Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un peu plus d'un an, en mars 2022, la compagnie britannique P&O Ferries licenciait 786 marins, par visioconférence, sans préavis ! On a donné l'ordre à ces 786 personnes de quitter leur lieu de travail, de descendre de leur ferry et on les a remplacées par des marins deux fois moins payés, ne bénéficiant pas de jours de repos et pouvant embarquer jusqu'à quinze semaines en mer, à un rythme effréné, sans revenir à terre se reposer.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l'une des réalités du transport maritime dans nos eaux !
Nous voyons se développer des pratiques brutales, une course au moins-disant social, une concurrence déloyale qui peut détruire de nombreuses entreprises, des milliers d'emplois et qui, si nous ne faisons rien, emportera telle une vague scélérate un pan entier de notre économie maritime.
Cette urgence de lutter contre le dumping social nous concerne tous, élus des territoires littoraux ou non, des Hauts-de-France, de la Normandie, de la Bretagne, des Pays de la Loire, de la Nouvelle-Aquitaine, de l'Occitanie, de la région Sud, de la Corse ou des outre-mer.
Je vous remercie – notamment vous, madame la rapporteur, car vous n'êtes pas issue d'un territoire de littoral, preuve qu'il s'agit là d'un sujet qui concerne tout le monde –de votre présence aujourd'hui et de votre implication sur cette proposition de loi, qui est cruciale pour préserver notre modèle social, assurer la sécurité en mer et protéger nos espaces maritimes, notamment du point de vue environnemental.
Dès le mois de juillet de l'année dernière, nous avons travaillé avec les organisations syndicales, la CFDT, la CFE-CGC, la CGT, et les organisations patronales – je remercie Armateurs de France –, notamment Brittany Ferries et DFDS Seaways, afin de trouver des solutions communes. Je tenais particulièrement à saluer à cette tribune l'implication remarquable de Jean-Marc Roué.
Nous avons d'abord construit une réponse collective pour mettre fin aux pratiques scandaleuses de dumping social dans le transmanche, c'est-à-dire dans les liaisons avec le Royaume-Uni. Ces pratiques sont une conséquence du renoncement, après le Brexit, au statut protecteur, bien que perfectible, apporté par l'Union européenne. Le Royaume-Uni est devenu un État tiers, ce qui a ouvert la voie à des pratiques dérégulées de la part de certains armateurs peu scrupuleux, pratiques contre lesquelles nous nous battons aujourd'hui.
Nous avons formé une coalition inédite. Nous avons cheminé ensemble et réfléchi aux solutions à déployer. Nous avons abouti dans un premier temps à la mise en œuvre par toutes les compagnies maritimes d'une charte d'engagement volontaire.
Cette charte a été élaborée en concertation avec les autorités britanniques, elles-mêmes désormais conscientes et inquiètes de la situation. Elle est conforme aux différents standards et définit un certain nombre de priorités.
Cette charte invitera les armateurs à s'engager à atteindre des niveaux plus élevés que les exigences minimales en matière de formation, de congés, de pratiques environnementales, et conformes à nos attentes.
Le Sénat a d'ailleurs largement participé à ces travaux précurseurs grâce, notamment, à la contribution d'Agnès Canayer, de Jean-François Rapin et de Michel Canévet. Tous ces travaux et ceux qui ont été menés en parallèle par les parlementaires de tous bords politiques ont abouti à un triple constat.
Tout d'abord, aucune entreprise respectant la concurrence libre et non faussée, à laquelle je sais que Mme la rapporteur est très attachée, ne peut s'aligner sur les pratiques déloyales proches de l'esclavage moderne que j'ai évoquées au début de mon intervention et que nous dénonçons collectivement.
Par ailleurs, aucune entreprise qui fait travailler ses marins à un rythme effréné ne peut nier qu'elle fait courir un risque à la vie de ses passagers et de ses équipages. La fatigue que ce rythme induit est une menace grave pour la sécurité maritime, tout particulièrement dans le détroit du Pas-de-Calais, l'une des mers les plus dangereuses et les plus fréquentées au monde.
Enfin, aucune entreprise ne peut prétendre contribuer à notre politique énergétique et environnementale lorsqu'elle pratique ce type de dumping social, à l'heure où nous voulons renforcer notre souveraineté et accroître la protection de la biodiversité marine.
C'est en réponse à ce triple constat, simple, clair et sans ambiguïté, que le Gouvernement a soutenu cette proposition de loi du député Didier Le Gac, car elle s'inscrit pleinement dans le cadre défendu par le Président de la République lors la présidence française de l'Union européenne en matière de lutte contre le dumping social dans tous les modes de transports.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, les quatre articles initialement proposés dans ce texte sont fondamentaux pour lutter contre la concurrence déloyale et renforcer notre modèle social.
D'abord l'article 1er vise à réguler les liaisons internationales : premièrement, en imposant un salaire minimum horaire ; deuxièmement, en exigeant une équivalence entre le temps de repos et le temps de travail. L'objectif est double : il s'agit d'éviter le recrutement de marins moins payés que les marins français et de garantir la sécurité en mer en instaurant de réelles périodes de repos permettant de lutter contre la fatigue.
Les discussions que vous avez eues en commission ont visé ces mêmes objectifs et ont permis d'apporter des clarifications. Vous avez ainsi renforcé utilement la robustesse juridique du dispositif et supprimé du texte certaines mentions qui n'y avaient pas leur place.
Soucieux d'affermir encore les dispositions de la proposition de loi et de prendre en compte les remarques que vous avez formulées en commission, madame la rapporteur, nous présenterons un amendement visant à prévoir que l'article 1er ne s'applique qu'au transmanche, conformément à l'objectif initial de cette proposition de loi.
L'article 1er concernant les liaisons internationales, la restriction de son champ d'application aux liaisons entre la France et le Royaume-Uni permettra de faire face aux problèmes urgents que nous connaissons tous.
Le Gouvernement a d'ailleurs pris ses responsabilités sur ce sujet en interdisant, par décret paru ce matin, l'utilisation du registre international français sur cette liaison, comme nous l'avions fait sur le Maghreb par le passé. Dès lors, et je tiens à le redire ici, cette proposition de loi n'a pas pour objet les liaisons internationales en Méditerranée.
L'article 2, quant à lui, sanctionne pénalement le recours à des marins ne disposant pas d'un certificat médical de même niveau que les certificats établis en France. C'est un sujet de santé et de sécurité.
Les articles 1er bis et 1er ter sont fondamentaux pour lutter contre le dumping social sur toutes nos façades maritimes.
L'article 1er visait à régler de façon urgente les problèmes constatés uniquement sur les liaisons internationales avec le Royaume-Uni. Or nous nous sommes rendu compte au cours de nos nombreuses discussions que la concurrence déloyale était un fléau qui concernait toutes les façades maritimes, en raison en particulier du développement des éoliennes et des énergies marines renouvelables, qui est un sujet d'avenir.
Les navires qui construiront, installeront et assureront la maintenance des parcs éoliens sur toutes nos façades devront appliquer une partie du droit du travail français, y compris les navires étrangers. C'est le dispositif de l'État d'accueil, que le Parlement a étendu aux navires étrangers dans la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.
Ce dispositif s'applique aujourd'hui dans les eaux européennes uniquement au transport de passagers entre deux ports français, comme entre la Corse et le Continent, mais aussi sur toutes les îles de la façade Atlantique.
Par conséquent, l'article 1er bis vise à renforcer les sanctions pénales en cas de non-respect du droit français à bord des navires étrangers. Il s'agit d'aligner les sanctions prévues dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil, qui existe depuis plus de vingt ans, sur celles du dispositif spécifique prévues à l'article 1er du texte concernant les liaisons transmanche.
En effet, comment pourrions-nous collectivement assumer que le niveau de sanction soit moins élevé dans les eaux nationales ou européennes que sur les liaisons transmanche ?
De la même manière, l'article 1er ter crée un régime de sanctions administratives, alors qu'il n'en existait pas jusqu'à présent dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil.
Nous proposons donc de rétablir les articles 1er bis et 1er ter par cohérence avec les dispositions applicables aux liaisons transmanche, pour anticiper le développement de l'éolien en mer et rendre la loi plus efficace sur toutes nos façades maritimes.
J'ai suivi attentivement vos discussions en commission et je partage la nécessité de clarifier certains points. Toutefois, il est essentiel de rétablir ces deux articles. Sans eux, nous serions démunis pour lutter contre le dumping social, notamment dans le secteur en plein développement des énergies marines renouvelables, et pour atteindre l'objectif important de souveraineté énergétique et économique.
Tous les armateurs français, toutes les confédérations syndicales, tous les élus qui sont amenés à connaître le déploiement de l'éolien en mer nous alertent sur ce risque. De Fécamp jusqu'à Fos-sur-Mer en passant par Saint-Brieuc, L'Île-d'Yeu, Saint-Nazaire, nous avons besoin du dispositif renforcé de l'État d'accueil.
Grâce à la clarification que vous avez apportée en commission, madame la rapporteur, et aux améliorations que nous défendrons ici au cours de la discussion, nous pourrons bâtir ensemble un véritable texte de justice sociale, ambitieux, et envoyer un signal clair : la France refuse ces pratiques concurrentielles inacceptables, se bat pour assurer la sécurité en mer sur toutes ses façades maritimes et défend sa souveraineté.
Avec cette proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée, votre belle institution, peut hisser haut le pavillon de la France pour notre souveraineté économique, pour notre souveraineté énergétique, pour la réindustrialisation de notre pays, pour la défense de notre modèle social, pour le bien-être des gens de mer, pour la sécurité maritime et pour la protection de l'environnement.