Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Cette initiative non concertée de notre collègue Laurent Lafon en est, malheureusement, une nouvelle illustration.
Le 31 mai dernier, à la suite de l’adoption d’une loi pour la préservation du journalisme par l’assemblée de Californie, le directeur de la communication politique de Facebook-Meta a menacé de supprimer le fil d’actualité de Facebook, « plutôt que de payer pour une caisse noire », comme il l’a écrit sur Twitter.
Depuis une dizaine d’années, nous sommes devenus les spectateurs de la transformation du paysage médiatique international, avec l’essor des plateformes de service de vidéo à la demande, le développement des réseaux sociaux et la croissance du marché publicitaire comme source de financement, notamment des compétitions sportives.
Il en résulte une très forte concentration médiatique, dominée par quelques géants dont les règles internes ont presque force de loi.
En 2025, le marché mondial de la publicité pourrait franchir le cap de 1 000 milliards de dollars, soit le PIB des Pays-Bas. Les trois sociétés Google, Facebook et Amazon détiennent désormais plus de 50 % de ce marché. Cette position ultradominante leur permet d’exercer un chantage sur les parlements à travers le monde.
En France, la commission d’enquête sénatoriale conduite par notre collègue David Assouline a mis en lumière la concentration médiatique également à l’œuvre dans notre pays, ainsi que ses conséquences sur la liberté de la presse. Certes, on n’y découpe pas les journalistes à la tronçonneuse, comme en Arabie Saoudite, pas plus qu’on ne les détient arbitrairement pour motif d’espionnage, comme en Russie. Mais on les licencie ; on les démet de leurs fonctions.
Cette situation alimente la défiance populaire à l’encontre de ceux qui nous informent : 62 % des Français ne feraient pas confiance aux journalistes et 41 % d’entre eux s’informeraient dorénavant prioritairement via les réseaux sociaux, où les contenus journalistiques côtoient les commentaires dépourvus de fondements factuels, noyés dans une masse d’informations anecdotiques et personnelles.
Dans ce contexte, notre collègue Laurent Lafon nous propose une « stratégie ambitieuse et globale », rédigée sur sa seule initiative.
En fait de stratégie et d’urgence, ce texte propose de renforcer les positions dominantes, à l’opposé des recommandations de la commission d’enquête que j’ai citée, pour offrir une nouvelle fenêtre de fusion entre TF1 et M6 et pour adapter les règles de droits de diffusion des événements sportifs majeurs, qui favorisent Canal+.
Pis, après la suppression de la redevance l’été dernier, la création d’une holding réunissant quatre acteurs de l’audiovisuel public constitue l’autre pilier de cette stratégie. Cet étage supplémentaire nous promet des années d’immobilisme, à l’heure où l’évolution du secteur nécessite de la souplesse, de l’adaptation et de la rapidité décisionnelle. Cela va évidemment affecter les moyens destinés à la réalisation de missions de service public.
Les auteurs-réalisateurs et les cinéastes pourraient en être fragilisés. Aujourd’hui encore, France Télévisions est le deuxième diffuseur de films après Canal+, et près de 40 % des droits perçus par les auteurs proviennent de sociétés publiques…
À quoi bon renforcer notre souveraineté audiovisuelle si cela fragilise l’exception culturelle française ? Et je ne parle pas du mode de désignation du président de la holding par décret présidentiel, absolument contraire au projet de directive sur la liberté des médias présenté par la Commission européenne en septembre 2022… Nous y sommes fortement opposés.
L’information n’est pas un bien comme les autres. Les entreprises de médias devraient être soumises non pas au droit de la concurrence, mais à des règles spécifiques, destinées à garantir le pluralisme et l’indépendance des rédactions.
L’urgence, bien sûr, c’est de réviser la loi de 1986, qui est devenue obsolète.
L’urgence, ce n’est pas d’ajouter une strate supplémentaire, non budgétisée, qui « ne coûterait rien », selon notre rapporteur, mais qui viendrait, de fait, amputer le financement de l’audiovisuel public.
L’urgence, ce serait d’allonger les contrats d’objectifs et de moyens et de renforcer les synergies. Mais ce serait aussi et surtout de garantir des mesures pérennes pour l’audiovisuel public. La Lolf doit prévoir un financement, comme le recommandent également les auteurs du rapport d’information publié le 7 juin dernier par l’Assemblée nationale.
Du côté de la publicité, des gisements fiscaux existent pour financer l’audiovisuel public. La Californie nous en montre le chemin.
L’urgence est au renforcement des moyens d’informer, non à la restriction budgétaire. Le journalisme de qualité a un coût, mais celui-ci est inférieur au prix démocratique de la désinformation.
Considérant que cette proposition de loi ne sert pas l’audiovisuel public, …