Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner la proposition de loi de notre collègue Vincent Capo-Canellas relative à la prévisibilité de l'organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l'adéquation entre l'ampleur de la grève et la réduction du trafic.
Ce texte porte sur un sujet bien identifié par le grand public : les conséquences sur le trafic aérien des mouvements sociaux des contrôleurs aériens employés au sein de la direction générale de l'aviation civile.
Le cadre actuel de ces mouvements sociaux n'est pas satisfaisant. Certes, les organisations syndicales de la DGAC doivent déposer un préavis de grève cinq jours avant le début de tout mouvement, mais il est très difficile pour l'administration d'anticiper l'ampleur réelle de chaque grève. La DGAC n'a actuellement aucun moyen de savoir avec précision combien d'agents décideront d'y participer.
Il résulte de cette situation d'incertitude que les abattements de vols réalisés par la DGAC sont fréquemment bien plus élevés que nécessaire, afin d'éviter les annulations de dernière minute, dites « à chaud », qui sont les plus pénalisantes pour les compagnies aériennes comme pour les passagers. La réduction du trafic qui résulte de la grève est donc disproportionnée au regard de la participation parfois très faible du personnel au mouvement.
Le fonctionnement actuel est déroutant : il permet aux contrôleurs aériens d'annoncer qu'ils vont faire grève sans avoir besoin de réellement passer à l'action. Comme les « abattements » de vols ont lieu avant le début du mouvement, les effets recherchés de la grève sur la réduction de trafic sont déjà atteints avant même qu'elle ne commence.
Il arrive aussi, parfois, que la DGAC ait une analyse trop optimiste de la situation et annule en amont moins de vols qu'il n'aurait été nécessaire. Il faut alors procéder en urgence à des annulations « à chaud ». Celles-ci désorganisent très fortement le trafic aérien. Des passagers déjà arrivés dans les terminaux, voire dans les avions, voient leur vol annulé. Cela peut donner lieu à des troubles à l'ordre public, liés à la présence dans les aéroports de nombreuses personnes courroucées face à ces situations difficiles.
Cette incertitude est en outre pénalisante pour les contrôleurs aériens eux-mêmes. En cas de grève, il est en effet possible de déclencher un dispositif de service minimum, afin d'assurer la continuité du service public et une certaine partie des opérations, en particulier celles liées aux vols vers la Corse et les outre-mer et au survol du territoire français. La DGAC est donc souvent obligée de déclencher préventivement ce dispositif, et ce même quand le nombre de grévistes s'avère en définitive faible, si bien qu'il n'aurait pas été nécessaire de le mettre en place.
Ce service minimum implique des réquisitions de personnel. Les contrôleurs réquisitionnés ne peuvent, de facto, participer au mouvement de grève, quand bien même ils l'auraient voulu. Le service minimum a aussi pour effet de fragiliser la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée. Parfois, le service minimum peut même être mis en place assez tardivement. Il est alors difficile de notifier aux contrôleurs leur réquisition et il arrive – dans de rares cas, il est vrai – que les forces de l'ordre doivent s'en charger. Cette situation n'est évidemment pas pleinement satisfaisante.
Au cours des derniers mois, ce système a montré ses limites de façon très claire, en particulier le 11 février dernier, quand des contrôleurs aériens ont rejoint une grève de la fonction publique qui n'avait même pas été relayée en interne par les syndicats de la DGAC. Il en a résulté de nombreuses annulations à chaud. Les semaines suivantes, le service minimum a été fréquemment mis en place, ce qui a dégradé le climat de travail à la DGAC, ce dispositif étant lourd de conséquences et complexe à organiser tant pour les contrôleurs aériens que pour leur direction.
La coupe du monde de rugby et les jeux Olympiques approchant à grands pas, une réforme de ce système est plus que jamais nécessaire.
La présente proposition de loi vise à remédier à cette situation. Elle crée une obligation, pour les contrôleurs aériens, de se déclarer individuellement grévistes l'avant-veille du mouvement de grève, avant midi. Ils ont la possibilité de renoncer à leur participation au mouvement jusqu'à dix-huit heures le même jour.
Sur la base de ces informations, l'autorité administrative pourra décider de mettre en place le service minimum. Elle disposera, pour ce faire, d'un délai contraint : également jusqu'à dix-huit heures l'avant-veille du mouvement.
L'information contenue dans les déclarations permettra à l'autorité administrative de déterminer avec précision le nombre de vols à annuler. Les adaptations du trafic aérien seront donc mieux proportionnées à l'ampleur du mouvement, et les annulations à chaud pourront ainsi, nous l'espérons, être évitées.
Cette déclaration individuelle s'inscrirait dans le prolongement de déclarations similaires existant déjà dans le secteur des transports, depuis 2007 dans le transport terrestre régulier de voyageurs et depuis 2012 pour les autres travailleurs du secteur aérien. Les contrôleurs aériens n'avaient pas été inclus dans le champ de la loi Diard de 2012 créant une obligation de déclaration individuelle de participation à la grève, car ce texte ne concernait que le secteur privé, alors que les contrôleurs relèvent de la fonction publique de l'État.
Le texte adopté par la commission prévoit, pour les déclarations individuelles ainsi créées, une protection équivalente à celle dont bénéficient les déclarations instaurées par la loi Diard. En commission, nous avons adopté un amendement tendant à préciser qu'elles seront couvertes par le secret professionnel. En outre, toute utilisation à d'autres fins que celles prévues dans le texte serait passible de sanctions pénales.
La proposition de loi reprend donc le principe de la loi Diard, mais n'en constitue pas un simple calque. En effet, il était notamment nécessaire de veiller ici à l'articulation entre la déclaration individuelle et le service minimum.
Pour l'examen de cette proposition de loi, j'ai cherché à m'inscrire dans une philosophie de recherche de l'équilibre et de pragmatisme. Le texte adopté par la commission est pleinement en phase avec cette exigence. Il est adapté au cadre d'exercice des contrôleurs aériens et remédie à ses principales insuffisances.
Il crée certes une obligation pour les contrôleurs, la déclaration individuelle, mais il en crée également une pour l'administration, puisque le délai de déclenchement du service minimum est contraint.
Le texte résorbe les principales difficultés du système actuel pour les passagers, puisque moins de vols seront annulés préventivement et « à chaud », mais aussi pour les contrôleurs aériens, puisque le service minimum sera déclenché moins souvent et plus tôt.
Je souhaite donc que cette proposition de loi, saluée par notre commission, puisse être adoptée largement par notre assemblée, afin que la navette se poursuive et que l'Assemblée nationale puisse à son tour, rapidement, faire siennes ces dispositions constructives, qui vont dans le bon sens.