaux d’intérêt général et l’expérimentation, réclamée de longue date par le Sénat, des tribunaux des activités économiques, ils omettent plusieurs recommandations du rapport Sauvé comme l’extension du statut de témoin assisté et le renforcement du rôle de nos greffiers dans l’aide à la décision.

La commission des lois est parvenue à corriger certaines lacunes, en portant par exemple l’objectif de recrutement de greffiers à 1 800 postes, mais l’écueil principal de cette réforme demeure. En procédant à une refonte par ordonnances de la procédure pénale, quelle place le pouvoir exécutif laisse-t-il au législateur pour réformer des règles extrêmement sensibles, qui touchent aux libertés individuelles et aux pouvoirs coercitifs de l’État ?

Il est indispensable que le Parlement puisse contrôler le respect du champ de l’habilitation qu’il accorde au Gouvernement et qu’il dispose, surtout, du temps nécessaire pour le faire dans des conditions sereines.

Au bout du compte, ces textes ne sont que le début du long travail qui nous attend pour rebâtir une justice digne des valeurs de notre pays.

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