Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les nouvelles frappes russes hier soir me conduisent, pour commencer, à renouveler au nom du groupe écologiste notre soutien sans faille à l'Ukraine et à sa population.
Nous saluons donc la volonté du Gouvernement de persister à soutenir l'Ukraine par tous les moyens qui sont nécessaires. Nous continuons à porter le projet d'une défense européenne, pour que l'Europe soit autonome stratégiquement et militairement.
Pour le reste, qu'en est-il aujourd'hui de notre projet européen, de notre cohésion sur les grands objectifs et de nos valeurs communes ? Ils sont – c'est leur lot – ballottés, malmenés, voire carrément reniés. Ce Conseil européen serait utile s'il contribuait à redonner vigueur à ces impératifs qui fondent notre unité.
Dans nombre d'États européens, les surenchères sécuritaires prospèrent, les entraves au Pacte vert se dressent, le lobbying en faveur de la finance et du libre marché gagne du terrain, les concessions à l'extrême droite, voire les coalitions avec elle, se multiplient. À un an des élections européennes, nous attendons des responsables européens la clarté et la détermination nécessaires pour donner envie d'Europe en plus et en mieux.
Au large de Kalamata, à proximité du Péloponnèse, c'est dès l'après-midi que Frontex a pu prendre la mesure du drame qui se nouait. Mais c'est à 23 heures cette nuit-là que l'embarcation abandonnée à son sort a sombré avec près de 750 personnes... Ce bilan est l'un des plus lourds des dernières années ; ces dizaines et peut-être centaines de morts viennent s'ajouter aux 1 300 autres recensés depuis le début de 2023.
Bien sûr, la culpabilité première revient aux trafiquants d'êtres humains, profiteurs de celles et ceux qui fuient la misère, la guerre et, de plus en plus, un dérèglement climatique invivable. Bien sûr, cette culpabilité est première. Mais elle ne décharge pas pour autant les politiques européennes de leur lourde part de responsabilité.
Il faut, hélas, le dire clairement : ces morts sont un peu à mettre au bilan de Frontex. En se reniant depuis tant d'années face aux discours anti-migrants, en intensifiant les politiques migratoires très restrictives, en externalisant le contrôle de ses frontières, en sous-traitant à des pays où les droits humains sont bafoués, l'Europe a fait de la Méditerranée la voie migratoire la plus meurtrière au monde.
Si ce Conseil européen entend vraiment lutter contre cette mortalité effroyable au seuil de l'Europe, son urgence doit être d'organiser la coopération pour les sauvetages – vous venez d'en dire un mot, madame la secrétaire d'État. Or l'accord du 15 juin entre les États membres sur le pacte asile et migration n'ouvre aucune perspective de création d'une force européenne de secours en mer. Ce nouveau drame y oblige ; c'est un impératif minimum.
En ce qui concerne le volet énergie, on constate encore de l'incohérence. En septembre, le Gouvernement annonçait vouloir rattraper son retard dans les énergies renouvelables. Dans les faits, Paris a totalement bloqué les choses jusqu'à ce que ses demandes sur le nucléaire soient satisfaites dans ce texte clé du Pacte vert qu'est la proposition de directive relative aux énergies renouvelables.
Il a donc fallu que la Commission européenne finisse par acter « la reconnaissance du nucléaire dans l'atteinte de nos objectifs de décarbonation ». Il y a quelques semaines, on dénonçait les manœuvres de blocage de nos voisins allemands sur les voitures thermiques. Aujourd'hui, on les imite !
Ce lobbying déstabilise les investissements dans la décarbonation et en encourage d'autres : ainsi, hier, en Conseil des ministres européens de l'énergie, la France a soutenu la prorogation des subventions aux centrales à charbon existantes jusqu'en 2028 – encore un recul !
Ce retard sur nos objectifs de décarbonation coûtera cher, tout comme le démantèlement annoncé de Fret SNCF, pour lequel le gouvernement français semble capituler avant même d'avoir mené la bataille, alors que notre cause avait des raisons solides, partagées en Europe. Plutôt que de tenir, vous consentez à en finir avec Fret SNCF.
Comment la mise à la découpe de cette entreprise pourrait-elle ne pas briser le rebond ferroviaire nécessaire et ramener des camions sur les routes ? À quoi en Europe veut-on donner la priorité ? Au climat ou à la libre concurrence ?
Cette question vaut également pour l'accord UE-Mercosur, tel qu'il a été conclu en 2019, que l'Assemblée nationale vient de rejeter dans une résolution. Cet accord serait une usine à dérégler le climat, à accroître la déforestation, à contaminer l'environnement, à détruire l'agriculture paysanne et à coloniser les terres des peuples autochtones.
Le respect de l'accord de Paris et celui de nos normes sanitaires et environnementales pour tout produit agroalimentaire importé, voilà la ligne à tenir, sans pour autant couper les ponts avec l'Amérique latine. L'Union européenne peut aider à protéger l'Amazonie, en respectant ses engagements en matière de financement de l'action climatique et par ses aides en faveur des forêts des pays du Mercosur.
Cela passe aussi par une directive ambitieuse sur le devoir de vigilance. Les eurodéputés ont voté un texte prometteur prévoyant un mécanisme de responsabilité civile et un accès renforcé des victimes à la justice européenne, qui a nettement élargi le champ des entreprises concernées et qui inclut le secteur financier et la chaîne de valeur aval des entreprises.
Maintenant que les négociations en trilogue vont débuter, ce n'est pas le moment d'affaiblir le texte. Les eurodéputés se sont montrés ambitieux ; au gouvernement français de suivre cette ligne.
Cette nécessité de peser en faveur de nos grands objectifs communs est aussi en cause avec la loi européenne sur la restauration de la nature, dont le vote a été repoussé par une alliance entre l'extrême droite, la droite conservatrice, les libéraux et une partie du groupe Renew. C'est le sort du Green Deal qui se joue. Nous n'avons pas le luxe de nous permettre une pause !