Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous partageons tous un objectif commun : avoir dans le paysage audiovisuel français un service public fort et qui puisse rayonner à l’international, c’est-à-dire s’exporter.
Par conséquent, nous sommes en phase sur l’idée de consolider notre audiovisuel public. Cependant, nous divergeons fortement sur la façon d’atteindre cet objectif, c’est-à-dire sur les moyens.
Le texte propose essentiellement de créer une holding. Cette mesure n’est pas dénuée d’ambiguïté, d’abord parce que l’on ne comprend pas bien si c’est d’une étape avant une fusion qui n’ose pas dire son nom, ou s’il s’agit de s’arrêter là. Sans doute existe-t-il une forme d’entente pour ne pas trancher… On sort toujours de l’ambiguïté à son détriment !
La seconde ambiguïté porte sur la façon dont la proposition de loi va prospérer. On a compris que le Gouvernement et la majorité présidentielle y étaient défavorables. Dès lors, il appartient à ses initiateurs de nous expliquer comment elle pourra recueillir l’assentiment de l’Assemblée nationale… Mais nous pouvons toujours débattre !
Certes, la création d’une holding avait déjà été proposée en son temps, mais, depuis 2020, le contexte a profondément changé.
Ainsi, l’éventualité de la mise en place d’une contrainte a peut-être fait bouger les acteurs eux-mêmes. En février 2023, Delphine Ernotte et Sibyle Veil se sont prononcées pour un document stratégique unique de l’audiovisuel. Depuis lors, les coopérations se sont renforcées.
D’aucuns citent l’exemple du rapprochement entre France 3 et France Bleu, en estimant qu’il pourrait aller plus loin et plus vite. Certainement, mais on parle de directions régionales uniques ! On parle de contenus éditoriaux qui doivent se rapprocher. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas parvenus à le faire d’un coup qu’il faut renoncer à cette ambition. Il faut donner une chance aux éléments de coopération qui sont installés aujourd’hui.
La question se pose : en quoi une holding, c’est-à-dire un meccano institutionnel, répond-elle aux grands enjeux de l’audiovisuel actuel ? Ces derniers sont le rajeunissement du public – ceux qui regardent la télévision de flux sont de plus en plus âgés –, le numérique, la concentration de grands acteurs privés et, avec l’arrivée de concurrences étrangères, l’existence de plateformes disposant d’énormément de moyens d’investissement. On pourrait en relever d’autres.
Ces défis sont qualitatifs. Ce qu’il faut, surtout, c’est que les acteurs sachent que l’on a, à l’intérieur de nos chaînes, des personnes de qualité, qui savent formuler des propositions. Ce n’est pas une strate supplémentaire ou un meccano institutionnel qui répondra à des défis qualitatifs.
Au reste, quand on crée une strate, on a parfois du mal, en France, à faire des économies. La Cour des comptes a produit maints rapports montrant que l’ajout d’un niveau n’avait rien retiré au niveau inférieur. Au contraire, et je le dis sans vouloir critiquer telle ou telle collectivité, on trouve de nombreux exemples d’ajouts de strates qui se sont traduits par des dépenses supplémentaires. En créant une zone intermédiaire, on risque, finalement, de déposséder l’ensemble des acteurs : à la fois les chaînes qui sont « en dessous », si j’ose dire, et l’État actionnaire, qui est au-dessus.
La contrainte passe aujourd’hui par les contrats d’objectifs et de moyens. Sans doute faut-il les consolider. On peut réfléchir à la façon de les rendre plus contraignants, de les évaluer davantage, d’en tirer les conséquences et d’en faire un outil équivalent à la holding. En effet, partager une ambition similaire n’empêche pas de réfléchir à des outils différents pour y parvenir, par exemple en allant plus loin sur la première étape, celle d’un socle commun aux contrats d’objectifs et de moyens.
C’est notamment dans ce sens qu’il faut avancer pour faire face aux nouveaux enjeux, comme la lutte contre la désinformation et les fausses nouvelles – le fact checking. Il est certain que, dans cette perspective, il faut aller plus loin dans la mutualisation, en rassemblant les moyens de l’audiovisuel consacrés à la lutte contre la désinformation numérique.
Bref, pour aboutir à des résultats, il faut avancer concrètement, de façon pragmatique, sujet par sujet, plutôt que de chercher à concevoir une structure qui, en elle-même, répondrait, on ne sait trop comment, à l’ensemble de ces problèmes.
Je crains que, avec l’idée de holding, on ne donne finalement raison à l’adage selon lequel le mieux est l’ennemi du bien. Le bien, ce serait d’avancer concrètement, ensemble, pour faire bouger l’audiovisuel public.