Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, 800 personnes licenciées sans préavis et autant de familles mises en difficulté : telles peuvent être les conséquences du dumping social.
En mars 2022, P&O Ferries annonçait licencier 786 marins britanniques pour les remplacer par des marins extracommunautaires afin de réduire les coûts liés à leur masse salariale.
En matière de transport maritime de passagers entre deux pays, le droit applicable est régi par le droit international et le droit européen, qui permettent tous deux la pratique du dumping social. Les armateurs ont en effet la liberté de choisir le pavillon de leur navire, à condition de respecter les règles établies par l'État du pavillon choisi.
Concernant le droit du travail applicable aux employés du navire, le principe étant celui du libre choix des parties, il peut s'agir du droit de n'importe quel État, dans la mesure où les conditions de l'État du pavillon l'autorisent.
Il est donc fort tentant, pour les compagnies maritimes qui souhaiteraient diminuer leurs charges et proposer ainsi des tarifs compétitifs, de choisir leur pavillon et le droit social applicable dans un État proposant une réglementation peu avantageuse pour les salariés. Certaines compagnies opérant des liaisons transmanche ne se privent d'ailleurs pas de cette opportunité, et trois des cinq compagnies concernées ont choisi d'établir leur pavillon à Chypre ou aux Bahamas.
Les victimes du dumping social sont évidemment les salariés évincés des pays dont les ports sont exploités par ces compagnies, mais aussi les salariés employés sur ces navires, dont les conditions de travail sont bien souvent largement contestables, la rémunération très faible et les durées d'embarquement bien supérieures aux temps de repos.
En conséquence, les risques pour la sécurité sont majeurs, qui plus est, dans l'une des zones les plus fréquentées d'Europe, où l'on compte plus de 130 passages par jour.
Cette concurrence, bien que légale, nécessite que la France se dote d'outils de façon à lutter contre ce phénomène. Tel est justement l'objectif de cette proposition de loi, qui prévoit de recourir à une loi de police, seul outil pouvant permettre à la France d'imposer certaines règles en matière de droit du travail applicable aux gens de mer travaillant sur un navire dont le pavillon est étranger.
La loi de police, dont le mécanisme a été expliqué par la rapporteur, doit respecter un critère de proportionnalité à l'objectif poursuivi, qu'il nous faudra garder à l'esprit durant l'examen du texte, l'objectif n'étant pas que cette loi finisse par être censurée, car elle ne respecterait pas le droit de l'Union européenne…
Cette proposition de loi impose plusieurs obligations aux employeurs, dépassant ainsi la loi du pays initialement choisi pour régir ses contrats de travail. L'une des principales obligations proposées est le versement au personnel de bord du salaire minimum de branche applicable en France.
La seconde est l'obligation de respecter une durée de repos à terre pour les salariés au moins équivalente à leur durée d'embarquement.
Le texte instaure un régime de sanctions pénales et administratives en cas de manquement à ces obligations. Il étend également aux certificats établis à l'étranger la sanction prévue pour l'armateur ou le capitaine d'un navire battant pavillon français qui accepterait à bord du personnel ne disposant pas d'un certificat médical valide. Nous saluons l'extension en commission de cette mesure, initialement prévue pour les marins, à l'ensemble des gens de mer.
Dans sa version transmise par l'Assemblée nationale, le texte comportait également deux autres articles qui s'inscrivaient dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil, dont relèvent les lignes reliant la France continentale et la Corse, mais pas uniquement. Demain, ce dispositif concernera même davantage de façades maritimes, du fait du développement des parcs éoliens en mer.
Ces articles prévoyaient d'aggraver les sanctions pénales existantes en cas de non-respect du salaire minimum, mais aussi de créer des sanctions administratives dans le cadre de ce même dispositif. Ils ont tous deux été supprimés en commission.
Nous entendons les arguments ayant conduit à leur suppression, à savoir, notamment, qu'ils ne concernaient pas le transmanche, objet initial du texte, et qu'il serait d'abord préférable de renforcer les moyens de contrôle. C'est vrai, mais voter des sanctions plus lourdes n'empêcherait nullement de renforcer les moyens de contrôle et élargir l'objet d'un texte au-delà de sa portée initiale n'a rien d'inédit.
Madame la rapporteur, comme vous l'avez vous-même souligné en commission, cette proposition de loi traite un sujet rarement abordé par celle-ci. Qui sait quand nous aurons l'occasion d'y revenir ?
Dès lors, pourquoi ne pas se saisir de cette proposition de loi pour s'attaquer, au-delà du dumping qui touche le transmanche, à celui qui affecte plus largement notre pays ? Notre groupe approuve l'état d'esprit de ce texte.