Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Réunion du 7 juin 2023 à 15h00
Indices locatifs — Question préalable

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a décidé de déposer cette motion de procédure après la discussion générale, afin de ne pas limiter l’expression des groupes politiques.

Chacun a pu ainsi donner son opinion, avancer ses propositions et, si j’ai bien entendu, faire part, le plus souvent, de son opposition à ce texte.

En déposant cette motion, la commission vous propose de donner un coup d’arrêt, en rejetant une méthode que nous ne pouvons accepter, tant cette présentation d’un texte dans la précipitation témoigne d’un mépris renouvelé du Parlement, ainsi qu’une politique indigente du logement, que nous réprouvons.

Concernant la méthode, beaucoup l’ont souligné, nous entendons dénoncer la fausse urgence qui entoure le parcours de ce texte et qui viendrait justifier un examen brusqué dans des délais complètement anormaux. Cette fausse urgence sert à cacher l’impréparation du Gouvernement sur ce sujet, alors que les délais sont connus depuis un an.

On nous parle de prolongation, mais s’agissant de l’ILC, la mesure est d’ores et déjà échue ; il s’agit donc d’un rétablissement.

Nous entendons également dénoncer une méthode irrespectueuse du Parlement et des acteurs du secteur, fondée sur le fait accompli. Il n’y a pas eu de concertation, non plus que d’évaluation.

Comme je l’ai indiqué, nous ne sommes pas hostiles par principe à des mesures d’urgence, quand celles-ci se justifient ; nous les avons d’ailleurs votées l’an passé. Alors, les conditions du débat n’étaient pas les mêmes : nous faisions face à une véritable situation d’urgence, car la guerre en Ukraine venait d’être déclenchée. Nous avons pourtant pu délibérer d’un projet de loi comportant une véritable étude d’impact, fruit d’une concertation entre les acteurs, dans des délais nettement moins ramassés.

L’inflation montre maintenant de premiers signes de repli, mais le Gouvernement pérennise des dispositions d’exception pesant lourdement sur les bailleurs, privés comme sociaux, sans qu’aucune mesure d’accompagnement soit prise au regard de leur impact dans la durée.

Ce texte ne propose d’ailleurs pas plus de garanties pour les locataires face à une hausse des loyers constituant pour beaucoup d’entre eux un réel problème, que je ne minimise pas.

Par cette motion, la commission souhaite également dénoncer l’indigence de la politique du logement du Gouvernement, deux jours après la conclusion du CNR, laquelle a suscité la désillusion et a été reçue comme un signe de mépris par l’ensemble des acteurs du secteur du logement, qui ont travaillé pendant sept mois pour presque rien.

La construction traverse une crise très grave. Le nombre de réservations auprès des promoteurs est tombé au niveau du printemps 2020, au cœur de la crise sanitaire – c’est dire l’importance du marasme.

La RLS, la réduction de loyer de solidarité, et la hausse du taux du livret A assèchent les capacités de construire et de rénover des bailleurs sociaux, alors que le nombre de demandeurs a franchi la barre des 2, 4 millions.

Hier, devant la commission d’enquête sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, que je préside, Christophe Béchu indiquait qu’un point supplémentaire du taux du livret A représentait l’équivalent de la RLS, c’est-à-dire 1, 3 milliard d’euros de charges en plus pour les bailleurs. C’est cela qui nous attend au mois d’août, alors que le taux du livret A pourrait encore augmenter, pour dépasser les 4 %.

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » : c’est cette phrase de Jacques Chirac que m’évoque cette politique de Gribouille.

Il faut relancer la construction, mais on arrête le Pinel sans aucune solution de rechange. On prolonge le PTZ, mais on le limite aux logements collectifs neufs, et uniquement dans les zones tendues, interdisant de facto la primo-accession pour les maisons individuelles et excluant 90 % des communes qui ne sont pas situées en zone tendue. Les demandeurs de logements sociaux n’ont jamais été plus nombreux, mais on continue d’étrangler les bailleurs sociaux, qui seraient des dodus dormants. On veut des investisseurs dans le logement locatif intermédiaire ; pourtant, face à l’inflation, on ne bloque que leurs revenus !

La France serait un paradis fiscal pour investisseurs immobiliers, selon Emmanuel Macron ; drôle de paradis que celui dans lequel, pour 38 milliards d’euros de dépenses, l’État récupère 90 milliards d’euros de recettes !

Depuis 2017, la stratégie du Gouvernement se résume à deux chiffres : 18 % de demandeurs de logements sociaux en plus et 81 % de recettes budgétaires nettes en plus sur le logement. Aujourd’hui, dans le domaine du logement, le dodu dormant, c’est le Gouvernement !

Tout cela a un impact direct sur les Français, qui peinent de plus en plus à se loger ou qui subissent des coûts prohibitifs. Le parcours résidentiel, symbole d’ascension sociale, est bloqué. Les Français se sentent déclassés et profondément lésés, alors que leur aspiration la plus légitime est de donner un toit à leur famille. Le logement est le premier poste de dépense des ménages et il emporte des conséquences immédiates sur le pouvoir d’achat.

Je comprends les inquiétudes exprimées dans cet hémicycle face à la hausse des charges, laquelle s’ajoute à des loyers difficiles à payer, et je les partage largement. J’entends les alertes sur les impayés de loyer et sur les difficultés de la vie qui se traduisent par une baisse jamais vue de la consommation alimentaire des Français.

Pour autant, quelles réponses trouvons-nous dans ce texte ? Quelles réponses avons-nous entendues il y a quarante-huit heures, lors de la conclusion du CNR ? Simplement des mesurettes techniques et court-termistes, bien éloignées des attentes : pas de hausse des APL, pas de hausse du forfait charges, qui ne représente que 40 % des dépenses réelles en la matière, et pas d’espoir pour les Français de retrouver ainsi du pouvoir d’achat immobilier, voire du pouvoir d’achat tout court.

Mes chers collègues, telles sont les raisons qui nous conduisent aujourd’hui à proposer au Sénat d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable, afin de marquer clairement notre opposition à cette législation à la sauvette et à une politique du logement sans vision et sans stratégie, faite seulement de mesurettes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion