Intervention de Amélie Oudéa-Castéra

Réunion du 15 juin 2023 à 10h30
Protection des mineurs et honorabilité dans le sport — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, cher Laurent Lafon, monsieur le rapporteur, cher Jean-Jacques Lozach, monsieur l'auteur de la proposition de loi, cher Sebastien Pla, mesdames, messieurs les sénateurs, un enfant sur sept est victime de violences dans le sport. Derrière ce chiffre effrayant, combien d'enfants en souffrance, dont l'existence a été abîmée et la vie parfois brisée ?

Voilà pourquoi notre premier devoir, en tant que responsables publics, est de regarder ces violences avec lucidité.

Oui, elles prennent des formes diverses, qu'il faut dénoncer clairement pour en faire prendre conscience : violences physiques, violences psychologiques, harcèlement, agression, emprise ou encore viol.

Oui, elles s'observent du sport amateur jusqu'au plus haut niveau de performance, avec, dans plus de 80 % des cas, des victimes mineures, filles et garçons.

Non, elles ne sont pas l'exception d'un sport, mais un mal transversal à éradiquer dans toutes les disciplines.

Si cette lucidité a d'abord demandé une prise de conscience collective, malheureusement toujours trop lente, elle a permis depuis d'engager une lutte sans merci pour éradiquer ces violences.

Une boussole très claire ma guide chaque jour : tolérance zéro. Voilà pourquoi, ces trois dernières années, nous avons considérablement renforcé notre arsenal. Il s'agit tout d'abord de ne plus laisser passer ces violences, avec la création de la cellule Signal-sports, qui a déjà permis de traiter plus de 900 dossiers depuis le mois de mars 2020 pour des faits de violences, dont 90 % à caractère sexuel.

Nous mobilisons l'ensemble des leviers à notre disposition.

Ces leviers sont d'abord d'ordre judiciaire, au travers d'un signalement systématique au procureur de la République, comme l'impose l'article 40 du code de procédure pénale, afin que des investigations soient menées, y compris en l'absence de dépôt de plainte.

Ils sont également administratifs, par le biais non seulement d'inspections et d'enquêtes que je n'hésite pas à diligenter à chaque fois, mais aussi par des mesures d'interdiction d'exercer ou des fermetures d'établissements sportifs, y compris en urgence, pour faire cesser les maltraitances et prévenir tout risque de réitération.

Ils sont enfin disciplinaires, puisque nous nous assurons que toutes les fédérations, notamment celles qui ont failli en la matière, parfois dans un passé récent, prennent à bras-le-corps leurs obligations de lutte contre ces violences.

Notre action collective, soulignons-le, commence à porter ses fruits auprès, d'une part, des victimes, grâce à l'allongement des délais de prescription, en 2018 puis en 2021, et, d'autre part, des bourreaux, puisque plus de 400 mesures d'interdiction d'exercer ont été prononcées et plus de 1 000 personnes ont été mises en cause.

Pourtant, des faits extrêmement graves sont encore régulièrement révélés, autant grâce aux médias qu'aux enquêtes que nous diligentons. Cela signifie que nous pouvons et devons faire mieux encore. Aujourd'hui, je veux donc remercier M. le sénateur Sébastien Pla de cette proposition de loi fondée sur la volonté de renforcer encore davantage notre cadre législatif. Elle est le fruit – je tiens à le souligner – d'un engagement exemplaire et de longue date de sa part pour lutter contre ces violences.

À travers vous, monsieur le sénateur, je veux également rendre hommage à Sarah Abitbol. Chacun sait l'impact, et même le choc, qu'a représenté sa prise de parole pour le monde du sport : le début d'un véritable #MeToo sportif.

En lui remettant l'Ordre national du mérite au mois de janvier dernier, je lui ai dit ceci : « Nous ne lâcherons rien, notamment pour que la libération de la parole s'accompagne, ce qui est au moins aussi important, d'une vraie libération de l'écoute. »

Je tiens aussi à saluer le travail conduit par M. le rapporteur Jean-Jacques Lozach, dont je sais l'expertise et l'engagement sur les politiques publiques du sport, notamment quand il s'agit du respect de l'éthique et de l'intégrité. Plus largement, je me réjouis de l'esprit constructif ayant prévalu dans le cadre de la rédaction de cette proposition de loi.

Car, pour lutter contre ces violences, je suis persuadée que le renforcement du volet répressif doit s'accompagner de la plus haute exigence en matière de prévention. Même si, chacun le sait, le risque zéro n'existe pas, d'autant qu'un casier judiciaire vierge n'empêche pas de commettre parfois des actes terribles.

En la matière, ces dernières années, nous sommes déjà montés en puissance, en renforçant nos exigences et nos moyens, notamment au travers du contrôle d'honorabilité, c'est-à-dire la vérification des antécédents judiciaires visant à s'assurer qu'une personne ne fait pas l'objet d'une condamnation pénale incapacitante prévue par la loi.

Ce contrôle était auparavant limité aux 250 000 éducateurs titulaires d'une carte professionnelle. À la suite de l'adoption de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, il concerne désormais deux millions de personnes, dont les éducateurs bénévoles, les juges et arbitres, les maîtres-nageurs titulaires du brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique (BNSSA), ainsi que tous les intervenants auprès de mineurs.

Depuis près d'un an, mes services se sont fortement investis aux côtés des fédérations pour traduire concrètement cette mesure sur le terrain.

Nous avons déployé un dispositif efficace, largement automatisé, qui repose sur la remontée des données d'identité par les clubs et sur un système d'information dédié à l'honorabilité, développé par mon ministère.

En complément, les services de l'État réalisent régulièrement des contrôles ponctuels, sans jamais – je tiens à le signaler – pénaliser l'engouement pour le bénévolat sportif ni faire peser sur les clubs locaux de trop fortes exigences.

Là encore, les résultats sont au rendez-vous : les 40 000 nouvelles cartes professionnelles délivrées en moyenne chaque année aux éducateurs sportifs font désormais l'objet d'un contrôle systématique. Pour les bénévoles, les fédérations, qui sont très attendues, se mettent en ordre de marche, comme en témoigne la multiplication par plus de deux, depuis un an, des contrôles réalisés, par exemple par la fédération française de football, de boxe ou de handball.

Au total, au 31 mai 2023, ce sont ainsi près d'un million de personnes qui ont d'ores et déjà été contrôlées et plus de 130 incapacités et mesures de polices administratives qui ont été prononcées.

Pour autant, sur ce volet préventif, nous disposons encore d'une marge de progression. Le texte que nous examinons aujourd'hui permet – c'est à mon sens toute sa force – d'identifier des axes d'amélioration aussi concrets qu'immédiats. Sur ce point, je salue une fois encore le travail réalisé par le sénateur Pla et le rapporteur Lozach. Il s'agit notamment de consolider encore l'équilibre entre le renforcement du rôle régalien de l'État dans son contrôle des personnes intervenant auprès des pratiquants et la responsabilisation accrue, que nous souhaitons assurer, des instances sportives, pour signaler l'ensemble des faits de violences.

Parmi ces propositions d'amélioration, il convient à mon sens de signaler la consécration, au niveau législatif, des modalités concrètes de réalisation du contrôle d'honorabilité, qui prend la forme d'une interrogation annuelle du bulletin n° 2 du casier judiciaire et du Fijais, qui relèvent tous deux du ministère de la justice.

Autre amélioration, la possibilité de déclarer l'incapacité, même en cas d'effacement du B2, dès lors que la condamnation concernée figure encore au Fijais.

Par ailleurs, le préfet pourra interdire l'exercice des responsables des établissements d'activités physiques et sportives (EAPS), et non plus seulement de toutes les autres catégories de personnes intervenant dans ces établissements, ce qui vient combler opportunément un vide juridique.

En outre, et surtout, une obligation de signalement à l'autorité administrative est instaurée en cas de comportement d'un encadrant ou de toute personne intervenant auprès de mineurs présentant un risque pour la santé et la sécurité physique ou morale des pratiquants. C'est sans doute l'apport majeur du texte. Cela permettra de systématiser les remontées de faits inquiétants. Le préfet pourra ainsi prendre, chaque fois que c'est nécessaire, des mesures administratives d'interdiction d'exercer.

Enfin, monsieur le rapporteur, vous vous apprêtez à proposer par amendement l'intégration d'une dimension nationale à ce dispositif de signalement. Il s'agit de créer l'obligation, pour toute fédération agréée, de faire remonter les signalements de violences dont elle a connaissance aux services du ministère, ce qui permettra de « boucler la boucle ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, si le sport est devenu un véritable « fait social total », pour reprendre les mots de Marcel Mauss, c'est bien sûr en raison des performances des sportives et des sportifs, mais aussi parce qu'il repose sur des valeurs essentielles : l'émancipation, le respect des règles et le vivre-ensemble.

Si nos sportifs travaillent dur pour être au meilleur de leurs performances, à nous de nous mobiliser sans relâche pour être les gardiens du temple de ces valeurs, à un moment critique de l'agenda sportif de notre pays.

Pour avancer sur cette meilleure protection de nos pratiquants, j'ai demandé à Marie-George Buffet et Stéphane Diagana d'intégrer cette dimension dans les travaux du Comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport, qu'ils coprésident à ma demande.

Voilà pourquoi, dès aujourd'hui, je me réjouis du renforcement du dispositif global envisagé dans le cadre de cette proposition de loi, dont je souhaite qu'elle puisse aboutir rapidement à l'Assemblée nationale. Je serai extrêmement attentive à sa bonne application par l'ensemble des services de l'État et du mouvement sportif. §

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