Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les 29 et 30 juin prochains, le Conseil européen se réunira. Il y sera a priori question de la politique économique de l'Union européenne, au travers des conclusions du Conseil sur la politique industrielle et sur le marché unique, ainsi que sur la compétitivité et la productivité à long terme de l'Europe.
La situation économique, la sécurité et la résilience économique de l'Union seront également abordées. C'est sur ces points que je souhaiterais m'attarder, car il me paraît nécessaire de faire entendre la voix de la France. Par son histoire, sa longue tradition industrielle et sa vision gaulliste d'une économie au service de la souveraineté nationale, la France a des valeurs dont l'Union doit pouvoir s'inspirer.
Depuis trop longtemps, nos gouvernants européens me semblent faire montre d'une certaine naïveté dans leur vision des rapports de force économiques mondiaux. Nous en portons collectivement la responsabilité, quelle que soit notre tendance politique ou notre nationalité.
Au tournant des années Maastricht, notre croyance dans un marché mondial porteur de toutes les vertus était solidement ancrée. Confiants dans notre potentiel économique, nous croyions que les échanges mondiaux ne pourraient pas nous être préjudiciables. Dans une sorte de surinterprétation de la théorie des avantages comparatifs, l'économie européenne s'est transformée, passant d'une économie industrielle à une économie de service.
Le marché étant le remède à tout et ne pouvant nous nuire, pourquoi garder ces grandes usines laides et polluantes quand on pouvait faire fabriquer ailleurs ? Le concept même de souveraineté semblait appartenir à un autre temps.
Cette vision essentialisée du marché nous a considérablement affaiblis, alors que se réveillaient des géants économiques et que d'autres, outre-Atlantique, renforçaient leurs armes dans la concurrence mondiale.
Depuis, la crise sanitaire et la crise ukrainienne ont remis au goût du jour le concept de souveraineté économique, et même la question d'une souveraineté européenne.
Le chemin à parcourir est encore long. Exemple flagrant de notre naïveté économique persistante, l'essor de la voiture électrique constitue un véritable appel d'air pour les industries automobiles étrangères, qui vont pouvoir s'implanter sur le marché européen.
À l'inverse de l'Union européenne, ces puissances concurrentes contrôlent la chaîne de production de bout en bout. De l'extraction des terres rares à la production des batteries, puis à l'assemblage des véhicules, nos constructeurs font face à une concurrence puissante et inquiétante.
En l'espèce, il s'agit non pas d'avantages technologiques, mais bien de la capacité d'industries étrangères à mobiliser des moyens et des ressources immenses pour conquérir de nouveaux marchés. C'est d'autant plus préoccupant que ces industries concurrentes proviennent parfois de pays ne pratiquant malheureusement ni embargo ni sanctions à l'égard de la Russie. Elles continueront donc d'avoir accès aux ressources minières russes, tandis que nos industriels européens devront se fournir ailleurs à prix d'or et n'auront pas d'autre choix que de reporter le coût supplémentaire sur les consommateurs.
D'une politique économique naïve et mal préparée découlent des conséquences sociales qui distendent le lien démocratique entre l'Europe et ses citoyens. Les zones à faible émission (ZFE) en sont un bon exemple : d'une part, elles poussent les consommateurs à acquérir des véhicules électriques bon marché, souvent étrangers ; d'autre part, elles créent un périmètre d'exclusion pour ceux qui n'auraient pas les moyens de renouveler leur véhicule.
S'il existe un enjeu environnemental certain, les ZFE établissent une frontière sociale qui va, de fait, rendre inaccessible aux citoyens européens des infrastructures pourtant financées par leurs impôts : gares, musées, hôpitaux, stades… La liste est longue !
Pour la France rurale, ou la France périphérique, les statistiques vont bel et bien se traduire en réalités concrètes en matière de mobilités et de segmentation de l'espace. L'accès de nos concitoyens les plus défavorisés aux métropoles et aux avantages socioéconomiques qu'elles confèrent va graduellement se détériorer.
D'une Europe pourvoyeuse d'un marché unique laissant librement circuler les individus et les biens, sans frontières ni barrières douanières, nous risquons de nous retrouver dans une situation ou l'octroi à l'entrée des villes devra être rétabli…
Mon dernier point concerne la question énergétique. Entre atermoiements, ordres et contre-ordres, la politique de l'Union mérite d'être débattue.
Le temps imparti est malheureusement trop court pour revenir sur le projet Hercule prévu pour EDF, sur le mécanisme européen de couplage des prix de l'électricité sur celui du gaz ou encore sur le label vert obtenu de haute lutte pour le nucléaire… Autant de véritables enjeux de souveraineté et de résilience pour notre économie.
Concentrons-nous sur l'objectif fixé par l'Union européenne de porter à 42, 5 % la part de la consommation énergétique européenne issue d'énergies renouvelables en 2030. Comme pour la voiture électrique, cet objectif pose question. Une fois encore, nous fixons des objectifs qui ne sont atteignables qu'avec le concours d'industries étrangères, et souvent au prix d'une déstabilisation de notre propre filière.
En effet, nous importons actuellement entre 70 % et 80 % des équipements nécessaires à la production d'énergies renouvelables. Les filières scandinaves et allemandes peinent à rivaliser avec leurs concurrents asiatiques. Ils font face à des entreprises qui disposent à domicile des ressources nécessaires à la fabrication des équipements : terres rares, métaux critiques, etc.
Sans compter qu'il s'agit là de futurs déchets pour le traitement desquels les filières de recyclage européennes sont balbutiantes et déjà convoitées par la concurrence internationale. La boucle est bouclée !
Madame la secrétaire d'État, mes collègues vous ont déjà posé de nombreuses questions. Aussi, pour conclure, je dirai simplement que l'Union européenne continue parfois de prendre pour elle-même des décisions économiques qui font le jeu d'intérêts étrangers et qui éloignent démocratiquement le citoyen européen.
Elle doit veiller à faire émerger une souveraineté européenne sans empiéter sur celle des États membres, et bâtir une politique économique et environnementale forte. Les enjeux sont de taille, et l'exercice est difficile ; c'est certain. Mais je veux croire que nous serons entendus.