Madame la présidente, madame la ministre, madame l'ambassadrice, mes chers collègues, la proposition de loi que j'ai eu l'honneur de rédiger avec Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias a été adoptée à l'unanimité par notre commission ; elle marque l'aboutissement des travaux conduits par le Sénat sur la question particulière des restes humains.
Au-delà, et sur l'ensemble du sujet des restitutions, comme l'a souligné Catherine Morin-Desailly, qui porte depuis longtemps, avec constance et expertise, cette question au Sénat, notre pays a besoin d'affirmer une position claire et de se doter d'un cadre partagé pour répondre aux demandes de restitution en toute transparence.
Car le sujet est complexe et sensible. La sortie de ces biens met en jeu le principe d'inaliénabilité de nos collections et la vocation universaliste de nos musées.
Pour ce qui est en jeu aujourd'hui, les enjeux sont plus simples. Les restes humains ne sont pas des biens ordinaires. Leur restitution se justifie en vertu de principes qui sont non pas d'ordre patrimonial, mais liés au respect de la dignité des personnes et à la considération des cultures et des croyances d'autres peuples.
La France a d'ailleurs déjà accepté le retour de restes humains sur la terre de leurs ancêtres par la voie législative, sur l'initiative du Sénat. À cet égard, je veux de nouveau saluer le travail de Catherine Morin-Desailly.
Cependant, depuis lors, d'autres voies ont été hélas ! empruntées, au mépris du rôle du Parlement. Ce fut ainsi le cas de la remise de crânes à l'Algérie en juillet 2020, en dehors de tout cadre légal. Certes, une telle restitution correspondait à une forte attente, mais on ne peut laisser prospérer des décisions fondées sur le seul « fait du prince ».
Aussi avons-nous voulu, lors de notre mission d'information de 2020, et pour l'ensemble des restitutions, fixer un cadre permettant de vérifier si la sortie du domaine public est bien justifiée et d'échapper à un traitement législatif au cas par cas.
À la suite de ces travaux, notre proposition de loi est restée lettre morte, madame la ministre, en raison du peu d'intérêt que lui a porté votre prédécesseur, qui rejetait l'idée même d'un conseil national de réflexion.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la ligne était coupée entre le travail de fond du Sénat et une approche libérée de tout éclairage scientifique, qui était alors le choix de l'exécutif.
Nous tenions en effet à ce qu'une instance constituée de spécialistes intervienne, afin de porter une analyse objective, hors de toute passion, sur l'origine de l'œuvre, son itinéraire, les conditions de son entrée dans les collections publiques. Force est de constater que nous avons été éconduits. Les temps ont changé. Fort heureusement pour le texte que nous vous proposons, un comité scientifique, accepté par le Gouvernement, sera bien chargé d'identifier les restes humains en cas de litige.
Les critères de « restituabilité » que nous proposons font d'ailleurs consensus.
Il s'agit d'abord d'une demande portée par un État étranger concernant des restes humains datés de moins de 500 ans, appartenant à un groupe vivant dont la culture et les traditions restent actives, et dont les conditions de collecte portent atteinte au principe de la dignité humaine ou dont la présence dans des collections est incompatible avec la culture et les traditions de ce groupe vivant.
Par ailleurs, la restitution ne pourra avoir lieu qu'à des fins funéraires.
Enfin, le texte prévoit un procédé permettant au Parlement de suivre chaque année l'évolution des travaux effectués et à venir, au moyen d'un rapport annuel du Gouvernement.
Après l'adoption à l'unanimité du projet de loi-cadre facilitant la restitution de biens culturels spoliés aux familles juives durant la période nazie, nous franchissons donc aujourd'hui une nouvelle étape. Le triptyque que vous nous aviez annoncé avance au Sénat et dans le consensus. Nous vous en remercions, madame la ministre.
Vous avez ainsi annoncé un troisième texte, afin d'étudier le cas des biens culturels étrangers acquis, notamment, lors de la colonisation de l'Afrique. Nous avons, lors de notre mission, fixé des pistes concrètes et exigeantes. Le Sénat est prêt à travailler avec vous sur ce sujet plus large, mais aussi plus polémique, afin de fixer un véritable continuum juridique en matière de restitutions, dans le respect de l'ensemble des cultures.
Notre ligne sera la même : éclairer l'exécutif par une analyse scientifique indépendante portant sur l'œuvre, ses origines et son parcours, afin d'éviter polémiques, réécriture historique et fait du prince.
Mais, ce soir, il s'agit d'approuver un texte que nous avons élaboré au Sénat et que vous soutenez.
Madame la ministre, en vous remerciant de votre écoute et en vous redisant notre disponibilité et nos convictions pour la mise sur pied du troisième volet de ce triptyque, le groupe Les Républicains votera bien sûr cette proposition de loi.