Intervention de David Assouline

Réunion du 12 juin 2023 à 16h00
Réforme de l'audiovisuel public — Discussion générale

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où les grandes plateformes étrangères, les Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – étendent leur pouvoir et leur influence gigantesques, accroissant sans cesse leur domination financière, qui les fait rivaliser avec les États les plus puissants du monde, au point de s’émanciper des règles et du droit, la droite sénatoriale a décidé de légiférer sur le service public de l’audiovisuel – en l’affaiblissant.

À l’heure où se poursuit dans notre pays la concentration des médias, qui sont pour l’essentiel détenus par neuf milliardaires, à l’heure où le groupe Bolloré franchit un nouveau cap dans sa prédation et la mise au pas des médias, avec la touche finale mise à l’acquisition du groupe Lagardère – l’édition, Paris Match, Le Journal du dimanche (JDD) et Europe 1, restructurés pour servir une ligne idéologique trumpiste à la française –, vous, la droite sénatoriale, avez décidé de montrer du doigt le service public de l’audiovisuel !

Pourquoi ? Parce que, dans la droite ligne des pressions que vous avez exercées, monsieur le rapporteur, à l’intérieur et à l’extérieur de la commission d’enquête Concentration des médias en France, dont j’étais le rapporteur, vous vous faites de nouveau le relais de ce lobbying.

Vous avez d’ailleurs annoncé cette proposition de loi au moment où tous les groupes privés de télévision faisaient une déclaration commune pour demander de réduire les financements et les « avantages » du service public. Par ce texte, vous accédez à leur demande en mettant en cause les revenus du parrainage après vingt heures, alors même que le financement de l’audiovisuel public n’est plus assuré sur le moyen et le long terme du fait de la suppression de la redevance.

Vous autorisez la troisième coupure publicitaire des fictions après vingt heures, pour satisfaire le privé.

Vous ramenez à deux ans le délai de revente d’une fréquence après son acquisition, alors que c’est le Sénat, sur ma proposition, soutenue par Catherine Morin-Desailly, qui l’avait porté à cinq ans pour éviter les reventes spéculatives.

Vous attaquez de nouveau la diversité de la production indépendante. Vous ouvrez le label Sieg (services d’intérêt économique général) aux sociétés privées pour une visibilité égale à celle des sociétés publiques, alors qu’elles ne remplissent aucune mission de service public.

Tout cela vient s’ajouter aux petits cadeaux offerts par le Gouvernement à l’audiovisuel privé au travers de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, laquelle assouplissait, à la demande des groupes privés, des dispositions anti-concentration potentiellement dangereuses au regard de l’exigence constitutionnelle de pluralisme dans le secteur. Et j’en passe…

Ce texte ne contient pas grand-chose en termes de défense de l’audiovisuel public, mais accorde ici et là des faveurs au privé, comme autant de petits cavaliers à la demande.

Pourquoi légiférer sur ce sujet maintenant, à la veille de l’été, tandis que la situation est urgente dans bien des domaines – pouvoir d’achat, sécheresse, démocratie en danger… – et que personne ne vous le demande, ni nos compatriotes ni les principaux concernés, c’est-à-dire les directions et les personnels de l’audiovisuel public ?

La situation de ces sociétés l’exigerait-elle ? Le service public de l’audiovisuel irait-il mal et aurait-il besoin, tout de suite, d’une loi improvisée ? Ou ses résultats seraient-ils mauvais ou inquiétants ?

Au contraire : le service public de l’audiovisuel va plutôt bien, et même bien mieux qu’auparavant en termes d’audience et de qualité des programmes, de complémentarité des offres sur les différents supports, de synergies réalisées par les chaînes de télévision ou de radio, à l’intérieur de chaque entreprise ou à l’extérieur, entre les entreprises – je pense à celles qui existent entre France Télévisions, l’Institut national de l’audiovisuel (INA), France Médias Monde (FMM), Radio France et même Arte.

Et à quel prix, déjà payé par les salariés ! On compte 900 emplois supprimés à France Télévisions, plus de 4 200 équivalents temps plein (ETP) à Radio France ces dernières années et des baisses budgétaires régulièrement imposées par les gouvernements du président Macron, soit 193 millions d’euros sur la période 2018-2022.

Vous proposez donc – quelle nouveauté, quelle innovation, quelle audace ! – de créer… une holding. Et vous osez dire que c’est pour mieux faire face aux plateformes étrangères et à la concurrence. J’imagine déjà la frayeur au sein des boards d’Amazon, de Netflix, d’Apple ou de Google ! Ils doivent encore être en cellule de crise pour élaborer la riposte, la peur au ventre…

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