Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 15 juin 2023 à 10h30
Établissements de spectacles cinématographiques dans les outre-mer — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens cette fois en tant que cheffe de file de mon groupe sur ce texte. Je suis toujours ravie lorsque nous parlons de la culture dans cet hémicycle, ce qui arrive souvent en ce moment, ainsi que de l’outre-mer.

La présente proposition de loi a l’immense mérite d’allier les deux sujets, puisqu’elle concerne le cinéma en outre-mer. Cependant, j’aurais préféré que ce débat ait lieu à une autre occasion, car ce texte représente une dernière chance de sauvegarder l’exploitation cinématographique dans les territoires ultramarins. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai développé en tant que rapporteure, mais la situation est périlleuse dans un contexte de reprise post-covid.

Au fond, quel est l’objet de cette proposition de loi ? Préserver l’exploitation cinématographique ultramarine, me répondrez-vous. Mais quelle finalité légitimerait une intervention du législateur dans la relation entre le distributeur et l’exploitant ? Tout simplement celle de garantir l’accessibilité des populations ultramarines au cinéma et, partant, à l’un des piliers de la culture et de l’art français.

Certains pensent que le législateur aime se mêler de tout. À titre personnel, je crois surtout qu’il intervient par nécessité et qu’il conduit l’État à assumer le rôle essentiel qui est le sien aujourd’hui, celui de régulateur. On le voit dans le domaine numérique, sur lequel nous sommes en train de travailler. Il en va de même pour l’exploitation cinématographique en outre-mer : nous devons intervenir par nécessité.

En effet, sans cette proposition de loi, il est une certitude : la plupart des exploitants ultramarins – peut-être même tous – ne survivront pas à un relèvement du taux de location autour de 50 %, à moins d’augmenter le prix du billet à un niveau tel que le public ne sera pas au rendez-vous. Or sans exploitants, pas de salles de cinéma, pas de diffusion, pas de public et pas de culture.

Pouvons-nous prendre ce risque et adopter le parti du laissez-faire en tant que garants de l’intérêt général, qui n’est, en l’espèce, ni celui des distributeurs ni celui des exploitants, mais bien celui des populations ultramarines, qui ont le droit, comme les métropolitains, d’accéder au septième art et de voir les films qu’ils désirent ? Ma réponse, qui est également celle de la commission de la culture, est claire et sans ambiguïté : nous ne le pouvons pas et nous ne le devons pas.

Comme le soulignait l’inspection générale des affaires culturelles (Igac) dans un rapport de 2013 sur l’extension aux départements d’outre-mer des dispositifs de soutien au cinéma du Centre national du cinéma et de l’image animée, l’offre cinématographique est « limitée et contrainte dans son développement », alors même que la sortie au cinéma semble être « une tradition culturelle forte […] qui a entraîné l’implantation de nombreux points de projection fixes ou itinérants au cours des années 1950 et 1960 ».

Aujourd’hui, ce passé cinématographique est particulièrement mis à mal ; alors que, en métropole, la densité d’équipement moyenne est d’un écran pour 11 340 habitants, elle n’est que d’un écran pour 27 300 habitants en outre-mer, des disparités très fortes entre territoires ultramarins pouvant être par ailleurs observées.

À cette situation s’ajoutent les surcoûts structurels liés aux territoires d’outre-mer que nous avons déjà évoqués : insularité, étroitesse des marchés, normes antisismiques et anticycloniques, coût élevé de la vie.

En outre-mer, rendre accessible la culture est donc d’abord un enjeu matériel, très concret, qui concerne l’ensemble des champs artistiques. Je suis, comme vous le savez, très attachée aux bibliothèques et aux livres. Je signale que le prix du livre est nécessairement plus élevé qu’en métropole du fait du coût de transport.

En ce sens, un débat en séance publique sur l’accessibilité culturelle en outre-mer, « comarrainé » par la commission de la culture et par la délégation sénatoriale aux outre-mer, serait pertinent afin d’établir un état des lieux, de lever les freins existants et de réfléchir à la création de véritables dispositifs de compensation, qui favoriseraient la diffusion de la culture dans les territoires ultramarins.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, au travers du plafonnement du taux de location qui est proposé dans cette proposition de loi – une mesure a priori technique –, nous tendons vers l’idéal politique inscrit au treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte […] à la culture. » Si nous, législateurs, ne menons pas cette bataille, qui le fera ?

Néanmoins, j’entends les appels à la vigilance quant aux répercussions de ce texte sur la diversité culturelle, singulièrement sur la diffusion des films indépendants. J’y suis sensible.

Comme en métropole, le public ultramarin doit avoir un large choix entre les blockbusters ou les films populaires et les films d’auteur. Il est hors de question de renoncer à cette diversité, et nous devrons peut-être évaluer l’impact de la proposition de loi en la matière.

J’ajouterai que la prise en considération de la diversité culturelle doit être réciproque. Je m’explique : si les films d’auteur d’origine métropolitaine ont vocation à être diffusés en outre-mer, les films ultramarins ont tout autant vocation à être diffusés en métropole.

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