Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 12 juin 2023 à 16h00
Réforme de l'audiovisuel public — Discussion générale

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pourquoi mettons-nous autant de temps dans notre pays pour réaliser les réformes structurelles nécessaires et nous adapter à un monde en perpétuelle évolution ? Je pense ainsi au temps qu’il aura fallu pour imposer un cadre régulant et sécurisant l’espace numérique.

Dans ce contexte peu allant, je salue la mobilisation de nos ministres de la culture successifs, qui ont mené à Bruxelles le combat de la directive sur les services de médias audiovisuels et de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins.

Toutefois, à l’échelle de notre pays, les changements et risques systémiques induits par les nouvelles technologies et l’accélération des innovations lors des quinze dernières années auraient dû inciter les gouvernements successifs à réagir rapidement et, à défaut, à écouter davantage le Parlement, en particulier les propositions du Sénat sur l’audiovisuel.

Ce n’est pas comme si rien n’avait été fait ! Notre commission de la culture et ses rapporteurs successifs, dont j’ai eu l’honneur de faire partie, ont demandé sans relâche la réforme de la redevance qui s’imposait – les pays voisins l’avaient réalisée ! –, ainsi que l’indispensable évolution du cadre législatif et réglementaire, conçu pour un monde hertzien en voie de disparition.

Depuis 2009, date de la dernière grande loi relative à l’audiovisuel, pas moins de trois rapports conjoints de la commission de la culture et de la commission des finances ont été rédigés – en 2011, 2015 et 2021 –, qui ont pointé les nécessaires évolutions pour adapter notre audiovisuel à l’heure du tout-digital.

On le sait, il y a belle lurette que la loi de 1986 est obsolète et que nos règles de concurrence sont dépassées. Le récent échec de la fusion entre TF1 et M6 en est la dernière et consternante illustration.

Face à la toute-puissance des Gafam, il faut pour assurer notre modèle de création un pôle audiovisuel privé fort, tout comme un pôle audiovisuel public fort.

Sur ce point, j’ai toujours dit que la réforme de 2009 était restée au milieu du gué. Il y avait pourtant alors une véritable vision et une juste ambition, celle de s’attaquer, à la fois, à la gouvernance, au modèle économique et aux missions de l’audiovisuel public. Aussi, je remercie le président Laurent Lafon de faire en sorte, en reprenant le flambeau de nos combats, que France Médias, un projet énoncé dans le rapport d’information Leleux-Gattolin de 2015, aboutisse au moins en partie.

Néanmoins, que de temps perdu, alors que Franck Riester avait enfin pu – non sans mal, lui aussi – faire inscrire à l’ordre du jour le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique ! L’abandon de ce texte, acté en 2020, est coupable, car il nous a encore affaiblis.

J’en viens à la présente proposition de loi, qui se concentre sur les questions de gouvernance : la création d’une holding regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA, l’Institut national de l’audiovisuel.

Cet outil important, nous le voulons souple – nous n’étions pas favorables à la fusion, pensant qu’elle cannibaliserait les énergies et ferait perdre du temps. Il permettra de regrouper les forces et les énergies de l’audiovisuel public, avec des équipes engagées dans des coopérations encore plus nombreuses, pour réaliser ensemble les investissements nécessaires.

Ces investissements serviront à aller chercher les publics, notamment les jeunes, face à la concurrence, à développer des outils tels qu’une grande plateforme de l’audiovisuel public – je l’ai régulièrement évoquée en tant que membre du conseil d’administration de France Télévisions. J’ai toujours alerté, d’ailleurs, sur l’échec annoncé de Salto. L’idée de départ de Delphine Ernotte était bonne, mais, face aux géants, cette plateforme regroupant des financeurs publics et privés de la création ne pouvait se réduire à trois acteurs.

En ce qui concerne ce projet de holding, je tiens cependant à insister sur trois points de vigilance.

Le premier point porte sur la part accordée à la création, avec un juste équilibre entre la part réservée aux producteurs et celle des éditeurs de programmes.

Le deuxième point concerne la radio, qu’il convient de toujours considérer comme un média spécifique.

Le troisième point est relatif à notre audiovisuel extérieur – radio comme télévision –, qui doit être conforté. Pour porter la voix de la France dans le monde, il doit être une référence et une marque. C’est crucial pour lutter contre la désinformation et les tentatives de déstabilisation que subissent nos démocraties face à des technologies toujours plus pointues ; je pense à ce que permet déjà l’intelligence artificielle.

J’évoquais précédemment France Médias Monde. C’est une bonne chose qu’Arte et TV5 demeurent des entreprises différenciées, du fait de la structuration de leur capital.

Pour s’assurer de la réussite de la holding, il faut que le projet capitalise sur les dynamiques déjà à l’œuvre entre ces quatre entreprises. J’ai beaucoup de respect pour chaque présidente et chaque président, qui ont accompli des efforts importants en vue d’assurer la transformation des métiers, de mutualiser et optimiser les dépenses, de réaliser des gains de productivité.

L’autre volet de la proposition de loi vise à réduire les asymétries qui pénalisent les médias historiques. Je n’ai pas le temps de développer ce sujet, mais je me réjouis notamment du rétablissement de l’équité en matière de règles de diffusion des événements sportifs majeurs. J’avais d’ailleurs eu l’occasion de vous interpeller, madame la ministre, par le biais d’une question écrite, sur les menaces pesant sur Roland-Garros.

Ayant toujours milité pour la modernisation de la TNT, qui a encore quelques années devant elle, je suis sensible aux avancées que comporte le texte à cet égard.

Je remercie aussi le rapporteur d’avoir prévu un article 14 bis qui impose progressivement la compatibilité des nouveaux téléviseurs avec l’ultra-haute définition (UHD). Cette disposition, que j’avais fait adopter en 2021, avait malheureusement été censurée de manière incompréhensible par le Conseil constitutionnel, pour des raisons de procédure.

Je regrette, en revanche, que mes amendements relatifs à l’accès des chaînes de télévision aux données de consommation de leurs programmes aient été frappés par l’article 45 du règlement du Sénat. L’entreprise doit avoir le retour de ce qui la concerne en premier lieu !

Ce partage de données s’inscrit complètement dans le projet souhaité par l’Union européenne, via l’adoption prochaine du Data Act. Nous sommes donc à contre-courant, monsieur le rapporteur !

Pour conclure, j’insisterai sur la question clé du modèle économique et du financement, abordée à l’article 5, qui fixe le principe d’une ressource publique de nature fiscale, pérenne, suffisante et prévisible pour l’audiovisuel public. Encore faut-il que cela se traduise dans les faits en loi de finances, ainsi qu’au travers d’une loi organique.

En l’absence de certitudes, je suis assez réservée sur le plafonnement de la publicité ; pourtant, je rêve d’un modèle totalement libéré.

Le problème est que le mode de financement de l’audiovisuel public a été fragilisé par la suppression progressive et insidieuse par Bercy de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (Toce), votée par le Parlement en 2019 pour compenser la suppression de la publicité après vingt heures. On comprendra donc que, pour le moment, le financement de l’audiovisuel demeure aléatoire et périlleux.

Cette question est loin d’être anecdotique à l’heure où le projet de règlement européen relatif à la liberté des médias est en débat. Après le constat de certaines dérives en Pologne, en Hongrie ou ailleurs, que nous autres, Français, nous sommes empressés de dénoncer, le Media Freedom Act a été élaboré. Il vise à conforter l’indépendance et le pluralisme des médias dans l’Union européenne.

Il serait tout de même paradoxal que la France ne montre pas l’exemple en assurant à son audiovisuel la ressource permettant sa pérennité et, surtout, son indépendance. Car il y a une vraie différence entre une dotation publique et une dotation d’État, entre une ressource affectée et une ligne budgétaire calibrée selon le bon vouloir de Bercy !

Cette différence, nos partenaires allemands d’Arte n’ont pas manqué de la souligner lorsque nous avons supprimé la redevance. Pour eux et pour nombre d’observateurs extérieurs, France Médias Monde est également devenue une télévision d’État ! Donnons-leur tort, madame la ministre, en engageant de véritables réformes du modèle économique et de financement.

Je conclurai en rappelant que lors du fameux colloque de 2018, intitulé Comment réenchanter l ’ audiovisuel public à l ’ heure du numérique ?, les représentants des audiovisuels publics européens, qui s’étaient tous réformés, s’étonnaient que la France, pays de l’exception culturelle, soit toujours à la traîne…

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