Comme tous les biens appartenant aux collections publiques, les restes humains sont inaliénables. Ils ne peuvent pas être restitués sans avoir été préalablement sortis des collections, ce qui implique l’autorisation du législateur. D’où le nombre très faible de demandes de restitution auxquelles la France a accédé jusqu’ici : cinq en tout, et encore seulement deux ont été réalisées par voie parlementaire, qui est pourtant la seule juridiquement licite. Souvenons-nous de la restitution en 2020 des crânes algériens par le biais d’une convention de dépôt !
C’est la raison pour laquelle la commission de la culture plaide, depuis déjà plusieurs années, pour l’adoption d’une dérogation de portée générale au principe d’inaliénabilité des collections permettant de simplifier la procédure de traitement des demandes de restitution.
Nous sommes en effet convaincus que notre pays a besoin d’affirmer une position claire et de se doter d’un cadre pérenne pour répondre, en toute transparence et selon des critères objectifs, aux demandes de restitution.
Nous ne pouvons pas ignorer l’existence d’une attente sur le plan international qui provient, au-delà des seuls pays demandeurs, d’organisations internationales comme l’Unesco ou le Conseil international des musées – International Council of Museums (Icom) –, qui appellent à la mise en place de pratiques plus éthiques. Ce texte a donc du sens sur les plans éthique comme diplomatique.
Le Sénat avait déjà voté en 2020 une proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, dont l’article 2 met en place une telle dérogation. L’opposition du Gouvernement à son article 1er a malheureusement empêché la poursuite de la navette parlementaire.
La commission se réjouit donc de cette nouvelle initiative, émanant d’une partie de ses membres, qui pourrait enfin permettre de lever les obstacles juridiques qui pèsent sur les restitutions de restes humains.
Je veux dire combien ce texte est une œuvre collective, madame la ministre, ce qui n’a rien d’étonnant au regard du rôle moteur que le Sénat a toujours joué en matière de restitution de restes humains.
J’aimerais rendre hommage au travail de nos anciens collègues, Nicolas About et Philippe Richert, qui se sont mobilisés dès le début des années 2000 pour nous sensibiliser à cet enjeu et faire en sorte que notre pays y apporte une réponse appropriée, notamment dans le cas de la restitution de la « Vénus hottentote ».
J’aimerais aussi remercier mes collègues Max Brisson et Pierre Ouzoulias, coauteurs de cette proposition de loi, avec lesquels j’ai poursuivi ces dernières années le travail de notre commission en matière de restitution de biens culturels.
Je voudrais également saluer les travaux du groupe de travail sur la problématique des restes humains dans les collections publiques, animé par Michel Van Praët et Claire Chastanier, qui découle de la loi du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections et qui a contribué à faire avancer la réflexion sur les conditions auxquelles le retour des restes humains serait possible.
Je voudrais, enfin, vous remercier, madame la ministre, du soutien que vous nous avez apporté, ainsi que vos équipes, dans la préparation de cette nouvelle proposition de loi.
La commission a jugé le texte équilibré pour répondre de manière satisfaisante aux différents enjeux. Le cadre législatif mis en place fixe des critères suffisamment précis et objectifs pour justifier qu’il puisse être dérogé au principe d’inaliénabilité sans prendre le risque d’une remise en cause de ce principe.
Le caractère scientifique et partenarial de l’instruction des demandes permet à la fois de se prémunir contre des restitutions qui seraient le fait du prince tout en facilitant la mise en place de coopérations scientifiques et culturelles bilatérales.
La commission espère que l’examen de ce texte pourra, cette fois-ci, aller jusqu’à son terme tant il répond à un réel besoin. Nous attendons du Gouvernement qu’il octroie aux établissements publics des moyens nouveaux pour leur permettre d’approfondir le travail de recherche sur leurs collections.
C’est une condition indispensable pour que les dispositions de ce texte aient un effet réel. Aujourd’hui, l’identité, l’origine et la trajectoire de la plupart des restes humains conservés dans nos collections sont inconnues, ce qui empêche évidemment des pays tiers de formuler des demandes de restitution.
Pour finir, la commission est consciente que ce texte n’apporte de solution pérenne qu’aux États étrangers, laissant de côté le sujet des restitutions de restes humains d’origine française. La commission est convaincue qu’il existe pourtant une problématique ultramarine nécessitant un traitement particulier compte tenu des liens étroits entre ces territoires et notre passé colonial. Toutefois, la procédure mise en place au travers de la présente proposition de loi, conçue dans une logique interétatique, ne paraît pas transposable en l’état aux territoires d’outre-mer, qui s’inscrivent dans une logique nationale.
C’est la raison pour laquelle la commission a chargé le Gouvernement de remettre au Parlement, d’ici à un an, un rapport identifiant des voies de restitution pérennes susceptibles d’être mises en place pour répondre aux demandes légitimes de retour des restes humains d’origine ultramarine.
Pour reprendre une métaphore déjà filée par notre collègue Pierre Ouzoulias, l’odyssée législative n’est donc pas tout à fait terminée. Je remercie particulièrement le président de la commission, Laurent Lafon, d’avoir soutenu et accompagné ce travail tout au long d’un processus qui, finalement, ne fait que commencer.