Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Réunion du 15 juin 2023 à 14h45
Registre national des cancers — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Agnès Firmin Le Bodo :

« Notre combat contre le cancer est juste ; notre combat pour les personnes atteintes du cancer est éminemment juste. » Dans ces mots du président d’honneur de la Ligue contre le cancer, le très regretté professeur Axel Kahn, transparaît ce qui nous rassemble et nous anime : nous engager, nous investir et innover, pour avancer chaque jour dans l’amélioration des connaissances scientifiques en oncologie, qui permettent de toujours mieux traiter et mieux accompagner les patients souffrant d’un cancer.

Je sais que c’est l’objectif qui a présidé à l’élaboration de cette proposition de loi. Et je tiens à saluer l’engagement qui est le vôtre, madame la rapporteure, en tant que représentante politique et en tant que médecin, pour faire avancer cette cause importante, ainsi que le vôtre, madame Sonia de La Provôté, qui l’avez rappelé dans votre préambule.

La cause est importante et nous concerne tous. Près de 4 millions de nos concitoyens vivent aujourd’hui, à différents degrés, avec le cancer.

Derrière les diagnostics, toujours difficiles, il y a des individus qui se battent. Il y a des vies, des familles et des projets que l’on peut reconstruire.

Oui, le cancer tue ; le cancer laisse souvent des fardeaux de séquelles. Mais, aujourd’hui, grâce aux progrès de la science, on peut guérir du cancer. Grâce aux avancées de la médecine, les traitements sont de plus en plus ambulatoires, de moins en moins aliénants et plus faciles à supporter : on vit mieux avec le cancer.

Dépistage, prévention, prises en charge innovantes, nouvelles thérapies… sont autant d’armes contre le cancer, qui font que les chances de guérison des malades progressent de jour en jour.

Au XXIe siècle, nous touchons réellement et résolument du doigt l’espoir de vaincre cette maladie.

À la racine de tous ces progrès, de tous ces espoirs et de toutes ces avancées, il y a toujours la recherche scientifique, notamment la collecte et l’analyse de données, qui nous permettent de progresser, chaque jour, dans l’évaluation des facteurs de risque du cancer ou dans la classification des tumeurs.

En effet, que ce soit en épidémiologie, bio-informatique ou biostatistique, la data est une clé majeure pour mieux comprendre les différents cancers et leurs spécificités. En effet, le terme « cancer » recouvre plus d’une centaine de maladies différentes, sans compter un grand nombre de sous-catégories.

Aussi, c’est une priorité forte du ministère de la santé et de la prévention que de se donner les moyens d’observer et de suivre, de manière exhaustive et approfondie, la prévalence, les déterminants et les évolutions des cancers, pour agir de la manière la plus anticipée et la plus ciblée possible sur la maladie.

En matière de données de santé, il faut souligner combien notre pays est avancé et dispose d’atouts considérables.

Notre SNDS, en particulier, est un ensemble unique au monde par sa richesse et son exhaustivité. Il est composé de toute la base médico-administrative de l’assurance maladie, mais aussi du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), ainsi que du registre des causes de décès.

Le cancer est une maladie qui nécessite un suivi et des soins coûteux prolongés. À ce titre, tous les patients atteints sont naturellement, de droit et automatiquement, considérés comme relevant du régime de l’affection de longue durée (ALD), qui leur permet de bénéficier de soins pris en charge à 100 % par l’assurance maladie.

Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, les données relatives au traitement de chacun des patients pris en charge en France pour un cancer sont déjà répertoriées dans notre système national des données de santé.

Et c’est sans compter la multiplicité des initiatives complémentaires. Je pense aux registres spécialisés, pour les cancers digestifs ou les cancers pédiatriques, par exemple, ou encore à l'Onco Data Hub, piloté par Unicancer.

La mise en place de Mon espace santé, le carnet de santé numérique, créé pour déjà plus de 60 millions de nos concitoyens, ouvre également de nouvelles perspectives pour une vision, qualitative et quantitative, toujours plus exhaustive de l’état de santé de la population et de son évolution, en particulier concernant le cancer.

Vous le voyez, la croissance des données émises, stockées, utilisées et échangées chaque jour par les établissements, administrations, laboratoires et professionnels de santé est exponentielle.

C’est pourquoi, aujourd’hui, le débat n’est pas tant de constituer une base de données nationale des cancers, qui, je le répète, existe, et s’enrichit en temps réel. L’enjeu est de mettre cette ressource précieuse au service des progrès de la recherche et de répondre au défi d’avenir que constitue le traitement algorithmique des données de santé.

C’est tout l’objet de la mise en place, depuis 2019, de la Plateforme des données de santé. Cette infrastructure numérique innovante nous permet de faciliter le partage et, surtout, l’analyse croisée des données de santé, issues de sources variées, et, en premier lieu, de la base anonymisée du SNDS.

La dynamique actuelle de déploiement d’entrepôts de données de santé hospitalières vient soutenir cette démarche. Avec 40 millions d’euros de financements dédiés, issus de la stratégie d’accélération de la santé numérique du plan France 2030, six projets ont déjà été sélectionnés. Ces lauréats, pleins de potentiel, constituent la première pierre d’un vaste réseau national interopérable de production partagée et de partage fluide de données hospitalières que nous voulons, à terme, constituer.

Ces données hospitalières sont particulièrement profitables à la recherche en oncologie. Elles viennent utilement compléter les informations administratives de l’assurance maladie d’informations cliniques de « vie réelle ».

Ces données de « vie réelle » sont les plus utiles, les plus pertinentes et les plus intéressantes.

C’est pourquoi nous continuons de resserrer le maillage des hôpitaux équipés pour le traitement de leurs données. La seconde vague de l’appel à projets d’entrepôts hospitaliers a ainsi bénéficié d’une enveloppe supplémentaire de 25 millions d’euros.

Il faut bien garder en tête que la valeur de toutes ces données de santé n’est pas intrinsèque.

La valeur de la donnée est définie par son utilisation, et non par sa nature, par le service rendu pour l’utilisateur, et les progrès qu’elle permet.

Elle est proportionnelle à la connaissance intégrée et se détermine par le niveau de partage, la qualité et la quantité des échanges et des connexions qu’il est possible d’établir entre les différentes sources de données.

Ainsi, il s’agit tout autant d’explorer toutes les possibilités d’usage et de valorisation de ces données que de développer encore de nouveaux outils technologiques qui auront la capacité de décupler leurs facultés, par exemple en observant différentes échelles simultanément et en multipliant les croisements d’informations.

C’est ce à quoi s’attachent aujourd’hui nos organismes spécialisés dans la lutte contre le cancer, comme l’INCa, institution à laquelle je veux rendre hommage et dont je salue l’expertise sanitaire et scientifique des membres.

C’est également l’un des objectifs majeurs poursuivis lorsque nous déployons des efforts inédits pour mettre en place et développer dans notre pays les structures de pointe que sont les instituts hospitalo-universitaires (IHU) et les bioclusters.

Le premier biocluster, inauguré au mois de février dernier, le Paris-Saclay Cancer Cluster, est d’ailleurs centré autour de l’enjeu qui nous préoccupe aujourd’hui, comme le reflet de l’importance prioritaire que le Gouvernement attache à cette question.

Je voudrais aussi mentionner combien il est important, pour avancer dans la connaissance du cancer, d’adopter une vision globale.

Les données concernant la maladie doivent être croisées entre elles, mais aussi mises en perspective avec toute la richesse qu’offre notre système national, et même au-delà.

La recherche contre le cancer ne pourra que bénéficier d’un meilleur partage international des informations administratives, cliniques et statistiques.

Sur cette question aussi, la France fait figure de leader. La présence du Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à Lyon, où sont mises à disposition des chercheurs les bases de données mondiales de référence en oncologie, nous permet d’enrichir encore notre panel scientifique en la matière.

Vous l’aurez compris, si je soutiens tout à fait la démarche transpartisane à l’origine du texte que nous examinons, il me semble bel et bien qu’en 2023, l’heure n’est plus à la constitution de registres !

Nous disposons aujourd’hui d’une ressource formidable, exhaustive et immense en matière de données de santé, et particulièrement en oncologie. Le défi du XXIe siècle est, je le crois, de concentrer nos efforts à en explorer les possibilités.

J’entends néanmoins vos arguments, qui témoignent de l’importance que vous accordez à cet enjeu prioritaire.

C’est pourquoi, malgré les réserves exprimées sur l’opérationnalité de la mesure et, surtout, conscient que la lutte contre le cancer doit mobiliser les énergies et les bonnes volontés, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat sur cette proposition de loi, en soulignant que, si la navette devait se poursuivre, le texte nécessitera encore un travail collectif soutenu.

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