Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons la liberté de croire qu’en ce jour du 15 juin 2023, nous pouvons, par notre voix, envoyer un signe fort en amplifiant la lutte contre le fléau des agressions sexuelles sur mineurs.
Aujourd’hui, nous avons la volonté d’affirmer que nous ne voulons plus un seul pleur, plus aucun sanglot ni aucune larme de honte sur les joues d’un enfant qui pratique une activité sportive. Nous voulons des larmes de joie et des étoiles dans les yeux, des émotions que seul le sport sait si bien nous procurer.
Mes chers collègues, nous avons le devoir de protéger les enfants – nos enfants ! – et de leur permettre de s’épanouir sans entrave aucune à l’accomplissement de leur humanité. Tous les enfants méritent que nous leur prêtions attention, et il en est trop parmi eux qui souffrent et que l’on n’entend pas, qui ne parlent pas et qui peut-être ne parleront jamais de leur enfance volée, portant en silence un lourd fardeau qui, après avoir détruit leur corps, a brisé leur âme.
Écoutons les témoignages rendus publics, ceux des victimes de la pédophilie ; écoutons leur exigence de justice ! Quelque 75 % des enfants connaissent leurs agresseurs, mais peu osent les dénoncer par peur de représailles et, surtout, par honte.
La pratique sportive fournit un terreau favorable à l’apparition de ces violences. Les contacts physiques, souvent nécessaires, et le dépassement de soi sont autant de situations à risque, tout comme l’écosystème de la pratique sportive : vestiaires, douches, covoiturage, stages, internats ou encore soirées festives sont autant de lieux ou de circonstances dans lesquels les prédateurs chassent leurs proies, vulnérables et prises au piège.
Le leadership autoritaire peut déséquilibrer le rapport de force entre les entraîneurs et les athlètes, d’autant que, dans le sport, le genre masculin prédomine et peut conduire à des abus de position dominante. En outre, c’est un milieu où les incidents sont facilement étouffés et où l’omerta prédomine.
Cette difficulté à assumer son état de victime et à le faire reconnaître, Sarah Abitbol, dix fois championne de France, médaillée de bronze aux jeux Olympiques et aux championnats du monde, femme courageuse, l’a subie durant trente longues années. Il en a fallu du temps pour que ce « si long silence » se brise et que l’omerta soit rompue.
Oui, il y a eu un avant et un après Sarah Abitbol ! Son témoignage est l’un de ceux qui font boule de neige, puisqu’en témoignant, Sarah a entraîné 200 athlètes dans son sillage dans près de quarante fédérations différentes.
Non, ce n’était pas elle la coupable ! Le coupable, c’était son entraîneur, cette personne de confiance, celui – je cite – qu’« on redoutait par ses colères, son charisme, sa violence durant les entraînements quand il nous projetait au sol, celui en qui mes parents avaient toute confiance pour m’accompagner après les entraînements, lui qui prétendait me faire travailler davantage, car j’avais mauvais caractère », lui qui demandait à Sarah de taire ce lourd « secret » ! Ce mécanisme d’emprise bien rodé est régulièrement décrit pas les sportifs qui ont accepté de se confier.
Pourtant, malgré ces témoignages, 40 % des victimes seulement pourront mener leurs agresseurs jusqu’au procès, puis à une condamnation. Pourquoi ? La raison est bien sûr la prescription, mais aussi la honte éprouvée par les victimes : elles ont peur de porter, une vie durant, le fardeau de leur confession. Grâce au courage de ces athlètes et au témoignage poignant de Sarah Abitbol, le mouvement de libération de la parole a gagné le champ du sport pour que la honte et la peur puissent changer de camp.
Mes chers collègues, le texte que nous allons examiner est la proposition de loi Abitbol. Je la défends avec beaucoup d’émotion, d’humilité et de pudeur, mais avec un profond engagement. Je sais pouvoir compter sur vous toutes et tous, mes chers collègues, et sur vous, madame la ministre.
C’est pourquoi, aujourd’hui, j’en appelle cette chambre à travailler de concert pour sanctuariser plus encore le milieu du sport, afin que les plus jeunes soient en sécurité, que chaque parent puisse confier son enfant sans crainte et que cela permette surtout de lever tout soupçon qui pourrait planer sur les clubs.
Dans ma quête de la compréhension du phénomène, j’ai été très souvent bouleversé par le récit glaçant des victimes. J’ai été le témoin indirect des souffrances qu’elles ont endurées. Ces témoignages d’une violence inouïe et d’une telle perversité m’ont touché au plus profond de l’âme.
J’ai rencontré des dirigeants de club qui, parfois, n’ont pas pris la mesure du fléau, cherchant à minimiser, souvent par méconnaissance des mécanismes utilisés par les prédateurs. Pourtant, nombre d’entre eux ont conscience que tout cela est inacceptable et s’engagent à lutter contre les violences sexuelles. Ils reconnaissent pourtant se trouver démunis par manque d’information, de formation et, surtout, de temps, pointant les contraintes et les limites du bénévolat.
Dans les faits, on estime que près d’un sportif sur sept déclare avoir fait l’objet d’atteinte à son intégrité. Il n’y a pas une semaine sans qu’un témoignage d’agression sexuelle soit rendu public. Nous devons agir en amont pour couper l’herbe sous le pied des prédateurs.
La lutte contre les violences sexuelles est un Everest que nous devons gravir pas à pas. Cette proposition de loi n’est qu’un pas de plus : elle vise à améliorer les dispositifs existants de protection des mineurs en renforçant l’incapacité d’exercer des potentiels prédateurs. Accompagnons Mme la ministre dans son combat pour un sport éthique, et en particulier contre les violences sexuelles.
Déjà en 2019, la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions, conduite par nos collègues Catherine Deroche et Michelle Meunier, tendait à appeler à un renforcement du contrôle de l’honorabilité des adultes en contact avec les enfants en appliquant partout les « meilleurs standards ».
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a complété le champ des personnes soumises au contrôle de l’honorabilité dans le sport : aux côtés des encadrants et des éducateurs sportifs professionnels, les éducateurs sportifs bénévoles sont désormais soumis à l’obligation d’honorabilité.
À cette fin, un système d’information automatisé des personnes concernées disposant d’une licence a été mis en place. Pourtant, force est de constater qu’il demeure des situations où des adultes sont placés au contact d’enfants sans qu’ils soient réellement contrôlés, sans qu’ils aient fait preuve de leur honorabilité.
Je propose d’inverser la charge de la preuve pesant actuellement sur les victimes en la faisant porter par les adultes, qui doivent attester de leur honorabilité dès lors qu’ils sont au contact de mineurs.
Je souhaite que l’on puisse s’assurer que ce contrôle est bien opéré, mais je souhaite aussi responsabiliser l’ensemble des acteurs du milieu sportif en incitant chaque club à prendre une part active dans la prévention, évitant ainsi d’exposer les enfants à des risques que l’on pourrait mieux anticiper. Que les agresseurs se sentent visés et traqués, qu’ils sachent que les adultes forment autour des enfants une chaîne solide de contrôle et de protection.
Je salue le travail de notre collègue rapporteur, Jean-Jacques Lozach, qui a su ménager les ambitions transcrites d’un texte visant à renforcer les contrôles pesant sur les adultes et le nécessaire besoin de préserver le bénévolat dans les clubs et associations.
Ce texte ressort enrichi des auditions qui ont été menées et du débat parlementaire en commission, grâce à une collaboration étroite avec les services du ministère. Je tenais à saluer cette avancée collective et transpartisane au service d’une cause universelle. Cette proposition de loi a été construite au travers d’échanges et avec la volonté d’agir vite.
Les membres de la commission ont complété le dispositif proposé en renforçant le régime des incapacités et l’obligation pour les dirigeants de club de signaler les comportements à risque sauf à s’exposer eux-mêmes à des sanctions pour lesquelles les préfets disposeront de moyens coercitifs.
Nous proposons d’introduire dans le champ sportif le renforcement du contrôle d’honorabilité dont a bénéficié le secteur social et médico-social par la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, à savoir le fait qu’une inscription d’une condamnation au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) maintienne l’incapacité d’exercer même si la condamnation a disparu du casier judiciaire B2 de la personne en doute.
Preuve que la cible est juste, les auditions par la cellule ministérielle qui recense depuis 2021 les violences sexuelles dans le sport ont révélé que, sur la moitié des éducateurs et des encadrants licenciés bénévoles contrôlés, soit un million, 440 incapacités ont déjà été notifiées. La démonstration est ainsi faite qu’il est nécessaire d’ajuster les choses pour arriver à contrôler chaque année l’intégralité des 2 millions d’éducateurs bénévoles licenciés.
Je prends donc acte des améliorations adoptées à l’unanimité par la commission de la culture, et les fais miennes.
Au cours des auditions de sportifs et d’associations de victimes, tous les intervenants ont insisté sur la nécessité d’impliquer plus encore les clubs. Je suis intimement persuadé que c’est au sein de ces derniers, au quotidien, en sensibilisant les acteurs de terrain placés au contact des jeunes sportifs, que se trouve l’une des clés de la réussite de notre combat.
C’est pourquoi, au-delà de ce texte et du contrat d’engagement républicain entre l’État et les fédérations, il nous faut étudier l’opportunité de créer un référent intégrité par club. Il serait en contact étroit avec la cellule Signal-sports, formé pour mieux détecter et prévenir les gestes et pratiques à risque, chargé de recueillir la parole des victimes et, le cas échéant, de signaler tout comportement déviant auprès des instances compétentes et de l’administration.
Je remercie vivement l’ensemble des sportifs, des artistes et des représentants d’associations de victimes qui ont publié une tribune ce matin dans L ’ Équipe en soutien à notre texte pour continuer à lutter contre les violences sexuelles dans les milieux sportifs.
Pour conclure, je vous propose, madame la ministre, en cette année de coupe du monde de rugby et à l’approche des jeux Olympiques, de décréter la lutte contre les violences sexuelles dans le sport grande cause internationale en demandant aux équipes de France de porter sur leur maillot la marque de cet appel.
Mes chers collègues, soyons dignes devant la souffrance de toutes ces sportives et de tous ces sportifs victimes. Soyons dignes devant leur courage à briser le silence. Montrons l’engagement fort de la France au reste du monde. Luttons pour que la honte change définitivement de camp.