Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme l’écrivait Albert Camus dans Les Justes, « on commence par vouloir la justice et on finit par organiser une police ». C’est un peu mon sentiment à la suite de l’examen des deux projets de loi qui sont aujourd’hui soumis à notre vote.
Je suis très inquiète – et je ne suis pas la seule ! – de la tournure que prennent certaines mesures, notamment la possibilité d’activer à distance tout appareil électronique prévue à l’article 3 du projet de loi ordinaire.
Cette disposition, bien qu’elle ait été amendée par le Sénat, pourrait ouvrir la voie à une surveillance intrusive et généralisée remettant en question le droit fondamental au respect de la vie privée. Les garanties envisagées seront-elles suffisantes ?
Privilégier la sécurité au détriment de la liberté individuelle, c’est nous orienter vers une société que personne ne souhaite.
Imaginez-vous un seul instant ces instruments législatifs entre les mains d’un gouvernement extrémiste ? Nous aurons alors signé de nos propres mains l’arrêt de mort de notre État de droit. Il est impératif de veiller à ce que notre système judiciaire ne permette pas de dériver vers un État policier.
Je regrette que le texte ne mette pas davantage l’accent sur l’administration pénitentiaire, la mal-aimée des missions incombant à la justice – certains d’entre nous l’ont déjà dit.
Il est vrai que vous avez augmenté considérablement le budget du ministère, mais, si c’est pour construire toujours plus de prisons, votre démarche est vaine. Vous le savez autant que moi, sinon mieux : la création de nouvelles places de prison ne fera pas baisser le taux de surpopulation carcérale. La logique du « tout carcéral » n’a jamais fait ses preuves. Il est donc temps de mener une réflexion sérieuse autour des peines alternatives et de la réinsertion.
Je pense également aux détenus vulnérables et qui ne reçoivent pas de soins : ils n’ont absolument pas leur place en cellule et devraient plutôt être admis en service psychiatrique.
Monsieur le garde des sceaux, il y a encore tant à faire pour réformer la justice. Je vous le concède : tout ne se fait pas du jour au lendemain. Il n’est pas possible de rattraper trente années d’immobilisme politique en matière judiciaire comme cela.
Je ne suis pas de mauvaise foi, et je ne peux nier les efforts qui sont entrepris pour redresser notre système judiciaire. Il faut poursuivre cette dynamique en matière budgétaire, mais il est encore possible de réformer d’une façon plus complète, plus équitable, plus transparente et plus respectueuse des droits et des libertés.