Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est pour moi un plaisir de vous retrouver afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux sujets qui y seront traités.
Premièrement, la guerre en Ukraine restera bien sûr au cœur de l'agenda.
Deuxièmement, les chefs d'État et de gouvernement échangeront sur la réponse européenne à l'Inflation Reduction Act (IRA), ainsi que sur la définition d'une stratégie européenne de sécurité économique.
Troisièmement, les questions de défense seront abordées au travers de deux axes : d'une part, le renforcement des capacités de production de notre industrie de défense européenne, et, d'autre part, la préparation du sommet de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) à Vilnius.
Quatrièmement, le Conseil européen devrait revenir sur la question des migrations après le terrible naufrage au large de la Grèce et les récentes avancées enregistrées sur le pacte sur la migration et l'asile.
Cinquièmement, comme à l'habitude, un certain nombre de thématiques internationales seront traitées. Pour être précise, j'indiquerai que trois le seront : notre relation avec la Chine, la préparation du sommet avec la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (Celac) des 17 et 18 juillet prochain, ainsi que notre relation avec la Turquie.
Comme vous le savez, sur l'ensemble de ces sujets, la situation évolue tous les jours, et les positions que je vous exposerai ce soir sont encore susceptibles d'être ajustées, notamment dans le cadre des concertations conduites entre Européens.
Premièrement, l'Ukraine, comme je le soulignais, restera l'une des principales priorités de ce Conseil européen. Il nous faut absolument continuer d'aider ce pays à mener une contre-offensive efficace. C'est indispensable, car se jouera dans les prochaines semaines et dans les prochains mois la possibilité de la paix – une paix choisie, donc durable.
Un nouveau seuil a été franchi avec la destruction partielle du barrage de Kakhovka. Il s'agit bien entendu d'un acte grave, d'un acte inexcusable et odieux, qui aura des conséquences durables sur la vie de milliers d'Ukrainiens déjà meurtris par la guerre et qui ont dû être évacués. De plus, cet acte met en danger l'environnement et l'avenir des récoltes. Il menace aussi de façon irresponsable la sécurité de la centrale nucléaire civile de Zaporijia.
Évidemment, la Russie cherche à semer le doute sur l'origine de ce sabotage, mais nous ne devons pas perdre de vue un fait simple : c'est elle, et elle seule, qui porte la responsabilité de cette situation. C'est elle qui a engagé cette guerre, c'est elle qui bombarde, c'est elle qui tue, c'est elle qui détruit les infrastructures civiles, au service d'un projet aussi impérialiste qu'illégal.
Face à cette situation, les chefs d'État et de gouvernement rappelleront donc leur engagement à soutenir l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire, y compris en assurant un soutien financier de long terme. Ils évoqueront également le soutien à la formule de paix en dix points du président ukrainien. Les dirigeants européens auront aussi un échange sur les garanties de sécurité qui doivent être octroyées à l'Ukraine en vue du sommet de l'Otan de Vilnius des 11 et 12 juillet prochains.
Comme vous le savez, le Président de la République s'est dit favorable à donner des garanties tangibles et crédibles à l'Ukraine pour au moins deux raisons. La première est que l'Ukraine protège l'Europe : elle représente un gage de sécurité pour cette dernière. La seconde est que ce pays est doté d'un armement si important qu'il est dans notre intérêt qu'elle obtienne à nos côtés des gages crédibles en matière de sécurité, dans un cadre multilatéral.
De plus, les chefs d'État et de gouvernement reviendront sur les actions engagées par l'Union européenne (UE) et par les États membres en matière de lutte contre l'impunité des crimes internationaux commis en Ukraine et en matière de recours aux actifs russes gelés et immobilisés.
Enfin, le Conseil européen réaffirmera la perspective européenne de l'Ukraine et de la Moldavie. Il saluera les progrès réalisés vers l'adhésion à l'UE sur la base de l'évaluation orale que rendra la Commission cette semaine, à l'occasion du conseil Affaires générales informel de Stockholm auquel je participerai demain et après-demain.
Le Président de la République a été très clair à l'occasion de son discours à Bratislava : la question pour nous n'est pas de savoir si nous devons élargir l'UE – nous y avons répondu il y a un an – ni quand nous devons le faire – pour nous, le plus vite possible –, mais bien comment.
Permettez-moi d'en profiter pour saluer le déplacement des sénatrices Martade Cidrac et Gisèle Jourda, ainsi que du sénateur André Reichardt, en Moldavie. Nous en avions parlé lors de ma dernière audition, me semble-t-il.
La manifestation du soutien de la France à l'intégration européenne exprimée par ce déplacement est essentielle. Nicolae Popescu a d'ailleurs eu l'occasion de répéter la semaine dernière au bureau de la commission des affaires européennes combien le soutien de la France était apprécié à Chisinau.
Deuxièmement, une large partie du Conseil européen sera consacrée aux questions économiques, dans leurs dimensions multiples.
Un point sera fait sur la mise en œuvre des décisions prises par le Conseil européen en février et en mars dernier concernant la réduction des dépendances stratégiques, le renforcement de la politique industrielle européenne et notre réponse à l'Inflation Reduction Act.
Les chefs d'État et de gouvernement débattront surtout de la stratégie de sécurité économique européenne. Lors de son discours à La Haye, à l'institut Nexus, le Président de la République a esquissé les contours de cette nouvelle doctrine, dont l'objectif est d'assurer pleinement notre souveraineté. Elle repose sur cinq piliers complémentaires.
Le premier est la compétitivité. Nous devons continuer d'innover, de réformer et de renforcer nos systèmes éducatifs et de formation. Nous devons aussi approfondir le marché unique pour favoriser l'émergence d'acteurs économiques européens plus forts.
Le deuxième pilier concerne la politique industrielle. Je serai contente d'entendre que la France a joué un rôle clé pour faire progresser la politique industrielle européenne : ce concept n'est désormais plus un tabou. L'Europe doit continuer en ce sens pour asseoir son leadership industriel.
Les trois piliers suivants, allant du plus défensif au plus ouvert, dessinent quant à eux une géométrie de la sécurité économique européenne.
Le troisième pilier est le volet le plus défensif. Il vise la protection des intérêts stratégiques de l'Europe. Il s'agit de protéger nos entreprises contre les actions hostiles et les distorsions de concurrence, de réduire les dépendances stratégiques de l'UE, de protéger notre propriété intellectuelle et de mobiliser nos instruments de défense commerciale.
Le quatrième est la réciprocité. Il s'agit d'intégrer dans chaque négociation commerciale des critères de durabilité sociale et environnementale. La systématisation des mesures miroir est un autre outil essentiel pour que les producteurs européens soient soumis aux mêmes règles de production que les entreprises qui produisent à l'extérieur de l'Union.
Le cinquième et dernier pilier est la coopération. Il s'agit de renforcer le multilatéralisme et de faire en sorte que les politiques européennes de solidarité internationale soient en cohérence avec les intérêts légitimes de l'UE.
Comme vous le savez, une communication relative à ce sujet a été présentée aujourd'hui par la Commission. Elle tend à rejoindre plusieurs de ces priorités : c'est un pas dans la bonne direction. Le Conseil européen donnera des orientations pour sa mise en œuvre, qui devra s'appuyer sur des analyses concrètes de nos dépendances et de nos besoins. Nous veillerons également au respect des compétences nationales pour les aspects les plus sensibles.
Troisièmement, ces enjeux de sécurité économique ont un lien direct avec l'Europe de la défense, qui sera également à l'agenda du Conseil européen.
En effet, si nous voulons continuer à soutenir l'Ukraine dans la durée, il faut passer dès maintenant à une économie de guerre européenne. Il faut donc renforcer les capacités de production de l'industrie de défense de l'Union et mettre en œuvre rapidement les propositions de la Commission dans ce domaine. La France prend toute sa part, puisque nous allons atteindre un total de 413 milliards d'euros de dépenses avec la loi de programmation militaire (LPM) en cours d'examen par le Sénat.
Le Conseil européen devra aussi permettre de dessiner les grandes lignes de l'avenir de la coopération entre l'Union européenne et l'Otan, dans l'esprit de la troisième déclaration conjointe sur la coopération du 10 janvier 2023. Comme vous le savez, cette déclaration souligne l'apport pour la sécurité transatlantique d'une défense européenne renforcée.
Quatrièmement, le Conseil européen sera l'occasion d'un nouveau point sur les questions migratoires.
Après le terrible naufrage qui a eu lieu au large de la Grèce, nous sommes complètement déterminés à poursuivre, avec responsabilité et solidarité, le travail engagé avec nos partenaires européens sur les questions migratoires. Cette tragédie doit nous rappeler l'importance de la coopération entre Européens et avec les pays tiers en matière de sauvetage en mer et de lutte contre les réseaux de passeurs.
En ce qui concerne la réforme de notre système européen d'asile et de migration, nous venons de franchir une étape très importante : le Conseil a trouvé un accord sur les principaux textes du pacte sur la migration et l'asile : ils contiennent chacun une mesure phare de notre futur cadre européen commun en matière de solidarité et de responsabilité.
Je pense que c'est un résultat dont nous pouvons collectivement être fiers : nous sommes bien plus proches désormais d'une réponse européenne sur cette question, alors que les réponses exclusivement nationales se sont évidemment soldées par des échecs.
Néanmoins, ces succès internes ne doivent pas nous faire oublier le nécessaire travail que nous devons mener sur les aspects externes. Il faut à présent intensifier le renforcement de nos partenariats avec les pays tiers et avec les pays d'origine, afin de traiter les causes profondes des migrations et de prévenir les départs.
Cinquièmement, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen évoquera nos relations avec la Chine, avec l'Amérique latine et avec la Turquie.
En ce qui concerne la Chine, le Conseil européen sera l'occasion d'une discussion stratégique, qui s'inscrira dans la continuité de la discussion entre ministres des affaires étrangères tenue lors du Gymnich du 12 mai dernier.
Il me semble que l'on peut en retenir une certaine convergence de vues entre États membres, au moins sur la pertinence du triptyque européen : « partenaire, concurrent commercial et rival systémique ». L'on peut aussi en retenir le besoin d'actualiser notre stratégie, afin de tenir compte de la montée en puissance de la dimension de rivalité systémique.
En ce qui concerne notre partenariat économique et commercial, nous cherchons non pas un découplage avec la Chine, mais une réduction des risques. Pour cela, nous devons poursuivre la mise en œuvre de l'agenda agréé lors du Conseil européen de Versailles et renforcer les instruments européens de lutte contre les pratiques commerciales déloyales et abusives, comme je l'évoquais tout à l'heure dans le cadre de notre doctrine de sécurité économique.
En parallèle, nous devons bien sûr maintenir le dialogue avec Pékin sur les enjeux globaux. La participation du Premier ministre chinois, Li Qiang, au sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, ces jours-ci, en est d'ailleurs l'illustration.
Enfin, dans le contexte de la guerre en Ukraine, il est crucial d'appeler la Chine à s'engager dans la recherche d'une solution.
Pour ce qui concerne la préparation du prochain sommet avec la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes, nous souhaitons rappeler que les questions des droits de l'Homme, de la démocratie et de l'État de droit restent fondamentales. Ces thématiques sont centrales dans la relation avec de nombreux pays latino-américains, et il conviendra d'aborder ouvertement ces sujets.
La situation à Haïti sera également mise en avant par la France et d'autres partenaires, européens comme latino-américains : nous devons agir collectivement et rapidement pour le rétablissement de la sécurité et d'un cadre démocratique.
Par ailleurs, les perspectives de coopération ouvertes par le Global Gateway devraient constituer des livrables importants du sommet avec un agenda d'investissement dans la région qui est en cours d'élaboration. Je pense que nous ne pourrons pas réduire notre partenariat économique aux accords commerciaux. Cet agenda d'investissements sera donc extrêmement important.
La victoire de Recep Tayyip Erdogan et de son parti aux dernières élections présidentielle et législatives a ouvert une nouvelle phase en Turquie. Je tiens d'ailleurs à saluer le sénateur Leconte pour sa participation à la mission d'observation électorale dans ce pays, au titre de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Maintenant que le scrutin est derrière nous, il sera utile que nous ayons une discussion plus approfondie à vingt-sept.
La Turquie est évidemment un acteur important de notre voisinage : il est par conséquent essentiel de poursuivre le dialogue et de maintenir la coopération avec elle sur les sujets d'intérêt partagé dans le contexte international et régional dégradé que nous connaissons.
Au-delà de ces élections, il faut aussi rappeler que tout réengagement de l'Union européenne à l'égard d'Ankara doit être subordonné à la capacité des autorités turques à remplir les conditions fixées par le Conseil européen en mars et en juin 2021, ainsi qu'à prendre des mesures concrètes sur les questions de politique étrangère les plus urgentes, s'agissant notamment de l'adhésion rapide de la Suède à l'Otan et du contournement des sanctions adoptées en réaction à l'agression russe contre l'Ukraine.
Il est essentiel que nous restions unis et que nous soyons parfaitement clairs quant à nos attentes à l'égard de la Turquie.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà, en quelques mots, les enjeux de ce Conseil européen. Je ne doute pas que vos questions me fourniront l'occasion de revenir plus en détail sur l'un ou l'autre de ces points.