Intervention de Rima Abdul-Malak

Réunion du 13 juin 2023 à 14h30
Restitution des restes humains appartenant aux collections publiques — Vote sur l'ensemble

Rima Abdul-Malak , ministre de la culture :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, madame l'ambassadrice – merci d'être avec nous –, la semaine passée, cette proposition de loi a été examinée en commission. Le débat a été passionnant ; je me réjouis de pouvoir le poursuivre dans l'hémicycle tout comme je me réjouis de cette avancée. Ce texte est le très bel aboutissement de l'engagement et du travail, de longue haleine, déterminé et méthodique, que mène la sénatrice Catherine Morin-Desailly depuis des années pour rendre possible la restitution de restes humains de provenance douteuse conservés dans nos collections.

Jusqu'à présent, seules deux lois d'exception ont permis d'aller au bout d'une démarche de restitution, concernant l'Afrique du Sud, en 2002, et la Nouvelle-Zélande, en 2010. Madame Morin-Desailly, c'est grâce à votre engagement et à votre combativité que ces restitutions ont pu avoir lieu. Le Sénat, sous votre impulsion, a été – on peut l'affirmer – en avance sur son temps et a ouvert la voie. Ces deux lois d'espèce ont permis des débats riches dans nos assemblées et ont contribué à faire mieux connaître ce sujet dans l'opinion publique. Grâce à vous tous, le débat est désormais arrivé réellement à maturité.

Il est désormais temps de ne pas s'en tenir à des lois d'espèce, qui ne visent que des cas singuliers et qui nécessitent de revenir devant le Parlement à chaque fois, et de faire en sorte que notre droit offre un cadre clair aux restitutions de restes humains patrimonialisés, fondé – bien sûr – sur les expertises historiques et scientifiques, et sur la qualité du dialogue bilatéral.

Je vous l'indiquais la semaine dernière lors de l'examen en commission, cette proposition de loi n'est pas technique : elle a véritablement une dimension éthique et philosophique. Elle renvoie à notre rapport à la mort, au deuil, aux rites funéraires, à l'Histoire, à la connaissance des autres cultures et de nous-mêmes, et à la fraternité. C'est une proposition de loi qui donne tout sens à la valeur universelle de dignité humaine.

« Restes humains » : cette formule sonne étrangement à nos oreilles. On aurait pu dire « vestiges osseux », mais, dans « restes humains », il y a le mot « humain ». Quant aux « restes », ils évoquent l'importance des traces laissées et transmises.

Ces restes humains ont pu entrer dans nos collections publiques dans des conditions suspectes, violentes et illégitimes. Considérés comme des trophées ou des objets de curiosité, ils étaient censés éclairer de prétendues différences entre les « races ». Ils ont pu faire l'objet de trafics ou de chasses à l'homme à partir du XVIIIe siècle pour alimenter les théories d'adeptes de craniologie et de phrénologie, les discours scientifiques fallacieux qui ont servi de justification aux théories racistes. Dans le cas de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, ce commerce ignoble a été interdit en 1831, mais on sait qu'il s'est poursuivi illégalement bien au-delà de cette date.

Dès mon arrivée au ministère de la culture, il y a un an, j'ai voulu engager un dialogue avec le Parlement, notamment avec le Sénat, pour travailler ensemble sur trois lois-cadres relatives aux restitutions.

La première d'entre elles, relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites à la suite de spoliations entre 1933 et 1945, a fait l'objet d'un vote unanime au Sénat le 23 mai dernier.

Pour la deuxième loi-cadre, relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, nous avons souhaité laisser l'initiative au Sénat. Je salue ici la qualité, la précision et la rigueur de votre travail collectif, comme vous le disiez, madame Morin-Desailly, un travail que vous avez mené avec Max Brisson et avec Pierre Ouzoulias : le rapport de décembre 2020 de la mission d'information fera date.

La troisième loi-cadre, relative aux biens culturels africains, nécessite encore plusieurs mois de travail et de concertations à partir, notamment, des propositions formulées par Jean-Luc Martinez dans son récent rapport.

Pour en revenir aux restes humains, vous l'avez dit, ils ne peuvent pour l'instant être restitués en raison du principe de l'inaliénabilité des collections publiques. Comme je l'ai précisé en commission, il est important de rappeler que cette inaliénabilité est un principe protecteur que nous ne souhaitons pas remettre en cause. En effet, ce principe nous permet de protéger les œuvres et le patrimoine de la nation qui se sont transmis de siècle en siècle.

En revanche, force est de constater que certains restes humains sont entrés dans nos collections dans des conditions particulièrement violentes et illégitimes. Dans ce cas, il est de notre devoir d'interroger la légitimité de leur présence dans les collections publiques.

C'est tout l'enjeu du travail de recherche de provenance, qui se doit d'être rigoureux, méthodique et scientifique, et dont nous soutenons le développement. Il doit être mené par les professionnels de nos musées, qui seront de mieux en mieux formés à ces enjeux, en lien avec nos partenaires étrangers. À partir de ces recherches, grâce à votre proposition de loi, un processus de restitution pourra être engagé dans le dialogue et la sérénité.

J'aimerais partager à nouveau avec vous les deux exemples que j'avais eu l'occasion de présenter en commission, la semaine dernière.

Le premier exemple est celui du squelette du fils d'un chef amérindien de la communauté Liempichun, qui a fait l'objet d'une demande de restitution soutenue par l'Argentine, avec laquelle nous échangeons depuis plusieurs années. Sa sépulture semble avoir été pillée par l'équipage du comte Henry de La Vaulx, qui, entre 1896 et 1897, a parcouru la Patagonie avec l'intention, notamment, de rapporter des spécimens naturalisés, mais aussi des dépouilles humaines. Il a écrit un journal dont la lecture est assez saisissante, dans lequel il reconnaît qu'il s'agit d'un sacrilège : il se définit lui-même comme un « fossoyeur ». Il affirme : « J'ai pour moi une excuse, que diable ! car je rapporterai en France un beau spécimen de la race Indienne. Qu'importe après tout que ce Tehuelche dorme en Patagonie dans un trou ou au Muséum sous une vitrine. » Vous pourrez trouver sur internet de nombreux autres extraits, mais celui-ci est déjà assez frappant…

Parmi les vestiges osseux conservés dans les vingt-neuf caisses du fond La Vaulx, voilà au moins un cas dont il nous importe désormais que des experts français et argentins questionnent la légitimité de la présence dans les collections du Muséum national d'histoire naturelle.

Le second exemple est celui des restes humains d'aborigènes d'Australie qui sont conservés depuis plus d'un siècle dans plusieurs musées français, notamment au Muséum national d'histoire naturelle, à Paris, et au conservatoire d'anatomie de la faculté de Montpellier.

En 2014, au terme d'un long et fructueux dialogue entre la France et l'Australie, il a été décidé de mandater des experts chargés de recenser d'éventuels restes humains aborigènes figurant dans les collections des musées français en vue de leur rapatriement.

Le 16 mai dernier, un comité conjoint franco-australien a pu se constituer pour trouver un accord à partir des recherches d'identification et d'authentification de restes humains qui avaient été conduites depuis 2014. Voilà à quel point le temps de la recherche peut être long, mais c'est un temps très précieux.

Une fois adoptée, votre proposition de loi facilitera la restitution prochaine de ces restes humains, le processus ici décrit correspondant en tout point à ce que vous préconisez.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, votre proposition de loi, chère Catherine Morin-Desailly, est salutaire. Je vous remercie de l'avoir élaborée à la suite de nombreux échanges avec les équipes, que je tiens à remercier, du ministère de la culture, avec des professionnels du droit, avec des musées et avec des instances internationales. Vous avez également analysé les dossiers en cours d'instruction avec l'Algérie, avec l'Australie, avec Madagascar ou encore avec l'Argentine. Par vos propositions, vous réaffirmez la nécessité du dialogue bilatéral, du respect des personnes et des communautés, et de la recherche scientifique. J'y souscris pleinement et je m'engage à tout faire pour faciliter les recherches de provenance et les travaux d'identification.

Le Gouvernement soutient cette proposition de loi, un texte de justice, de dignité et d'humanité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion