Intervention de Rima Abdul-Malak

Réunion du 12 juin 2023 à 16h00
Réforme de l'audiovisuel public — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Rima Abdul-Malak  :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication – cher Laurent Lafon –, monsieur le rapporteur – cher Jean-Raymond Hugonet –, mesdames, messieurs les sénateurs, l’audiovisuel public et la souveraineté audiovisuelle sont deux enjeux majeurs.

Aussi, je suis ravie que cette initiative nous donne l’occasion d’en débattre aujourd’hui. Il s’agit, j’y insiste, de deux fortes priorités du Gouvernement, sur lesquelles nous œuvrons avec détermination depuis six ans.

Cette proposition de loi témoigne, je le crois, de notre attachement commun à un audiovisuel public fort. Il est important de le rappeler à l’heure où certains remettent en cause son existence et plaident pour sa privatisation.

Rappelons tout d’abord que, à l’issue de l’ambitieux plan de transformation mis en œuvre ces dernières années, les résultats de l’audiovisuel public sont meilleurs que jamais. Celui-ci s’impose en effet comme le premier média des Français, en radio comme en télévision : 50 millions de téléspectateurs regardent les programmes de France Télévisions chaque semaine ; Radio France est écoutée chaque jour par plus de 15 millions d’auditeurs ; la part d’audience d’Arte a atteint un niveau historique ; chaque semaine, à travers le monde, Radio France internationale (RFI), France 24 et Monte-Carlo Doualiya rassemblent 260 millions de personnes.

Bien sûr, il est toujours possible de faire mieux, et nous ne manquons pas d’ambition à cet égard.

Le développement numérique de l’audiovisuel public s’est aussi accéléré, avec des résultats remarquables, qui s’appuient notamment sur le développement des coopérations. J’y reviendrai.

En 2020, c’est vrai, le Gouvernement avait présenté un projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique. Avec ce texte, il entendait favoriser les coopérations entre France Télévisions, Radio France, France Médias Monde (FMM) et l’Institut national de l’audiovisuel (INA) au travers de la création d’une holding.

La crise sanitaire a interrompu ce projet, mais pas l’accélération des coopérations. Cette démarche a porté ses fruits. Le média global France Info, qui est devenu le premier site d’information en ligne en France, est le fruit de la coopération entre toutes ces entreprises. Sa couverture quotidienne a doublé en cinq ans.

En ce qui concerne la proximité, France Bleu et France 3 ont lancé une plateforme commune sous la marque « Ici » et ont groupé leurs forces.

Depuis 2020, la plateforme Radio France rassemble toute l’offre de podcasts du service public. Elle est passée voilà un an devant Apple Podcasts. Un podcast sur deux qui est écouté aujourd’hui en France est un podcast de l’audiovisuel public.

Les entreprises ont créé ensemble Culture Prime, offre culturelle commune sur les réseaux sociaux, et l’offre d’éducation Lumni. Il y a aussi des coopérations moins visibles, dites de gestion, mais qui n’en sont pas moins très importantes, par exemple la mise en place d’un club pour des achats groupés ou la coopération en matière de cybersécurité.

Ces projets communs reposent sur une gouvernance souple et agile, qui permet aux équipes de définir ensemble les modalités les plus pertinentes de coopération, projet par projet. Cette agilité est un atout pour répondre aux nouveaux défis, devenus plus pressants. En effet, comme vous l’avez vous-même rappelé, depuis l’examen du projet de loi porté par Franck Riester, le contexte a beaucoup changé.

Je pense tout d’abord à la crise de l’information, face à la multiplication des fausses nouvelles et des manipulations. Ce « chaos informationnel », pour reprendre les mots de Christophe Deloire, de Reporters sans frontières, s’est accéléré depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Je pense aussi à la place prise par les plateformes, qui ont encore gagné du terrain depuis la crise sanitaire. Il y a donc urgence à accélérer également sur le numérique.

Dès mon arrivée au ministère de la culture, en mai dernier, j’ai souhaité poursuivre et amplifier une dynamique qui porte ses fruits, en engageant rapidement les travaux de préparation des nouveaux contrats d’objectifs et de moyens. J’ai fait part de ma volonté de signer des contrats synchronisés entre eux et sur la durée de la mandature, à savoir cinq ans, de 2024 à 2028, au lieu de trois ans précédemment, afin de garantir aux sociétés la visibilité dont elles ont besoin pour faire face à ces défis.

J’ai souhaité bâtir ces contrats en m’appuyant sur des concertations approfondies avec l’ensemble des acteurs : les dirigeants de l’audiovisuel public français et européen et les organisations professionnelles, mais aussi vous, mesdames, messieurs les sénateurs, vos collègues de l’Assemblée nationale et l’Arcom.

J’ai relevé un large consensus sur cinq enjeux prioritaires : information, proximité, création, jeunesse et numérique. J’ai aussi pu constater l’engagement et la disponibilité totale des entreprises pour coopérer au service de ces priorités. L’approfondissement des coopérations sera donc un axe majeur des nouveaux contrats.

Les parties prenantes que j’ai consultées ont formulé énormément de propositions très précises sur la détection des fausses informations, les investissements technologiques, la recherche et le développement, la mutualisation de la formation, etc.

Pour la première fois, un contrat spécifique signé par toutes les entreprises sera consacré aux coopérations dans les COM, avec un calendrier de mise en œuvre, des objectifs précis et des indicateurs.

Des leviers pour renforcer le pilotage peuvent être identifiés. Un conseil stratégique des présidents de l’audiovisuel public pourrait se réunir mensuellement et se décliner avec des réunions des membres des comités exécutifs sur les sujets majeurs. La part variable de la rémunération des dirigeants pourrait par ailleurs davantage dépendre de leur capacité à mener à bien les chantiers de coopération.

Voilà, concrètement, comment encourager les coopérations entre les entreprises au service d’une ambition forte pour lutter contre la désinformation, pour rapprocher les offres numériques, pour développer l’offre de proximité et pour toucher de nouveaux publics, notamment les jeunes.

Les coopérations ne sont pas une fin en soi, et leur succès dépend avant tout de la clarté des objectifs. Un grand meccano institutionnel ne m’apparaît ni nécessaire ni prioritaire. Je suis convaincue qu’une véritable ambition pour l’audiovisuel public peut reposer sur des coopérations par projet et sur la confiance dans les dirigeants nommés par l’Arcom et dans leurs équipes, sans accroître les rigidités ni courir le risque de perdre en souplesse organisationnelle.

Les travaux avancent très bien, et mon souhait est que ces contrats d’objectifs et de moyens 2024-2028 soient soumis pour avis au Parlement et au régulateur à l’automne prochain, pour les finaliser avant la fin de cette année.

Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, vous esquissez un changement de méthode par la création d’une holding, dont je comprends qu’il s’agirait d’une première étape vers la fusion.

À mon sens, cela reviendrait à retarder des projets indispensables en mobilisant l’énergie des entreprises sur des réorganisations de structure au détriment des priorités urgentes. Bref, c’est « une machine à perdre son temps », pour reprendre les mots de Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).

Dans le rapport que vous avez publié en juin 2022, lequel préconisait une fusion, monsieur le rapporteur, vous indiquiez vous-même avoir « entendu les avis de nombreux experts auditionnés, qui s’interrogeaient sur l’intérêt de créer une holding compte tenu de la complexité de ce type de structure, qui ajoute une couche supplémentaire, avec le risque de multiplier le nombre des décideurs au lieu de le réduire. »

Voilà qui est très clair ! Vous l’avez très bien dit vous-même, la création d’une holding induirait très certainement une complexification des processus et des coûts supplémentaires. J’ai moi aussi échangé avec de nombreux experts, et tous étaient plutôt sceptiques sur la holding, craignant que cette couche supplémentaire ne ralentisse finalement l’élan engagé en matière de coopération, qui s’approfondit et s’accélère.

Monsieur le sénateur Hugonet, votre rapport évoquait la nécessité de « changer de cap », mais j’ai l’impression que c’est vous qui avez changé de cap depuis lors.

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